Face au miroir, il ne voit qu'un vieillard épuisé.

Le teint blafard.

Et pourtant, il y a longtemps qu'il ne s'enduit plus la face de poudre de riz, comme quand il s'agissait d'entrer en piste et de faire rire les petits et les grands.

Longtemps qu'il ne met plus son gros nez rouge pour entomater son visage.

Longtemps que ses joues rondes se sont creusées, que son front s'est raviné, que ses cheveux couleur de feu se sont éteints.

Oui, si longtemps que sa tenue de scène est remisée dans un grenier poussiéreux. Son chapeau pointu, sa veste verte, son énorme noeud papillon ne seront plus portés. Seules quelques mites s'y intéressent peut-être encore.

Désormais, dans cette maison de retraite sordide, seul un pyjama défraîchi suffit à l'habiller. Il n'a plus d'yeux d'enfants à illuminer, plus de sourires à ensemencer, plus d'applaudissements à faire tonner. Il sent se refermer le chapiteau de sa vie. A jamais.

Bianca, sa vieille jument, ne trottera plus : il a fallu l'abattre voici plus de dix ans, tant elle était décharnée, à bout de force, en attente du grand néant cotonneux. Son vieux chat Ratibus s'est fait écraser par une automobile il y a déjà bien longtemps aussi. Et Pip'lett, sa perruche, ne s'est pas réveillée d'une nuit sans rêve...

Il n'y aura plus d'animaux à ses côtés. La parade est finie. Les projecteurs sont éteints.

Eteints surtout depuis ce jour où Laura l'a quitté. Laura, qui là-haut, sur son fil, ballerine de l'éther, semblait ne pas être de ce monde. Laura pour qui battaient tous les coeurs. Laura...

Laura et cette terrible chute dont elle ne se remit jamais vraiment. Laura qui quitta le cirque. Laura qui sombra dans l'alcool. Laura qui finit par fermer ses yeux à jamais, le corps empli de métastases...

Le vieillard au visage blafard pleure dans le miroir.
Pleure sur un passé vagabond de ris et de joies.
Pleure sur la plaie purulente de ses amitiés tombales.
Pleure sur les enfants grandis trop vite.
Ces enfants qu'il faisait rire hier.
Ces enfants devenus employés, chefs d'entreprise, chômeurs, boutiquiers, clochards, cadres commerciaux, pédophiles, traders, criminels, femmes au foyer, hommes politiques, routiers, gardiens de prison, assureurs,...
Ces enfants devenus adultes.
Tristement adultes.
Et qui ne rient plus aux pirouettes d'un clown fatigué.

Il sait que c'est fini. Qu'il n'a plus rien à attendre.

Mais, peu à peu, derrière le goût salé des larmes, lui vient une envie, l'envie ultime, sa dernière envie.

Non, il ne se laissera pas cueillir par la mort les yeux rougis de chagrin. Il se couvrira à nouveau la face de poudre de riz. Il s'entomatera le visage de son gros nez rouge. Il ressortira sa tenue de scène.

Et quand la mort viendra et lui dira "suis-moi, Kiri", il saura lui arracher un sourire à force de pirouettes.

Peut-être la mort a-t-elle gardé une âme d'enfant ?


Kiri le clown est revenu sur France5 depuis le 17 décembre. Mais il s'agit d'un ersatz, d'une nouvelle série réalisée en animation 3D, avec un nouveau générique. Un pâle clonage. Car pour le vrai Kiri, il est trop tard...