Un agent secret que son supérieur appelait justement sur le téléphone portable sécurisé camouflé dans son sabot gauche pour lui confier une nouvelle mission.

- 007½ ?
- Oui, boss, je vous écoute !
- 007½ ? Je vous capte 1 sur 5, la liaison est très mauvaise !
- Hem... c'est que j'ai marché tantôt dans une bouse de la Pâquerette et que je préfère éviter de tenir le sabot trop près de mon nez... C'est-y mieux comme ça ?
- Oui, je vous reçois 4 sur 5. Nouvelle mission en vue. Passez au local toute affaire cessante...
- OK, boss, j'arrive...

Il rechaussa son sabot (ce qui lui permit de reprendre enfin sa respiration), ficha sa fourche dans le sol, et partit rejoindre le hangar à l'autre bout du village où était installé le QG de campagne des services secrets botaniques.

Arrivé sur place, l'endroit semblait désert.

- Boss ? Vous êtes là ? Boss ?
- Oui, chhhhhut ! Approchez-vous d'ici !

La voix sortait d'un amoncellement de bottes de pailles entreposées là. Comme d'habitude, la discrétion resterait de mise.

- 007½, l'heure est grave : trois fermes viennent d'être entièrement ravagées par des explosions dans la région. On peut craindre qu'il s'agisse là d'une campagne d'attentats du GROUIC, le GROUpement de l'Internationale Citadine, qui ne vise qu'à l'anéantissement de notre belle ruralité.
- Qu'en dit la police ?
- Rien. Aucune trace d'explosif. Aucune revendication. Aucun suspect. Ils sont dans le potage. Bref, c'est à vous d'agir, et au plus vite avant qu'il y ait d'autres dégâts.
- OK, boss, je fonce !
- Avant de partir, Bouse, faite un tour dans la remise : on vous y a entreposé quelques gadgets qui pourront vous être utile dans cette mission...




- Mmmm, crédié, qu'est-ce que tu fais bien l'amour, mon cochon !
- Mouais, je sais, on me l'a souvent dit...

James Bouse, habillé en tout et pour tout de son vieux marcel et de ses chaussettes ajourées, fumait une goldo grise, allongé sur un lit en compagnie de Marthe Grobignou, la veuve d'une des victimes des attentats. Il avait en effet pensé que le jeu de la séduction était le meilleur moyen de tirer les vers du nez de celle-ci, pour peu qu'elle sache quelque chose sur ce qui s'était réellement passé. Et puis que serait une histoire de James Bouse sans une James Bouse girl ?

Mais pour l'amener à parler, il fallait jouer serré et amener subtilement le sujet dans la conversation par touches infimes...

- Dis-moi, la Marthe, au fait, comment ça s'est-y passé le jour où la grange a explosé ?
- Bin j'en sais point trop grand chose. Mon Roger est parti s'en griller une en disant qu'il allait en profiter pour voir si les bêtes avaient assez de fourrage. Il est entré dans la grange... et boum !
- Boum ?
- Boum !

James Bouse se gratta pensivement l'aisselle, provoquant un mouvement de panique chez la vermine qui y logeait.

- Hum... et c'est tout ?
- Bin, oui... Ah si, le matin, il y a un type qui est venu vendre au Roger des compléments alimentaires pour les bêtes. Des trucs qui devaient leur faire doubler le lait.
- Ah ? Et il était comment, ce gus ?
- Bin, je sais point trop te dire... Il n'avait vraiment rien de particulier. Il avait juste une cagoule et une tenue moulante noire, sur laquelle était écrit "GROUIC" en grosses lettres jaunes. Je suppose que c'était le nom de la compagnie...

James Bouse réfléchit. Tout autre que lui n'aurait rien détecté dans les propos de Marthe quoi que ce soit susceptible d'orienter sa mission. Mais il était considéré comme le meilleur des services secrets botaniques et n'avait pas usurpé sa réputation : après dix minutes d'intense réflexion, tout s'éclaira soudain dans sa tête, c'était le GROUIC qui était derrière tout ça !

James décida alors de passer à l'action et se leva en faisant couiner les ressorts fatigués du lit.

- Tu t'en vas déjà ?
- Oui la Marthe, j'ai à faire à la ferme !
- En tout cas, tu reviens quand tu veux !

James, après avoir enfilé son pantalon de toile crasseux et ses sabots, se dirigea vers la porte. Il sembla se souvenir de quelque chose et s'arrêta net, se retourna vers Marthe et lui demanda :

- Eh, la Marthe, c'est-y que tu peux me demander comment je m'appelle ?
- Qu'est-que c'est-y, le James ? Je le sais bien comment tu t'appelles !
- Oui, mais fais comme si tu le savais pas, c'est juste pour prendre la pose et dire la réplique mythique que je dois prononcer par contrat dans chacune de mes aventures !
- Bon, si ça te fait plaisir, allons-y donc... Je ne connais même pas ton nom. Comment t'appelles-tu donc ?

Il sortit un plantoir de sa poche et le tint contre lui en croisant légèrement les bras.

- Mon nom est Bouse. James Bouse.




Le piège était prêt : James Bouse avait fait installer devant sa ferme un immense panneau 4x3 sur lequel était inscrit en gros caractères "Recherche compléments alimentaires pour augmenter la production laitière de mes vaches". Il n'avait plus qu'à attendre.

Sa patience fut vite récompensée : quelques heures plus tard, un quidam se présenta à la ferme pour lui proposer quelques fioles d'un liquide doré, censé faire doubler la lactation de son cheptel.

James hésita un instant, puis il décida de passer à l'action en décochant un coup de poing dans la mâchoire de l'individu, qui s'exclama "Ach, mierda, yé souis betrayed" !

007½ s'était en l'occurrence laissé guider par son sixième sens pour deviner la vérité malgré le stratagème de l'individu. Et très accessoirement par le fait que ledit individu portait un pin's clignotant de la taille d'une plaque d'égout, sur lequel était inscrit "GROUIC" en lettres flamboyantes.

L'homme s'enfuit en courant, plongea dans sa Lancia Delta Turbo Diesel (sur laquelle était d'ailleurs également inscrit "GROUIC" en gros lettrage orange fluo), et démarra en trombe.

James Bouse dégaina un browning, visa les pneus et pressa la détente. Une flamme apparut sur son arme. Il enragea.

- Argh, un pistolet-briquet ! Ils sont gentils, les bricolos du service, mais ils pourraient concevoir des gadgets utiles pour les missions et pas simplement pour fumer une clope !

Il bondit alors sur son tracteur et démarra en faisant crisser les pneus. La course poursuite s'engagea.

Grâce à la puissance du réacteur camouflé dans son terrible engin agricole, James Bouse eut tôt fait de rattraper l'agent du GROUIC. 007½ pressa sur un bouton. Un puissant jet de lisier jaillit alors de l'avant de son tracteur et s'abattit sur le véhicule qui le précédait.

L'homme faillit en perdre le contrôle de sa Lancia, sembla partir dans le fossé mais parvint in extremis à regagner la chaussée.

James Bouse décida d'utiliser son lance-missiles. Il pressa un autre bouton : une fourche à fumier, catapultée avec une extrême violence, traversa la lunette arrière de la voiture et fit exploser le pare-brise avant. Le conducteur, complètement déstabilisé, ne put cette fois garder sa trajectoire. La Lancia fit une terrible embardée et partit en tonneaux avant de s'immobiliser dans un champ de betteraves.

L'homme du GROUIC rampait péniblement hors de son véhicule en feu lorsque James Bouse arriva. L'agent de services secrets botaniques connaissait la consigne : pas de quartier, cet homme l'avait vu en action, il ne devait pas lui laisser la vie sauve. Et le "00" de son matricule signifiait qu'il avait l'autorisation de tuer en toute occasion...

James Bouse acheva l'homme proprement en lui appliquant un livarot bien fait sur le nez.




Le débriefing eut lieu dans les locaux des services secrets botaniques, au cours duquel James Bouse expliqua le fin mot de l'histoire à ses collègues.

- Vous voyez ces bouteilles ? Crédié, on jurerait presque du whisky, hein ? Eh bien, j'ai eu le rapport d'analyse du labo : ce prétendu complément alimentaire pour bovins s'est révélé en fait être un produit chimique dont le principal effet sur l'organisme est de multiplier par environ trois cents le volume des flatulences émises. Le piège était diabolique : les fermiers imbibaient le fourrage de leurs vaches de ce breuvage, pensant que ça allait augmenter la lactation. Et, en fait, les bestiaux se mettaient à péter à n'en plus finir. Et pour peu que le fermier vienne dans son étable avec une allumette, avec tout ce méthane, ça faisait un gros boum !
- Vindiou, le James, t'as fait un sacré bon boulot. Ces gars-là auraient pu mettre à mal toute la filière agricole !
- Merci 008¾... Mais bon, maintenant que c'est fini, si on s'envoyait un petit coup derrière la cravate, hein ?
- Pas de refus, à la tienne ! Allez hop, cul sec ! Encore un que les citadins n'auront pas !

Une heure plus tard, toutes les bouteilles d'alcool du service (planquées un peu partout dans des dossiers marqués "top secret - confidentiel défense") avaient été asséchées.

James Bouse avait raison : les bouteilles du GROUIC ressemblaient presque à du whisky. D'ailleurs, les agents des services secrets botaniques, emporté par l'élan de leur beuverie, venaient sans même s'en rendre compte de les siphonner. Ils ne comprirent leur erreur que quand James Bouse voulut se griller une goldo grise.

Les services secrets botaniques durent être relogés plusieurs mois dans des algecos, le temps que l'on reconstruise leurs locaux.