Girobus : En voilà un qui n’a pas usurpé son blase…

C’était un clébard comme on ne peut plus en faire . Bâtard de souche Bouvier appenzellois, il n’acceptait aucune contrainte, aucune restriction à sa liberté de mouvement, et pourtant... ce n’était pas mon chien.

Déjà petit il se fit une belle réputation de mauvais coucheur lorsque sa maîtresse voulu le caser chez-elle pour faire sa virée en ville. Quelle ne fut pas sa surprise de voir Girobus rappliquer à la terrasse du troquet où elle s’appliquait à refaire le monde.

Au retour dans ses pénates, elle comprit la chose et sa douleur : Girobus avait bouffé le bas de la porte en chêne (SVP) pour se barrer par le trou. Forte de cette expérience, la patronne à Girobus choisit prudemment de le laisser libre de ses mouvements.

La vie de ce chien fut ainsi émaillée de petites aventures particulières. Puisqu’il fit deux fois l’objet d’un article dans les journaux locaux, je les reproduis ici :

Impartial, le 5 mai 1987

Girobus le chien de la marge

Il y a les petits roquets mondains, l’espèce canine de concours ou de performances. Les gardiens ou les cabots. Et puis, il y a Girobus, le chien barjo, cleptomane et clochard. Girobus fait du stop (mais il est prudent), il va à l’apéro et prend le bus tout seul. Tellement assimilé à l’humain qu’il l’a imité. Cessons tout mystère, Girobus est devenu le personnage de la vieille ville de N. Si vous le saluez, vous êtes du coin…

Girobus a tout d’abord été gagné comme lot dans une foire. Déposé à la SPA, il a été recueilli par celle qui partagea sa vie. D’emblée le chien fit des siennes.

« Tout petit, il piquait des crises d’épilepsie, raconte sa patronne, __et ne supportait pas de rester enfermé. Il a démoli plus d’une porte pour fuguer. Il hurlait. Combien de fois je l’ai retrouvé au poste de police, à la SPA. Amendes pour vagabondages, blâmes, regards inquisiteurs des voisins et des « amis des bêtes ». Girobus m’a fait passer pour une irresponsable. Mais je savais que c’était sa nature, et qu’il ne vivrait pas autrement que sans laisse. » __ Petit apparté : Routinier des arrestations gendarmistiques, Girobus apprit à feinter les gabelous et, dès lors, ne fut plus jamais trainé au poste de police…

Girobus donc entamé sa vie de chien sans laisse au vu et au su de tout le monde. On a commencé à le repérer dans les trams et les bus, où il faisait des courses incessantes pour dire bonjour aux patents de sa propriétaire. Mêmes navettes épisodiques de V. en ville quand il n’y descend pas à pied, par la route des gorges.

La vieille ville reste son lieu privilégié, son quartier-général. Pistée chez les commerçants et les restaurateurs, où le chien s’assure des repas de Mardi-Gras. Chapardeur aussi : croquant son butin sur un coin de verdure.

Autre habitude : l’apéro. Son ex-patron l’y emmenait chaque jour sur le coup de midi. Depuis, dès que les cloches sonnent, Girobus, où qu’il soit, devient fou. L’heure c’est l’heure et il galope au bistrot. Mais le chien n’a pas que des amis, parce qu’il lève la patte sur les robes exposées devant les boutiques, ou ne paie pas ses courses en bus. Habitant V., il a son pied à terre en ville, chez une de ses fans. Il exaspère au plus au point quelques agents de police, d’autant plus qu’il ne s’affiche jamais avec ses maîtres.

Que penser d’un tel personnage ? Quel rapports les habitués du quartier entretiennent avec ce chien ?

Chiens à visages humains

Chat et chien ont gagné depuis longtemps leur certificat d’humanité, commente M.O.Gonzeth, ethnologue, Ils ont leurs médecins, leur psychiatre, leur hôtel, leur cimetière, leurs bijoux pour les plus aisés d’entre eux. Chiens de luxe ou chiens aportifs, végétariens ou carnivores, ils sont ce que leurs maîtres désirent qu’ils soient. Girobus n’échappe pas à la règle : c’est le chien de la marge, le hors norme : il s’est singularisé tout petit déjà. C’est l’emblème d’une communauté qui se sent à part, qui cultive la différence.

Dans la vieille ville, on retrouve un esprit de village : on aime se reconnaître et se saluer. Connaître Girobus, c’est intégrer cet esprit. Girobus, c’est une manière d’humaniser la ville.

Mieux encore, on laisse faire à Girobus ce qu’on admettrait pas qu’un autre chien fasse sans réprimande. Son impertinence fait rire. Lever la patte sur un sac à commissions, renifler une chienne en laisse. Il casse le jeu de l’ordre. On le gâte de mille particularités. Tua F. qui loge souvent Girobus, repère fréquemment des gens en train de lui acheter des pâtés de viande, Girobue est reconnu comme le fétiche d’une manière d’être, d’un mode de vie de plus en plus difficile à maintenir.

Girobus a été mis sur un pied d’égalité, pour ne pas dire d’humanité. Humanité dont le privilège suprême sera de choisir sa mort, selon sa maîtresse. Girobus a maintenant 15 ans, il souffre d’asthme. Mais je suis sûre que quand ça n’ira vraiment plus, il se laissera probablement mourir. C.Ry

Le samedi 15 juin 1991, à 9h15, Girobus traversait le miroir.

5 jours après, L’Express titrait sur ses manchettes* :

  • Affichette en format A2 servant d’accroche pour le journal

Avec un aticle en pages intérieures.

V. / le plus indépendant des chiens du canton est mort.

Il est libre Girobus.

Ne le cherchez plus : il est mort. Finis les petits billets glissés dans son collier, finies les balades en bus ou en tram, finie la tournée des bistrots de la vieille ville de N. Girobus est mort. Le plus indépendant des chiens du canton a rendu son état civil de bâtard mâtiné d’appenzellois samedi : une attaque, une chute dans l’escalier pentu de son port d’attache de V, la piqûre. Ce malin aura mis 17 ans tout juste pour ronger le seul lien qu’il ait jamais eu, avec la vie, et trouver l’absolue liberté d’une interminable virée dans les souvenirs de ceux qui l’ont aimé.

Est ce d’avoir commencé sa vie comme lot dans une foire que Girobus a tiré son intarissable soif de liberté ? Quand sa maîtresse a fondu pour lui dans un refuge de la SPA, il avait trois mois et demi et, déjà, un seul rêve : sortir seul, fût-ce au prix de ronger une porte en chêne.

- Au début, il m’a vraiment fait passé pour une irresponsable, mais j’avais compris que c’était un chien qui voulait vivre libre, sans laisse ! J’ai du payer pas mal d’amendes pour vagabondage et puis la police locale a fini par le tolérer : il ne nuisait à rien, ni à personne.

Girobus habitait alors N. ses premières errances, anarchiques se muèrent très vite en un circuit gastronomique aux étapes multiples : le café du Cerf, son lieu de prédilection, le Marché, la droguerie où l’attendait un biscuit, la boucherie Margot et la chevaline, le café du Cardinal… il entrait, choisissait une chaise libre, s’y asseyait….

Tendre avec les autres animaux – n’avait-il pas une nuit réveillé sa patronne avec, entre les dents, un chaton qui réclamait son biberon ? - Intelligent – il a réussi, entre autres, à empêcher un bébé de dégringoler une rampe d’escalier – Girobus a rendu sa dernière visite en ville il y a trois ans.

- Il restait de plus en plus longtemps en ville et se reposait dans la cave d’un ami avant de remonter. Un jour, il a croisé un couple d’ami de V. et les a suivis jusqu’au parking. Le couple prit l’ascenseur et retrouva Girobus assis derrière leur voiture. Il n’est jamais redescendu.

Il avait un penchant pour les poubelles de V. et sa patronne faisait la tournée du village tous les mercredis matin pour réparer les dégâts.

- Girobus n’aura essuyé que deux plaintes au procureur dans toute sa vie de chien libre : les deux déposées coup sur coup par le gendarme du lieu qui pourtant le connaissait bien. (Deux PV annulés par le juge avec un grand sourire pour ce cabot exceptionnel.)

Mais Girobus n’en a cure, les hommes, que son mode de vie faisait rêver, l’on déjà érigé en mythe. Mi.M

N'allez surtout pas dire que je ne me suis pas foulé en recopiant ces articles de presse car c'est pluss ardu que de les écrire soi-même...

Blutch, témoin d'une vie de chien