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samedi 30 mai 2009

Mam'zelle KesskadieMarthe, Marthe ....

Pourquoi ces mots si doux, prononcés par le maître, résonnaient-ils encore comme un glaive au plus profond de sa chair ?

Marie avait toujours été si délicate. Et puis les parents de Marthe avaient demandé tôt à la petite fille d’être grande. Va chercher de l’eau au puit du village, pétris le pain pour maman qui est fatiguée, va chercher l’huile chez le marchand, balaie ce plancher.

Et puis Marie, le bébé, cette chose rose et souriante : Marthe, surveille la petite jusqu’à mon retour. Marthe, il y a les noces de la cousine Judith, garde bien Marie, surtout veille à ce qu’elle mange toute sa part. Marie refusait le pain, cherchait le miel, et Marthe, indulgente, ne savait rien lui refuser. Marie, le rayon de soleil de sa mère, la petite chatte assise sur les genoux du père, Marie dont il fallait couvrir les bévues, cacher les morceaux de la cruche cassée, Marie si jeune quand les parents moururent. Marie, la revanche de Marthe sur la vie trop grande pour les petits bras de sa sœur.

Et puis il y avait eu cette histoire de dot qui avait mal tourné. Marie n’avait pas pu épouser Jacob. Marthe avait pleuré en silence pendant que sa sœur avait sangloté des nuits entières. Devant l’injustice, Marthe n’avait que le recours des orphelines, la prière et le labeur de chaque jour. Il est vrai qu’elles auraient pu être plus dépourvues, il leur restait leur frère Lazare, mais plus d’espoir de mariage.

Puis il était venu. Jésus de Nazareth était passé dans leur vie. Une lumière sur la grisaille de l’occupation romaine, un baume sur son cœur de femme qui n’avait rien d’autre à faire qu’aimer sa sœur et Yahvé et servir son frère

Un homme qui répondait à sa soif de femme qui ne pouvait aimer un époux. Marthe ne se souvenait pas d’avoir ressenti quelque chose de si doux, si suave et si douloureux à la fois.

Jésus. Ce nom la remuait, la transportait, l’enflammait.

Jésus, murmurait-elle quelquefois pour elle même, comme une caresse secrète.

Voici que Jésus était dans leur demeure. Près d’elle, à côté de la place que tenait leur père, touchant la nappe tissée par la mère. Elle respirait le même air, goûtait au même pain.

Jésus... Jésus... mais il y avait les autres, douze, sans compter Marie et Lazare et le voisin qui s’était invité pour voir le maître. Alors, Marthe, qui voulait voir, qui voulait entendre, se mortifiait à chaque fois qu’elle devait s’éloigner pour aller chercher la corbeille, le vin, celui-là veut de l’eau, celui-là a échappé quelque chose sur sa tunique, celui-là lui parle de la fissure sur le mur arrière, celui-là, mais que dit encore le maître, Marthe avait peine et misère à saisir. Un ouvrier, une vigne, qu’est-ce que cette histoire ?

Et Marie, belle et fragile comme elle avait toujours sû l’être, était à ses pieds. Inutile et belle comme une orchidée au matin. Marthe, les joues rougies par la sueur, pour la première fois s’impatienta. Elle avait faim de son Dieu, réclama sa part de pitance.

« Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur me laisse servir toute seule ? Dis-lui donc de m’aider. »

Elle voulait aussi dire : « Maître, j’ai besoin de toi tout entier. Je voudrais être près de toi, remplir mes yeux de ton visage, remplir mon cœur de tes paroles, soûler mon être tout entier de ta présence, m’abandonner à toi... Je veux te donner le meilleur de moi-même. Je veux le service parfait pour le roi des rois, je veux que tu sois mis sur un trône dans cette maison, que tes moindre désirs à toi et tes amis soient comblés, Seigneur, je voudrais être toute-puissante et toute présente, Seigneur, viens à mon aide ! »

Et que dit le maître ?

« Marthe, Marthe… ta sœur a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »

Une gifle au visage, une humiliation telle que le cœur se change en pierre pour ne pas souffrir, une volée de flèches telles que tous les boucliers de son âme se levèrent en même temps et lui firent reprendre le service sans un mot, mais en serrant les lèvres pour ne pas laisser passer ni chagrin, ni remords, ni reproches.

Il fallait tenir la tête haute, il fallait tenir sa place et si elle était au service, elle servirait.

Puis Jésus partit.

Marie, insouciante et repue de cette rencontre s’endormit un sourire aux lèvres. Lazare dormait de son sommeil de juste. Lui, on ressusciterait un mort avant qu’il ne se réveille.

Marthe cherchait le repos, mais ses membres étaient de plomb et refusaient d’abdiquer à la détente. Les trompettes de son humiliation retentissaient encore et encore : Marthe, Marthe, tu t’agites… Marthe, Marthe, tu te soucies de beaucoup de choses… Marthe, Marthe… une seule suffit…. Marthe, Marthe…

Du coup, elle aurait voulu se nommer Judith, Esther, même Jézabel, n’importe qui, ne plus être celle qui portait ce reproche d’avoir choisi le travail épuisant.

« Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » gémit-elle.

Et puis le matin revint. Elle marcha jusqu’à la fontaine, sourit à la veuve d’Isaïe, lui glissant son morceau de pain quotidien.

Marie s’éveilla un peu tard comme à son habitude et , comme à son habitude, chantonnait en faisant sa toilette matinale, adaptant la prière rituelle à son humeur du jour. Marie, Marie.. celle qui a choisi la meilleure part.


Et puis le temps passa.

Il y eut ce drame terrible de la crucifixion du maître. Marthe ne pleura pas, elle n’en était plus capable. Elle dormait peu la nuit, revivant les tourments de la géhenne à entendre Jésus lui dire Marthe, Marthe…

Mais elle consola Marie, soigna Lazare qui avait prit une cuite du tonnerre à cette épouvantable nouvelle.

Quand sa sœur se fut endormie de chagrin et son frère de boisson, elle essaya de s’assoupir à son tour. Mais elle n’y arrivait pas, comme de coutume.

« Marthe, Marthe… » cette fois, l’appel semblait différent. Il ne ressemblait pas à son souvenir, mais à une demande de quelqu’un présent à côté d’elle.

Inquiète de ce sentiment, elle s’assied sur sa couche. Tendit la main pour prendre son voile et sursauta mais ne put crier, aucun son ne sortait de sa bouche.

Jésus était là.

« Maître, que fais-tu ici ? » s’entendit-elle penser.

« Je suis venu te visiter dans ton enfer. »

« Maître, maître, tu es couvert de sang. »

« Je souffre ce que tu souffres, répondit-il sans reproches.

« Maître, maître, dis-moi comment te délivrer de ma souffrance. »

« Le veux-tu réellement Marthe ? »

Si elle le voulait ? De tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, elle le désirait plus que sa vie. Elle n’avait plus souvenir de ce souper, elle n’avait que l’envie de souffrir seule sans que le maître n’en pâtisse.

« Alors, laisse moi passer à travers toi. »

« Maître, tu parles sans que je comprenne. »

« Laisse moi passer par l’amour que tu as ! »

Marthe se concentra sur le visage de Marie, sur Lazare, sur le souvenir de ses parents, elle essaya de trouver tous les souvenirs tendres de son enfance. Elle entendit la voix du maître, ressentit à nouveau la brûlure qui la consumait à chacune de ses visites.

Rien ne semblait bouger. Le maître était toujours devant elle, plaies ouvertes, visage crispé.

« Maître je ne peux pas ! Aide moi, je ne peux pas porter plus d’amour que j’en ai ! » supplia-t-elle intérieurement. « Je vous aime tant ! »

Jésus continua à la regarder avec ces yeux si doux : « Aime-toi comme tu m’aimes et que tu aimes ton prochain. Nous sortirons de l’enfer. »

« Mais tu m’as dit que je n’avais pas la meilleure place. »

Jésus lui sourit : « Ta place non plus ne te sera pas enlevée. Nous sommes à la même table. Tu seras rassasiée. »

Puis il disparut.

Puis la rumeur se répandit. Il était ressuscité. Incroyable, disait la rumeur du village, mais plusieurs se souvenaient qu’il avait sorti Lazare de son tombeau. D’aucuns prétendaient que Lazare n’était pas vraiment mort et que tout était supercherie.

D’autres, comme Marie. portaient à nouveau l’espoir en eux. Marthe souriait en lavant les coupes de vin du souper de voir sa sœur revivre.

Bien entendu, elle n’avait parlé à personne de son apparition nocturne, déjà qu’ils passaient pour un peu fous dans la famille.

Mais après avoir fini de ranger les coupes, elle en ressortit une, se versa à boire.

Devant Lazare et Marie ébahis par cette soudaine licence, elle leva sa coupe :

« Même avec un peu de vin, je ne serai pas déplacée… »

mercredi 27 mai 2009

Tant-BourrinLe gang des Pistoches

- Mounillon, la proie approche de ton secteur. Est-ce que tu confirmes ?
- Je crois que ça se précise, Commissaire : j'aperçois deux véhicules au bout de la rue... Oui, confirmation : ce sont bien une Kangoo grise et un Trafic blanc.
- Parfait ! Tiens-nous au courant de leurs faits et gestes...
- Ils se garent devant la bijouterie, Commissaire... Et ils commencent à décharger du matos sur le trottoir...
- Mounillon, est-ce que la bande est au complet ?
- Je vérifie... Apparemment, oui, j'ai dénombré sept individus.
- Cette fois, leur compte est bon !... Duriflard, tu m'entends ?
- Oui, Commissaire !
- Tenez-vous prêts, toi et Duglahoui, début de l'opération imminent. Je donnerai le top départ.
- Bien reçu, Commissaire !
- Rechignous, tu m'entends ?
- Oui, Commissaire !
- Même topo : tiens-toi prêt avec Kozwinsky et Vandefes, on y va bientôt !
- Bien reçu, Commissaire !
- Mounillon, préviens-moi dès qu'ils auront pénétré dans la bijouterie !
- Ça ne saurait tarder, Commissaire... Ça y est, ils ont réussi à ouvrir la porte. Et apparemment, ils ont bien désactivé l'alarme au préalable.
- Des pros, comme d'habitude...

Le Commissaire Paillancroix se frotta les mains de satisfaction. Cette fois, il tenait le gang des Pistoches. Trente ans qu'il attendait ça ! Trente ans passés à leur courir après, et voilà qu'arrivait enfin, après des mois de filature, de planque, de chasse aux tuyaux, le moment où il allait leur passer les menottes aux poignets !

- Commissaire !
- Oui, Mounillon ?
- Ça y est, ils sont tous dans la place, à part l'un d'entre eux qui fait le guet sur le trottoir.
- Celui-là, il est pour toi, Mounillon ! Rechignous, ils sont dans la pièce à côté de votre planque, à mon top, vous jaillissez pour cueillir tout ce joli petit monde ! Duriflard, tu prends l'entrée avec Duglahoui pour choper ceux qui auraient des velléités de prendre la poudre d'escampette !...
- OK, Commissaire !
- Attention... Go ! C'est parti !


Une demi-heure plus tard, le Commissaire Paillancroix savourait le succès total de l'opération en contemplant les visages hébétés des malfrats, menottés et solidement encadrés par des agents, assis sur les bancs du Commissariat.

Son regard allait de l'un à l'autre, illuminé d'un éclat de jouissance manifeste.

- Alors Duraffia, comme on se retrouve !... Et Breloussous !... Et Jépalunic !... Tiens, Dimitriescu, tu t'es laissé poussé la barbe ?... Et Moineau !... Et mon vieil ami Frimairland !... Toute la fine équipe est là ! Cette fois, c'est fait, on a gagné !

Oui, le Commissaire Paillancroix et ses hommes avaient gagné. Ils avaient gagné une partie de gendarmes et de voleurs commencée trente ans plus tôt dans la cours d'école, alors qu'ils étaient tous en classe primaire. Ils étaient les gendarmes, et les Pistoches, qu'on appelait comme ça car ils habitaient tous le quartier de la piscine municipale, jouait le rôle des voleurs.

Il était vite apparu que lui et ses gendarmes, récréation après récréation, peinaient à arrêter tous les voleurs. Ils en attrapaient un en lui tapant trois fois dans le dos, le mettait en prison près de la gouttière dans le coin de la cours, en attrapaient un deuxième, puis un troisième... Mais venait toujours un moment où l'un des voleurs encore en cavale parvenait à quitter son refuge (le petit abri des lavabos), à slalomer dans la cours entre les gendarmes et les autres élèves qui ne participaient pas au jeu, et à venir taper sur la main tendue d'un des voleurs prisonniers, les libérant ainsi tous de leur entrave virtuelle... Et tout était à recommencer.

Et cela recommença, encore et encore. La partie se prolongea de mois en mois, puis de classe en classe, puis de l'école primaire au collège, du collège au lycée...

La partie de gendarmes et de voleurs fit-elle naître des vocations ? Sûrement. Le jeu se poursuivit alors qu'ils étaient tous devenus des adultes : lui et ses copains intégrèrent naturellement la Gendarmerie nationale, alors que les Pistoches devinrent un vrai gang de voleurs, multipliant les pillages de banques et de bijouteries.

Trente ans de traque, cantonné au rôle de gendarme, qui s'achevaient enfin ce soir-là. Trente de frustration aussi : combien de fois avaient-ils réussi à emprisonner six des voleurs près de la gouttière avant que le septième et dernier membre des Pistoches ne surgisse et, d'un cadrage-débordement magistral, n'évite les mains des gendarmes pour aller libérer d'une tape ses complices en ruinant tous les efforts accomplis jusque-là ? C'était surtout Gonzales qui leur avait fait souvent mal : celui-là avait de sacrées cannes, il aurait pu faire un satané trois-quart aile dans une équipe de rugby !

Tout à coup, le visage du Commissaire blêmit.

- Nom de Dieu ! Gonzales ! Où est Gonzales ? Il nous manque Gonzales !!!... Mounillon, tu nous avais dit que la bande était au complet !?
- Heu... Bin, il me semblait bien avoir dénombré sept personnes, mais... heu... il faisait très sombre et leur camionnette me gênait un peu pour bien voir et...

Le Commissaire Paillancroix se frappa le front du plat de la main.

- Bon sang ! On n'a pas cueilli Gonzales ! Il se promène toujours dans la nature !
- Dans la nature tu dis, Paillancroix ? Non, non, je suis là !

Gonzales venait de surgir dans la pièce et se tenait à proximité de ses aclytes menottés.

- La porte du Commissariat était ouverte, alors je me suis permis de vous rendre une petite visite de courtoisie !

Et avant que quiconque ait pu esquisser le moindre geste, il claqua la paume de sa main contre celle de Duraffia.

- On dirait que t'as encore perdu, Paillancroix !
- Eh merde !... Rechignous, c'est bon, enlève-leur les menottes, c'est pas pour cette fois... Et vous, les Pistoches, maintenant, filez !

Les larmes aux yeux devant le gang qui quittait la pièce en fanfaronnant, il ajouta en trépignant presque :

- Vous avez eu du pot cette fois encore, mais je vous jure qu'on finira par vous avoir ! Oui, on vous aura un jour et, après, ça sera à nous de faire les voleurs, na !

lundi 25 mai 2009

Saoul-FifreJamais Dreux sans toits

Ce n'est sûrement qu'un hasard, mais j'ai comme l'impression que la mort me compte ses coups en base 3. En 69 (2x3 et 3x3) j'ai perdu un petit oisillon adopté, ça a bien dû me rendre inconsolable pendant au moins quelques heures, la mort de ce petit que je nourrissais à la pince épilée, et puis vint le départ de mon père, combiné avec l'arrêt de ses souffrances ici-bas, et puis le décès de "Mémère", la dernière de mes grands-parents encore en vie, que j'adorais.

3 descentes ou envolées, je ne sais. Je me souviens de la foi profonde de Mémère. La réalité du Paradis dépend peut-être de la force de la Foi en son existence ? Alors sa place l'y attendait, sûr sègur.

Parmi les amis garçons de mes années-lycée, souvent les plus importants, j'en ai perdu 3 également, jeunes, trop jeunes, mais pourquoi parler de morts injustes ? L'injustice ne serait-elle pas plutôt le fait d'une mort qui ne s'acharnerait que sur les faibles, les vieux, toujours les mêmes, quoi ?

Marc était beau, intelligent, drôle, sportif accompli. Je trouvais son attirance pour les sports extrêmes un peu suicidaire, mais baste, qui ne fait rien n'a rien. On peut toujours dire que le jour où une rafale de vent un peu traître a envoyé son delta-plane et lui s'exploser contre un balcon malencontreux, il aurait mieux fait de rester à l'hôtel sous son bonnet de nuit et dans ses pantoufles, mais la vie est là qui vous pousse. Serge, c'est son corps qui a lâché, sous la poussée de sa joie et de ses activités débordantes. 25 ans tous les 2, c'est jeune pour mourir, mais ça nous a quand même fait 10 ans de souvenirs en commun, du raide, du fidèle, du solide, du joyeux, du délirant. C'est toujours ça de pris. Bernard aussi était pressé, il savait peut-être aussi que ses jours étaient comptés. Je l'avais revu, lui et sa compagne, au faîte de sa carrière, simple, accessible, comme aux bons jours. Il s'est battu jusqu'à la fin.

Et puis la faucheuse, qui se faisait discrète, comme on l'aime, quoi, est revenue frapper dans mes parages ce mois d'Avril 2009. Encore un 9 (3x3) et je suis d'ailleurs né un 9/3, s'il y en a que ça intéresse.

Premier coup de faux, Francis, un proche, un habitué de l'eucharistie dominicale où je me rends plus souvent qu'à mon tour. 57 ans, pas vieux non plus, encore un qui n'aura pas profité de ses cotisations. Pas de messe mais une séance émotion difficilement supportable au crématorium. La veuve reste digne, mais les enfants hurlent, pleurent, se lamentent en s'accrochant au cercueil pour l'empêcher de rouler vers son flamboyant destin. Les croque-morts s'en rongent les ongles. Le macchabée suivant s'impatiente.

Deuxième traversée du Styx , celle de mon frère ainé. Là, je suis tenu au courant à l'avance de l'évolution, puis de l'inévitable échéance. J'ai la chance de le voir serein, conscient, confiant, peu de temps avant sa mort. Il connait la vérité : sa femme l'a enfin arrachée au médecin traitant. Après un bref sursaut de colère, il accepte sa fin. Il a un regard éperdu d'Amour pour son épouse, qui est comme une leçon pour nous tous. Il nous regarde, nous écoute très concentré, comme s'il y mettait les bouchées doubles. Il participe, il est encore vivant, il en profite. Nous nous séparons en disant hypocritement "à la prochaine". Quelques jours plus tard, sachant que la seule chose qui le retenait sur cette terre était l'angoisse de laisser sa moitié seule, celle-ci lui donne tendrement la permission de s'en aller.

C'est elle aussi qui enguirlandera les embaumeurs : "Ce n'est pas lui, qu'est-ce que c'est que ce boulot, je ne le reconnais pas...". C'est elle qui passera toute la journée à lui parler, cercueil ouvert, cercueil fermé, dans l'urne, à lui dire au revoir, à bientôt, que sais-je ? À qui va t-elle pouvoir parler ? Il est encore un peu là, à portée de main, d'oreille.

Troisième claque, la plus forte, bien sûr. Les autres n'étaient là que pour que je m'habitue. Ils ont déraciné mon chêne, le frère de ma mère , mon parrain, celui qui est toujours resté très proche de moi après la mort de mon père, "faisant office de", pour tout dire. Je lui dois énormément de choses, faut dire que dès que j'avais un moment, je filais dans sa ferme en vélo, j'y amenais mes amis qui ont toujours été bien accueillis. Il fourmillait d'idées, mais c'est lui qui m'a convaincu qu'un travail manuel était plus épanouissant qu'un autre. Et plus salissant et plus fatiguant aussi. Marié, avec enfants, je n'ai jamais cessé d'aller les voir, mais là, il y avait quelques années que je ne les avais plus vus. Je remettais à plus tard car je voulais y aller tous ensemble, ce qui posait des problèmes d'intendance.

Toujours est-il que j'ai ressenti comme un mauvais coup du sort. Je n'avais pas pu lui dire au revoir, je ne m'y attendais pas du tout et quelque part, je le pensais indestructible, il était si fort, si vivant. J'ai culpabilisé ma race. Nous nous sommes levés tôt pour arriver les premiers au salon funéraire. Il était toujours aussi beau, il avait même sa petite fossette ironique et ses yeux devaient être encore rieurs sous les paupières baissées. Je me suis bien tenu, mais quand ma tante est arrivée, j'ai fondu en larmes. Et elle, retrouvant le côté cheftaine de son enfance, qui organise une ronde, qui nous prend par la main, qui nous crie "il est heureux, il a eu la mort qu'il a voulu, il nous regarde de là-haut et il nous aidera !" "Faisons une prière ensemble !"

C'est vraiment chouette les secours de la religion, mais moi j'y crois pas à toutes ces conneries, je suis comme un petit garçon qui a perdu son modèle, je suis comme Brassens qui n'aurait pas dû "s'éloigner de son arbre". Des méchants viennent de l'abattre et je perds mes larmes comme il perd sa sève. Encore la famille. On se voit trop, ces temps-ci, va falloir freiner, moi je vous le dis. On suit tous le cortège jusqu'à une jolie petite église de plouc sans maisons autour. On me propose de pousser le cercueil à l'intérieur de l'église. Je dis oui, bêtement. Je me retrouve au second rang, juste derrière ma tante, au mépris de tout protocole. J'ai doublé les enfants de mon oncle. Quand l'église, bourrée à craquer d'amis, de voisins se met à défiler pour les condoléances, mes yeux recommencent à couler sans possibilité de leur dire d'arrêter, je n'ai pas de mouchoir et ma tante me rend fou. Son mari lui a dit de ne pas pleurer, et elle ne pleure pas. Elle sourit même à tous ces amis, pour les remercier, les réconforter. Comme tous ces gens l'aimaient.

On va casser une petite graine, se décrisper les zigomatiques trop sollicités, et puis il faut bien aller le brûler, puisque c'est la mode, on dirait. C'est dans un cimetière. J'aime bien l'ambiance, en principe, mais là, non, c'est bizarre. Comme ce poisson rouge frétillant dans son bocal, sur un caveau. On aura vu de tout, c'est bien. Ma cousine a trouvé un chêne encore debout. Elle l'enlace pour lui prendre un peu d'énergie, pour se redonner courage. C'est mon fourgon qui transporte les fleurs et les couronnes. Je n'aime pas les fleurs mais c'est surtout pour son volume que mon véhicule a été choisi. Le gag : personne de ma famille n'a pensé aux fleurs. On a tous tellement été saisis par la nouvelle. Même les membres "bien comme il faut", ceux qui savent ce qu'il faut faire et ne pas faire, ont complètement oublié les fleurs. Mon oncle part, dans son urne, et nous avec, dans le cortège, pour le petit cimetière adorable où sont rangés nos défunts. Mon oncle a été maire de ce petit village. Là aussi, des anciens amis viennent nous serrer la paluche. Le caveau est pas très entretenu car nous habitons tous loin, mais caché par les fleurs, ça fait illusion. Certains parlent de le recouvrir de marbre, qui ne demande pas d'entretien.

Il faudra qu'on en rediscute.

Au moment de prendre congé de toute la famille, je croise mon beauf' hypocondriaque, je lui fais la bise et la seule formule de politesse qui me vient à l'esprit c'est :

- Alors, il parait que c'est toi le prochain ?

Je sens toute une armada de regards sombres appartenant aux témoins auditifs de cette boutade anodine, se braquer méchamment sur moi.

Je ne bronche pas. Humour noir vaincra.

vendredi 22 mai 2009

AndiamoDeux pour un

C'est le pont de l'ASCENSION, vous êtes partis vous aérez les éponges, et vous avez bien raison !

J'avais préparé une histoire, un peu sombre comme d'hab', et puis je me suis ressaisi : pourquoi ne pas poster deux bluettes, HEIN ?

Deux petites nouvelles bien courtes, mais n'est-ce pas un avant-goût de vacances, ce long pont de l'ascension ? Les prémices du long farniente qui vous attend prochainement.

Voyez-vous, ce que je trouve injuste, c'est que maintenant que je suis retraité : je n'ai plus de vacances !


1 : SERAPHINE

Eperdu d'amour, Anselme, son gros pavé noué autour du cou, s'avance jusqu'à l'extrême bord du canal.

Il fait nuit, c'est l'automne, le faible halo du bec de gaz, situé bien trop loin, de l'autre coté du canal, ne dispense qu'une très faible lueur.

Dans ses yeux humides lui revient l'image de Séraphine, celle qu'il avait tant aimée, celle qui venait de le quitter. Un sanglot l'agite. Tiburce, l'infâme Tiburce, lui a ravi son aimée.

Tiburce, SON contrôleur fiscal, celui qui trois mois plus tôt, lui avait dépêché un contrôle fiscal, provoquant sa ruine !

Anselme s'avance encore, la pointe des pieds dans le vide, l'odeur putride du canal lui parvient aux narines.

Ah ! Mourir dans une crasse pareille, quelle fin ! songe-t-il.

Le buste penché en avant, Anselme bascule....

SPLATCH ! Dans la gadoue, Anselme se débat dans la gadoue, il tempête, hurle, vocifère.

Pour cause de réfections, quelques jours plus tôt on avait fermé les écluses, puis asséché l'endroit qu'Anselme avait choisi pour mettre fin à ses jours. Cet endroit, Séraphine l’aimait beaucoup : quasiment chaque soir, Anselme et elle venaient s’y promener, son doux regard croisait le sien… Comme ils étaient heureux alors.

- Séraphine ici !

Sur le bord du même canal, un gros adipeux prénommé Tiburce, contrôleur fiscal de son état, promène sa chienne Labrador, un amour de toutou.


2 : POURQUOI ?

Pourquoi ? Pour qui ? Avez-vous tué tous ces hommes ? Interroge le juge Larrieux.

Pour toute réponse, debout dans le box des accusés, l’homme sort de sa poche une petite photo en noir et blanc, un peu froissée, un peu écornée … Le long séjour en préventive sans doute.

La photo circule de main en main, puis finit dans celle du président, il ajuste ses lunettes, éloigne légèrement la petite photographie, cherche le meilleur éclairage, Son visage pâlit soudain, son menton s’affaisse…

Fran… Françoise murmure-t-il !

mercredi 20 mai 2009

Mam'zelle KesskadieLa froide réalité d'une fraîche divorcée

Chers vous autres,

Je finis ma journée du jeudi mieux que je ne l'ai commencée. J’ai des matins comme ça, où je suis complètement rapapla.

Je ne suis pas allée travailler, question de santé mentale. J’avais une urgence, la mienne.

Ce qui ne va pas ? Tout et rien, il faut un an pour faire son deuil normal. Bon, j’ai pris un appartement après mon divorce voilà trois mois, donc, faut pas pousser trop fort dans la joie de vivre pour le moment.

Vous voulez que je vous raconte la vie d’une fraîche divorcée qui n'a pas les enfants cette semaine ?

Préambule fallacieux, je vous raconte pareil.

Constatation n°1 : moi qui ne savais pas épeler le mot budget sans faire de fautes, je me suis souvenu d’une certaine signification. Bref, je suis sans-le-sous.

Constatation n°2 : j’ai découvert de petites joies. Exemple : je peux mettre en boucle mon disque préféré sans que ça emmerde personne et mon voisin. Ombre de la chose : je l’ai tellement écouté que j’en suis écœurée. Va falloir que je m’en trouve un autre. Le hic ? Voir constatation n°1.

Autre petite joie : je peux manger chaud. On sait que la mère de famille doit nourrir les petits avant de se sustenter elle-même ce qui arrive quand le plat est rendu froid. Ombre au tableau : seule, on mange plus rapidement, donc, je me brûle la langue régulièrement, moi qui ai l’habitude du tiède.

Autre petite joie : je cuisine ce que je veux. Ombre au tableau : après trois fois d’un même plat mijoté, on mijote de passer à autre chose et on découvre les vertus du congelé.

Petite joie : le matin, on ne s’occupe que de soi-même. Ombre : le matin, on ne dit bonjour qu’à soi-même. Mieux vaut être de bonne humeur parce que ça part mal la journée si on a une face de bœuf.

Petite joie : on a l’ordi pour soi toute seule. Ombre au tableau : aucune, té ben pour ça en ti péché !!!!.

Dans les joies de la fraîche divorcée, elle n'a plus à dire : qui c'est qui a pris mes ciseaux ? L'ombre, c'est de se dire : où c'est que j'ai bien pu les mettre ? Personne d'autre que soi à blâmer. À moins de croire aux extraterrestres venus voler la serpillère pour étudier le mode de vie des humains.

Ai-je la foi t'à ce point ?

Constatation n°3 : le sexe. Pour ce qui est de son sexe à soi, tout va, c’est l’autre sexe qui nous concerne de plus en plus (eh oui, il se peut que je sois encore plus préoccupée par la chose que par le passé). Donc, pour ce besoin essentiel et existentiel, il y a les clubs de rencontre. Pour ma part, voir constatation n°1. Allons donc à une solution plus gratuite, les listes de rencontre sur le web. Gratuites pour s'inscrire, mais si on veut parler à quelqu’un, il faut s'abonner (payer), voir constatation n°1. Tant pis, le crédit existe pour les besoins essentiels, vivement visa.

Voyons voir, étant donné que j'ai vieilli et grossi, je suis plus difficile pour le partenaire et moins désirable pour ledit homme. Ça promet.

Premier critère : Comment le futur candidat parle-t-il de son ex-femme ? Si le sire est potable, il ne la lapidera pas de ses postillons vengeurs et amers.

Donc, s’il parle en bien de son ex : la question qu’on se pose alors, pourquoi se sont-ils séparés ?? De deux choses l’une, elle l’a planqué là et vous ne voulez pas de restants, ou il est encore amoureux et vous avez une rivale avant même d'embrasser le prince. Vous sourcillez en regardant d’un air suspicieux le dit candidat.

S’il parle en mal de son ex, il n’a absolument aucune introspection. S’il choisit aussi mal ses partenaires, pourquoi donc vous choisit-il vous, ce qui vous met mal à l’aise et vous regardez d’un sourcil hautain et d’un air suspicieux le candidat.

Constatation n°4 : le vocabulaire utilisé dans ces lieux internet a des définitions aussi nouvelles qu'inattendues ; petit dictionnaire pour débutantes :

Poids santé : ne veut pas dire être en santé et avoir du poids, mais bien, ne pas avoir de poids.

Être ouverte d'esprit : comprenez : vous savez bien où les hommes situent l’esprit.

Passé réglé : carte de crédit à zéro , ex-partenaire proche du décès. Enfants plus de quinze ans pouvant se garder seuls. Chien entraîné et castré. Toiture de maison changée et tablettes d’appartement posées.

Sportif : incroyable le nombre d’hommes sur ces listes qui sont actifs, sportifs ! Dire que Santé-Canada dépense des fortunes pour faire la publicité des joies de la gym… il devrait plutôt investir pour que les couples mariés puissent se payer des gardiennes, les hommes mariés doivent être les seuls hommes qui ne bougent pas, ils pourraient au moins sortir avec leurs femmes.

Couple ouvert : les deux n'ouvrent pas rien que leur porte, mais les jambes à n’importe quoi. Soyez prête à faire de même.

Ensuite, il faut trouver un surnom pour ce genre de correspondance. Vous comprendrez que nombre de Louises et de Sylvies ainsi qu’une armée de Michelines se présentent comme la candidate idéale au candidat idéal, faut se démarquer.

Le mien ? Kaféeine. Une trouvaille n’est-il pas ? Ça dit que j’aime le café et les fées. Tout moi. D’accord, il existe quelques petits à cotés de moi qui ne sont pas visibles dans ces quelques syllabes, mais pensons que Féedusexe ou Féedubourrelet seraient des surnoms qui rendraient la recherche incertaine pour repêcher le candidat idéal à présenter à mes nombreux enfants et à mes copines intellectuelles.

Voici le palmarès de mes succès internet.

Premier candidat en lice : Stratos heu non, Saltos. Moi pis ma mémoire des noms… en tout cas, Saltos est égyptien grec. Après deux mails, il me propose de devenir sa princesse puis sa reine égyptienne. Je veux bien moi, tiens, enfin le prince charmant !!! Je me doute que le baiser requis est un peu plus élaboré que celui de mes contes d’enfants, mais , enfin.. toujours est-il qu’il m’envoie la photo. Il a le même sourire que monseigneur Ébacher, valeureux évêque de mon diocèse, qui est un bon vivant, bon, c’est toujours ça de pris et de grandes oreilles me semble-t-il. Bof, nous avons certains princes ayant les mêmes caractéristiques, tout baigne. Il réclame une entrevue. Le hic, il est de Montréal. Là, ça se corse. S’il se pointe à Gatineau et qu’il espère consommer le même soir, faudrait qu’il me titille plus les hormones que Monseigneur Ébacher. Et s’il faillissait, je l’envoie dormir chez une copine en le présentant comme un ami de mon cousin qui a besoin d'un toit pour ce soir ?

Je pourrais toujours aller à Montréal, mais voir constatation n°1.

Cochonplus, ….. est deuxième en lice. Je ne lui ai pas répondu à la première missive, son nick ne m’inspirant pas confiance dans ses intentions profondes, j’ai quand même cédé à la deuxième tentative surtout qu’il avait utilisé un mail payant. Cochon, mais pas cheap. Du bon lard quoi. Mais quelque chose me dit que ça n’ira pas loin quand je lui ai dit que je n’étais pas intéressée par des aventures d’un soir. (Bien sûr que c’est pas vrai, mais vous n'allez pas lui dire, n’est-ce pas ?)

Autre candidat, pas de photos (au fait, il s’est passé quelque chose, j’ai été des mois sans messages, là, j’ai eu trois messages la même journée. Quelqu’un a du faire de la publicité pour moi dans un journal…), donc, voici TBIEN100. Hé oui. De la grande littérature. Voulait-il dire, TesBIEN sans moi ou très bien, 100 %? Je vous fais un suivi. Il veut correspondre, mais moi, méfiante, j’exige une photo. Ah ah!!! Ça me ferait de la peine de correspondre avec l’ex de ma voisine , qui plus est, avec l’ami de mon fils.

Constatation n°5 : je me demande quel saint est dévoué aux femmes divorcées, de bon poids et en santé, n’ayant pas l’esprit si ouvert que ça et un nick si bien trouvé.

Constatation n°6 : il parait que le sexe fait une peau resplendissante, pour le moment, ça me fait une belle jambe.

lundi 18 mai 2009

Tant-BourrinDe l'autre côté du temps

C'était en septembre ou bien en octobre, je ne sais plus, mais cela importe peu. J'avais été lui rendre visite, là-bas, à Gabarret, juste pour lui offrir un peu de mon temps, à elle à qui il en restait si peu.

Je la revois, le visage si émacié, si menue et si frêle que le moindre souffle de vent l'eût emporté au loin tel un fétu de paille. Enfoncée dans un fauteuil, enfoncée tout aussi profondément dans son corps usé par la vie, elle laissait les secondes ruisseler sur sa peau pour s'écouler en cascade d'heures à ses pieds.

Tu sais, la voir ainsi, clouée sur ce siège comme un insecte sur une planche, si loin de chez elle, m'arrachait le coeur. Mais il avait bien fallu s'y résoudre. Le fluide vital semblait s'être asséché dans ses veines en l'espace de quelques années. Une toupie manquant d'énergie et qui vacille, voilà ce qu'elle m'évoquait alors. Ses bras manquaient de force, ses jambes ne suffisaient plus à la porter, les mots sortaient de sa bouche avec une peine croissante. Une braise incandescente dans un foyer presque éteint, c'était tout ce qu'il restait d'elle.

Et puis, tu t'en souviens peut-être, sa dernière chute avait été terrible. Dans le choc, la cage thoracique avait souffert, de l'eau s'était infiltrée dans les poumons, et le jour est venu où nous avons su que Tantine n'aurait plus ni le temps ni la force de s'occuper d'elle et qu'il fallait la mettre dans un centre, là-bas, à Gabarret.

Oh, n'imagine pas que ça a été facile, ni pour nous, ni pour elle ! Sa petite voix, le mince filet ténu qu'elle gardait encore au fond de sa gorge, un murmure plutôt, implorait qu'on la laisse à Resgaille, la vieille ferme familiale, elle y avait toujours vécu et voulait y mourir.

Mais tu sais, de nos jours, on ne laisse plus les vieux mourir en paix, et nous, lâchement, nous voulions qu'on la soigne, qu'elle continue à vivre, fut-ce au prix de son malheur. Alors elle a dû quitter Resgaille, ses vieux murs de torchis tout lézardés, son verger, la vieille mare, la grange de bois qu'avait construite le Papé.

Le Papé. Son Pierre. Qui était parti près de vingt ans plus tôt. Un accident, bête comme le sont tous les accidents, pendant les moissons. Moi qui ne l'avais jamais connue que souriante, je l'ai vu pleurer des années durant par la suite.

En l'arrachant à ses souvenirs, à ce lieu où avait vécu et était mort le Papé, c'était toute sa vie qu'on éviscérait. Nous le sentions bien, mais voilà, elle était impotente et avait besoin de soins, nous pensions faire le seul choix possible.

Mais je me suis égaré. J'en reviens à cette journée - je pense finalement que c'était en octobre - où je l'avais revue pour la première fois, plusieurs mois après qu'elle eût été essouchée de Resgaille ; il faut dire que j'habitais à des centaines de kilomètres de Gabarret et ne pouvais venir à loisir.

Elle était là, présente et absente à la fois, seule une légère lueur dans son regard m'indiquait de temps à autres que son corps était de nouveau habité. Le temps fut ce jour-là essentiellement charpenté de silence et d'immobilité, dans cette chambre propre, moderne, mais triste à en mourir.

Et puis sa voix, son infime chuchotement, s'éleva.

- Hier, je suis allée au Lugnon et j'ai passé la journée avec Elise Téchené.
- Ah... Ah bon ? Tu... tu es sortie ?
- ...
- Avec Elise Téchené, c'est ça ?
- ...
- Mamée ?
- ...

La lueur était repartie. Seule restait sa carapace, ce corps si fatigué, si épuisé par une vie de labeur constant. Un peu plus tard, je l'embrassai et repartis.

De même qu'elle avait dû savoir, en quittant Resgaille, qu'elle n'y reviendrait jamais, je sentais bien que c'était un baiser d'adieu que j'avais déposé sur ses joues creusées.

Pourquoi te parlé-je de ça aujourd'hui ? Je ne sais pas. Tout cela est si ancien déjà. Vois-tu, même si je n'en avais rien montré devant elle, ses mots m'avaient fait sursauter. Tu es trop jeune pour l'avoir connue et tu l'ignores donc : Elise Téchené était une lointaine cousine à nous mais, à l'époque, cela faisait déjà près de trente ans qu'elle était morte.

Bien sûr, son esprit, prisonnier qu'il était d'un corps impotent, avait dû divaguer, revivre des souvenirs, ressusciter des cadavres depuis longtemps décomposés au fond de la terre. Tantine et Maman rapportèrent également de telles résurgences lors d'autres visites : elle leur avait affirmé avoir revu Marie Daliès, Jeanne Danglade, les frères Garoste, Luce Briscadieu, et d'autres encore qui, tous, reposaient en paix dans les cimetières environnants de longue date. Son esprit s'embrumait, voilà tout. A son âge et dans son état, cela était bien normal, au fond, c'est ce que nous nous sommes dit alors.

Mais tu sais, je connaissais bien ma grand-mère pour avoir, gamin, passé l'essentiel de mes vacances scolaires et de mes étés là-bas, à Resgaille. Et, crois-moi, quand elle m'a parlé de sa sortie au Lugnon, de sa visite à Elise Téchené, j'ai vu la vie brûler au fond de ses yeux. Elle était là, terriblement là, et il y avait trop de vérité dans ce regard et dans ces mots.

Je sais, tout cela te paraîtra ridicule, mais je suis convaincu qu'elle était vraiment allée au Lugnon la veille et qu'elle y avait passé l'après-midi avec Elise Téchené. Qui peut savoir la force de l'esprit quand le corps est déjà mort, ou presque ? Je suis sûr qu'elle a franchi la barrière de sa propre peau et parcouru les ans à rebours pour retrouver sa cousine, la couvrir de baisers, papoter et jouer avec elle comme il y a si longtemps. Oui, quand nous la voyions absente, l'oeil éteint, comme momifiée, je sais qu'elle était juste allé retrouver le goût d'éternité des années et des visages disparus, rire en pleine innocence, courir dans les prés, faire l'amour avec son Pierre, loin, si loin de la carcasse ridée vissée dans le fauteuil, là-bas, à Gabarret.

Tu vois, le jour où l'infirmière l'a retrouvée morte dans son lit quelques semaines plus tard, je suis persuadé qu'elle était juste de nouveau partie leur rendre une petite visite et que son Pierre, Elise Téchené, Marie Daliès, Jeanne Danglade, les frères Garoste, Luce Briscadieu et tous les autres l'ont convaincue de rester définitivement avec eux, que cela ne servait plus à rien de revenir de temps à autre habiter ce corps flétri qui ne lui obéissait plus et la faisait souffrir.

Alors, tu sais, même si tant d'années se sont écoulées depuis, même s'il ne reste d'elle aujourd'hui sûrement plus que quelques os dans sa tombe, je sais qu'elle est toujours bien en vie et heureuse là-bas, au pays de la jeunesse éternelle, de l'autre côté du temps.

Non, s'il te plaît, ne souris pas, ne te moque pas, fais au moins semblant d'y croire un peu !

J'ai tellement besoin d'y croire moi-même.

samedi 16 mai 2009

Saoul-FifreLa petite Julie, quatre ans

Oui la petite Julie a quatre ans. Oui je sais, elle est habillée comme une pute, à son age je n'en vois pas l'intérêt, mais il faut demander à notre doyen Andiamo pourquoi il nous l'a dessinée ainsi. Je ne suis pas dans son cerveau de Pervers Pépère ou de Pépé Malin et c'est lui l'auteur de ce dessin allusif, les autres blogbomembers en seraient bien incapables.

Bon je vais quand même un peu le défendre, c'est notre ancêtre à nous et on y tient très fort. Après, l'ambiance du blog se dégrade, faudrait que j'essaye de déconner un peu moins et de faire gaffe à mes propos.

En fait, quatre ans, pour une cochonne, c'est un bel age ; elle a largement dépassé celui de sa majorité et elle peut donc s'habiller comme elle veut, non mais ?

Et faire ce qu'elle veut de son cul, oui Madame.

On a dit "petite" car Julie est un cochon nain chinois. Je rappelle, pour ceux qui prennent l'arrière-train en marche, que Julie est la mascotte du blog

C'est elle qui est nonchalamment alanguie sur le divan de Juliette Récamier, dans le bandeau Blogborygmes, oui, en haut de la fenêtre, levez les yeux !

Pourquoi une cochonne comme mascotte ? Ah ça !? Je laisse aux exégètes, aux chercheurs universitaires, aux psychanalistes de l'Histoire, dans quelques décennies, le soin de mener cette enquête et d'en tirer des conclusions trop hâtives, comme à leur habitude. Nous ne serons plus là pour nous défendre et ils s'en donneront à cœur joie, ces charognards !

Comme tout cela est prévisible, mesquin, et si loin de nos idéaux inspirés en priorité par la lecture inlassable de Madame de Lafayette ou de Mademoiselle de Scudery.

Ceci précisé, à fins de postérité, comme le billet sur Julie est un de nos premiers billets, si Julie a quatre ans, notre blog aussi.

Vouivoui, vous pouvez vérifier, notre billet de présentation , notre programme plein de promesses alléchantes et tenues, jusqu'à présent, date du 16 mai 2005.

JOYEUX ANNIVERSAIRE, BLOGBORYGMES !

Quatre ans, dis donc ! ? Tu sais que tu es un grand garçon, maintenant ! Pour un blog, c'est limite grabataire, même !

D'ailleurs, je me sens un peu faible et, puisque personne n'offre à boire, je vais aller m'allonger un poil...

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