J'ai embarqué à bord du "Karaboudjan", un barlu qui suinte la rouille par tous ses rivets, le Capitaine, un certain Allan m'a l'air d'être franc comme un âne qui recule, sa fouillasse de Capitaine rejetée en arrière, une Boyard papier maïs collée à sa lèvre, et en plus il empeste le ratafia à trois encablures !

Un sifflement lugubre, les haussières ont été retirées, le Karabouidjan quitte le quai direction Valparaiso. Valparaiso, voilà un nom qui fait rêver, comme Samarkand, Nijni-Novgorod ou Tombouctou. Ce putain de rafiot pue le mazout, une infection, et je me pose la question : "il doit bien exister un contrôle technique pour les barlus, non" ?

C'est un cargo mixte, quelques cabines craspouilles pour les passagers, ah ça ce ne sont pas les croisières "Costa" ! Le soir on se retrouve une dizaine à la table du Capitaine, des paumés comme moi. Pas assez de thunes pour l'avion, alors je rends des menus services à bord, la vaisselle, les pluches, un coup de loque par ci, par là, Allan m'a fait une bonne ristourne, alors je ne renaude pas, j'ferme ma grande gueule, et j'casse mon caillou, comme chantait Mick Micheyl.

L'autre jour en descendant dans les cales, j'ai été surpris, il y avait là une jolie vache ! Une limousine il me semble, je ne suis pas bien costaud en race bovine, mais enfin... Quelques jours plus tard en redescendant dans les cales, je vois accroupie entre les pattes de la Limousine, la Castafiore, c'est comme ça que je la surnomme, car elle a un pébron à piquer dans la tarte ! Elle tirait comme une malade sur le pis de la pauvre Limousine qui beuglait à n'en plus pouvoir !

Arrête la Diva, lui dis-je soudain très en colère, elle ne vous donnera pas de lait, elle n'a sûrement jamais vêlé vu son jeune âge, c'est une génisse, ça se voit non ?

- Ah bon pour qu'elle donne du lait il faut qu'elle ait vêlé ?

- Ben oui c'est un mammifère comme vous !

Elle a tordu son nez, un peu vexée que je la compare à une vache, bien fait pour sa tronche elle n'a qu'à pas maltraiter les bêtes !

Les jours se sont écoulés monotones, et puis au bout de quatre semaines alors qu'on longeait les côtes du Chili, après avoir franchi le détroit de Magellan,s'est levée une tempête commack ! Le barlu était bringueballé en tous sens, la Castafiore pas contente gerbait dans le couloir, elle aurait pu chanter : "j'ai deux grands BEUEUEUEUH dans mon étable" ! Je songeais au taf qui m'attendrait quand tout ce raffut serait terminé !

Soudain un craquement terrible, ça y est le Karaboudjan nous rejouait Titanic, deux qui le tiennent trois qui le...

Je connais un peu l'endroit à quelques miles de Valparaiso "valle paradiso" en espagnol, tu parles ! Il y a une petite île, désolée, battue par les vents du Pacifique, la isla negra qu'ils l'appellent, l'île noire !

Noire comme la flotte qui grimpe à la vitesse grand "V" dans les coursives, je n'ai qu'une hâte me tirer au plus vite, au passage, dans la cuisine je rafle un flacon, il me semble que c'est la gnôle que j'ai mis dans les crêpes hier au soir, une petite gâterie afin de fêter la dernière nuit à bord.

Je plonge dans l'eau glacée, puis à la lueur des éclairs je me dire vers l'îlot, ma bouée de sauvetage. Une minuscule plage de galets aussi noirs que l'âme du Capitaine Allan. A peine sur les cailloux, j'entends meugler... C'est ma Limousine, je l'aide à accoster, dans mon œil elle lit qu'en cas de disette elle me servira de casse croûte, surtout après ma troisième voire plus eau de vie !

Faut tout de même avoir rien à foutre pour fourrer dans le même barlu : une île déserte, une vache fusse t-elle Limousine, la Castafiore, et trois verres d'eau de vie... Amen.