Ou de Font-Romeu, ou de La tour de carol, ou la gérante, ou la chef de gare, ou la chef de ligne itinérante, je n'ai pas vraiment compris votre fonction, mais celle-ci est chargée d'affect. Vous travaillez sur la ligne du célèbre "train jaune" qui circule par tous temps sur ses rails à écartement métrique, dans une région à la beauté époustouflante, la Cerdagne.

Wagons mythiques depuis que Brigitte Fontaine y a oublié son gilet et a écrit sur cette anecdote banale une chanson puissante qui en a laissé plus d'un (dont moi) knocked out.

Vous que nous avons perçue si sérieuse, si avenante, si bonne camarade avec les collègues, vous avez la chance de vous mouvoir sur ce canari inscrit au patrimoine mondial par l'UNESCO. Un endroit qui détient le record de l'ensoleillement maximal français, et qui pour cette raison a accueilli le four d'Odeillo et la centrale solaire Thémis qui s'est reconvertie récemment dans la production photovoltaïque. L'ambiance chez vous est insolemment familiale, on sent que vous ne donneriez votre place pour rien au monde. Ha Ophise , tu peux toujours y demander ta mutation ! Encore faudrait-il que quelqu'un consente à quitter le paradis ? Un décès peut-être ? Il y a bien un ersatz de solution : il existe un camp de vacances SNCF au dessus de La tour de carol. Hasard mon œil.

Bon les lignards en hiver ne doivent pas être à la fête. C'est que la ligne grimpe jusqu'à 1592 m (Bolquère-Eyne, plus haute gare SNCF) ! J'espère qu'on les paye rubis sur l'onglée ! Il leur faut dégeler les aiguillages au chalumeau, installer le chasse-neige devant la motrice, prévoir les pelles ... Le train jaune passe toujours, comme la Wells Fargo !

Si un cheminot se fait voyageur, c'est gentiment qu'il joue le rôle de guide bénévole pour les touristes. La passion, c'est aimer transmettre son plaisir.

La tour de carol est une gare internationale. C'est la seule gare proposant 3 écartements de rails différents (les 1668 mm espagnols, les 1435 français et le mètre tout rond du Train Jaune). On y respire le transit de frontière, le contrebandier en sueur, le passage à l'acte délictueux. Il faut dire qu'à vol d'oiseau, nous ne pouvons nous éloigner davantage du Palais de l'Elysée sans tomber dans le camp ennemi. Ici la révolte gronde contre les diktats du centralisme parisien. La Cerdagne, magnifique plaine d'effondrement, véritable trouée permettant de traverser aisément les pics pyrénéens, a été de tout temps convoitée, conquise, reprise par les tenants des deux versants, jusqu'à ce que le traité des Pyrénées (1659) tente sans y réussir d'y mettre le Ôla et ne trouve rien de mieux que de la couper en deux tout en laissant espagnole llivia , une enclave de 13 km2.

Depuis, à part celui de la Catalogne, ses habitants se méfient des drapeaux.

Entre le train de midi qui nous amène et celui de 15 heures et quelques qui doit nous ramener, nous avons juste le temps de visiter un peu Enveigt et de marcher jusqu'à La tour de Carol (3 km) où nous avons un pot monstre, un gars du coin nous donne le conseil du siècle : manger chez Peypoch . Ho la bonne adresse ! Ho la proposition avisée ! Ho que nous ne regrettons pas de l'avoir suivie !

Peypoch est débordé. Il a un repas de fiançailles ou de mariage à honorer, il est déjà tard, mais il nous accepte de bon cœur avec le sourire. Nous nous installons dans une salle impressionnante au plafond perdu tout la haut, devant une cheminée monumentale. Sur le linteau, sont posées des reproductions à l'huile de caricatures de Sarkozy dans le style Charlie-Hebdo. Nous sommes dans l'antre d'un ogre anarchiste. Les murs sont couverts de tableaux de tous styles, mais choisis avec un goût très sûr.

Sa cuisine est à l'aune du sérieux et de l'authenticité des murs. Loin des essais autistes de cuisiniers brouillant le dialogue entre le plat et son gourmet, Peypoch a fait le choix humble et difficile de rechercher le produit de qualité et de le cuisiner en respectant son goût.

Cela faisait bien 10 ans que je n'avais aussi bien mangé.

Une bouteille à deux et nous avons repris d'un pas guilleret la route qui serpente entre les vaches le long du riu Carol et qui mène à la gare.