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jeudi 22 novembre 2012

celestineChauguise et le fantôme


Il y a quelques jours j'ai envoyé un texte à Célestine, en lui disant :"Imaginez la suite, dans deux heures je ramasse les copies" ! J'avais envie de voir à quelle sauce elle accomoderait l'as du 36 ! Une demi-heure plus tard je recevais son texte avec en PLUS une fin alternative. Fortiche la Célestina !

Chauguise venait de dépasser l’avenue Gambetta, il arpentait à grands pas le Boulevard de Ménilmontant, le Ménilmuch’ comme le chantait Maurice Chevalier. En coupant la rue de Tlemcen, un triporteur faillit le bousculer. Au passage, Chauguise lui cloqua une mandale. Le conducteur du tri se retourna mais, devant la mine peu avenante de notre commissaire, il préféra mettre quelques hectomètres entre lui et le distributeur de pains.

A hauteur du gastos « à la mère Lachaise », une « cantine » qui ressemblait plus à un aquarium, avec sa terrasse vitrée ruisselante de condensation, qu’à l’entrée du Ritz, Chauguise marqua l’arrêt.

Il venait de voir un fantôme ! Mais quel fantôme ! Reconnaissable entre toutes… Célestine dite « belles chasses », une frangine gaulée comme une bagnole carrossée par Chapron*. Elle le savait, la garce, qu’elle avait des mirettes de compétition. Ses cheveux noirs, tombant de chaque coté de sa jolie petite gueule, et une frange qui lui arrivait juste au-dessus des sourcils. Tu risquais pas de te paumer dans les détails, tu avais ses quinquets juste dans la ligne de mire.

Autrefois elle était barmaid à la nouvelle Eve, une boîte à michetons de Pigalle. Elle servait, Célestine, mais c’est tout ! Bien sûr, elle mettait en avant ses arguments : un panorama pareil, ça fait consommer les gogos, mais toucher, jamais ! D’ailleurs, quand un client éméché voulait s’approcher un peu trop près, une droite bien ajustée remettait chacun à sa place !

Mais surtout Chauguise lui devait la vie : un jour qu’il était à la nouvelle Eve justement, Dédé dit « la couleuvre », que Chauguise avait fait coffrer cinq ans plus tôt pour le braquage du « Crédit Péquenot » du boulevard des Capucines, l’avait retapé.

Avait-il lichetronné un peu trop ? Sans doute, toujours est-il qu’il interpelle Chauguise et défourraille au même moment.

- Cinq berges, tu m’as fait plonger enflure ! J’vais t’plomber comme un scaphandrier…

Il lève son 357 magnum, c’est alors que Célestine s’interpose…. Pan ! Le coup part, elle s’écroule. La bastos lui a touché l’épaule.

« La couleuvre » reste comme un con, Chauguise bondit et lui flanque une gauche à lui décoller la tête. Crac ! fait la mâchoire en s’éclatant comme une figue trop mûre, alors qu’il s’écroule comme une vieille serpillère.

Chauguise est planté devant la vitrine, Célestine lève la tête, une larme coule sur sa joue. En reconnaissant le commissaire, un timide sourire se dessine sur ses lèvres à peine maquillées…


Laissons le clavier à Célestine...

Elle aussi a cru voir un fantôme… La dernière fois qu’elle a vu ce zigue en chapeau mou, elle venait de se prendre une bastos commac dans l’épaule, pour lui sauver la mise. Si elle avait pas été là, Dédé la Couleuvre le dégommait proprement. A c’te heure, y a longtemps qu’il n’aurait plus au menu que des pissenlits, et encore, pas par le bon bout ! C’est un peu grâce à elle s’il se tient droit devant cette vitrine.

Il faut dire que Chauguise, c’était pas un micheton ordinaire. Avec sa gueule d’amour à la Bogart, les gonzesses tombaient devant lui comme des quilles, il avait qu’à se baisser pour ramasser. Il avait ses ouvertures et ses tarifs spéciaux, et souvent même pour lui, c’était gratis. Mais Célestine mangeait pas de ce pain-là. Il lui fallait du sentiment, à la mioche, de la « poésie ». Elle avait jamais cédé à la facilité, même lorsqu’elle bossait dans cette boîte avenue Blanche, dans cette ambiance interlope aussi épaisse qu’une tranche de jambon à la coupe.

Les souvenirs reviennent à la vitesse d’un litre de rouge dans le gosier d’un maton au fond d’un commissariat de banlieue un soir de garde. Elle a pas oublié qu’elle en pinçait pour lui, au point de se faire gentiment trouer la carcasse, sans réfléchir. Elle a pas oublié son regard interloqué, au p’tit poulet, mi incrédule mi admiratif quand il l’a ramassée après avoir explosé le tarbouif et les ratiches à Dédé la Couleuvre, version Marcel Cerdan contre Tony Zale. Elle a pas oublié, surtout, le goût de ses lèvres quand il lui a roulé une gamelle pour la remercier, profitant honteusement de sa situation d’infériorité passagère due au calibre de la bastos qui lui labourait méchamment la chair.

Cette soupe de langue, ce fut son seul élan de poésie, à l’artiste. Elle a pas oublié comment il l’a plantée là, peu après, comme une vulgaire chaussette trouée, grimaçante, la main baignant dans son jus d’épaule. Comment elle a perdu son turbin à la Nouvelle Eve, à cause de son bras n’obéissant plus aux ordres et les années de mouise qui s’ensuivirent. Tout ça lui revient en un clin d’œil, en matant la silhouette du condé à travers la vitre opaque du bouge où elle s’est réfugiée pour écrire.

Oui car elle écrit, maintenant, elle taquine la plume. Elle raconte la vie des bas-fonds, ça fait pleurer les bobonnes dans les chaumières, et elle, ça la met à l’abri des fins de mois difficiles. Elle pense que de voir ses chasses embuées de larmes et son sourire en coin, ça va le faire partir… C’est drôle, il a dû piger que dalle, parce que le v’là qui rentre dans le rade plein à ras bord de sueur et de bruit, et qu’il se dirige vers elle.

Et là, tout à coup, en le voyant tel qu’en lui-même, le mégot joliment coincé dans la lippe, le galurin enfoncé jusqu’aux yeux, elle en a le palpitant tout ramolli. Voilà bien les nanas, aucune parole ! Au premier son de sa voix, qui n’a pas changé, elle oublie toutes ses résolutions et elle se dit qu’il y a peut être là, finalement, matière à écrire une histoire à peine entamée, un soir de juin, à Pigalle… En tous cas, elle essaierait bien, pour voir...


Fin alternative.

C’est drôle, il a dû piger que dalle, parce que le v’là qui rentre dans le rade plein à ras bord de sueur et de bruit, et qu’il se dirige vers elle. Il lui parle du passé avec un petit trémolo vocal, rapport à sa dette envers elle et patati et patata.

- Laisse donc, Chauguise, t’es pas gonflé de venir me relancer, après tout c’temps.

- Je m’disais qu’avec le temps, t’aurais p’t-être oublié…T’as toujours d’aussi belles chasses, faut reconnaître.

- Tout beau, mon prince, arrête un peu ton tir. Chuis pas celle que tu crois.. Tu croyais quoi ? Tu me roules une escalope et hop, tu disparais, envolé le beau merle, pendant vingt piges on voit plus la queue du loup… Vingt piges, c’est pas rien ! Et là, tout de go, tu reviens me chanter l’air des regrets ? Remballe ta marchandise, Chauguise, ton attirail de séducteur à deux balles, ça prend plus. J’ai passé l’âge du sirop, crois moi.

Sur ces belles paroles, qui laissent le commissaire un peu groggy, Celestine tourne les talons et disparaît, happée par la fumée grasse du troquet. Le plus célèbre poulet de France a l’impression soudaine d’avoir perdu ses plumes. Il remonte son col et sort dans l’ombre crépusculaire. Pour une fois, il est pas mécontent que la scène ait pas eu de témoins.


Non mais ? La gerce elle a envoyé Chauguise se faire reluire ailleurs ! Gonflée la chneck ! Allez HOP RE-RE-FIN ALTERNATIVE... Des fois !


Par ANDIAMO

Il savait bien lui Chauguise, pourquoi il s'était laissé envoyer se faire reluire l'autre jour, dans ce rade du Ménilmuch'. Il en était raide dingue de SA Célestine...

Seulement y avait-il une seule gisquette au monde capable de supporter sa vie ? Jamais là, toujours disponible pour le 36, c'est avec le quai qu'il aurait dû s'maquer LE commissaire. Il avait fière allure, seulabre comme un canard déplumé à la loterie des cocus, un laissé pour compte, un pousse-cailloux. Sa fille partie, sa Juju comme il l'appelait, il lui restait pour toute compagnie un vieil ouvre boîte vachement bien ébréché, et son doulos calibré 9 millimètres.

Il traînait toujours dans son larfouillet un portrait de "belles chasses" qu'un rapin de Montmartre lui avait griffonné un soir vite fait, sur un zinc de la rue Lepic, après que Chauguise et lui aient éclusé une bouteille de Mescal, cette boisson Mexicaine... Un alcool que l'on tire à partir de l'agave, juste bon à déboucher les cagoinsses. Ce soir là Célestine s'était fait tartir en les matant se pochtronner...

Sous la petite pluie qui fouettait le pavé parisien, Chauguise reprit le chemin de la rue du Mont Cenis.... Ce soir serait une soirée portrait et Mescal....

* Chapron célèbre carrossier Parisien, il "relookait" les tires des gens fortunés.

Ch'tiot crobard : Célestine par le rapin.

On peut retrouver Célestine sur :
http://celestinetroussecotte.blogspot.com/

lundi 19 novembre 2012

Saoul-FifreLe week-end du 12

Vous ne connaissez que lui : le jokariste au bronzage intégral, cet espèce de Kojak courant plus vite que son ombre, enfin, disons qu'il est toujours devant elle à condition de courir vers le soleil, mais elle lui colle au train sans lui concéder une seconde, la garce. Elle n'est que l'ombre de lui-même mais elle a de beaux restes. Souvent, et surtout quand il évite de courir aux heures chaudes de la journée, elle lui fait la jambe fine et le bras long. Elle n'a pas sa grosse tête, ce n'est qu'une ombre chinoise projetée sur un drap en 3D aux couleurs aléatoires, ce qui renforce son côté bizarre naturel un poil sautillant.

J'ai mis un poil mais pour en trouver un sur ce corps glabre au demeurant mais néanmoins soigneusement rasé, faut se lever tôt !

Pour tout vous dire, son ombre est plus chevelue que lui, voyez ?

On ne peut nier à ce corps lisse une meilleure pénétration dans l'air, surtout enduit de quelques giclées d'huile d'olive. Légèrement penché en avant, à la limite de la perte d'équilibre, l'homme-obus au crâne oblong écarte l'atmosphère devant lui. Du zéphir au Mistral, tous les mouvements d'air s'effacent devant son aérodynamisme, devant les formes épurées de son fuselage charnel. Nul frein, nul obstacle dorénavant à opposer à la force brute de ses manivelles inférieures, lubrifiées au liquide synovial et profilées façon Kate Moss. L'élastique de la ligne d'arrivée n'a plus qu'à bien se tenir.

Si vous êtes de nos fidèles, vous avez sûrement reconnu le commentateur dont je vous parle au travers de mes fines allusions. Il s'agit de Pascal, le célèbre dératiseur de pelouses à coups de crampons . C'est son troisième Blog, dis donc ! On peut dire qu'il s'accroche et qu'il en veut. Les deux autres blogs ne sont plus disponibles que sous la forme papier. Oui Pascal sauvegarde ses blogs sur papier, on sent bien là le réactionnaire méfiant devant le progrès et je ne peux que le suivre dans son analyse pessimiste. La voiture électrique c'est super mais quelle belle œuvre d'art sur votre parking quand les centrales nucléaires auront fusionné. Un vrai film-catastrophe tout en fondu enchainé. On ne vous en parle plus pour ne pas vous lasser mais Fukushima a toujours les oreilles qui chauffent et un ordi est très efficace pour supprimer des informations.

Oui Pascal, cliquant au hasard dans la colonne de droite jusqu'à ce qu'il trouve mes coordonnées, voulait savoir si je pouvais lui procurer un morceau de quintaine qu'il subodorait apte à rendre ses poulettes plus ouvertes voire mieux participantes. Je lui répondis qu'il ne s'était pas trompé d'adresse mail mais qu'il se dépêche car je m'en servais pour allumer le feu et que l'hiver s'annonçait rigoureux.

Ni une, ni deux, sans GPS ni sens de l'orientation, il frappa chez nous avec 2 heures de retard sur l'horaire prévu, faut dire qu'on est dans un trou perdu de chez isolé, juste en face de l'Hôtel de ville. C'est quand même le gars qui, alors que je lui indiquais pour son jogging un itinéraire agréé par le Syndicat d'Initiative (Tu suis les flèches jaunes...), a trouvé moyen de se perdre. Glissons, moi, j'y aurais craché mes poumons.

Nous avons donc vu débarquer chez nous un type "caucasien", enfin ça c'est la case qu'ont coché ces cons de douaniers américains quand il a essayé d'immigrer chez eux en traversant la frontière en courant si vite qu'ils n'étaient pas sûrs d'avoir vu quelqu'un passer mais manque de chance, ils ont vérifié et les profileurs ont ricané en disant qu'ils le coinceraient au départ du Marathon de New-York. Ce qui fut fait mais Pascal accepta d'intégrer l'équipe nationale de coureurs de jupons, rapporta plein de médailles à sa nouvelle patrie et on lui rendit sa liberté.

Bon, moi, avec son crane rond et brillant, j'aurais plutôt coché la case "bocal à poissons rouges" mais ce n'sont pas des imbéciles puisqu'ils sont DOUANIERS...

Son séjour s'est très bien passé, il a beaucoup d'humour et il lui en a fallu pour supporter mes petites blagounettes genre : au lieu du régime sportif laitue-steak-revenu-dans-une-goutte-d'isio-quatre-pomme-couscoussier-de-spaghettis qui est son quotidien, je lui ai concocté de roboratifs repas périgourdins, kirounet cidre-sirop de fraise (renforcé subrepticement à la vodka) potée au saindoux flambée à la gnôle (puisqu'il refusait d'en boire), pommes sarladaises au confit de canard avec cèpes en option obligatoire marinés à la liqueur de châtaigne (puisqu'il ne touche à aucun alcool). J'obéissais en cela au proverbe maintes fois vérifié " Ne prends pas le risque de te lier d'amitié ou de te marier avec quiconque sans l'avoir vu bourré au moins une fois.".

Je dois à la vérité d'avouer n'avoir décelé aucune différence entre les deux états.

vendredi 16 novembre 2012

AndiamoUn baiser, mais à tout prendre qu'est-ce ?

Nicolas Serdonne, bel homme, la quarantaine grisonnante, occupait un emploi fort peu courant : il était premier embaumeur dans la très respectable entreprise « Thanatos and consort », la T.A.C pour faire plus simple. Leur devise était :


Mourez, nous nous occupons du reste

C’était lui qui était chargé de parer les corps des défunts qui lui étaient confiés, afin de les rendre présentables à la famille. Certains « clients » étaient plus faciles que d’autres, décédés dans la fleur de l’âge, peu de retouches ou de maquillage s’imposaient. Par contre, ce que Nicolas redoutait le plus, c’étaient les accidentés de la route… Inutile que je vous fasse un dessin (quoique) ou que je vous décrive par le menu l’état dans lequel arrivaient certains de ses clients.

Ce matin-là, le fourgon couleur bordeaux portant en lettres d’argent le bandeau de la société « Thanatos and consort » s’arrêta devant la lourde porte de chêne. Deux hommes en descendirent, ouvrirent la porte arrière du fourgon, puis extirpèrent une longue boîte grise en matériau synthétique, dans laquelle se trouvait un corps prêt pour embaumement.

Après avoir fait signer le bon de livraison (si j’ose dire) et déposé le corps sur la longue table en inox de la pièce réfrigérée servant de laboratoire, les deux hommes prirent congé.

Resté seul, Nicolas entre dans la salle. Sur les murs, de la faïence, des carreaux au ton légèrement verdâtre, céladon pour être précis. Le corps, celui d’une jeune femme d’après la fiche qu’il tient entre ses mains, est recouvert d’un drap.

Précautionneusement, Nicolas soulève le linceul, découvrant le visage d’une très jeune femme. Botticelli, c’est le nom qui lui vient immédiatement à l’esprit, « la naissance de Vénus », il revoit le tableau du maître de Florence à la galerie des offices de cette ville. Deux ans plus tôt, en compagnie de son épouse et pour fêter leurs dix années de mariage, ils s’étaient offert un joli voyage à Firenze.

Il est là, médusé, ne pouvant détacher son regard des traits finement ciselés de la jeune femme, morte par overdose, indique la fiche. Quel malheur ! songe Nicolas, une si belle jeune fille…

Alors, doucement, sa main caresse le visage. Le froid de la mort, Nicolas le sent au bout de ses doigts. Il se penche et dépose un baiser sur les lèvres de la morte. Jamais il n’a fait cela, alors pourquoi ? L’étrange beauté sans doute.

Oh, ça n’est pas un baiser appuyé, non, un simple effleurement tout au plus, un dernier hommage en quelque sorte. Sur ses lèvres, il ressent comme un petit choc.

- Voilà que tu te fais peur tout seul, dit-il à voix haute !

Après avoir remis le drap en place, Nicolas sort de la pièce et va se servir un café. Le froid du baiser persiste sur ses lèvres.

Bah ! C’est suggestif, songe-t-il. Une tasse de kawa me réchauffera.

La chaleur de la tasse puis celle du café n’y ont rien fait : le froid persiste, il s’est même accentué, lui semble-t-il. Il retourne dans son laboratoire, commence le maquillage puis l’habillage grâce aux vêtements fournis par la famille.

Trois heures plus tard, la jeune femme est « prête ». Nicolas admire son travail, elle est vraiment très belle, légèrement maquillée, un peu de rose aux joues, elle se réveillerait qu’il n’en serait pas étonné. Toujours ce froid qui maintenant lui a pris tout le bas du visage, et le cou qui commence à se refroidir. J’ai dû rester un peu trop longtemps dans le labo, songe-t-il, il faut en sortir de temps en temps, mais là j’étais tellement accaparé par cette femme que je n’ai pas vu le temps passer.

La famille est venue, la mère en larmes, le père plus digne. Ils ont remercié longuement Nicolas pour le travail accompli, vous êtes vraiment très doué Monsieur, a ajouté le père.

A dix-sept heures, Nicolas est rentré chez lui, le chauffage à fond dans la Clio en plein mois de juin, température extérieure vingt-cinq degrés.

- Putain, je suis gelé murmure-t-il tout en claquant des dents, j’ai dû choper une saloperie, je dois avoir une fièvre carabinée.

Tant bien que mal, il gare sa voiture dans la cour du pavillon qu’il occupe avec sa femme et leurs deux enfants. Un joli village au nord de Paris, Survilliers pour ne pas le nommer.

- Christine ! C’est moi, dit-il en entrant, prépare-moi quelque chose de chaud s’il te plaît, et appelle le Docteur Marceau, je grelotte comme un chimpanzé sur la banquise !

Christine s’est approchée…

- Ouh lala ! Tu n’as pas l’air bien, tu n’es pas chaud pour quelqu’un de fiévreux, tu es glacé ! Tu as fait quoi ? Tu as travaillé en slip dans ton labo ? ajoute-t-elle avec un sourire en coin.

- Ne dis pas de conneries, appelle plutôt le toubib.

Une heure plus tard, le Docteur Marceau est là.

- C’est assez inhabituel en effet, je vais vous prescrire des antibiotiques à large spectre, et si demain ça ne va pas mieux, j’aviserai.

Christine a rapporté les médicaments, Nicolas a bu un grand bol de tisane bien chaud, puis il s’est couché, la couette remisée durant l’été, a été ressortie.

Deux heures plus tard, il peut à peine parler, sa mâchoire claque, tremble comme les jours de grand froid, son corps est glacé !

- J’appelle le SAMU, déclare Christine, ça ne va pas du tout, mais alors pas du tout !

Sirène hurlante, la voiture fonce sur l’autoroute A1 direction porte de la chapelle, puis Bichat.

Deux heures plus tard, malgré l’équipe réunie de toute urgence, Nicolas décède.

Hypothermie ! Les médecins aussi incroyable que cela paraisse ont conclu à une mort par hypothermie, en plein mois de juin par vingt-cinq degrés !

Le lendemain, Christine est venue, elle a confié la garde des enfants à sa sœur. On la conduit à la morgue de l’hôpital, l’aide soignante qui l’accompagne la console du mieux qu’elle peut.

Une double porte à battants, un hublot circulaire dans la partie haute des portes, un éclairage néon très cru, une rangée de tiroirs, sur deux d’entre eux, un nom.

Les yeux de Christine accrochent celui de Nicolas Serdonne. L’aide soignante amène le tiroir à elle, puis soulève délicatement le linceul, découvrant le visage de Nicolas.

Christine se penche et dépose un baiser sur les lèvres de son mari. En même temps que le froid, elle ressent un petit choc…


(Ch'tiot crobard Sandro Botticelli 1485) Ce qui me scie : c'est la "modernité" du trait, et ça a plus de cinq cents berges !

mardi 6 novembre 2012

AndiamoLe machairodus

Gaston Coutard était un homme comblé, grand, costaud : un vrai baroudeur, ce Gaston !

Il occupait en cette année 2764 une place fort enviée : il était conservateur du grand parc animalier et paléontologique de la région de Mende. Un poste fort honorifique et lucratif, qui n’était toutefois pas sans danger car il était chargé d’approvisionner le dit parc en espèces animalières disparues depuis fort longtemps.

Certes il n’était pas question de rapporter un tyrannosaure ou un vélociraptor, c’était bon pour des scénarios de vieux films comme « Jurassic Park » qu’il avait vu à la cinémathèque, sur un vieil écran, et même pas en 3D !

Sa mission consistait cette fois-ci à rapporter un machairodus ou « dents de sabre », ce grand félin encore appelé « smilodon » et qui vivait il y a environ dix millions d’années, une période appelée Eocène (merci Wikipedia).

Comment rapporter de telles espèces ? Cela était devenu assez aisé, car depuis de très nombreuses années, les voyages spatio-temporels étaient monnaie courante, grâce à la superbe invention du professeur Trougnard, améliorée et peaufinée certes.

Assisté du jeune Emile Lambris, en stage de formation, Gaston pris place dans le rétro-taxi. Bien calé dans le fauteuil en skaï, il s’activa sur le clavier de l’ordinateur de bord, entrant les coordonnées qui devaient les propulser dix millions d’années avant notre ère !

Une cage avait été aménagée dans le compartiment inférieur de l’engin, afin d’abriter les animaux capturés, un treuil fixé dans le fond de la cage permettait de hisser les animaux endormis à bord.

Bien entendu, chacun des valeureux aventuriers était muni d’un fusil à fléchettes anesthésiantes, aussi discret qu’efficace.

Inutile de changer le jour et le mois, le 30 juin ferait largement l’affaire. Toutefois, en ce qui concernait l’année, Gaston entra : - 10 000 000, puis il appuya sur la touche « ENTER ».

ZZZZWIPPP ! Le rétro-taxi devint transparent, nos deux explorateurs aussi, ce qui permis au jeune Emile de s’apercevoir que son boss avait bouffé des spaghetti bolognese au cours de son dernier repas !

ZZZWAPPP ! Le rétro-taxi retrouva sa forme et sa consistance, le voyage était terminé.

Gaston Coutard ouvrit prudemment la porte. Une savane s’étendait à perte de vue. Une dizaine de ce que nous appellerions plus tard des antilopes se désaltéraient dans un marigot, alors il sortit ses jumelles prismatiques et scruta les alentours…

Soudain, il les vit. Cinq machairodus, un mâle et son harem, debout, humant l’air du soir en direction de la mare. « Nous allons nous approcher », déclara Gaston à son jeune aide. Le rétro-taxi était capable, grâce à un moteur atomique, de se déplacer dans le plus grand silence, en évoluant à quelques centimètres du sol. Un système anti-gravitationnel du dernier cri lui assurait cette capacité supplémentaire.

Immobiles, bien à l’abri dans leur engin, Gaston et Emile attendaient. Ils savaient que très rapidement, profitant de l’inattention passagère des antilopes trop occupées à étancher leur soif, les machairodus attaqueraient. Ils chassaient en groupe, encerclant leurs victimes, puis, superbe et généreux, lorsque les femelles avaient fait le travail d’approche, impérial et silencieux, le mâle portait l’estocade, détalant à toute vitesse, ses deux-cent cinquante kilos de muscles s’abattant sur les reins de sa pauvre victime, tandis que ses longues canines se plantaient dans la jugulaire de la pauvre bête…

Mais enfin il faut bien que tout le monde mange, murmura Emile Lambris tout ému à l’idée d’assister à sa première chasse de machairodus.

Tout se déroula comme prévu, une jolie antilope alla mordre la poussière, le mâle avait planté ses crocs et rien ne lui ferait lâcher prise. Un peu à l’écart une femelle gardait les petits de la « tribu ».

- Celle-ci ! s’écria Gaston la désignant du doigt.

Lentement, le rétro-taxi se mit en route, le vent leur venait de face, si bien que la femelle ne pouvait les sentir.

Quand ils furent à distance convenable, Gaston se tournant vers son jeune collègue lui dit :

- A toi l’honneur, Emile, ne la rate pas !

Emile épaula, bloqua sa respiration, une goutte de sueur dégoulina le long de son cou, il pressa la détente….

Un petit claquement sec, la fléchette se planta dans le flanc de l’animal qui se retourna en direction des deux hommes.

Lentement la femelle avançait, retroussant ses babines, dévoilant davantage ses canines démesurées. A quelques mètres du rétro-taxi, elle vacilla, émis un énorme bâillement, puis s’affaissa d’un coup, levant un petit nuage de poussière.

Alors, très rapidement, Gaston et Emile sortirent, enveloppèrent l’animal dans un filet, puis remontèrent dans leur engin, Gaston actionna le treuil tandis qu’il voyait la meute venir à grand train vers eux.

La trappe eût juste le temps de se refermer, le mâle était déjà contre le flanc de l’appareil, humant celui-ci, et cherchant à ouvrir la porte avec sa puissante patte munie de griffes redoutables !

Un peu fébrile et suant la peur par tous ses pores, Gaston tapa sur le clavier la date du retour, il enfonça la touche « ENTER »…

ZZZZWIPPP !… L’engin devint transparent, les spaghetti bolognese étaient toujours là !

ZZZZWAPPP !… L’engin réapparu, tangua dangereusement, puis se coucha sur le côté. Le choc fit ouvrir la trappe. Réveillée, la femelle machairodus, déchira le filet, puis détala !

- Bordel à cul de nom de Dieu de fumier d’lapin ! s’écria Gaston Coutard, qu’est-ce qui s’est passé ? On devait émerger sur une place bien plane, pavée de jolis carreaux roses et gris, et au lieu de ça je suis sur un terrain caillouteux, planté de buissons ! Evidemment, ça n’est pas stable, bordel !

- PA… PA…

- Toi, Ducon, ne m’appelle pas Papa !

- C’est pas ce que j’ai voulu dire patron, regardez : vous vous êtes planté, vous avez programmé 1764 au lieu de 2764 !

- Merde !

C’est tout ce que Gaston trouva à répondre.


Le 30 juin 1764, commença en pays de Gévaudan, le plus horrible carnage qu'aucune bête n'avait commis jusque là !... La bête aurait fait entre 88 et 124 victimes selon les sources. Le Roi Louis XV lui-même s'en ému et envoya une compagnie de Dragons afin de venir à bout de la bête... En vain !

(ch'tiot crobard Andiamo)