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samedi 30 mai 2009

Mam'zelle KesskadieMarthe, Marthe ....

Pourquoi ces mots si doux, prononcés par le maître, résonnaient-ils encore comme un glaive au plus profond de sa chair ?

Marie avait toujours été si délicate. Et puis les parents de Marthe avaient demandé tôt à la petite fille d’être grande. Va chercher de l’eau au puit du village, pétris le pain pour maman qui est fatiguée, va chercher l’huile chez le marchand, balaie ce plancher.

Et puis Marie, le bébé, cette chose rose et souriante : Marthe, surveille la petite jusqu’à mon retour. Marthe, il y a les noces de la cousine Judith, garde bien Marie, surtout veille à ce qu’elle mange toute sa part. Marie refusait le pain, cherchait le miel, et Marthe, indulgente, ne savait rien lui refuser. Marie, le rayon de soleil de sa mère, la petite chatte assise sur les genoux du père, Marie dont il fallait couvrir les bévues, cacher les morceaux de la cruche cassée, Marie si jeune quand les parents moururent. Marie, la revanche de Marthe sur la vie trop grande pour les petits bras de sa sœur.

Et puis il y avait eu cette histoire de dot qui avait mal tourné. Marie n’avait pas pu épouser Jacob. Marthe avait pleuré en silence pendant que sa sœur avait sangloté des nuits entières. Devant l’injustice, Marthe n’avait que le recours des orphelines, la prière et le labeur de chaque jour. Il est vrai qu’elles auraient pu être plus dépourvues, il leur restait leur frère Lazare, mais plus d’espoir de mariage.

Puis il était venu. Jésus de Nazareth était passé dans leur vie. Une lumière sur la grisaille de l’occupation romaine, un baume sur son cœur de femme qui n’avait rien d’autre à faire qu’aimer sa sœur et Yahvé et servir son frère

Un homme qui répondait à sa soif de femme qui ne pouvait aimer un époux. Marthe ne se souvenait pas d’avoir ressenti quelque chose de si doux, si suave et si douloureux à la fois.

Jésus. Ce nom la remuait, la transportait, l’enflammait.

Jésus, murmurait-elle quelquefois pour elle même, comme une caresse secrète.

Voici que Jésus était dans leur demeure. Près d’elle, à côté de la place que tenait leur père, touchant la nappe tissée par la mère. Elle respirait le même air, goûtait au même pain.

Jésus... Jésus... mais il y avait les autres, douze, sans compter Marie et Lazare et le voisin qui s’était invité pour voir le maître. Alors, Marthe, qui voulait voir, qui voulait entendre, se mortifiait à chaque fois qu’elle devait s’éloigner pour aller chercher la corbeille, le vin, celui-là veut de l’eau, celui-là a échappé quelque chose sur sa tunique, celui-là lui parle de la fissure sur le mur arrière, celui-là, mais que dit encore le maître, Marthe avait peine et misère à saisir. Un ouvrier, une vigne, qu’est-ce que cette histoire ?

Et Marie, belle et fragile comme elle avait toujours sû l’être, était à ses pieds. Inutile et belle comme une orchidée au matin. Marthe, les joues rougies par la sueur, pour la première fois s’impatienta. Elle avait faim de son Dieu, réclama sa part de pitance.

« Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur me laisse servir toute seule ? Dis-lui donc de m’aider. »

Elle voulait aussi dire : « Maître, j’ai besoin de toi tout entier. Je voudrais être près de toi, remplir mes yeux de ton visage, remplir mon cœur de tes paroles, soûler mon être tout entier de ta présence, m’abandonner à toi... Je veux te donner le meilleur de moi-même. Je veux le service parfait pour le roi des rois, je veux que tu sois mis sur un trône dans cette maison, que tes moindre désirs à toi et tes amis soient comblés, Seigneur, je voudrais être toute-puissante et toute présente, Seigneur, viens à mon aide ! »

Et que dit le maître ?

« Marthe, Marthe… ta sœur a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »

Une gifle au visage, une humiliation telle que le cœur se change en pierre pour ne pas souffrir, une volée de flèches telles que tous les boucliers de son âme se levèrent en même temps et lui firent reprendre le service sans un mot, mais en serrant les lèvres pour ne pas laisser passer ni chagrin, ni remords, ni reproches.

Il fallait tenir la tête haute, il fallait tenir sa place et si elle était au service, elle servirait.

Puis Jésus partit.

Marie, insouciante et repue de cette rencontre s’endormit un sourire aux lèvres. Lazare dormait de son sommeil de juste. Lui, on ressusciterait un mort avant qu’il ne se réveille.

Marthe cherchait le repos, mais ses membres étaient de plomb et refusaient d’abdiquer à la détente. Les trompettes de son humiliation retentissaient encore et encore : Marthe, Marthe, tu t’agites… Marthe, Marthe, tu te soucies de beaucoup de choses… Marthe, Marthe… une seule suffit…. Marthe, Marthe…

Du coup, elle aurait voulu se nommer Judith, Esther, même Jézabel, n’importe qui, ne plus être celle qui portait ce reproche d’avoir choisi le travail épuisant.

« Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » gémit-elle.

Et puis le matin revint. Elle marcha jusqu’à la fontaine, sourit à la veuve d’Isaïe, lui glissant son morceau de pain quotidien.

Marie s’éveilla un peu tard comme à son habitude et , comme à son habitude, chantonnait en faisant sa toilette matinale, adaptant la prière rituelle à son humeur du jour. Marie, Marie.. celle qui a choisi la meilleure part.


Et puis le temps passa.

Il y eut ce drame terrible de la crucifixion du maître. Marthe ne pleura pas, elle n’en était plus capable. Elle dormait peu la nuit, revivant les tourments de la géhenne à entendre Jésus lui dire Marthe, Marthe…

Mais elle consola Marie, soigna Lazare qui avait prit une cuite du tonnerre à cette épouvantable nouvelle.

Quand sa sœur se fut endormie de chagrin et son frère de boisson, elle essaya de s’assoupir à son tour. Mais elle n’y arrivait pas, comme de coutume.

« Marthe, Marthe… » cette fois, l’appel semblait différent. Il ne ressemblait pas à son souvenir, mais à une demande de quelqu’un présent à côté d’elle.

Inquiète de ce sentiment, elle s’assied sur sa couche. Tendit la main pour prendre son voile et sursauta mais ne put crier, aucun son ne sortait de sa bouche.

Jésus était là.

« Maître, que fais-tu ici ? » s’entendit-elle penser.

« Je suis venu te visiter dans ton enfer. »

« Maître, maître, tu es couvert de sang. »

« Je souffre ce que tu souffres, répondit-il sans reproches.

« Maître, maître, dis-moi comment te délivrer de ma souffrance. »

« Le veux-tu réellement Marthe ? »

Si elle le voulait ? De tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, elle le désirait plus que sa vie. Elle n’avait plus souvenir de ce souper, elle n’avait que l’envie de souffrir seule sans que le maître n’en pâtisse.

« Alors, laisse moi passer à travers toi. »

« Maître, tu parles sans que je comprenne. »

« Laisse moi passer par l’amour que tu as ! »

Marthe se concentra sur le visage de Marie, sur Lazare, sur le souvenir de ses parents, elle essaya de trouver tous les souvenirs tendres de son enfance. Elle entendit la voix du maître, ressentit à nouveau la brûlure qui la consumait à chacune de ses visites.

Rien ne semblait bouger. Le maître était toujours devant elle, plaies ouvertes, visage crispé.

« Maître je ne peux pas ! Aide moi, je ne peux pas porter plus d’amour que j’en ai ! » supplia-t-elle intérieurement. « Je vous aime tant ! »

Jésus continua à la regarder avec ces yeux si doux : « Aime-toi comme tu m’aimes et que tu aimes ton prochain. Nous sortirons de l’enfer. »

« Mais tu m’as dit que je n’avais pas la meilleure place. »

Jésus lui sourit : « Ta place non plus ne te sera pas enlevée. Nous sommes à la même table. Tu seras rassasiée. »

Puis il disparut.

Puis la rumeur se répandit. Il était ressuscité. Incroyable, disait la rumeur du village, mais plusieurs se souvenaient qu’il avait sorti Lazare de son tombeau. D’aucuns prétendaient que Lazare n’était pas vraiment mort et que tout était supercherie.

D’autres, comme Marie. portaient à nouveau l’espoir en eux. Marthe souriait en lavant les coupes de vin du souper de voir sa sœur revivre.

Bien entendu, elle n’avait parlé à personne de son apparition nocturne, déjà qu’ils passaient pour un peu fous dans la famille.

Mais après avoir fini de ranger les coupes, elle en ressortit une, se versa à boire.

Devant Lazare et Marie ébahis par cette soudaine licence, elle leva sa coupe :

« Même avec un peu de vin, je ne serai pas déplacée… »

mercredi 27 mai 2009

Tant-BourrinLe gang des Pistoches

- Mounillon, la proie approche de ton secteur. Est-ce que tu confirmes ?
- Je crois que ça se précise, Commissaire : j'aperçois deux véhicules au bout de la rue... Oui, confirmation : ce sont bien une Kangoo grise et un Trafic blanc.
- Parfait ! Tiens-nous au courant de leurs faits et gestes...
- Ils se garent devant la bijouterie, Commissaire... Et ils commencent à décharger du matos sur le trottoir...
- Mounillon, est-ce que la bande est au complet ?
- Je vérifie... Apparemment, oui, j'ai dénombré sept individus.
- Cette fois, leur compte est bon !... Duriflard, tu m'entends ?
- Oui, Commissaire !
- Tenez-vous prêts, toi et Duglahoui, début de l'opération imminent. Je donnerai le top départ.
- Bien reçu, Commissaire !
- Rechignous, tu m'entends ?
- Oui, Commissaire !
- Même topo : tiens-toi prêt avec Kozwinsky et Vandefes, on y va bientôt !
- Bien reçu, Commissaire !
- Mounillon, préviens-moi dès qu'ils auront pénétré dans la bijouterie !
- Ça ne saurait tarder, Commissaire... Ça y est, ils ont réussi à ouvrir la porte. Et apparemment, ils ont bien désactivé l'alarme au préalable.
- Des pros, comme d'habitude...

Le Commissaire Paillancroix se frotta les mains de satisfaction. Cette fois, il tenait le gang des Pistoches. Trente ans qu'il attendait ça ! Trente ans passés à leur courir après, et voilà qu'arrivait enfin, après des mois de filature, de planque, de chasse aux tuyaux, le moment où il allait leur passer les menottes aux poignets !

- Commissaire !
- Oui, Mounillon ?
- Ça y est, ils sont tous dans la place, à part l'un d'entre eux qui fait le guet sur le trottoir.
- Celui-là, il est pour toi, Mounillon ! Rechignous, ils sont dans la pièce à côté de votre planque, à mon top, vous jaillissez pour cueillir tout ce joli petit monde ! Duriflard, tu prends l'entrée avec Duglahoui pour choper ceux qui auraient des velléités de prendre la poudre d'escampette !...
- OK, Commissaire !
- Attention... Go ! C'est parti !


Une demi-heure plus tard, le Commissaire Paillancroix savourait le succès total de l'opération en contemplant les visages hébétés des malfrats, menottés et solidement encadrés par des agents, assis sur les bancs du Commissariat.

Son regard allait de l'un à l'autre, illuminé d'un éclat de jouissance manifeste.

- Alors Duraffia, comme on se retrouve !... Et Breloussous !... Et Jépalunic !... Tiens, Dimitriescu, tu t'es laissé poussé la barbe ?... Et Moineau !... Et mon vieil ami Frimairland !... Toute la fine équipe est là ! Cette fois, c'est fait, on a gagné !

Oui, le Commissaire Paillancroix et ses hommes avaient gagné. Ils avaient gagné une partie de gendarmes et de voleurs commencée trente ans plus tôt dans la cours d'école, alors qu'ils étaient tous en classe primaire. Ils étaient les gendarmes, et les Pistoches, qu'on appelait comme ça car ils habitaient tous le quartier de la piscine municipale, jouait le rôle des voleurs.

Il était vite apparu que lui et ses gendarmes, récréation après récréation, peinaient à arrêter tous les voleurs. Ils en attrapaient un en lui tapant trois fois dans le dos, le mettait en prison près de la gouttière dans le coin de la cours, en attrapaient un deuxième, puis un troisième... Mais venait toujours un moment où l'un des voleurs encore en cavale parvenait à quitter son refuge (le petit abri des lavabos), à slalomer dans la cours entre les gendarmes et les autres élèves qui ne participaient pas au jeu, et à venir taper sur la main tendue d'un des voleurs prisonniers, les libérant ainsi tous de leur entrave virtuelle... Et tout était à recommencer.

Et cela recommença, encore et encore. La partie se prolongea de mois en mois, puis de classe en classe, puis de l'école primaire au collège, du collège au lycée...

La partie de gendarmes et de voleurs fit-elle naître des vocations ? Sûrement. Le jeu se poursuivit alors qu'ils étaient tous devenus des adultes : lui et ses copains intégrèrent naturellement la Gendarmerie nationale, alors que les Pistoches devinrent un vrai gang de voleurs, multipliant les pillages de banques et de bijouteries.

Trente ans de traque, cantonné au rôle de gendarme, qui s'achevaient enfin ce soir-là. Trente de frustration aussi : combien de fois avaient-ils réussi à emprisonner six des voleurs près de la gouttière avant que le septième et dernier membre des Pistoches ne surgisse et, d'un cadrage-débordement magistral, n'évite les mains des gendarmes pour aller libérer d'une tape ses complices en ruinant tous les efforts accomplis jusque-là ? C'était surtout Gonzales qui leur avait fait souvent mal : celui-là avait de sacrées cannes, il aurait pu faire un satané trois-quart aile dans une équipe de rugby !

Tout à coup, le visage du Commissaire blêmit.

- Nom de Dieu ! Gonzales ! Où est Gonzales ? Il nous manque Gonzales !!!... Mounillon, tu nous avais dit que la bande était au complet !?
- Heu... Bin, il me semblait bien avoir dénombré sept personnes, mais... heu... il faisait très sombre et leur camionnette me gênait un peu pour bien voir et...

Le Commissaire Paillancroix se frappa le front du plat de la main.

- Bon sang ! On n'a pas cueilli Gonzales ! Il se promène toujours dans la nature !
- Dans la nature tu dis, Paillancroix ? Non, non, je suis là !

Gonzales venait de surgir dans la pièce et se tenait à proximité de ses aclytes menottés.

- La porte du Commissariat était ouverte, alors je me suis permis de vous rendre une petite visite de courtoisie !

Et avant que quiconque ait pu esquisser le moindre geste, il claqua la paume de sa main contre celle de Duraffia.

- On dirait que t'as encore perdu, Paillancroix !
- Eh merde !... Rechignous, c'est bon, enlève-leur les menottes, c'est pas pour cette fois... Et vous, les Pistoches, maintenant, filez !

Les larmes aux yeux devant le gang qui quittait la pièce en fanfaronnant, il ajouta en trépignant presque :

- Vous avez eu du pot cette fois encore, mais je vous jure qu'on finira par vous avoir ! Oui, on vous aura un jour et, après, ça sera à nous de faire les voleurs, na !

vendredi 8 mai 2009

Tant-BourrinComic blog

Allez, une petite chanson pour vous mettre du coeur à l'ouvrage. Un petit vent de gaîté discret et léger, je l'espère, pour la journée...

Et mille pardon au grand Serge Gainsbourg dont j'ai détourné la chanson "Comic strip" ! D'aucuns diront que c'est un sacrilège, mais je préfère y voir un hommage croisé à celui-ci et à son Evgeni Sokolov...



Comic blog

Paroles : Tant-Bourrin (d'après Serge Gainsbourg)
Musique : Serge Gainsbourg


Téléchargeable directement ici

mercredi 6 mai 2009

Saoul-FifreSur une idée de Margotte

Léonard Nadaud était le dernier d'une longue lignée d'épiciers de village. Vous savez, ces bienfaiteurs de l'humanité qui tenaient l'unique bar, la seule pompe à essence, le stock de bouteilles de gaz, qui étaient ouverts de l'aube au coucher du soleil, sept jours sur sept, et à qui vous pouviez demander ce que vous vouliez, ils l'avaient dans leur stock sans fond et sur leurs kilomètres de rayonnages.

Ils faisaient aussi dépôt de pain et sillonnaient les chemins vicinaux avec un vieux tube Citroën jusque dans les hameaux isolés pour dépanner les vieux et tous les petits paysans non motorisés.

L'unique téléphone de la commune, le téléphone public était chez eux. Ils faisaient le bonheur des enfants avec leurs bocaux de verre remplis de boules de gomme, de caramels à un franc et de bâtons de réglisse, et ils étaient toujours partants pour faire cuire une omelette à quatre heures de l'après-midi pour un pauvre citadin épuisé.

De vrais anges ruraux, je vous dis.

Et puis la modernité a fondu sur les campagnes avec ses doigts crochus. Tout le monde s'est équipé d'une automobile, s'est mis à comparer les prix avec ceux du supermarché tout proche et ce "brave Léonard" devint "Léo l'arnaqueur", du jour au lendemain. On le regardait avec suspicion, les bruits les plus fous coururent sur lui. La clochette de la porte d'entrée du magasin ne sonna plus qu'épisodiquement pour un jour, ne plus sonner du tout.

Léonard fut obligé de tout mettre en vente, même quelques terres proches du village qu'il achetait lors de sa période flamboyante, dès qu'il avait quelques économies de côté. Il ne conserverait qu'une mauvaise bicoque pour y habiter.

Les candidats ne se bousculèrent pas au portillon. Il y avait un gros stock, dont une partie périssable. Même s'il baissait son prix, les candidats secouaient la tête, désolés. Au bout de deux ans, une bande de chevelus-barbus se présenta, et après une ultime discussion, obtinrent un rabais supplémentaire et emportèrent le morceau.

Ils étaient jeunes, dynamiques, les inscriptions d'enfants permettraient de pérenniser une classe et la cour de l'école retentirait à nouveau de rires aigus. Le maire les aida à racheter un grand bâtiment de ferme ainsi qu'une quarantaine d'hectares. Leur "magasin général" redevint le centre de vie du village. Ils organisèrent des spectacles dans l'arrière salle du café et l'un d'eux s'occupa de redynamiser le Comité des Fêtes et d'en prendre la présidence. Ils s'impliquaient dans la vie communale, rendaient service. Ils se relayaient pour rendre visite aux personnes âgées, voir si elles avaient besoin de quelque chose. Le Mardi, une espèce de marché s'organisait dans la grande salle : les producteurs environnants amenaient ce que les habitants leur avaient commandé la semaine précédente et prenaient les commandes pour la suivante. Cela permettait d'avoir des produits frais, pas d'invendus, et de programmer par exemple l'abattage d'une grosse bête que chacun pourra mettre au congélateur ou s'associer pour la consommer de suite.

Et surtout, par leur gaieté, ils reinitiaient une vraie vie sociale. Le soir, des parties de boules s'organisaient derrière l'épicerie, le bar ne désemplissait pas et tous les âges délaissaient leur téléviseur pour venir se distraire in vivo autour de la grande cheminée monumentale. Les veillées intergénérations d'antan, où l'on draguait, où l'on perçait les abcès relationnels avant qu'ils ne s'enveniment, où l'on improvisait des contes, des chansons sur la base de ce qui nous était arrivé pendant la journée, retrouvaient leur vivacité authentique. On y jouait aux cartes, aux échecs, mais on y travaillait également : on y pelait les châtaignes, on y tricotait, ou bien on y réinventait une démocratie participative.

Un qui était furax du succès rencontré par les esstrangers, c'était Léo l'arnaqueur. Il avait beau grincer des dents, appeler au boycott contre les marginaux, ces mal-lavés, on lui rétorquait : "Mais avec leur système, ils sont encore moins chers que Géant Canivo ! Et en Bio, en plus ! Tu n'es qu'un jaloux !"

L'œil de Léonard Nadaud se mit à briller d'une méchante lueur en lisant la Une de "La montagne". Voilà l'idée de vengeance qu'il cherchait depuis un moment. Il enfila des gants, prit une feuille de papier vierge au milieu du paquet, un stylo-bille et commença à écrire :

"Messieurs,

je suis un honnête citoyen et c'est le sens du Devoir ainsi que le respect de nos Lois sans lesquelles il n'est pas de Société viable qui me poussent à vous faire part de graves agissements terroristes dont le hasard m'a rendu témoin.

J'accuse avec force la communauté d'activistes anarchistes dont la base de repli est l'épicerie de Tarnac, en Corrèze, d'être les auteurs des honteux sabotages effectués récemment contre les caténaires de la SNCF.

Et en particulier leur chef, le dangereux Julien Coupat.

Signé : Un ami de la République, qui désire rester anonyme par modestie"

Ce dessin génial est de Jean-François Batellier. Je ne saurai trop vous recommander d'aller sur son site . Une liberté de ton de ce tonneau là se fait de plus en plus rare. Pour pas cher, vous pourrez lui commander quelques-uns de ses bijoux tendres ou féroces, ou carrément un de ses albums. Il le mérite et vous ne le regretterez pas.