Ponchon est son vrai nom, et déjà son destin est scellé : dans ponchon, il y a cochon, pochetron, cruchon, tire-bouchon, patachon, nichon... Comment voulez-vous faire autrement que devenir poète, et chanter les femmes, le vin et la cuisine ? Surtout si vous débarquez à Paris en pleine Belle Époque, et que vos copains de bistrot s'appellent Alphonse Allais (qui fabrique un verbe avec votre nom : nous ponchons, vous ponchez...), Paul Verlaine (qui écrit un article élogieux sur vos poèmes), Jean Richepin (l'auteur des "oiseaux de passage", mis en musique par Brassens), André Gill (celui du "Lapin à Gill)...

C'est la grande époque du Chat Noir, d'Aristide Bruant, mais, alors que Bruant était un connard fini, tout le monde s'accorde à dire que Ponchon était adorable, modeste, ne se prenant surtout pas pour un poète, ne voulant pas être publié... Il avait 72 ans pour son premier et seul livre édité de son vivant : La muse au cabaret. Il n'empêche que ses "chroniques en vers" qu'il publie dans diverses gazettes, ont un succès fou et finissent par le faire vivre. Il n'avait pas de gros besoins et menait une vie très régulière. Bon vivant néanmoins, ce gars est une publicité vivante pour le vin et l'absinthe (en quantités philosophes) : son biographe nous dit qu'il aurait vécu jusqu'à 100 ans s'il n'avait pas eu, à 89 ans, cette fracture du fémur mal soignée qui l'emporta.

Je me régale à le lire, il a dû tomber dans le domaine public car on trouve beaucoup de ses textes sur le net. Ça ne vaut pas le plaisir (et tout y est) du papier : on doit trouver assez facilement ses livres, qui sont réédités régulièrement. C'est lui qui a dit "Quand mon verre est plein, je le vide, quand mon verre est vide, je le plains" ou bien "J'ai remarqué qu'à partir de quatre-vingts ans, on mourrait beaucoup". À titre d'exemple, je vous ai recopié sa participation à mon obsession, un sujet dont je vous rabats souvent les oreilles : LA SÉCHERESSE.

Mais ne dites pas : "C'est ringard, ces histoires de procession" ! L'année dernière, il y en a eu une, pour faire pleuvoir ! D'ailleurs, le dernier billet d'Antenor est proprement incroyable : ces curés n'ont vraiment pas eu le même prof de philo que moi, qui m'avait soigneusement expliqué la différence entre la magie et la religion.

Les champs ont soif, les malheureux !
Moi, de même. Pitié pour eux !
Vierge Marie,
Aussi pour moi, je vous en prie.

Voyez, clochant sur leurs fémurs,
Les blés, avant qu’ils ne soient mûrs.
A la malheure !
Ils seront fichus tout à l’heure.

Et moi, Madone, qui n’ai bu
Depuis la mort du père Ubu,
Voyez ma gorge…
Il n’y passerait un grain d’orge.

Voulez-vous faire des heureux ?…
Du vin pour moi, de l’eau pour eux.
Oh ! L’oeuvre pie
Que de guérir notre pépie !

Intercédez, Reine des lis !
Auprès de votre divin fils :
Rien ne le touche
Comme un mot dit par votre bouche !

Dès qu’il entendra votre voix,
Je suis sûr qu’il me dira : bois,
Te désaltère.
Il dira, de même, à la terre.

Et, dans l’instant, il répandra
Un bienfaisant Niagara,
D’une main preste,
D’eau divine et de vin céleste.

« Voici de l’eau, vous dira-t-il,
Chère maman, à plein baril,
A pleine tonne,
Pour que ta campagne mitonne.

« Voilà du vin pour ton Ponchon,
Voilà du vin pour ce cochon…
Qui croit que vivre,
Ne vaut qu’autant que l’on est ivre. »

Et tout aussitôt je verrai
Un vin sympathique et doré
Sourdre, rapide
Dans mon verre à cette heure vide.

Tout aussitôt les lourds épis
Réveillés, sans plus de répits,
Gonflés de sèves,
Se tiendront droits comme des glaives.

Et vous verrez les pauvres gens
A pas nombreux et diligents,
En vos chapelles,
Apporter leurs primes javelles.

En procession ils iront
Ceindre, ô Madone ! Votre front
De marguerites,
Et de lis, vos fleurs favorites.

Et moi le profane rimeur,
Si j’en dois croire la rumeur,
Moi, dont la muse
Est une bacchante camuse,

Je saurai bien, dans un couplet,
Vous égrener un chapelet
De rimes blanches,
Sur ma lyrette des dimanches.