Hier, nous étions Dimanche, et je me suis donc rendu à la messe. J'entend d'ici le Tant-Bourricot soupirer : "Le souf' a encore pété les plombs..." Et bien non, très cher, ma tête est pour quelque temps encore en équilibre stable sur mes épaules, et je te répète avec force que je serais vraiment malheureux comme les pierres s'il m'arrivait de rater une seule fois ma messe dominicale.

J'aime aller à cette messe car l'on y communie aux deux espèces. Ce n'est pas de ces eucharisties non démocratiques où l'on doit se farcir, la gorge sèche, le spectacle d'un curé se sifflant son ciboire en suisse. Les croyants présents sont invités à concélébrer "de bibu" le miracle de la transsubstantiation. Il est grand le mystère de ces foies, imbibés, ramollis par l'alcool, et remplissant pourtant leurs fonctions ! Et l'hostie ! Non seulement ce n'est pas de ce pain azyme pas franchement catholique, c'est du vrai pain, fraîchement sorti du four, mais il est creusé en forme de fougasse, et garni avec plein de bonnes choses, de la sauce aux oignons de pissaladière, de la ratatouille... Et le sermon, peuchère, il n'y en a pas qu'un, on se relaie, on fait des concours de discours !

J'arrive en avance, car ce n'est pas poli de déranger ses frères crétins quand la messe est commencée, et pourtant j'ai bien l'impression que tout le monde est déjà là, les enfants de chœur, les enfants de marie, réunis autour de la sainte table. Je dépose le baiser de paix sur toutes les joues, et un plateau de fromages de chèvres de Margotte au centre de la table. Les burettes sont déjà alignées, débouchées, et comme la chasse est ouverte, le tableau du matin est exposé, faisans, perdreaux, lapins, et chacun des fidèles repartira avec sa pièce de gibier à cuisiner.

Notre hôte, notre officiant, notre maître de cérémonie s'est levé très tôt pour faire chauffer le four à bois, et la veille, a pétri assez de pâte pour rassasier tous les pratiquants habituels. Il s'affaire autour de la grand bouche brûlante, surveille le thermomètre, recentre les pains avec sa longue pelle. Il trouve quand même le temps de surveiller la vacuité des verres, de refaire les niveaux... L'unanimité se fait dans la petite communauté : le sang du christ de cette année est un sacré millésime ! Il est festif, chaud, avec un très net goût de fraise, comment du raisin peut-il se transmuter en fraise ? Encore un miracle bien réel que la science refusera d'entériner...

La conversation (et nos têtes) se mettent à tourner autour des souvenirs des vendanges et de la vinification de l'année dernière. Ces journées de travail intense, gai, convivial, avec toujours cette pointe d'angoisse, toujours la même : le vin sera t-il bon cette année ? À la grâce de Dieu... Depuis que j'aide (je ne suis qu'apprenti initié) tous ces adeptes de Bacchus, une qualité extraordinaire a toujours été au rendez-vous, qui nous permet de ricaner peu charitablement de la plupart des Bordeaux et autres Bourgognes. Ils savent faire un vin entièrement naturel. Même le soufre, accepté en agriculture biologique, est proscrit par ces grands prêtres de la vigne, descendants du vieux Noé.

Le pain est cuit à point, notre hôte nous met de force 2 boules à chacun dans les mains, quelques bouteilles pour tenir jusqu'à Dimanche prochain, les chasseurs distribuent leur gibier...

"Bon, alors, tu nous téléphones quand tu veux vendanger ?"

"Et vouaille !"

Ite missa est.