La petite Sarah était née il y a... PFIUUUU… C’était exactement l’année - si ma mémoire est Bonn (comme on dit outre-Rhin) et elle l’est ! - l’année où la récolte des châtaignes fût si abondante, qu’on en distribua même aux pauvres ! Car habituellement on ne donne qu’aux riches ! De mémoire d’ovaires peints, on n’avait jamais vu ça !

La famille Fouchtra habitait à la fin du village… Ou au début, tout dépend d’où vous venez. J’ai toujours pensé que c’était con de déterminer l’entrée ou la fin d’un village. A moins d’habiter un bled qui se termine en trou du cul de lazor (cul de sac pour les puristes, y’en a je le sais), je ne vois pas bien comment on pourrait décider, arbitrairement et réciproquement, du début ou de la fin.

En tout cas, c’était une pauvre masure, faite de bouses de vaches en guise de murs, et de paille tressée en guise de toit. Le père Fouchtra labourait et la mère Fouchtra mastiquait : elle était employée chez un vitrier (j’en vois qui rigolent, toujours l’esprit à la gaudriole, nos commentateurs et commentatrices). Ce bonhomme était un besogneux, lutineur de grande classe, ne lésinant jamais sur le devoir conjugal, une épée de plumard, pouvait-on dire.

- Ch’est gratis, autant qu’j’en profite... Cha alors ! répétait-il à la cantonade !

La mère Fouchtra, une luronne, ne crachait pas non plus sur le guignol, et à force de taquiner l’animal, elle se retrouva engrossée de belle manière.

La gestation dura vingt-deux mois, y’avait toujours kékechose à faire ! Et point moyen de trouver le temps de se poser pour mettre bas, expliquait-elle dans son langage un peu rustre à ses voisines, curieuses, intriguées, de la voir trimballer pareille « devanture » aussi longtemps !

- Point besoin de le nourrir tant qu’il est là, disait-elle en tapotant son bide démesurément arrondi, dévoilant dans un large sourire, le désert de sa bouche, dans laquelle s’emmerdaient encore quelques chicots bien noirs.

Enfin, la délivrance arriva le neuf octobre. Ce beau matin, la mère Fouchtra n’avait rien de spécial à faire. Il faisait un temps de chien, la tempête soufflait en rafales violentes sur la chaîne des Puys, père Fouchtra, désœuvré, commençait à loucher de façon lubrique sur sa femme…

- Ch’vas encore y passer ! songeait-elle en voyant son vieux tomber les bretelles.

C’est alors que la première douleur la tordit littéralement ! Elle s’allongea sur le sol et accoucha comme une bête, à même la terre battue !

Se penchant au-dessus de sa femme, père Fouchtra s’exclama :

- Crévindiou, chè une fumelle ! J’aurions préférence pour un garçu, ma ché une fumelle… Tant pire ! Ch’fra avec…

- Au lieu d’raconter des conneries, prends ton « Laguiole » et coupe moé ch’cordon !

- Ché vré cha ! Coupe z’y chon cordon, che me les chèle moé !

La voix provenait de la fillette nouvellement née ! Médusés les deux péquenots reluquaient leur progéniture.

- Cha alors, elle cause, articula père Fouchtra.

- Dis point d’conneries mon homme, articula la nouvelle maman.

- Ch’t’assure la mère que ch’en dis point !

C’était tout de même invraisemblable, une nouvelle née qui parlait !

Comme elle était née un dix octobre, on la baptisa Sarah du nom de la sainte du jour.

Tout le village venait voir et surtout entendre le phénomène. Des journalistes de « La Montagne », très sérieux journal du centre de la France, étaient même venus, crayons et calepins en main, afin de noter les mots et phrases proférés par la petite Sarah.

- Ché vous ches cons d’journaleux ? Interrogeait la petite depuis son berceau, fabriqué à partir d’un vieux tonneau coupé dans le sens de la longueur par son bricoleur de paternel.

- Ça alors, ne cessaient de répéter les visiteurs, ça alors !

- Eh oui ! Elle répète tout ch’qu’elle a entendu dans le ventre de cha mère… expliquait le père pas peu fier.

A la une du canard, Gravillon Jolieflaque (un ancêtre de Pierre Bellemare) avait écrit un article, dans lequel il relatait les exploits verbaux de la petite paysanne. Le journal avait triplé son tirage durant plusieurs jours !

Tout se déroula pour le mieux jusqu’au jour où... Félicien, le colporteur qui passait par ces montagnes une fois l’an, tirant sa carriole à bras, remplie d'un fouillis invraisemblable : lacets, rubans, boutons, œillets, ciseaux de couturière, aiguilles, quelques jolies pièces de dentelles qui serviraient à parer les robes que les femmes confectionnaient pour les cérémonies. Enfin toutes sortes d’objets bien utiles que l’on ne fabriquait pas soi-même.

Donc ce Félicien ayant appris, comme tout un chacun, l’évènement incroyable que représentait la petite Sarah, se rendit d’un bon pas jusqu’au pauvre logis des heureux parents.

La nuit tombait, étendant son ombre inquiétante sur la verdoyante vallée (c’est beau, n’est-il pas ?)

Toc, toc, toc… Il tira la chevillette et la bobinette chût !... Ou le contraire, démerdez-vous !

Le père Fouchtra ouvrit…

- Chalut Félichien, quel bon vent t’amène ?

A ce moment précis une petite voix monta du demi tonneau

- Félichien, tu « m’arranges » bien mieux que mon connard de père Fouchtra !

- Tais-toi donc, chale mioche ! Hurla la mère Fouchtra, se précipitant vers le berceau, et appliquant derechef sa main sur la bouche un peu trop bavarde.

- Chalop, tu m’as donc fait les cornes, fumelard ! S’écria père Fouchtra.

Saisissant son esclop, il en asséna un vilain coup sur la tronche du colporteur, dont la cervelle en profita pour prendre son indépendance !

Les gendarmes montèrent, puis emmenèrent père Fouchtra, menottes aux poignets, jusqu’à Riom. Le jugement intervînt quelques mois plus tard. A l’époque la bascule à Charlot n’avait guère le temps de rouiller. Père Fouchtra fût condamné à être raccourci, et la sentence exécutée quelques semaines plus tard !

Quant à Gravillon Jolieflaque (toujours ancêtre de Pierre Bellemare), il écrivit un superbe article, relatant l’incroyable évènement. Depuis la naissance de la petite Sarah, jusqu’à l' éxécution de son pauvre papa.

Il conclut son article par cette phrase : « AINSI PARLAIT SARAH FOUCHTRA »