Un billet de Byalpel m'a remémoré une petite guéguerre locale que j'ai subie en 1ère ligne et de plein fouet il y a une dizaine d'années. J'étais à la fois le coupable, l'ennemi et l'interlocuteur officiel de la horde d'attaquants, puisque à l'époque "élu municipal chargé du dossier" !

Tout le monde a compris que j'étais né à la campagne, bouseux bousonnant bousonneur, comme ne se prive jamais de vous le rappeler Tant-Bourrin, ce rond-de-cuir carbono-oxydé. La vie en contact avec la Nature a offert à mes narines une palette olfactive bien plus riche que celle qu'il est obligé de sniffer quotidiennement, à savoir : principalement composée de gaz brûlés de GPL, d'essence et de gas-oil, le pauvre ! Va savoir quel effet ça peut avoir sur le système céphalo-rachidien, tous ces poisons qui puent ? J'ai bien ma petite idée, mais chut...

Mon enfance s'étant déroulée au milieu des fleurs, des papillons et des petits zoziaux, mais aussi de bêtes plus corpulentes et mieux comestibles. Des odeurs puissantes et emboucanantes m'ont sollicité très tôt, et j'ai pu développer un "nez" que j'aurais très bien pu monnayer chez les parfumeurs de Grasse, n'eurent été les relents bourgeois que je subodorais dans ce milieu puant, et que je n'aurais pas supporté 2 jours de rang.

Je vous différencie les yeux fermés et les mains dans les poches, le crottin de la bouse (facile), la crotte de caprin de celle d'ovin (moins évident), la poulaitte du colombin, et même à quelle saison tout ce bren a été excrémé. Je vous reconnais, là, droit dans le nez, des touches de tuber mélanosporum, des arrière-gorges de miellat, des brises de légumineuses en chaleur, des lignes d'ergot de seigle, et bien d'autres fragrances, dans le premier échantillon de fumier venu. J'aime la matière organique en décomposition, et je la connais car je la pratique. Ces odeurs pleines de vie me renvoient à ma liquéfaction à venir, à ma déconfiture future, et au souvenir enjoué d'enterrements de personnes qui m'auront bien fait caguer.

Ce sont des vents vrais, épais de symboles, pleins d'éternités, qui virevoltent autour de ma fourche à fumier et de mon épandeur, lors de ces cérémonies païennes qui font grincer les dents et fulminer au bord du pétage de cable les citadins venus "goûter" à la qualité de vie inégalée du paysan.

Vous l'avez compris, je suis un sympathisant bio, mais sans sectarisme en la matière, si j'ose dire, nous allons le voir tout à l'heure. Et adhérent à rien, les réunions professionnelles m'ayant à jamais dégoûté du milieu bio militant. Donc adepte du principe de culture qui dit que lorsqu'on est dans la merde et sur la paille, on mélange les deux, on les laisse en tas suffisamment longtemps, et le Bon Dieu des ploucs transforme ce truc à la réputation mitigée en un humus à l'adorable odeur de sous-bois automnal.

Compost qui est la nourriture naturelle des plantes depuis la nuit des temps, jusqu'à il y a peu, où des commerciaux américains sont venus expliquer à la plèbe glèbeuse que la plante ne se nourrit que des éléments simples N, P et K, et qu'ils n'avaient qu'à essayer, si ils ne les croyaient pas, et qu'ils allaient leur donner des sacs gratuits. Authentique. C'était un peu comme donner à manger aux paysous en question de l'huile, du sucre et du steak, mais comme la récolte suivante a été bonne, ces cons sont tombés dans le piège et maintenant ils sont pieds et mains liés par les grands trusts agropétropharmacobiotechnochimiques.

Chacun sa merde, mais moi, j'ai continué à travailler avec mon caca. J'achetais ou on me donnait du fumier, car on ne savais plus quoi en faire. Je curais les bergeries, je sillonais les routes avec mes chargements d'or brun. Un jour, après un épandage de fumier de mouton, j'ai vu débarquer à la maison 2 voisins salariés de la Shell qui gueulaient, les poings tout faits : "Où elle est, cette putain de porcherie ?" Je leur ai rétorqué : "Juste à 5 km, par vent du Sud, de votre putain de raffinerie qui crache une putain de fumée noire !" Ils sont repartis sans insister. D'où l'intérêt de connaître un peu ses "clients"...

J'ai été le pionnier du recyclage de boues d'épuration, dans le quartier. Un jour, j'ai reçu la visite d'un démarcheur de la société BIOTECHNÉCOLO qui plaçait ses boues de stations d'épuration des villes avoisinantes, chez des agriculteurs. Il avait parlé de 99 % de matières organiques, et j'avais tilté. En fait, une fois les analyses en main, j'ai vu qu'il avait légèrement exagéré. Reste qu'avec les sacs d'engrais, c'est environ 70 % du sac dont je ne connais pas la composition. Avec les boues, j'ai une analyse de terre avant épandage, une analyse du produit épandu, et une analyse après. La transparence est totale. Ce sont les lobbies chimiques qui ont communiqué CONTRE le recyclage agricole des boues. Il est clair qu'après épandage, je n'achète PAS UN GRAMME d'engrais chimique. J'en connais qui font la gueule.

Aujourd'hui, la filière est super au point. Les boues sont demi-sèches, mélangées de suite avec des déchets verts (tontes de gazon, broyats de branches de taille...), compostées dans les règles de l'art, et tamisées avant épandage. Vraiment un beau produit, dont ils vendent une partie comme terre végétale dans les jardineries.

Mais pendant 10 ans, je me sentais l'âme d'un Zorro recycleur de déchets citadins, et j'ai empuanti tout le quartier. Les boues étaient stockées et épandues pures. Des voisins me haïssaient. J'ai perdu des amis nasalement sensibles. Arriva ce qui devait arriver : une pétition coléreuse débarqua en mairie. Il se trouve que j'étais l'élu chargé des questions agricoles et environnementales. J'ai levé le doigt et j'ai dit : "Je m'en occupe !". Et je me suis fait un plaisir de répondre au chef des conjurés la lettre suivante.

Un petit plaisir de la vie comme on aimerait qu'il y en ait plus souvent.

Cher Monsieur Jean Naymard,

Suite à votre missive ainsi qu'à notre rencontre, et bien que le trou de stockage auquel vous faites allusion se trouve sur le territoire de la commune voisine de Saint Cucufa, je suis en mesure de vous fournir quelques éléments de réponse.

Ce radier a été creusé à la demande du gestionnaire des boues, la Société Biotechnécolo, afin de servir, après stockage et épandage, à l'enrichissement en matière organique de terres exploitées par des agriculteurs volontaires. Le recyclage par voie agricole est actuellement la filière de prédilection, préconisée par la Préfecture, l'incinération ayant un coût pour la société trois fois plus élevé et posant néanmoins un problème de déchets ultimes et d'émanations pouvant être toxiques à hautes doses, car contenant des dioxines.

La Loi sur l'eau, sous la pression des écologistes et des consommateurs a encore durci les cahiers des charges de ces épandages : elle fixe les distances à respecter avec les points de puisage, les habitations, et oblige à un labour dans les 48 heures suivant le chantier. La Société Biotechnécolo, en l'occurrence, est le garant que tout s'effectue dans le plus strict respect des réglementations actuelles.

Pour ce qui est des nuisances olfactives dont vous vous plaignez, le technicien considère qu'en phase normale de stockage, les boues étant semi-sèches, une croûte se forme et les odeurs restent discrètes. Cette année, une quantité d'eau inexplicable autrement que par un acte malveillant s'est retrouvé dans les boues, peut-être par pompage dans le canal tout proche.

Vous même reconnaissez que les nuisances ont atteint un niveau gênant seulement cette année, alors que les épandages s'effectuent sur votre quartier depuis l'automne 93.

D'autre part, il semblerait que la Société Biotechnécolo s'oriente vers un compostage préalable avec mélange de boues et de déchets verts broyés, ce qui serait une réponse technique tout à fait satisfaisante au problème qui a motivé votre réaction.

En espérant avoir répondu à vos inquiétudes et à celles de vos proches voisins, je vous renouvelle, cher Monsieur Jean Peuplu, l'assurance de ma considération dévouée...

Saoul-Fifre

Ou, plus abruptement :

Je vous emmerde !!!