Parfois le jeudi, qui était autrefois le jour des mômes au lieu et place du mercredi , ma mère nous annonçait à mon frère, ma sœur et à moi :

-Bon ! On va manger de bonne heure, puis je vous emmène au magasin.

Magasin… Le mot magique ! Généralement c’était la Samaritaine, « la Samar » comme on l’appelait familièrement.

Mais avant le départ il y avait les recommandations, elle nous connaissait bien notre mère !

-Je vous préviens : pas de bagarres, je n’achète rien, hormis les vêtements dont vous avez besoin… Compris ?

Et dans un ensemble parfait digne des petits chanteurs à la croix de bois nous répondions :

-Oui M’man !

Pourquoi aller à la Samar acheter les vêtements ? Car ils étaient de bonne qualité et pas trop chers.

Tout compte fait elle achetait seulement les culottes courtes, pantalons, chemises, pour le reste c’était du « fait maison ». Les pulls, les jupes et robes de ma sœur, les blousons pour mon frère et moi, et même des capuchons en tissu caoutchouté. La vieille « Singer » à pédale unique reprenait régulièrement du service, et les aiguilles à tricoter ne chômaient pas.

En tout début d’après-midi nous partions, le bus 151 à plate-forme, un antique T4 nous emmenait jusqu’à la porte de Pantin, vingt minutes environ, puis le métro ligne 5 jusqu’à la gare de l’est dans une brinqueballante « Sprague Thomson » verte, changement ligne 7 jusqu’à la station Pont Neuf.

Nous comptions bien sûr les DUBO DUBON DUBONNET, ces affiches qui tapissaient les tunnels du métro entre deux stations, le remugle caractéristique du métro parisien. Ma mère qui sans cesse, nous recommandait de ne pas nous approcher du quai. Les « PSCCCHH « ! Des portes automatiques des voitures actionnées par des vérins pneumatiques. Toutes ces choses, ces senteurs, aujourd’hui disparues.

A peine sortis du métro, on la voyait, immense face à la Seine (le plus beau fleuve du monde, normal il abreuve la plus belle ville de l'univers). Non je ne suis pas chauvin, j'y suis né mais je suis resté modeste.

Que de monde ! On avait beau y aller assez souvent, tant à la Samar qu’aux galeries Lafayette ou encore à la Belle Jardinière (fermée depuis belle burette… Pardon lurette) nous nous tenions la main, de peur d’en perdre un en route. J’aurais dû les serrer tous un peu plus fort car ils sont partis.

Les étroits escaliers mécaniques…

-Regarde où tu mets les pieds, tu vas te faire coincer ! L’odeur de la cire qui envahissait tout, les parquets de bois joliment entretenus qui craquaient sous nos pieds , les stands avec pratiquement une vendeuse derrière chacun d’ eux, robe noire et col claudine blanc de rigueur.

Enfin le rayon « enfants », essayage de culottes courtes bien entendu, pour mon frère et moi.

-Tu comprends, la peau des genoux ça repousse, les trous dans les pantalons ils ne se bouchent pas tout seuls, et puis avec des « brise fer » comme vous…

Pour nous faire rire, ma mère allait toujours faire un petit tour au rayon chapeaux. Elle en esssayait quelques uns, histoire de nous faire rire. Pourtant elle les portait bien, mais elle s’arrangeait pour faire des grimaces, provoquant notre hilarité.

A la sortie, lorsque c’était la saison, elle achetait un ou deux cornets de marrons. Les marchands étaient là, le coin est bon pour la vente, gros chaudrons noirs, les braises bien rouges et la bonne odeur de la châtaigne cuite.

Quelques châtaignes dans un cornet fait d’un papier journal entortillé. Les fruits brûlants qu’il faut décortiquer, avant de les croquer tout chauds, bien trop chauds, notre impatience nous faisait faire des : ouh la la ! Hu hu hu ! En ouvrant grand la bouche, et soufflant tout ce qu’on pouvait afin d’évacuer le trop de chaleur qui nous brûlait la langue et le palais.

Enfin nous rentrions, commentant bruyamment l’après-midi, et annonçant les prochaines stations sans consulter les cartes placardées au-dessus des portes.

Les « ouais t’as triché » ponctuaient les : Stalingrad ; Jaurès ; Laumière et autre Ourcq. Vociférations vite calmées par l’appel au calme maternel.

C’était hier et loin pourtant, où sont tous mes repères ? Les ampoules remplacées par des néons, le crieur de journaux à la sortie des bouches de métro. Le père d’un copain vendait même des saucissons à la sortie de la porte de Pantin ! Les cartes aux tracés constellés de petites loupotes qui vous indiquaient la ligne à parcourir lorsque vous appuyiez sur le bouton de la station où vous désiriez vous rendre. Les portillons automatiques qui se fermaient à l’approche d’une rame, interdisant l’accès aux quais, et les gros distributeurs de friandises, peints en bleu avec écrit en relief, brut de fonderie : « chocolat Menier ».

Et surtout cette odeur si caractéristique qui a disparue elle aussi, comme toutes les choses et les êtres qui m’ont accompagné.


Voici une photo de la SAMAR, fermée depuis quelques années au motif : "mise aux normes" réouverture... ? Leur slogan était, souvenez-vous : ON TROUVE TOUT A LA SAMARITAINE.