Au commencement était l'atome primordial, le bâtisseur d'étoiles, le tourneur de planètes, le faiseur d'eau. Avec son proton solitaire et son électron si peu matériel, l'Hydrogène est l'élément simple à la base de tous les autres. Par perte ou acquisition d'électrons, par liaisons plus ou moins recommandables, sans doute sous fusion thermonucléaire, il a donné tous les atomes et les molécules qui forment notre environnement. C'est la brique Légo inaugurale d'une collection impressionnante de décors, d'objets et de personnages.

Par combinaison avec l'oxygène, il nous donne l'eau, c'est à dire la Vie. Avec le même, il forme un explosif de grande puissance, et sème la Mort. L'hydrogène n'a pas de morale intrinsèque. Il sera ce que nous en ferons, la source d'énergie illimitée et égalitairement partagée dont rêve un quarteron de professeurs Tournesol à ITER , ou bien l'arme de destruction totale qui règlera définitivement le problème de nos caries douloureuses si un autre quarteron, de généraux Alcazar celui-ci, en décide ainsi.

S'il y a un Dieu, je crois fermement qu'il est de cet ordre : à la fois Diable et Dieu, Janus bifide, Hermès souriant et grimaçant, tragi-comique. Capable du meilleur comme du pire, d'une chose et de son contraire, génie du bien et du mal. À notre image, en fait.

Oui, Dieu a été créé à l'image de l'Homme. Tel est mon crédo, mais la situation est déjà assez compliquée comme ça, et le lancement d'une nouvelle secte n'est pas vraiment de saison. Ce que je ressens, c'est qu'à l'échelle de l'Histoire, les idéologies et les religions n'évoluent pas mécaniquement et régulièrement. Il y a des éruptions. Il y a des périodes de paix et des périodes de guerre. Il y a des régressions, ou des évolutions progressistes, plus ou moins rapides selon les leaders au pouvoir. Rome a atteint son apex, puis connut la dégringolade. L'Islam fut la locomotive culturelle et scientifique de notre vieux monde étriqué et puis, la roue tourne... Là, notre mondialisme agressif qui s'engraisse en se foutant du tiers comme du quart-monde, ça sent très mauvais sa "fin de cycle", et je rêve d'autres exemples.

À l'échelle de l'Hydrogène, la légèreté est absolue, et sous sa forme stockable, l'eau, son cycle est créatif, nourrissant, poétique, stable, émouvant...

"Les pieds dans le ruisseau, moi je regarde couler la vie...",

psalmodiait le grand Jacques, et cette invitation à la contemplation de l'évidence de l'eau m'a toujours parlé. À mes tout débuts, un liquide, trouvant son chenal, remontant le courant à travers d'autres mouillures, parvint à atteindre et à ensemencer la Source, et le Réceptacle, et la Génèse de toute Vie. Le têtard que j'étais remuait de contentement sa queue résiduelle, en pataugeant dans son petit bain personnel, avec les pulsations de son ombilic en fond sonore. Et les bruits aquatiques. Le silence assourdissant de la mère, puis son cri, quand elle perd les eaux.

Né au pays de la sécheresse, on m'a appris à la respecter. Elle n'en a acquis à mes yeux que plus de richesse, et les rencontres avec de l'eau en liberté, en apparence inépuisable, me fascinaient. Les cascades de Tlemcen, le grand canal d'arrosage qui dessoifait les arbres et remplissait le château d'eau, une fois par semaine, les flots semblant illimités de la Méditerranée. Semblant seulement, puisque nous avons découvert en la traversant, d'autres canaux, d'autres cascades, un autre, ou bien le même rivage ?

Je ne perds jamais une occasion de me replonger dans cette eau primitive. Dans les étangs, les torrents, l'océan... Quelle que soit la saison, je pique une tête. Au Nouvel An au Cap-Ferret, à Pâques dans un lac pyrénéen, en Aout, dans le lac de Viam... Quand je suis malade, je recherche la compagnie des ruisseaux, ces filets d'eau que j'imagine couler comme un goutte à goutte salvateur dans mes veines. La guérison par la mémoire de l'eau. Et aujourd'hui, on nous raconte que nous allons en manquer, et qu'elle est polluée. J'en ai des vapeurs et cette idée me glace.

L'eau a cette force de s'adapter aux contenants. Celle de le briser s'il y gèle. Celle de s'en échapper en s'évaporant, si l'envie lui en prend et si les oreilles lui chauffent.

"Dans le brouillard de sa myopie
l'aridité du monde s'atténuait.
Elle pouvait de la sorte rêver
à d'autres horizons, à une autre vie..."

...m'écrivait une amie, il y a presque quarante ans. J'en pleure encore, tellement c'est beau.

PS : Comme vous l'avez sans doute remarqué, après mon dernier billet , je me suis mis à l'eau.