Edouard était posé là, à ne rien faire sinon tourner des pensées molles dans son esprit, doucement bercé par le flot soporifique de la radio que Pélagie avait allumée dans la cuisine.

Le chapelet de nouvelles plus ou moins tragiques égrené par le journaliste le laissait totalement de marbre. Il ne se sentait nullement concerné par ces conflits armés, ces scandales financiers, ces faits divers sordides : tout cela relevait d'une humanité - ou plutôt d'une inhumanité - dont il ne faisait clairement pas partie, dont il ne voulait pas faire partie.

Pourtant, ce jour-là, une information le tira de sa torpeur cotonneuse : il y était question de la mise en service prochaine d'un immense accélérateur de particules à la frontière franco-suisse.

Entendons-nous bien : ce n'est pas la performance scientifique que cela représentait qui fit quasiment sursauter Edouard - la chose lui était relativement indifférente - mais plutôt les craintes formulées par deux scientifiques selon lesquelles - le journaliste en pouffa presque - celle-ci pourrait générer un trou noir qui engloutirait la planète.

La fin du monde était donc peut-être pour les heures qui allaient suivre. Edouard sentit un frisson froid qui le parcourait.

Indifférente à tout cela, Pélagie continuait à vaquer dans la cuisine. Beati paupere spiritu et toutes ces sortes de choses... Avait-elle seulement mesuré la portée de ce qui venait d'être dit ?

Le flash d'actualité achevé, la radio crachotait maintenant une chansonnette d'amour insipide. Le décalage entre celle-ci et le tragique de la situation était tel qu'il ne put s'empêcher de songer à l'orchestre continuant à jouer sur le Titanic s'enfonçant dans les flots.

Non. Il ne fallait pas céder à la panique. Le journaliste l'avait bien claironné : la communauté scientifique avait conclu que le risque de créer un tel trou noir mondophage était nul. Les deux scientifiques étaient des charlots qui trouvaient là l'occasion d'avoir leur quart d'heure de gloire à peu de frais.

Et pourtant...

Edouard était si tendu qu'il sursauta quand Pélagie éternua.

Il en sourit intérieurement. "Du calme, garçon ! Ce n'est pas encore la fin du monde !"

Peu à peu, il se raisonna et retrouva finalement un semblant de calme. Quel ballot il avait été de céder à la panique ! Oui, assurément, les scientifiques du CERN savaient ce qu'ils faisaient, ils ne mettraient pas leur propre vie en jeu s'il y avait le moindre risq...

Edouard se raidit subitement.
Il entendit.
Il vit.
Il pâlit.

Là, face à lui et qui se rapprochait, il y avait... quelque chose.
Affreux.
Enorme.
Monstrueux.

Un trou noir.

Edouard se sentit happé, soulevé de terre et rapidement englouti par la chose. Dans une indicible horreur, il sentit tout son être se noyer, se dissoudre, être littéralement absorbé jusqu'au néant absolu dans les ténèbres et dans une odeur soufrée qui lui semblait préfigurer l'enfer.

C'est ainsi, un jour que Pélagie se sentait grippée et qu'elle avait voulu se soigner, que mourut Edouard le suppositoire.