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jeudi 26 février 2015

BlutchGrand-père Emile, le rab

Andiamo l'ha richiesto a corpi ed a grida.**

Il y a donc une suite consécutive aux échanges de souvenirs avec mon frangin. Le début se trouve du côté de par là...


Une petite note de service à l'intention de France

Ce billet n'est pas du cru d'Andiamo, mais si c'est pour lui lancer des fleurs, j'accepte la méprise. Bisous


Une mise en garde importante

Malgré le côté « musclé » des colères du patriarche, n’allez surtout pas imaginer qu’il était violent, tout au contraire.
Il savait parler le langage de ses interlocuteurs, et c'est peut-être ce qui manque le plus dans la société actuelle.
Les flics voulaient du pognon, il leur avait donné des pains.
Les « protecteurs » de ces dames ne connaissaient que les baffes pour se faire entendre, en toute logique, il leur offrait une fantasia de phalanges.
Pour ses petits enfants, c’était un grand-père tout doux et tolérant qui apprenait à son premier "vrai" petit-fils de 5-6 ans (mon frangin était le premier à porter le patronyme) des chansons en italien qu'il chantait au bistrot, juché sur la béquille à Émile. Il alimentait ainsi sa crousille (tire-lire pour les étrangers au Pays de Vaud) avec la générosité des potes ritals du Grand-père.

Autrement, les annales familiales ne font mention que d’une colère noire contre sa femme.
Deux ans après la mort de mon père, sa jeune veuve avait fait la connaissance d’un compagnon, qui fut pour nous un bon père de substitution.
Un jour Émile s’étonne devant une de ses filles de ne plus voir sa belle-fille et ses petits fils au magasin (alors que nous y allions chaque semaine). Ma tante, qui était aussi la meilleure amie de ma mère, lui avait dit :
- « Si ta femme ne taillait pas des vestes à ta bru parce qu’elle a retrouvé un compagnon, tu les verrais toujours. »
Ce fut LA grosse colère d’Émile contre sa femme et ma tante fut chargée de dire à ma mère qu’Émile l’attendait pour lui présenter son compagnon.
Le jour dit, Émile va au bistrot pour discuter avec lui, et lorsqu’ils en ressortent, ils sont à tu et à toi, se soutenant l’un et l’autre pour avoir abusé de la dive bouteille. Mimile venait d’agrandir sa famille… Et Louise n’eut que la solution de se la coincer.


L’épisode de la fiancée

Fier comme d’Artagnan… comme Artaban, mon père se baladait dans le quartier du commerce familial (qui je le rappelle jouxtait celui des tapineuses) avec ma mère pendue à son bras.
Bon, il faut que je précise que si la famille Blutch entretenait de bonnes relations avec « ces dames qui montent », par contre, les relations ont toujours été tendues avec leurs « protecteurs ».
Et comme ces messieurs n’ont jamais compris qu’il valait mieux faire profil bas en face des Blutch (et même dans leur dos), il y avait quelques clash mémorables (l’épisode de la béquille, narrée dans la première partie, n’était pas un facteur d'amélioration de la communication non-violente dans le quartier).
Donc, mes parents se baladaient bras dessus bras dessous quand un mac va faire le malin chez le grand-père en lui disant :
- « Elle est bien roulée la poule à ton fils. »
Eh bien, croyez-moi si vous voulez, mais il n’aurait pas dû.
Mimile toujours prodigue de leçons de morale lui avait envoyé un quintet digital en aller simple et en direct au creux du menton en lui disant que c’est lui qui a des poules, mais que son fils a une fiancée…


Antoine

Sans ordre chronologique quelconque, mais dans le genre tout de même :
Après la mort de mon père, son frère Antoine avait repris le flambeau auprès du grand-père.
Il faut imaginer une camionnette déjà vieille dans les années 50 et un raidillon pas possible pour aller derrière la boutique. Un genre de truc comme les escaliers du sacré-cœur, mais sans les marches ni les barrières et à peine plus large que la camionnette.
Antoine monte le raidillon avec la pousse-poussive, et dans ce cas, mieux vaut ne pas s’arrêter pour éviter de devoir reculer jusqu’au bas de la côte pour reprendre l’élan nécessaire.
Un marlou marche dans cette ruelle et voyant la camionnette à Antoine, il ralenti son pas, juste histoire d’emmerder un Blutch.
Antoine avance jusqu’à pousser le type avec son pare-choc, pour qu’il se remue les miches. Il obtempère en se tirant sur le côté, mais il grimpe sur le marche-pied du bahut, il arrache la pipe à Antoine de sa bouche et la lui jette au visage.
André Morax** serait passé par là en ce jour, il aurait pu titrer sa pièce "les quatre doigts et le pouce (ou la main vengeresse)".
Un hématome oculaire périphérique plus tard, Émile reçoit les plaintes et menaces du mec à ses dames et il admet bien volontiers que l’asymétrie du visage n’est pas très heureuse. Il rectifie le déséquilibre en lui décorant le deuxième œil de la même façon en précisant que son fils avait eu ses raisons de le faire et qu’il ne voyait pas pourquoi il le désavouerait.
Encore un exemple qui démontre que si les proxénètes ont un certain don de persuasion avec les femmes, ils ne sont, en revanche, pas doués pour la communication verbale avec la gente masculine.


** Auteur dramatique vaudois, qui avait écrit "Les quatre doigts et le pouce (ou la main criminelle)" (satyre de pièces dramatiques et de l’esprit « vaudois »)

(Ça n’a rien à voir avec Grand-père, mais c’était la minute culturelle de Blogbo.)


Les lunettes

Grand-père Émile restaurait les objets achetés avant de les mettre en vente. Pour cela, il avait à l’étage un atelier avec quelques machines, dont une polisseuse à disques de feutre.
C’est comme une meule d’établi, mais la pierre abrasive est remplacée par un empilage de disques de feutre qui sont enduits d’une gomme.
Cette machine permet de rendre leur éclat neuf et brillant aux cuivres, laitons et bronzes ternis par l’oxydation et les salissures du temps.
Aujourd’hui, cette machine ferait hurler l’inspection du travail, mais nous sommes dans les années 50-60 et la mesure de protection la plus efficace restait d’être attentif à son travail. Je me rappelle l'avoir utilisée, et c'est ma fois pas plus dangereux que de faire de la haute voltige sans parachute.
Emilio et son fils ne pouvait pas tout faire à eux deux et les fracassés de la vie, les moitié infirmes, les chômeurs cherchaient des petits boulots pour arrondir les fins de mois. Grand-père était une aubaine pour eux (et ils en étaient aussi une pour Mimile.)
Ce n’était pas toujours des gens très assidus, ni très compétents. Dans une période de plein emploi, il y avait aussi quelques raisons pour qu’ils ne soient pas de la fête…
Un jour, il avait réuni sa polisseuse et un ouvrier journalier quelque peu distrait et dissipé. Émile travaillait tout à côté et l’ouvrier se tournait sans cesse vers lui pour causer malgré les mises en garde.
L’ouvrier eut une maladresse et la pièce qu’il polissait lui échappa des mains. Il se la prit dans la tronche et ses lunettes ne supportèrent pas le choc.

Explication assez orageuse entre deux versions de l’incident.
Version patronale : « Ça t’est arrivé parce que tu n’étais pas attentif à ce que tu faisais, c’est donc de ta faute. »
Version ouvrière : « Ça m’est arrivé parce que ta machine n’est pas aux normes (et oui, déjà à l’époque on nous faisait chier avec des normes…).
Chacun rejetant sur l’autre la charge financière du remplacement des lunettes.
Passé la colère, les esprits s’apaisent et Émile accepte de payer une nouvelle paire de lunettes à son ouvrier, admettant qu’il est en meilleure position financière pour en assumer les frais. Mais quand même, il ne faudrait pas que l’autre puisse croire qu’il a cédé.
De l’autre côté de la rue, il y a la boutique de l’opticien, celui où l’on va tout naturellement, sans imaginer qu’il puisse y en avoir une autre trois rues plus loin. La solidarité des commerçants de quartier était alors sacrée. Émile fait donc un petit mot pour le dit opticien :
« Bon pour une paire de lunettes EN FER. » dernière mention soulignée.
Ben oui quoi, faudrait pas croire que ce soit la faute à sa machine. Si les lunettes ont été cassées, c’est que c’était une merde pas solide et puis c'est tout.
Ou l’art de conjuguer le verbe : Tu as peut-être raison, mais je n’ai pas tort.


Le porte-monnaie

J’étais intrigué par le porte-monnaie du grand père. Un truc gigantesque avec le compartiment de la monnaie qui se déplie en l’ouvrant, comme les serveuses en ont dans les bistrots. Ce qui m’intriguait alors, c’était la chaîne qui le reliait au pantalon de son propriétaire.
Faut dire que tout se payait comptant et en espèces. Le porte-monnaie était donc parfois bien garni et attirait la faune qui gravitait autour de Grand-père. Une faune qui, dans la tradition ritale, partageait la vie familiale durant la relation de travail. Autant dire que parfois les tablées de midi étaient grandes.
Un jour, un des journaliers se lève de table pour aller, avait-il dit, pisser.
Mais un bruit insolite tire l’attention du patriarche qui surprend le gars avec, dans la main, la bourse qu’il avait laissée dans sa veste, au corridor. Ça non plus, il ne fallait pas le lui faire…
Connaissant l’abomination des Blutch à se faire rouler, il y a fort à parier qu’il y eut un bémol sur l’intégrité corporelle du type. Il eut, dès lors à éviter le périmètre d’influence d'Émile et c’est à dater de ce jour qu’un lien solide fut créé entre un porte-monnaie et son propriétaire. Lien qu’il garda jusqu’à la fin de sa vie.


Mais le plus beau reste pour la fin (provisoire) des souvenirs familiaux sur le patriarche.


La rixe

Ou l’histoire d’une inimitié qui dura plus de 50 ans.

Il faut tout d’abord planter le décor de base :
Nous sommes en fin 19ème siècle ou à l’aube du 20ème.
Ça se passe dans un canton catho et arrié…. Heu traditionaliste. La pédagogie à l’école attendra encore pas mal de lustres avant de pouvoir faire sa première et timide apparition.
Dans le collège fréquenté par Émile, il y a deux classes de mêmes niveaux scolaires.
A l’époque, une classe, c’est un clan et à chaque clan il faut un chef. Dans sa classe, c’est Mimile parce que c’est le plus fort et le plus courageux.
Dans l’autre classe, c’est Marcel.
A ce stade, il faut expliquer que le chef de la classe s’occupe des petits différends et problèmes que peuvent avoir les autres.
A l’époque, il n’y a qu’une façon de régler un problème : la castagne.
Cette tradition était partagée simultanément par les deux classes et fut pérenne durant tout le cursus scolaire. Émile et Marcel en venaient donc souvent aux mains et n’avaient guère d’autres moyens de communication.
Passé le temps de l’école, Émile va bosser sur des chantiers et y perd sa guibole.
De son côté, Marcel va bosser dans une menuiserie et il y perd un bras dans un accident.
Vingt ans plus tard et pendant qu’Émile turbine à son compte, Marcel trouve un emploi au journal la Tribune, où il s’occupe des commerçants qui assurent la vente au numéro.
Dans son magasin, Émile se dit que si les petits ruisseaux ne font pas forcément les grandes rivières, il ne sont pas à dédaigner en période de soif et il postule pour être dépositaire de la Tribune.
C’est Marcel qui arrive pour discuter…
Bon, disons que discuter n’est pas le terme le plus approprié, puisqu’il entre en matière en se foutant de la gueule à Émile, rapport au fait qu’il a besoin de vendre le journal pour boucler ses fins de mois.
Le béquillard et le manchot en viennent donc tout naturellement aux mains et très rapidement roulent à terre, bousculant les étagères de la boutique du Grand-père.
Une presse en bois s’évade du tablard qui lui était dévolu et tente, selon la loi de Newton, de rejoindre le plancher de vaches par le plus court chemin. Cet incident mineur arrive juste dans la phase où Marcel se trouve dessus Émile. Il a le bon goût d’offrir sa tête en amortisseur pour préserver l’intégrité de la presse qui se trouve ainsi stoppée net dans son parcours suicidaire.
Fin de l’explication à deux. Marcel pisse le sang et il est groggy. Ambulance, rapport de police et gros titre à la une : « Deux infirmes en viennent aux mains, un blessé ».
Cette dernière avoinée aurait pu être le point (ou poing ?) d’orgue d’une vie d’inimitié accidentelle, parce que due à leur fonction initiale de chef de classe. Mais le destin fut plus farceur.

Il y a une tradition en Suisse qui veut que les gens du même âge se retrouvent dans des sociétés de contemporains. Si les réunions hebdomadaires se passent au bistrot du coin à partager une agape, les jubilés sont l’occasion de grandes sorties qui se font parfois avec d’autres groupes pour rentabiliser les transports.
Pour fêter leurs soixante ans, la société de contemporains d’Émile s’était associée à celle où il y avait…. Marcel .
A cette époque-là, Émile est un antiquaire reconnu de la ville et Marcel avait un gros magasin de meubles neufs.
Le but du voyage en car était Florence. L’organisateur avait bien fait les choses, puisque chacun avait sa place définie dans le car. Ai-je besoin de préciser à côté de qui Émile fut installé… ?
Durant tout le trajet, ils se sont fait la gueule, ne décrochant pas un mot. Leur inimitié était si criante que personne dans le car ne pouvait l’ignorer, ce qui avait passablement plombé l’ambiance.
Arrivés à Florence, Émile et Marcel disparaissent du groupe et personne ne les revoit durant le séjour. Lorsque le car quitte Florence, c’est sans eux.
Grosse inquiétude dans le groupe, qui devient contagieuse dès que le car arrive en Suisse.
Il y eut encore deux jours d’angoisse avant que, chacun de son côté, ils regagnent leurs pénates respectives sans un mot d’explication à quiconque.
Leurs épouses n’eurent pas plus de justifications, mais durent tout de même avoir quelques idées puisque, chacune dans son ménage interdirent formellement à leur mari de revoir l’autre, l’accusant d’avoir détourné son cher et tendre époux de la vie sereine et vertueuse qu'elles leur imaginaient.

La somme des non-dits dans la famille laisse entrevoir ce qui s’était alors passé à Florence.
Le voyage eut lieu peu après la guerre. A cette époque, il existait encore à Florence des « Salons où l’on monte ».
Il y a fort à parier que les sexagénaires ont voulu une fois encore se mesurer, mais qu’ils ont changé de discipline sportive.
La boxe n’ayant jamais pu les départager, ils avaient probablement décidé de passer à l’escalade. Celle des monts de Vénus leur semblant mieux adaptée à leurs handicaps respectifs.
Leur disparition ayant duré environ une semaine, ça laisse supposer qu’ils faisaient encore preuve d’une forme... olympique.
Par contre, on ne saura jamais qui avait gagné cette ultime confrontation… L’omerta fut respectée et bilatérale. Mon frère avait eu l’occasion d’en parler avec le petit-fils Marcel , les faits sont confirmés avec le même constat dans chaque famille que tout ce qui est arrivé est la faute de l’autre. Chez les Marcel une même chape de plomb scelle leur ultime confrontation; mais je me plais à penser que le sang rital fut plus vigoureux que le sang helvète...

Blutch


** Andiamo l'a réclamée à corps et à cris.

vendredi 20 février 2015

FrançoiseSouvenir d'avant 1914

Autres temps, autres mœurs. Cette histoire m'a été racontée par Saturnin lorsqu'il avait 80 ans. Elle lui faisait encore briller les yeux. (histoire authentique, seuls les noms et prénoms ont été modifiés)

Élève brillant, Saturnin avait été reçu premier du canton au Certif', le certificat d'études primaires présenté après sept ans de scolarité (CP, CE1, CE2, CM1,CM2, plus deux années de « classes de fin d'études »). Cet examen sanctionnait l'acquisition des connaissances de base en français, orthographe, mathématiques, histoire-géo et sciences appliquées, avec une sévérité draconienne : cinq fautes à la dictée étaient éliminatoires, bien des bacheliers et Bac+2 d'aujourd'hui ne s'en relèveraient pas. Dans la génération de Saturnin, 35% seulement des candidats étaient reçus, c'est dire si le succès du jeune homme fut bien accueilli dans la famille :
- Mon garçon, lui dit son père en lissant sa moustache, le Conseil général offre un vélo au premier du canton, je vais aussi te faire un cadeau. Avec le certif' te voici un homme, on va fêter cela entre hommes.

Mon père, se souvient Saturnin, m'emmena dans un établissement tenu par une dame opulente et fort distinguée qui ouvrit la porte massive au premier coup de sonnette, me faisant entrevoir un vestibule cossu et élégamment décoré. Elle salua papa avec moult effusions, j'en conclus donc qu'elle le connaissait bien.

– Bonjour m'sieur Clémenceau, au plaisir ! Mais vous êtes accompagné ? C'est votre fils, ce mignon, quel âge a-t-il ?
– 14 ans, madame Céleste, et il vient d'être reçu premier du canton au certificat d'études.
– Bravo, jeune homme, vos parents doivent être fiers de vous !
– Alors voilà, poursuivit mon père en ignorant l'interruption, comme il a bien travaillé, je vous l'amène pour qu'il devienne un homme.
– Une première fois ! se réjouit Madame Céleste. Merci de votre confiance, M'sieur Clémenceau. N'ayez crainte, on va lui choisir quelqu'un de bien, de bien doux, bien habile. Mesdemoiselles !!! clama-t-elle à la cantonade, descendez tout de suite.

Une cavalcade se fit entendre dans l'escalier, calmée par un « Doucement, mesdemoiselles, doucement » de madame Céleste. Saturnin vit surgir dans l'entrée quatre jeunes femmes en robes à volants, toutes plus jolies les unes que les autres. Il écarquillait les yeux comme un gosse devant son premier cadeau de Noël, muet, intimidé, peu informé à vrai dire de ce que lui voulaient ces jolies filles mais déjà apte à apprécier leur charme, au singulier.

Madame Céleste prit alors les choses en mains. (non, pas les choses de Saturnin, bandes de voyous, soyez pas si pressés, je vous parle d'un temps où on savait prendre… le temps).

– Mesdemoiselles, je vous présente Saturnin, il vient d'être reçu premier au Certificat d’études et il est ici pour une première fois.

Elle se tourna vers Saturnin :

– Laquelle de ces demoiselles te plairait, mon chéri ?



« Je ne savais laquelle choisir, je n'osais pas en choisir une de peur de froisser les autres et surtout, ne sachant pas trop ce qui allait se passer, il me manquait des critères de choix indispensables…

Ce fut donc madame Céleste qui choisit pour moi : « Charline, vous avez l'habitude des novices, je vous le confie, prenez en grand soin. »

Je montai les escaliers derrière la jeune femme, qui se retournait parfois avec un joli sourire pour m'encourager. Quand nous fûmes dans la chambre, elle m'expliqua tout, m'aida à la dévêtir, me dévêtit l'essentiel et ma foi… ce fut un grand plaisir d'être initié par une si jolie dame. »

– Et ton père, que faisait-il pendant ce temps ?
– Il était dans le salon avec madame Céleste, qui avait ouvert une bouteille de champagne, et tous deux trinquaient à mon dépucelage.

Saturnin soupira, rêveur :

- Elle avait une distinction, madame Céleste… ça n'existe plus de nos jours.


dimanche 15 février 2015

Oncle DanJe brûlais de vous le raconter…

Nous étions le jeudi 14 janvier 1960. Oui, un souvenir de cinquante-cinq ans, à classer dans les inoubliables.

La nuit tombait, ainsi qu'elle a pris l'habitude de le faire depuis fort longtemps, et les poètes que nous étions déjà savouraient les subtiles transformations du ciel quittant sa tunique de lumière brodée d'or en se dissimulant derrière un voile aux teintes changeantes. La couleur paille fût d'abord gansée d'un fin ruban saumon qui dessinait l'horizon. Puis ces délicates nuances de roses laissèrent la place à des rouges plus intenses qui se violacèrent progressivement. D'ordinaire, cet immuable scénario se terminait dans un ultime trait de fusain qui marquait la fin du jour.

Mais ce soir-là, le charbon de la nuit paraissait avoir des difficultés à s'imposer. Le scintillement des étoiles restait imperceptible. Une lueur pourpre persistait à l'est, au dessus du bâtiment central. C'était inhabituel, inexplicable, inattendu. Enfin, c'était nouveau. A l'ouest, rien de tel, bien sûr.

Les esprits les plus perspicaces s'interrogeaient sur les débordements horaires de notre récréation. Les jeux avaient peu à peu cessé. Les plus folles suppositions commençaient à circuler entre les différents groupes qui s'étaient formés dans la cour. Bientôt, cette lueur suspecte s'intensifia. Sous la poussée d'une gerbe d'étincelles plus importante que les autres, elle prit une teinte rougeâtre qui ne laissait guère de doutes sur ses origines.

C'est alors que le pion siffla précipitamment la fin de la récréation et nous fit rapidement monter en salle d'études, sans chercher à imposer le silence dans les rangs où les commentaires allaient bon train.

L'étude de "travail" qui nous était imposée d'ordinaire à ce moment de la journée, se transforma rapidement en étude de "lecture", sous la pression de la nervosité ambiante. Mais c'était encore trop nous demander alors que l'incendie, qui faisait rage de l'autre coté de la cour, colorait la porte vitrée de notre salle d'études de taches rougeâtres qui dansaient sur le verre dépoli.

Lorsque notre étude fut déclarée "libre", c'était vraiment à titre de régularisation. Il n'y avait plus grand monde à sa place, chacun cherchant à obtenir des informations sur un événement que l'on voulait encore nous dissimuler par crainte de provoquer l'affolement. Pour ne pas ajouter à la confusion, ou par souci de discipline, quelques potaches trompaient difficilement leur émotion par une occupation sur laquelle ils avaient du mal à se concentrer. Au fil des minutes, la nervosité augmentait. Un, puis deux, puis trois élèves, s'enhardirent à sortir de la salle d'étude pour regarder le sinistre spectacle par une des fenêtres du couloir attenant. Cela leur fut d'autant plus facile que les pions avaient tous été réquisitionnés pour faire la chaîne avec des seaux d'eau.

L'incendie avait pris des proportions inimaginables. Le vent attisait un feu qui se nourrissait de poutres centenaires, et le poussait jusqu'à l'extrémité du bâtiment. Le lycée qui se trouvait de l'autre coté de la rue était sur le qui-vive, dans la crainte de voir ce brasier se propager sur ses propres toitures.

Les flammes claquaient derrière les vitres cassées qui vomissaient de gros nuages de fumée noire. De longues gerbes d'étincelles zébraient le ciel de leurs sinistres étoiles filantes. Les pompiers des casernes avoisinantes arrivaient en renfort dans la cour d'honneur du collège, car les températures exceptionnelles de cette nuit-là créaient des difficultés inattendues.

Soudés à leurs échelles par l'eau de leurs lances que le vent glacial gelait instantanément, ces courageux soldats du feu étaient aveuglés par d'épaisses nuées, farcies d'étincelles, qui s'abattaient sur eux au gré des bourrasques sibériennes. Vingt degrés en dessous de zéro les avaient transformés en statuts de glace.

Nous en avions déjà trop vu et ne verrions pas la suite. On nous rassembla pour nous conduire dans un autre collège et nous partîmes en rangs par deux.

Spectacle étrange que ces potaches déambulant dans les rues glacées, au milieu de la nuit, à la recherche d’un dortoir...

mardi 10 février 2015

AndiamoQuatre étapes

Douze jours que mon dernier billet est paru ! Et les BOSS yfonkoa ? Rien, nada, lapuche, que fife, y'aurait- t-y pas une glossine bien vicelarde qui les aurait piqués ?

Bon, on va les laisser comater à loisir, et le Doyen, l'ancêtre comme m'appelle Célestoche, s'y est remis.

Comment faire un ch'tiot crobard en quatre étapes, ouais je ne me suis pas foulé, mais je suis pris au dépourvu à l'insu de mon plein gré comme on dit dans les milieux cyclistes.

A diù siatz !



Etape N° 1 : trouver un modèle, moi c'est Marceline ma voisine !



Etape N° 2 : apporter un peu de relief au crayon gras.



Etape N° 3 mise en couleur du modèle... Laisser courir le pinceau... __RHAAAA LOVELY__'' (hommage discret) ''



Etape N° 4 : terminer en peignant le fond.

Pour les Dames et Demoiselles à l'âme sensible, n'y voyez aucun machisme de ma part, les bracelets sont en guimauve, et les chaînes des rouleaux de "ZAN" tressé.

(chtiots crobards Andiamo)

mardi 3 février 2015

FrançoiseFaites l'humour, pas la guerre

Marcel Bozec s'asseyait à côté de moi à l’École nationale des Services du Trésor (ENST) où nous étions Inspecteurs stagiaires. Ce Breton pur beurre avait la particularité originale d'exhaler en permanence une forte odeur de cassoulet, agréable avant midi, légèrement écœurante à 15h, et la particularité plus répandue de lever le coude avec des alcools à plus de 40° qui le laissaient quelque peu H.S passé 22h. A tel point que lors d'une soirée arrosée, nous l'avions enfermé, endormi, dans un des sacs postaux transportant le courrier de l'ENST. Il s'était réveillé à l'aube sur un tapis roulant de tri postal devant les facteurs médusés!

Un jour, Marcel me dit : « Tu connais la bande à Charlie ? J'habite juste à côté. »

C'est ainsi que je pénétrai en 1973 au 10 rue des Trois-Portes, dans le 5ème et fis la connaissance de ces gaillards ô combien paillards, nettement plus vieux que moi mais plus potaches que des collégiens hyper pubères : Cavanna, Bernier dit Choron, Gébé, Reiser, Wolinski, Cabu, Willem ... Durant 5 ans, j'y allai très souvent les soirs de bouclage, posai pour des photos dans « Hara-Kiri mensuel » et finis par bosser trois ans pour « la Gueule Ouverte », hebdomadaire d'écologie politique où officiaient également Isabelle, première femme de Cabu et Fournier (mort à 35 ans).

Cette bande n'était pas issue de milieux intellectuels, encore moins parisiens. Cavanna, rital fils de maçon, Gébé employé à la SNCF, Choron ancien légionnaire, Reiser élevé sans père dans un milieu de femmes dont il me disait: « Pour elles, se reposer c'était s'asseoir pour écosser les petits pois. », Wolinski pied-noir très tôt orphelin de son père juif polonais, tous avaient une vision lucide du monde parce qu'ils étaient passés de la pauvreté à l'aisance et voyaient la différence. Croquée dans une planche de Reiser sur « les riches et les pauvres » dont une phrase: « Les riches bronzent, les pauvres ont des coups de soleil » résume en un trait l'inégalité et l’humiliation…

Ce Charlie s'est arrêté en 1982, faute de sous et de lecteurs. Comme aurait pu s'arrêter bientôt celui d'aujourd'hui, faute de sous et de lecteurs. Si tout le monde est Charlie aujourd'hui, bien peu l'étaient il y a 6 mois, et ça souciait bien Charb, en ajoutant à l'atmosphère menaçante dans laquelle il vivait, des problèmes de gestion dont il se serait bien passé…

Entre les deux, il y eut la période Val, rue de Turbigo, où l'hebdo perdit beaucoup de son insouciance. Finis les « soirées bouclage » délirantes où les portes s'ouvraient dès la couverture trouvée pour laisser entrer qui voulait boire, manger et plus si affinités, les éclats de rire tonitruants firent place à des notes de service affichées dans la salle de rédaction…

Tout a été dit et écrit depuis le 7 janvier sur le Charlie actuel. Moins sur celui d'avant, de l'époque où ni les religions ni l'économie ne saturaient l'actualité, ce qui leur laissait du temps pour réfléchir à l'utilité du travail, de la consommation, aux conditionnements qui nous minent, à l'amour, bref à la vie... sans ligne politique autre que la lutte contre « la connerie » chère à Cavanna (La publicité nous prend pour des cons, la publicité nous rend cons ») et pour seule arme l'humour, politesse du désespoir qu'inspire parfois l'état du monde. Mais un humour brut, voire brutal et de mauvais goût : « L'humour est féroce, toujours. L'humour met à nu… L'humour est un coup de poing dans la gueule. L'allusion, l'ironie, la rosserie bien française nous semblaient pipi de chat. Rien n'est tabou, rien n'est sacré. Foutons dehors à coups de pied au cul les vieux interdits, à commencer par le bon goût. C'est du pire qu'il faut rire le plus fort, c'est là où ça fait le plus mal qu'il te faut gratter au sang. (Cavanna, « Bête et méchant, Belfond/ Livre de Poche).

Ce talent à être « bêtes et méchants » sur le papier ne les empêchait nullement d'être attachants dans la vie, parfois attachiants, c'est le propre des natures entières. Ils rêvaient d'une société plus ouverte et sans tabous, mais pas de prendre le pouvoir.


Je me souviens de Wolinski m'expliquant que son obsession des femmes venait de ses frustrations adolescentes : « Je suis juif né à Tunis, pied noir, ni très grand ni très beau. Ça cumule les handicaps pour plaire aux filles ! A présent que je publie mes dessins, elles se bousculent au portillon, alors je me rattrape. » Il n'en revenait d'ailleurs pas d'être aimé de sa blonde Maryse à qui il voulait offrir tout ce qu'elle souhaitait, « même toute la collection des valises Vuitton si ça lui fait plaisir ! »

Je me souviens de l'appartement de Reiser, dans le 14ème, éclairé à l'énergie solaire (un précurseur!). Nous avions parlé deux heures durant des femmes qu'il dessinait souvent plus grandes que les hommes parce qu'il les trouvait plus malignes. Il avait eu des mots intenses sur le chagrin d'amour, « le plus injuste qui soit, parce que tu n'as rien fait pour qu'on ne t'aime plus, tu souffres atrocement et tu ne peux pas obliger l'autre à t'aimer ». Je me souviens de son sourire lumineux la dernière fois qu'on s'est croisé sur un quai de métro : « Faut qu'on se voit vite, je t'appelle ». Il marchait bizarrement ce jour là, je me suis demandé pourquoi et j'ai compris quand peu de temps après j'ai appris qu'il était mort à 43 ans d'un cancer des os. Charlie-Hebdo avait titré : « Reiser va mieux, il est allé au cimetière à pied ». « Reiser : je ne serai jamais un vieux con ». Là encore, rire de tout, même au plus fort du chagrin.

Je me souviens du jour de bouclage tombant un 21 janvier où ils m'avaient fait la surprise d'une énorme tarte aux fraises pour mon anniversaire sur laquelle Wolinski m'avait assise comme la cerise sur le gâteau. Mon éclat de rire quand Choron trouvait que je buvais trop, et sa réplique : « Ça fait 30 ans que je bois, c'est foutu pour moi, mais toi, tu es jeune, ne te gâche pas. »

Je me souviens de deux journalistes venues l'interviewer. Nu comme un ver, excepté son fume-cigarette, comme souvent après le bouclage, Choron s'était avancé pour leur serrer la main et les avait vues reculer, effarées. «  Ben qu'est-ce qu'elles ont ? » - T'es à poil, avait commenté sobrement Cavanna tandis que Reiser et Cabu se tordaient de rire comme des gamins qui jouent à « caca-boudin ». Les féministes les trouvaient machos et vulgaires, ils étaient juste paillards, sans une once de mépris pour les femmes. J'appréciais leur gourmandise joyeuse pour le sexe quand partout ailleurs on le culpabilisait comme un vice ou une violence.

Je me souviens de Cabu croquant fébrilement des scènes de rue aussi rapidement que s'il les avait filmées, avec un sens du détail qui échappe parfois aux caméras. Son œil enregistrait tout avec une clairvoyance subjective.

Et puis Gébé, mon préféré, caricaturé par Gotlib dans la Rubrique-à-Brac (le commissaire Bougret, c'est lui), son univers insolite, surréaliste, ses mots d'une précision de scalpel, sa sensibilité affûtée, son sourire ravageur. Une nuit entière passée à bavarder en bord de Seine... Nos déjeuners rituels pendant 30 ans d'amitié. Fin janvier 2004, il espérait qu'on puisse se voir début février. «  Je ne te promets rien, tu sais. Se sentir mieux avec un cancer, ça veut juste dire qu'on a moins mal ou qu'on a pu manger normalement. » Il est mort en avril 2004. Son livre « l'An 01 » lu et relu a fondé mes désirs de société solidaire, chaleureuse et joyeuse, surtout, joyeuse.

En mars 2004, au Salon du Livre, j'avais parlé de Gébé avec Cavanna: « Pauvre petit Gébé, avait-il dit, si discret que les gens n'ont pas assez vu son immense talent. » C'est aussi lors d'un Salon du Livre, plus tard, que Cavanna m'a fait ce si subtil compliment: « Le temps est galant avec toi .»

Je me souviens que Charb et Cabu, retrouvés en 2012 sur France-Inter dans le « Bazar organisé » par Laurence Garcia ne cessaient de dessiner des grivoiseries sur les assiettes en carton du petit déjeuner et proposaient à Laurence d'aller les afficher dans le bureau de Philippe Val. Cabu n'avait pas changé de tête, de sourire et de tenue. Il a réussi cette prouesse Brelienne de devenir vieux sans être adulte : « Une heureuse nature, Cabu. Son rire est toujours là, pas bien loin, prêt à fuser… Il trimballe une dégaine escogriffe qui use les fringues du grand frère, superpose les pull-overs tricotés par la tante restée demoiselle, une tignasse de chien briard taillée au bol… Cabu est resté le môme qui traîne son cartable sur le chemin de la communale… fendu jusqu'aux oreilles aux cochonneries que lui débite un copain.(Cavanna, opus cité)

Ils auraient bien ri d'être traités en héros et en militants, eux qui refusaient les étiquettes, le pouvoir, la guerre et les dogmes et voulaient simplement vivre libres et heureux.