- Hippo, tu peux venir dans mon burlingue au lieu de te curer le nez béatement…

- Tu sais pertinemment que c’est chez-moi un signe d’intense réflexion et j’en ai vachement besoin pour éventualiser les suites de ma dernière enquête.

- C’est bien pour ça que je te convoque, alors rapplique fissa.



Mais il faut peut-être commencer par présenter la scène. C’était il y a quelques mois de ça…

Lui, c’est l’inspecteur Hippolyte Tayze, dit Hippo mais ça n’a rien à voir avec son physique ; la seule chose monstrueuse qui le caractérise est sa volonté de traquer le mensonge étatisé. Elle, c’est la commissaire Marie-Rose Genveut, parfois surnommée Fleur de cactus parce que si elle ne marque pas dommage pour envoyer des épines, elle n’est pas, malgré son prénom, toujours bien disposée à y mettre les fleurs avec. Ils travaillent dans la BVFH, la Brigade de Vérification des Falsifications Historiques.

- Il me semble, mon cher Hippo que tu as pris quelques libertés dans ton emploi du temps ces dernières semaines. Qu’est-ce qui t’a pris d’aller enquêter sur la mort de Boulin. On se prépare un sacré bouzin avec ça…

- Que veux-tu cheffe, lorsque je vois qu’un ministre se suicide, je suis déjà dubitatif. Un mec qui a une place de rêve, un salaire mirobolant, rien à glander d’autre qu’inaugurer des chrysanthèmes et qui se fait un solde de tous comptes prématuré, ça m’interpelle. Des cas de ce genre dans la 5e, t’as pas besoin de gratter fort pour en trouver plus de 15 et ce n’est pas mon dernier prix…

Lorsque en plus je lis que le type a commencé son suicide par se tabasser lui-même au point de se faire péter les os de la face et en ajoutant la fantaisie d’un solide coup de matraque sur l’occiput. Que ce faisant, il se déboîte une épaule (là, tu me diras que ce n’est pas très ergonomique de se balancer une série de crochets dans la poire et que pour le coup de matraque, ça demande un sérieux déhanchement de l’omoplate qui peut s’expliquer ainsi, mais tout de même) qu’en suite, il avale une dose de valium capable de tuer un cheval et qu’il fini par trouver une mare de 50 cm de profondeur pour s’y noyer. Donc lorsque je vois tout ça en même temps, je me dis que l’art de se foutre de la gueule du monde vient de faire un grand pas en avant.

Le ministre Boulin dérangeait les appétits de Chirac car Giscard voulait le nommer premier sinistre pour emmerder le RPR. C’est à la fois avéré et beaucoup pour un seul homme, alors il fallait le casser.

Selon mes informations, c’est le SAC qui a fait le sale boulot, Pasqua et Foccart se chargeant d’organiser la communication. Je peux te dire qu’ils ne furent pas brillantissimes dans l’art de convaincre, annonçant le décès le soir du 29 octobre 79 alors que ce n’est que le 30 à 8h40 qu’il fut officiellement découvert. Chevènement l’avait dit quelques années plus tard : Un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne. Boulin ne voulait ni l’un ni l’autre, alors « on » lui a trouvé une troisième voie originale.

Il ressort de mon enquête que ses petits copains de parti ont tenté de lui accrocher quelques casseroles aux fesses et il n’avait pas aimé la plaisanterie, mais alors pas du tout. Il pensait s’en sortir en menaçant de dévoiler quelques coups fumeux du RPR, mal lui en a pris, puisqu’il fut menacé de mort. Il avait pris peur et s’était décidé, trop tard pour lui, de planquer des dossiers d’escroqueries et d’extorsions de fonds pour alimenter les caisses du RPR qui pour être électorales n’en étaient pas moins très noires… Peut-être en savait-il trop sur le hold-up de la poste de Strasbourg, qui eu pour épilogue en juillet 1975 l’assassinat du Juge Renaud. Il a disparu le soir où il transportait ces dossiers. Lui fut très rapidement retrouvé dans sa mare au fond d’un bois, mais les dossiers jamais. Ils servent maintenant de moyen de chantage à un élu pour se maintenir en place. Il fut donc retrouvé d’autant plus vite que pour ne pas perdre de temps en circonvolutions inutiles, l’avis de recherche fut donné avant la signalisation de la disparition, et que l’avis de décès précéda celui de la découverte de son corps. Comme un tiers des effectifs du SAC émanait des forces de police de la République, la localisation du cadavre ne fut pas trop longue.

Dans mon rapport, je te narre la chronologie de mes trouvailles. En fait, tout est dans les rapports officiels, il suffisait de remettre les éléments dans l’ordre chronologique en gommant les absurdités que ces rapports contiennent. J’ai pu noter que tous les éléments de preuve possible ont malencontreusement disparus par des moyens divers : Ordre donné de passer des éléments à la casse pour faire de la place, des éléments ont été perdus, un juge avait mis des prélèvements d’organes de Boulin sous scellés dans un congélo cadenassé, celui-ci fut retrouvé fracturé et vide. C’est con, mais il contenait les poumons du ministre et la preuve qu’il était déjà mort au moment de faire trempette. Comme il est assez rare de voir un mort aller se noyer dans une mare, ça faisait un peu bordélique ces poumons sans la moindre trace de flotte. Il me reste une incertitude : Combien ont touchés les divers juges et procureurs pour déclarer que Boulin s’est suicidé, parce que dans cette affaire, c’est certainement eux qui ont fait preuve de la plus grande inventivité. A moins qu’il ne s’agisse pour eux de sauver leur peau, une phrase suffisait : Tu te souviens du juge François Renaud ?

- J’ai transmis ton dossier à la veuve, elle devrait obtenir la réouverture de l’enquête…. Si ses assassins ne reviennent pas au pouvoir.

Maintenant tu te fais un peu oublier de la politique actuelle, tu pars enquêter comment Klaus Barbie avait pu arrêter Jean Moulin. Là au moins je n’aurais pas à subir un tir de barrage des politocards actuels. Parce que putain c’est une levée massive de boucliers. La moitié des héritiers à de Gaulle a sorti les crocs.

- Ben tiens ! Faudrait que je m’étonne ? Par contre, ça me troue le cul de voir que même le Canard enchaîné persiste dans sa théorie du suicide, sans pouvoir expliquer le coup de matraque derrière la tête, la mâchoire fracturée et l’os du nez cassé, les lettres caviardées, les preuves qui disparaissent, etc. Il se fait vieux le volatile, je l’ai connu plus futé que ça…

Giscard prônait la continuité dans le changement (ou était-ce l’inverse ?) C’est un slogan qui cadre avec le gaullisme… Après chaque gros scandale le parti de de Gaulle change de nom pour se payer un nouveau pucelage : - 1947 le Rassemblement du Peuple Français - après le coup d’état de 1958, ça devient l’Union pour la Nouvelle République. - Puis c’est l’Union des Démocrates pour la Ve République - Ca suit avec l’UDR, le RPR, l’UMP et les Répus. Mais le métier de putes politiques est indélébile et tu retrouves toujours les mêmes aux manettes des magouilles.

- Il y a eu du changement tout de même !

- C’est vrai que Foccart et Pasqua ont une bonne excuse pour avoir déserté, mais ce sont des Phénix, les méthodes et les fichiers ont juste changé de mains…

- Toujours est-il que ce n’est pas le moment de remuer la merde, Tu t’occupes de Barbie et tu me lâches la grappe. Je viens de passer 22 heures en continu à rembarrer sèchement la valetaille des Raies pues parce que depuis Paul Bismuth, les boss n’osent plus faire certains téléphones eux-mêmes. J’en a raz le bol des menaces de ces minables… Eh là, pourquoi tu te fends pareillement la pipe ?

- J’imagine le tableau ….Tu n’as pas usurpé ton gentil surnom…. Je visualise ces petits connards se faire agrafer par Fleur de Cactus et en ramasser une deuxième couche par leurs patrons pour n’avoir pas su te faire peur….

Ceci dit, je te trouve bien optimiste à propos de Barbie, mais je prends le challenge avec plaisir parce que c’est pas pour dire, mais là aussi j’ai quelques petits doutes…

Hippolyte Tayze

Pour ceux qui veulent la version sérieuse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Robert_Boulin