Dans le cadre de l'opération sanitaire « Sauvez Blogbo ! », voici, après la magistrale leçon de style administratif, un précis de vocabulaire à l'intention des moins de 40 ans s'il en passe par ici :) L'histoire n'a aucune importance, seul compte le fait qu'elle est racontée avec des mots et des expressions courants jusqu'au début des années 70 et quasiment oubliés aujourd'hui, comme quoi les mots, c'est comme les objets ma pauv' dame, ils font de moins en moins d'usage.
Aline avait à peine enfilé son chandail et son duffle-coat que sa mère remontant du cellier où elle conservait les pommes tapées et la confiture de vieux garçon l'apostrophait : « Où vas-tu encore vadrouiller ? »
La jeune fille tira sur sa couette gauche, signe infini d'énervement. Sa daronne virait vraiment croulante, pour ne pas dire PPH...
« Je vadrouille pas, je vais réviser ma compo de latin chez Martine.
– Tu ne vas pas plutôt courir le guilledou ? Avec Martine, ça ne m’étonnerait pas, en voilà une qui verra le loup avant que l'envie m'en reprenne...
– Là, maman, tu pousses mémé dans les orties ! Martine, c'est une vachement grosse tête : prix d'excellence l'an dernier, premier prix de français et de maths, 1er accessit de latin et d'anglais. C'est pas de la gnognotte, quand même !
– N'empêche : je donne pas cher de sa vertu... Elle n'a pas les yeux dans sa poche quand elle reluque les garçons. Je te fiche mon billet qu'elle en a déjà embrassé plus d'un. »
Le grand-père Valentin, qui écoutait la conversation depuis son rocking-chair, sortit de son gilet une montre gousset :
« T'as pas fini de l’enquiquiner, cette gamine ? Il est à peine six heures du soir, y a pas péril en la demeure, on peut dire que tu te fais du tintouin pour rien. »
Aline regarda le vieil homme avec reconnaissance. La mère soupira :
« Bon, vas-y, mais fais fissa, je me suis levée dès potron minet et j'ai le dos en capilotade. Mieux envie d'aller au plume que de faire la bamboula. »
Aline sortit sans demander son reste en haussant les épaules. Sa mère avait toujours un pet de travers et se montait le bourrichon pour rien. Il y avait belle lurette qu'elle n'y faisait plus attention. Heureusement que le grand-père, lui, comprenait les jeunes. Faut dire qu'il avait mené une vie de patachon.
A 14 ans il avait été déniaisé par une amie de sa mère, une modiste au port modeste mais belle femme, qui lui avait susurré un tiède après-midi d'été : « T'as jamais contemplé la feuille de vigne à l'envers, mon biquet ? Eh bien viens, je vais te montrer... »
Bou Diou, le ramdam que ça avait fait quand la bonne les avait surpris en pleine action dans la petite chambre à donner ! Plus question de commander un seul chapeau à la maudite modiste : la maman du grand-père s'était résignée à sortir en cheveux... tandis que son fils séchait le patronage pour passer ses jeudis après-midi dans l'arrière-boutique où plus d'un chapeau de feutre fut baptisé par sa jeune fougue quand la modiste l'enjoignait de « faire attention ».
Le mari de la modiste, qui délaissait l'épouse pour cause d'activité politique épuisante bien que modestement cantonale se doutait-il de son infortune ? Nul ne le savait, si ce n'est qu'on l'avait un jour entendu murmurer en regardant sa femme : « Vaut mieux être cocu que ministre, on n'assiste pas aux séances. »
Faire les 400 coups avait plutôt réussi au grand-père. A 88 ans, il était frais comme un gardon et toujours gaillard et biberonnait son Dubonnet comme d'autres de l'antésite.
Aline arriva en courant chez Martine qui faisait ses devoirs, son mini K7 sur le bureau:
– J'ai enregistré un 45 tours à la dernière boum, dit-elle. Les Platters. Ecoute-moi ça : « Only you... »
Sans déc', c'était du slow de first catégorie, de quoi emballer en trois minutes chrono. Même une Sainte Nitouche n'y résisterait pas. Du reste, Martine avoua à Aline que cette chanson lui avait fait rencontrer l'homme de sa vie.
« Il est grand et beau comme un camion avec des mirettes bleu turquoise, des boucles brunes et un sourire Colgate. Bref une vraie réclame. Mais tu sais la meilleure? Il s'appelle Calmat et bien sûr ses parents l'ont prénommé Alain.
– Pourquoi Alain ?
– Tu yoyotes ou quoi ? A cause d'Alain Calmat, voyons ! Le champion de patinage. La mère de mon amoureux avait le béguin pour lui quand elle le voyait à la télé...
– Dis-moi : tu viens de dire « ton amoureux ». Vous en êtes où sur l'échelle de Richter ?
– Séisme de force 5 : avant même la fin du slow, il m'a roulé une pelle d'enfer, 30 secondes en apnée, j'en étais toute tourneboulée.
– En somme, résuma Aline, c'est un champion de patin artistique. »
Jeunes godelureaux qui venez en ces lieux, songez à celles et ceux capables de comprendre tous ces mots et expressions surannés, tout en percutant grave sur les lol, mdr, j'te surkiffe, je plussoie et autres wesh et boloss dont nous abreuvent les réseaux sociaux. Trop cool, not ?