Ant-N ne connaissait rien d'autre du vaste monde que sa fourmilière et ses abords, de simples miettes insignifiantes au regard de ses aspirations profondes.

Car Ant-N était une fourmi différente des autres fourmis. Elle rêvait de l'au-delà. De l'au-delà de la fourmilière, de l'au-delà des frontières matérielles de son existence régentée au sein de la colonie grouillante, de l'au-delà de la vie même : Ant-N était une fourmi mystique.

Partir, abandonner derrière elle sa vie répétitive et laborieuse, parcourir les chemins, découvrir d'autres paysages, méditer, accueillir Dieu en soi. Ant-N n'avait jusque-là jamais oser franchir le pas, mais sa langueur devenait si insupportable... Il faudrait bien un jour déchirer le conditionnement qui lui collait à la peau et oser dire oui à ses rêves !

Mille fois elle avait bâti des plans de fuite, mille fois elle avait renoncé. Ce fut finalement le hasard qui prit les rênes de son existence pour lui faire quitter l'ornière de son existence.

Un jour qu'elle s'était aventurée à plusieurs dizaines de mètres de la fourmilière, en quête de nourriture pour les larves, un subit orage éclata qui décima l'essentiel des ouvrières de sortie comme elle. Elle ne fut sauvée des flots boueux qui ravinèrent bientôt la terre que par la chance d'être juchée sur la racine proéminente d'un chêne, à l'abri d'une épaisse fougère.

Quand les éléments se calmèrent, elle était seule dans les parages et l'eau tombée du ciel avait lavé toute les traces de phéromone qui auraient pu lui permettre de regagner la colonie.

C'était un signe divin, assurément ! Elle hésitait depuis si longtemps, et voilà que Dame Nature lui disait : viens !

Elle partit donc à l'aventure, le coeur léger et prêt à accueillir Dieu qui, à n'en pas douter, lui viendrait bientôt.

Elle chemina ainsi des jours et des jours, parcourant des étendues immenses de pluseiurs centaines de mètres. Régulièrement, Ant-N levait les yeux au ciel, mais rien ne venait : nulle manifestation divine sinon quelques nuages dans l'azur.

Alors elle priait encore et encore, jusqu'à entrer en ascèse.

Ce fut précisément quand le doute commençait à filtrer en elle, quand elle se demandait si, finalement, il y avait bien quelqu'un là-haut qui veillait sur le destin des fourmis, que tout arriva.

Alors qu'elle levait une dernière fois les yeux au ciel, elle ne vit plus de nuages. La lumière semblait partie, le ciel avait changé de couleur et, au milieu, le soleil lui-même était devenu sombre.

"Un soleil noir, se dit-elle, c'est Dieu ! Enfin !"

Elle se prosterna dans l'attente de la parole divine.

Le soleil noir ne dit rien, mais il laissa bientôt apparaître une excroissance, une sorte langue, tout aussi sombre que lui. Une langue qui s'allongeait vers Ant-N.

"Merci Dieu, songea Ant-N, merci de laisser choir sur moi votre bénédiction !"

Mais la sombre bénédiction se détacha soudain du soleil noir et engloutit Ant-N, qui mourut étouffée.



- Alors Roger, tu as fini ?
- Oui Biquette, j'arrive ! Désolé, mais je pouvais plus tenir... Ah putain, ça fait du bien de chier quand on a envie !