Comment mettre la poésie en musique ? Beaucoup d'artistes s'y sont risqués, peu ont réellement convaincu, tant il est vrai que le poète a déjà mis dans ses vers la musique des mots et qu'il est bien peu évident d'en trouver l'écho dans des notes de musique. D'aucuns pourraient même pertinemment s'interroger de savoir s'il est de bon aloi de mettre la poésie en musique. Bonne question, mais les d'aucuns susnommés sont priés d'aller se faire voir ailleurs, c'est moi qui cause.

Or donc, je me posais cette question quand, l'autre jour, en relisant l'excellent "Au bonheur des mots" de Claude Gagnière, je redécouvrais une anecdote amusante à propos de Georges Fourest.

Pour ceux qui n'auraient jamais entendu parler du bonhomme (inutile de vous planquer, je vous vois), Georges Fourest était un poète déconoclaste qui a vécu à cheval sur les XIXème et XXème siècles (d'où ses jambes légèrement arquées), qui adorait jouer et jouir avec les mots de la façon la plus joyeuse qui soit, auteur, entre autres, de la "Négresse blonde" qui lui valut un certain renom, tout relatif hélas (la postérité n'aime pas les gens pas sérieux). Si vous voulez en savoir plus sur lui, vous pouvez cliquer ou et lire quelques extraits de son oeuvre ici.

Mais revenons-en à cette fameuse anecdote. Elle est bien simple en vérité : Georges Fourest, toujours apte à déconner, avait simplement remarqué que les vers en alexandrins pouvaient aisément se chanter sur l'air de la "Mère Michel", à l'instar de sa propre "Épître falote et testamentaire pour régler l'ordre et la marche de mes funérailles", écrite en alexandrins :

     (...)
     Que mon enterrement soit superbe et farouche,
     Que les bourgeois glaireux bâillent d'étonnement
     Et que Sadi Carnot, ouvrant sa large bouche,
     Se dise : "Nom de Dieu! Le bel enterrement!"
     Sur l'air du tra la la
     Sur l'air du tra la la
     Sur l'air du tra déri déra et tra la la
     (...)

Evidemment, cela a fait tilt dans ma tête, tout cela était lumineux : que voilà une méthode élégante et mélodique pour faire chanter plus encore les vers et rendre un vibrant hommage aux grands poètes !

J'ai donc décidé illico de la mettre en pratique en vous interprétant une des plus beaux poèmes d'un de nos plus grands poètes, à savoir "Recueillement" de Charles Baudelaire.

     Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
     Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
     Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
     Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

     Pendant que des mortels la multitude vile,
     Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
     Va cueillir des remords dans la fête servile,
     Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,

     Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,
     Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
     Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

     Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
     Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
     Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.


Allez, en avant la zizique !

Ecoutez et savourez !

Alors, convaincus ? C'est beau non ? N'est-ce point le plus magnifique hommage que l'on puisse rendre à un poète que de faire ainsi subliment sonner ses vers ?...

Hein ?... Comment ça, non ?... Quoi ? Pas terrible ? Faux ? Dissonnant ? A gerber ?... Attendez, je pense qu'on ne parle pas de la même chose, là !... Bon, je vais quand même me réécouter, juste histoire de m'assurer que c'est vous qui avez de la fiente dans les oreilles...

..........

Heu... C'est... Comment dire ?... C'est... pourri !... Pardon Charles, je ne voulais pas, je me suis juste laissé emporter...



Tenez, pour me faire pardonner, je vous offre une autre version de "Recueillement", et qui, celle-là, me tient à coeur : c'est celle que le groupe Marc Seberg a faite en 1985 (gosh ! déjà plus de vingt ans ?!). Le groupe fétiche qu'on avait à l'époque, Tant-Bourrine et moi, et qui m'a flanqué une putain de claque à chaque fois que je les ai vus en concert.

Force m'est de reconnaître que c'était quand même légèrement plus harmonieux que ma version ! :~)

Recueillement - Marc Seberg (1985)