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mercredi 29 octobre 2008

Tant-BourrinMonsieur Bouseux


Monsieur Bouseux habitait dans une jolie ferme, près de Purinville.

Tous les jours, il grattait la glaise pour faire pousser de jolies céréales et de jolis légumes. Il élevait également quelques chèvres qui lui donnaient le meilleur lait de toute la région. Mmm, un vrai délice dont Monsieur Fromgom, le crémier, tirait le crottin de chèvre le plus savoureux de tout Purinville.

Et à propos de crottin, Monsieur Bouseux avait depuis plusieurs jours un léger souci : Chevrotine, sa plus belle biquette, était très constipée. Plus la moindre crottounette ! C'était comme si un barrage avait été construit sur la rivière à caca de la pauvre bête !

La chose était fort ennuyeuse car les matières fécales continuaient néanmoins de s'accumuler dans le ventre de Chevrotine. Celui-ci était tout gonflé, et la pauvrette en bêlait sans fin de douleur : "bêêêh ! bêêêh !"

Monsieur Bouseux décida donc de prendre les choses en main et de soigner Chevrotine. Comme il se méfiait plutôt des vétérinaires du coin, des charlatans tout juste bons à mettre son cheptel sous antibiotique à la moindre occasion, il décida de mettre en pratique une vieille recette familiale qu'il tenait de sa grand-mère qui elle-même la tenait de sa grand-mère qui elle-même... bref, une recette qui remontait sûrement à la nuit des temps quand les ancêtres de Monsieur Bouseux soignaient la constipation des mammouths !

Il prépara donc une mixture laxative en pilant du ricin, de la bourdaine, du lin, de la rhubarbe et des figues, la malaxa avec un peu de graisse d'oie rance et la modela au creux de sa main pour lui donner une vague forme de suppositoire.

"Et voilà, dit Monsieur Bouseux, avec ça, ça m'étonnerait que ta constipation fasse long feu, ma biquette !"

Et, alors que Chevrotine lui tournait le dos, il enfourna le suppositoire artisanal dans le trou de balle de la petite chèvre et l'enfonça profondément avec son doigt pour être sûr qu'il ne ressortirait pas.

"Mêêêêêêêh !" fit Chevrotine.
"Il n'y a pas de mêêh", répondit Monsieur Bouseux, faisant sienne une plaisanterie éculée.

Il retira son doigt et le mit dans sa bouche pour le nettoyer de sa salive. Puis il fit demi-tour pour retourner vaquer à ses activités, qui consistaient ce matin-là à épandre du fumier dans le potager.

C'est au moment où il allait se saisir de sa fourche...

PAN !

...qu'il entendit une détonation, suivie d'un bruit de verre brisé.

Il se retourna. Rien, sinon Chevrotine, qui lui tournait toujours le dos.

Heureuseument pour lui, les sens aux aguets de Monsieur Bouseux lui permirent de déceler in extremis le très léger raidissement des muscles fessiers de sa biquette. En une fraction de seconde, il comprit ce qui se passait, juste avant que ne claque la seconde détonation...

PAN !

Il plongea juste à temps dans le tas de fumier pour éviter d'être atteint par la seconde crotte de bique que venait d'expulser bruyamment Chevrotine, avec une violence telle qu'une seconde vitre avait explosé.

Monsieur Bouseux se laissa rouler derrière le tas de fumier. Ça crépitait de partout. Les gaz intestinaux comprimés de sa chèvre, aidés par le pouvoir hautement laxatif de son suppositoire, projetaient en rafale les petites crottes, comme une mitraillette : tacatacatacata !...

"Bigre, aurais-je un chouia trop forcé sur la bourdaine ?", se demanda Monsieur Bouseux.

Quand, une dizaine de minutes plus tard, les tirs cessèrent enfin définitivement, Monsieur Bouseux, maculé de fumier, émergea de son abri, songeur.

Il contempla sa biquette, dont le ventre était enfin dégonflé et dont le derrière, rougeoyant, fumait encore. Il regarda ensuite la façade de sa ferme, les traces d'impact sur les vieux murs. Puis il réfléchit. Il sentait qu'il y avait une bonne idée à tirer de tout ça.

Tout à coup, une petite ampoule s'alluma au-dessus de sa tête : il avait trouvé.

Trouvé quoi ? Mystère ! Toujours est-il que, dès le lendemain, il partit avec une brouette pleine de tablettes de chocolat dans le champ derrière sa ferme où paissaient le troupeau de vaches de son voisin, Monsieur Glaiseux. Il en fit de même le lendemain, et le surlendemain, et les jours d'après.

Jusqu'à ce jour où, jugeant que le ventre des dites vaches lui paraissait suffisamment sous pression (car, vous l'avez deviné, il avait donné le chocolat à manger aux vaches pour les constiper), il guida l'une d'entre elles hors du pré, jusqu'à sa ferme et orienta le fion de celle-ci vers les vieux murs décrépis.

Car l'idée de Monsieur Bouseux était simple et géniale à la fois : les crottes de biques sont petites et dures, mais les bouses de vaches sont bien volumineuses et molles. Projetées sous pression sur les murs de sa ferme, elle referaient à peu de frais un joli crépi bien peu coûteux !

Monsieur Bouseux procéda donc d'une façon similaire à celle qu'il avait employée avec Chevrotine : il prépara un suppositoire laxatif et l'enfourna dans la vache, sauf que cette fois il l'enfonça carrément tout son avant-bras dans le trou de balle du bovin.

Puis, ayant cette fois-ci pris le soin de ne pas rester dans l'axe de tir, il attendit que son remède fasse effet.

Et, apparemment, cela n'allait pas tarder à être le cas : la vache gesticulait, en proie à d'apparente douleurs abdominales insoutenables, en meuglant à fendre l'âme : "meuuuuuuuuuuh" !

Et tout à coup...

BOUM !!!

... comme un immense coup de canon, suivi d'un bruit de gravats qui s'effondraient. Monsieur Bouseux sursauta, puis regarda, interdit, le mur de sa ferme : il y avait un gros trou en plein milieu !

BOUM !!!

Le canon bovin venait de tonner de nouveau, créant de nouveaux dégâts sur le mur.

"Sacrebleu, se dit Monsieur Bouseux, cette fois, c'est peut-être sur le chocolat que j'ai trop forcé ! Les bouses semblent aussi dures que des obus !"

Mais il était trop tard pour arrêter le processus. Les explosions se succédaient comme en un immense feu d'artifice, soumettant la ferme de Monsieur Bouseux à un bombardement en règle.

Quand celui-ci prit fin, il ne restait plus rien ou presque de la ferme de Monsieur Bouseux, qui en fut fort marri.

Il contempla la vache, dont le ventre était enfin dégonflé et dont le derrière, réduit à l'état de cratère sanguinolent, fumait encore. Il regarda ensuite la ruines de sa ferme, les murs transformés en gravier. Puis il réfléchit. Il sentait qu'il y avait une bonne idée à tirer de tout ça.

Tout à coup, une petite ampoule s'alluma au-dessus de sa tête : il avait trouvé.

Trouvé quoi ? Aucun mystère : le lendemain, il signait un contrat d'exclusivité sur son procédé de fabrication de canon bovin avec un gros fabricant d'armement, contrat qui allait lui assurer de substantiels revenus jusqu'à la fin de ses jours.

Il s'acheta alors une gigantesque villa luxueuse sur la Côte d'Azur et s'y installa avec sa biquette Chevrotine. Et ils vécurent heureux, mais n'eurent jamais d'enfants car ils n'avaient que des rapports protégés.


Voilà, l'histoire est finie, il est temps de faire dodo, les enfants. Faites de beaux rêves !

mercredi 22 octobre 2008

Tant-BourrinTrou noir

Edouard était posé là, à ne rien faire sinon tourner des pensées molles dans son esprit, doucement bercé par le flot soporifique de la radio que Pélagie avait allumée dans la cuisine.

Le chapelet de nouvelles plus ou moins tragiques égrené par le journaliste le laissait totalement de marbre. Il ne se sentait nullement concerné par ces conflits armés, ces scandales financiers, ces faits divers sordides : tout cela relevait d'une humanité - ou plutôt d'une inhumanité - dont il ne faisait clairement pas partie, dont il ne voulait pas faire partie.

Pourtant, ce jour-là, une information le tira de sa torpeur cotonneuse : il y était question de la mise en service prochaine d'un immense accélérateur de particules à la frontière franco-suisse.

Entendons-nous bien : ce n'est pas la performance scientifique que cela représentait qui fit quasiment sursauter Edouard - la chose lui était relativement indifférente - mais plutôt les craintes formulées par deux scientifiques selon lesquelles - le journaliste en pouffa presque - celle-ci pourrait générer un trou noir qui engloutirait la planète.

La fin du monde était donc peut-être pour les heures qui allaient suivre. Edouard sentit un frisson froid qui le parcourait.

Indifférente à tout cela, Pélagie continuait à vaquer dans la cuisine. Beati paupere spiritu et toutes ces sortes de choses... Avait-elle seulement mesuré la portée de ce qui venait d'être dit ?

Le flash d'actualité achevé, la radio crachotait maintenant une chansonnette d'amour insipide. Le décalage entre celle-ci et le tragique de la situation était tel qu'il ne put s'empêcher de songer à l'orchestre continuant à jouer sur le Titanic s'enfonçant dans les flots.

Non. Il ne fallait pas céder à la panique. Le journaliste l'avait bien claironné : la communauté scientifique avait conclu que le risque de créer un tel trou noir mondophage était nul. Les deux scientifiques étaient des charlots qui trouvaient là l'occasion d'avoir leur quart d'heure de gloire à peu de frais.

Et pourtant...

Edouard était si tendu qu'il sursauta quand Pélagie éternua.

Il en sourit intérieurement. "Du calme, garçon ! Ce n'est pas encore la fin du monde !"

Peu à peu, il se raisonna et retrouva finalement un semblant de calme. Quel ballot il avait été de céder à la panique ! Oui, assurément, les scientifiques du CERN savaient ce qu'ils faisaient, ils ne mettraient pas leur propre vie en jeu s'il y avait le moindre risq...

Edouard se raidit subitement.
Il entendit.
Il vit.
Il pâlit.

Là, face à lui et qui se rapprochait, il y avait... quelque chose.
Affreux.
Enorme.
Monstrueux.

Un trou noir.

Edouard se sentit happé, soulevé de terre et rapidement englouti par la chose. Dans une indicible horreur, il sentit tout son être se noyer, se dissoudre, être littéralement absorbé jusqu'au néant absolu dans les ténèbres et dans une odeur soufrée qui lui semblait préfigurer l'enfer.

C'est ainsi, un jour que Pélagie se sentait grippée et qu'elle avait voulu se soigner, que mourut Edouard le suppositoire.

mercredi 15 octobre 2008

Tant-BourrinL'action Blogborygmes dans la tourmente

BOURRINVILLE (agence Rôteurs) La tourmente qui embrase la sphère financière semble avoir trouvé son point d'orgue hier avec l'incroyable effondrement de l'action Blogborygmes S.A. Inc. Ltd, valeur phare du Caque-Hareng, à la Blogbourse de Bourrinville.

La séance avait pourtant bien commencé pour le titre puisque, malgré une ouverture à près de 143 euros, en légère baisse par rapport à la veille, le cours était durant la première heure de cotation brièvement repassé dans le vert. Cette légère embellie devait toutefois se révéler n'être qu'un court répit pour une valeur fortement malmenée sur les marchés depuis des mois, en dépit d'un rating AAA+ maintenu contre vents et marée par l'agence de notation financière Tant & Boorrin's.

L'action devait en effet sévèrement dévisser de près de 50% peu avant 10 heures à l'annonce des résultats trimestriels calamiteux du département "diversification & produits dérivés" du groupe : les ventes de Blogbodents ont diminué de 50% (un tube vendu contre deux le trimestre précédent), la gamme de patchs a dû être retirée en urgence du marché après un quatrième décès d'utilisateur, la gamme "Blogbo beauty" est exsangue après la disparition de son principal fournisseur et les nettoyants pour WC "eau marron" semblent stagner en eaux troubles.

Les traders devaient toutefois retrouver un semblant de calme durant les dernières heures de la matinée après un communiqué officiel de la Direction de Blogborygmes S.A. Inc. Ltd annonçant qu'un second tube de Blogbodents venait in extremis d'être vendu à un inconnu vêtu d'un grand imperméable au col relevé et portant des lunettes noires, assurant ainsi la stabilité du volume des ventes trimestrielles.

L'action devait même retrouver un semblant d'attrait peu après midi avec l'information selon laquelle la Banque Root intégrait Blogborygmes S.A. Inc. Ltd dans sa focus list et confirmait son opinion de surperformance avec un objectif de cours de 350 euros.

L'euphorie des traders fut hélas de courte durée puisque dès 12h15 la Banque Root opposa un démenti formel à la dépêche précédente, précisant qu'elle émanait d'un membre indélicat de son service de nettoyage, un certain Hippocrate K. Nasson, proche parent d'un membre fondateur du groupe Blogborygmes S.A. Inc. Ltd, et qu'il y avait là manifestement une tentative frauduleuse de manipulation du marché.

De façon quasi concomitante, un communiqué de la Commission des opérations de bourse (COB) annonçait le lancement d'une procédure d'enquête à l'encontre de l'agence de notation financière Tant & Boorrin's après que l'on eût découvert que l'un des membres fondateurs du groupe Blogborygmes S.A. Inc. Ltd dirigeait également l'agence de notation susnommée et aurait selon certaines sources abusé de cette double casquette.

Le cours de Blogborygmes S.A. Inc. Ltd s'effondrait alors rapidement de plus de 65% pour tester la barre des 40 euros.

Hélas pour des traders de plus en plus tétanisés, l'annonce faite peu après de l'arrestation et de la mise en examen de Tant-Bourrin, co-Président de Blogborygmes S.A. Inc. Ltd, n'était pas de nature à les rassurer. Celle-ci a au contraire consolidé le trend inexorablement baissier de l'action, qui devait alors enfoncer successivement les barres des 40, des 30 puis des 20 euros.

Les analystes financiers, déjà soumis à rude épreuve dans cette affaire, durent s'arracher les cheveux en fin de journée avec un flux quasi continu de d'informations particulièrement négatives pour la santé du titre : révélations de Manou sur les pratiques de gouvernance douteuses de Tant-Bourrin et de Saoul-Fifre, les deux co-fondateurs de Blogborygmes S.A. Inc. Ltd ; rumeurs autour d'une diminution de la périodicité des publications bloguesques du groupe ; révélations d'Andiamo sur l'exploitation de personnes du troisième âge ayant dépassé l'âge légal de la retraite pour la préparation de billets ; découverte de données manifestement maquillées dans business plan à cinq ans afin de dissimuler l'extrême fragilité du modèle industriel de Blogborygmes S.A. Inc Ltd ; etc.

Dans un marché totalement déboussolé, l'action perdait alors en fin de séance le peu de valeur qui lui restait pour clôturer à 2,36 euros, en baisse de près de 99% sur la journée. Et encore le titre doit-il sa survie à de mystérieux ordres d'achat en provenance de Bourrinville qui ont évité un effondrement complet du titre.

Interviewé à sa sortie de garde à vue, Tant-Bourrin s'est déclaré confiant sur les capacités de son groupe à rebondir et a indiqué que le placement sous la protection de la loi sur les faillites n'était pas une option envisagée par Blogborygmes S.A. Inc. Ltd, invitant "actionnaires, clients, lecteurs et salariés à garder une foi inébranlable dans l'avenir du groupe".

A l'issue de cette déclaration, faite à l'aéroport de Bourrinville, M. Tant-Bourrin a pris place dans un vol à destination des Bahamas.

© 2008 Agence Rôteurs Limited

vendredi 10 octobre 2008

Saoul-FifreBlogboroscope

Faites attention, Béliers, on veut vous tondre la laine sur le dos.

Scorpions, vous vous piquez d'être empoisonnants. Ce n'est pas une qualité.

Capricornes, vous faites ce que vous voulez, mais je vérifierais soigneusement l'emploi du temps de mon conjoint, à votre place.

Surveillez votre facture d'eau, les Verseaux.

Lions, vous croyez courir après les gazelles ? Elles ne feront qu'une bouchée de vous.

Taureaux, un nabot arrogant en costume bling-bling cherche à vous dorer la pilule.

Pour vous Poissons, des problèmes d'ouïe en perspective.

Gémeaux, ne fréquentez pas les bars, les gens vous y voient double.

Relevez la tête, Vierges ! Vous êtes les seuls en mesure de prouver à vos amours que vous leur dites la vérité.

Sagitaires, ça vous semble sage, ITER ?

Vous les Balances, méfiez-vous de vos penchants !

Cancers, vous l'attraperez.

mercredi 8 octobre 2008

AndiamoNelly

"Bonsoir, je m'appelle Nelly". La voix chaude que Francis vient d'entendre, lui parvient au travers des écouteurs de son casque radio, il est animateur de l'émission "la nuit est à vous", sur radio 68 (en référence aux évènements de la même année).

Francis occupe bénévolement ce poste depuis juin 81. Les radios "libres" fleurissent sur les ondes FM, plus ou moins légales, elles ne sont pas moins présentes, et puis le ras-de-marée rose ayant tout balayé, chacun est en droit d'attendre un véritable changement, voire un bouleversement.

Toujours est-il qu'il est présent de 23 heures à 1 heure, un créneau qui réclame beaucoup de tact, de compassion, de psychologie.

"La nuit est à vous" permet à des auditeurs, insomniaques pour la grande majorité, de se confier sous couvert d'un anonymat absolu, un peu comme nos forums, ou nos blogs.

Il y a bien sûr des dérapages, des plaisantins, des noctambules un peu chargés, adorateurs de la dive, mais ces débordements restent assez confidentiels.

La grande majorité des intervenants est dans une véritable détresse. Francis est là pour laisser parler, ni conseils, ni jugements... L'écoute attentive.

La jolie voix est profonde, on y sent une émotion, un très léger tremblement trahissant les larmes toutes proches : "quel Dieu permet autant de solitude" ?

Puis le claquement sec du combiné que l'on raccroche, Francis reste coi, lève les sourcils en regardant Charlot dans son aquarium.

Charlot, c'est le technicien, celui qui est chargé d'envoyer sur les ondes. Cette station, ils l'ont bricolée eux-mêmes, un local dégoté à Aulnay, des matériaux de récup', Charlot travaille à la maison de la radio, deux ou trois copains électroniciens ou mécanos, tous animés du même désir : pouvoir s'exprimer librement, tout en respectant l'étique la plus élémentaire !

Reprenant ses esprits, Francis enchaîne : "un peu de nostalgie".

Sur la platine, Charlot à posé un 45 tours de Léo Ferré de 1952 : "l'île Saint-Louis".


L'île Saint-Louis en ayant marre
D'être à côté de la Cité...


Hors micro, Francis s'adresse à Charlot : "Non mais t'as entendu ça, mon pote ?"

Ouais, quelle détresse, ça me fait tout drôle !

Elle a raccroché très vite, je n'ai même pas eu le temps de dire un mot.

Bah ! De toutes façons, y'avait pas grand'chose à ajouter.


Quand on est une île
On reste tranquille
Au coeur de la ville
C'est ce que l'on dit
Pour les îles sages
Pas de grands voyages
Les livres d'images
Se font à Paris


La chanson terminée, Francis enchaîne l'émission, autres problèmes, autres détresses.

A une heure, Charlot et lui ferment "la boutique", poignée de mains sur le trottoir : "à demain". Puis l'animateur rentre chez lui, la vieille 4L rouge, cabossée, peinture délavée, démarre à la troisième sollicitation.

Le chemin du retour parcouru comme un automate jusqu'à La Courneuve. A cette heure, la circulation est plus que fluide.

Dans la tête de Francis, la même phrase revient en boucle : "quel Dieu permet autant de solitude ?"

Il habite un vieil immeuble, près de la gare, autrefois des maraîchers, aujourd'hui le béton, la brique, le bitume mouillé. Trois étages avalés vite fait, la porte palière bien écaillée, il ouvre.

L'appartement d'un célibataire, ou plutôt d'un divorcé (surtout ELLE qui a voulu divorcer), les chaussettes par terre dans la salle de bains, un reste de boîte de conserves dans la casserolle sur la gazinière. Il craque une allumette, une petite fringale. Il est deux heures, debout dans la cuisine, le cul appuyé contre la machine à laver, il trempe un morceau de pain rassis à même la casserole, et se "délecte" du reste de cassoulet de son dîner du soir.

Il se déshabille, toujours cette phrase qui tourne dans sa tête, couché il ne trouve pas le sommeil... Quel est le...

Enfin, alors que le jour commence à poindre à travers les lames des stores vénitiens, Francis s'endort enfin.

Une courte pause, car à sept heures le grelot du réveil le tire de sa torpeur, il faut aller au boulot.

En dehors de son bénévolat sur "radio 68", il est mécano de piste chez U.T.A. au Bourget. Une douche vite fait, pas le temps d'avaler un café, et le voilà parti, heureusement le boulot n'est pas très loin.

La journée s'écoule : intervention sur un DC 10 ou un Boeing 707, des petites choses, pour les réparations plus importantes, il convient d'immobiliser les appareils.

La journée terminée, Francis rentre chez lui, après avoir bu un demi avec son collègue André, au bar "La Caravelle" face à l'aéroport.

Il est 19 heures 30, il prépare son dîner, vite fait le dîner : une tomate coupée en rondelles, sauce toute prête, boîte de raviolis au goût de ferraille garanti, un morceau de camembert durci par le séjour au frigo, pas bien ragoûtant tout ça !

Il a allumé la télé, un vieux poste Philips en noir et blanc, on y commente encore la victoire du PS : entre ici, François... Ta rose à la main !

Après le JT présenté par Jean-Claude Bourret, Francis va se coucher un peu, il lui faudra se relever à vingt-deux heures pour animer son émission quotidienne.

- Salut Charlot ! Salut mec, alors t'as l'jus ?

- Mmmh, pas trop, tu sais cette Nelly n'a pas arrêtée de me trotter dans la tête !

- Bon, n'y pense plus, si ça s'trouve son mec est rev'nu, elle s'est p'têt envoyée en l'air toute la nuit, elle aura eu un coup d'mou !

- AH ! AH ! AH ! Un coup d'mou, il ne devait pas être mou son mec par contre ! Et il rit de sa boutade.

L'émission reprend avec son lot quotidien de désespoirs, de solitudes, de ras-le-bol, et parfois aussi de coups de gueule.

- Bonsoir, je m'appelle Nelly...

- Oui ? répond Francis qui vient de se redresser, comme propulsé par un ressort. Bon... Bonsoir Nelly, je vous écoute, mais ne raccrochez pas brutalement comme hier soir !

- Quel Dieu permet autant de solitude ?

- Nelly, cela va peut-être vous sembler dérisoire, mais je vous écoute, vous n'êtes plus tout à fait seule.

Dans ses écouteurs, Francis perçoit un profond soupir, puis le claquement sec du combiné.

- Elle a remis ça ! T'as entendu Charlot ? Putain, j'aurais voulu lui parler, quelle détresse, ça m'fout des frissons partout !

- Mets une 'tite laine mon pote, ça va passer...

- Déconne pas, moi elle me bouleverse cette nana.

Le soleil de Nicoletta finit de mourir sur la platine, Francis et Charlot bouclent "la nuit est à vous", un "hasta luego" lancé sur le trottoir, la 4L qui ronronne au second coup de démarreur (un miracle) ! Le trajet retour, le reste de raviolis avalé adossé à la machine à laver, le sommeil qui vient mal.

Toute la journée, Francis n'a cessé de penser à Nelly, vivement ce soir, vivement ce soir... Entendre sa voix.

Nelly ne s'est pas manifestée, rien, aucun appel, il est rentré se coucher un peu triste, un peu inquiet ausssi, même nuit agitée... Une journée banale, la trappe du 727 qui ne se verrouille pas très bien, règlages, essais... Tout est O.K.

"Une lettre pour toi, Francis", crie Charlot en voyant entrer son copain dans le studio, l'enveloppe tenue au-dessus de sa tête. "Donne-la moi, déconne pas", hurle Francis. En se marrant, Charlot tend la lettre à son pote : "ben dis-donc, elle en a mis du temps c'te bafouille avant d'arriver ! elle a dû passer par les égouts ! Gaffe le timbre, c'est un Cérès de Mazelin, il date de 1945 ou 46 !

Mouais, répond un Francis dubitatif, puis il ouvre délicatement l'enveloppe après l'avoir sentie, un léger parfum de lavande imprègne cette dernière, une lettre écrite sur du papier à petits carreaux 5x5, une écriture fine, serrée, appliquée, avec des pleins et des déliés, comme l'écriture d'une petite fille, écrivant avec une "Sergent Major".


Cher Monsieur.

Parler dans un combiné, n'est pas commode, vous semblez tellement à l'écoute de vos auditeurs, que j'aimerais vous rencontrer, si toutefois vos obligations vous le permettent.

Vous voir après votre émission me serait d'un grand secours.

Je sais ce que ma requête a d'incongru, mais je vous en prie : venez !

J'habite au 12 avenue du président Wilson à la plaine Saint Denis, 6ème étage, porte droite.

Nelly.


Emu, interloqué, Francis tend la lettre à Charlot, ce dernier la lit, puis l'air goguenard : "ben dites-donc M'sieur Duss, vous allez conclure !", reprenant la réplique des "bronzés".

Ne dis pas d'conneries, Charlot, elle est complètement paumée cette femme !

Après l'émission et un "au revoir" précipité qui a fait sourire le technicien, l'animateur rejoint l'autoroute A1, sort à la porte de La Chapelle, puis emprunte l'avenue Wilson, ralentit devant le numéro douze, et enfin gare sa vieille 4L un peu plus loin.

L'immeuble est un peu vieillot, semblable à ses voisins, le hall est propre, les escaliers cirés, un immeuble bien entretenu, six étages montés en souplesse, Francis se retrouve face à la porte palière, un bristol épinglé, un seul mot : NELLY. Il frappe...

Le lendemain, Charlot attend vainement Francis, pour se faire pardonner auprès des auditeurs, il a prétexté un malaise passager de l'animateur, il leur passe des disques à la demande. Il a tenté plusieurs fois de le joindre... En vain.

Le lendemain, après avoir téléphoné sans recevoir de réponse, Charlot passe à La Courneuve, nous sommes samedi, il ne travaille pas, coups frappés à la porte : le silence.

Dimanche et lundi matin, idem, alors il se rend au commissariat, y fait une déposition, le jeune inspecteur l'interroge.

- Vous dites qu'il avait rendez-vous avenue Wilson au 12 ?

- Ben oui, il m'a fait lire sa lettre, même que cette Nelly habite au sixième étage.

- Bon écoutez, on va y aller, c'est à côté, vous venez ?

- Oh oui !

Sympa, ce jeune inspecteur, tout au long du trajet il tente de dédramatiser : allez, ils seront restés coincés ! Ne vous en faites pas !

La R18 banalisée est garée face au douze, les deux hommes descendent, le jeune inspecteur va pousser la porte de l'immeuble, quand surgit une dame âgée d'une soixantaine d'années, l'inspecteur s'efface, puis l'interpelle.

- Bonjour Madame, inspecteur Brochard, se présente-t-il en montrant sa carte, vous connaissez bien l'immeuble ?

- Ça oui ! J'y suis née en 1920 ! Et je ne l'ai jamais quitté !

- Bien, bien, alors vous devez connaître une locataire qui habite au sixième ?

- Mais il n'y a pas de sixième ! Ou plutôt il n'y en a plus ! Il a été touché par un obus en 1945, au moment des bombardements de "La Chapelle", tout l'étage avait été gravement endommagé. Alors plutôt que de le reconstruire, et refaire une toiture neuve, le proprio de l'époque a préféré faire raser ce qui restait de l'étage, et construire une terrasse, au lieu d'un bon vieux toit en zinc. Il paraît qu'au cinquième, il y a des fuites, ajoute-t-elle à mi-voix.

- Mais dites-voir, Madame, il n'y a pas une femme prénommée Nelly dans cet immeuble ?

La sexagénaire a pâli soudain.

- Ne... Nelly ? J'ai connu une Nelly autrefois, il y a bien longtemps, elle était née dans cet immeuble elle aussi, moi en Mars, elle en Mai de la même année. C'est horrible, elle habitait justement le sixième étage, quand l'obus a explosé. Sa petite fille ainsi que son mari ont été tués sur le coup, il était allé dans la chambre de la petite, car le bruit des bombes avait réveillé la petiote. Nelly s'en est miraculeusement sortie. Vous savez nous avions été élevées ensemble, nous étions vraiment comme deux soeurs, ça n'est pas un vain mot, même école, nous avions fait notre première communion ensemble.

Une larme coule sur la joue de la dame, puis deux, les sanglots l'agitent.

L'inspecteur a gentiment posé sa main sur l'épaule de la vieille dame.

- Remettez-vous Madame, nous comprenons...

- Ça n'est pas tout Monsieur, ça n'est pas tout, on a enterré sa fillette ainsi que son mari, elle avait les yeux secs Monsieur, très digne comme on dit... Le lendemain on a repêché son corps, dans le canal à Saint Denis.



Dessin Andiamo 2008

lundi 6 octobre 2008

Tant-BourrinLa vie souterraine de Pancrace Griffouillous

Tous les soirs de pleine lune, le corps de Pancrace Griffouillous subissait une bien étrange métamorphose : ses membres se repliaient sur eux-même, se ratatinaient jusqu'à disparaître entièrement, ses épaules rentraient en elles-même pendant que son cou s'épaississait, les traits de son visage s'effaçaient pour laisser place à une texture annelée, et tout son corps, au final, se muait en un long cylindre mou.

En une dizaine de minutes, il devenait ver de terre.

Car Pancrace Griffouillous était, chose rare, un lombric-garou.

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samedi 4 octobre 2008

Saoul-FifreLe café du pauvre

Le café du pauvre. Certains d'entre vous sont peut-être comme Monsieur Jourdain : ils y ont déjà goûté sans connaître la signification de cette expression ? Je souhaite qu'ils soient éclairés là dessus à la fin du billet. Je suis bien certain par exemple qu'Andiamo, notre titi parisien de service, sait de quoi je parle. Le préfères-tu "serré", "stretto", al italiano, ou bien capiteux, musqué, volubile, à l'arabica, mon cher ? Le bois-tu cul sec ou fais-tu durer le plaisir en rajoutant sur la fin une petite cuillerée de crème battue en chantilly ?

Au XIXème, il n'y avait pas de télé, pas de disques, pas de SACEM, pas de MIDEM à Cannes, pas de starac, mais, vous allez en tomber sur le cul, les gens de tous milieux adoraient chanter à tue-tête et s'amuser. Les artistes, les chansonniers en étaient réduits à se produire le soir dans les cafés, et si leur chanson plaisait, le bouche à oreille fonctionnait et leur chanson devenait un tube ... sans leur rapporter autre chose que la reconnaissance appuyée du peuple. Alors ils vendaient leurs chansons : une feuille pliée en deux avec un dessin rococco, la partition de la mélodie et les paroles...

On chantait sur tout, tout le temps. Les comiques écrivaient des pamphlets politiques sur des musiques existantes. J'ai par exemple acheté chez un bouquiniste du Quartier Latin "La clef du Caveau", un épais volume relié contenant des partitions de mélodies connues à l'époque, un peu comme un psautier laïque. Les clients du Caveau n'avaient rien des spectateurs amorphes de la Staracadémie. Ils savaient lire une partition. Le chansonnier arrivait avec le texte qu'il venait d'écrire dans la journée sur un fait d'actualité et disait : "Prenez votre clef, je vais vous interpréter "Faire une pipe à Louis-Philippe" sur la musique n°213". Et les gens reprenaient en chœur le refrain, toujours facilement mémorisable à la première écoute. Si la chanson tapait dans l'œil, ou plutôt dans l'oreille, elle était bissée, trissée puis les gens achetaient le feuillet.

Et bien là je voudrais vous dire : "Prenez la mélodie du Piano du pauvre ", superbement écrite par Léo Ferré. Non, ne blêmissez pas, cette fois je ne vais pas vous imposer ma voix de casserole et mon absence de sens du rythme, je sais, la petite Calunette va m'en vouloir, mais elle va vite se consoler quand elle entendra la voix habitée déposée sur la parodie que je vous ai écrite. Car oui, après Patachou, Catherine Sauvage, Germaine Montero et bien d'autres, c'est La poule qui s'y colle. Et qui supporte haut la main la comparaison.

Un œuf de toute beauté, à mon humble avis. Une interprétation fraîche (oui, c'était un vrai challenge q;-) et réjouissante. Merci encore, et vraiment bravo.

Waw, La poule m'envoie une version encore meilleure, d'accord, il est entendu dans les hautes sphères philosophiques que la perfection n'est pas de ce monde, mais La poule n'en a que faire et elle envoie bouler les obstacles. C'est un morceau d'anthologie et je le rajoute, que chacun se fasse son opinion.

Le café du pauvre
Nos deux regards filous
Avant qu'on n'se sauve
Gagner nos pauvres sous
Fusion inouïe
Salade de fruits
Si dure et si douce
Qui met nos dessous
Sans dessus-dessous
Qui les éclabousse

Le café du pauvre
Le pouls qui devient fou
Pas besoin d'alcôve
Les voyeurs on s'en fout
On s'arrach' nos frocs
La pomme on y croque
D'une dent sauvage
On se prend debout
Et on se secoue
Le cœur à l'ouvrage

Le café du pauvre
Tango dans les remous
Un boa qui s'love
Dans un grand feu qui bout
Tous les diablotins
Nous goualent, mutins
Leurs chansons friponnes
Et nous reprenons
Les refrains cochons
Ah c'qu'on s'époumone

Le café du pauvre
Un fort coup de grisou
Des odeurs de fauves
Des zigouigouis partout
Pas d'nez délicat
Mais du robusta
Qui se mouch' du coude
Mais de la nitro
Du guerillero
Sentant bon la poudre.

Le café du pauvre
Ne coûte rien du tout
De plus il innove :
Il excite, il rend saoul
La tête enfumée
Dans la cheminée
Les tempes qui cognent
On se cramponnait
Devant le buffet
Comme deux ivrognes

Le café du pauvre
Du mou dans les genoux
Guiboles en guimauve
Les quinquets dans le flou
On cherche à tâtons
Soutif et cal'çons
Dans tout' la cuisine
Et on s' pass' un gant
Avant d' foutr' le camp
Rejoindre l'usine