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vendredi 29 août 2014

AndiamoPoulpe fiction

Elle s’avança vers lui, la démarche féline, ses hanches magnifiques accompagnant ses pas d’un balancement propre à réveiller un mort. Face à lui, elle s’arrêta, découvrit ses dents magnifiques par un large sourire, passa ses bras autour de son cou, et l’embrassa à pleine bouche devant les passants médusés !

Lui, Anselme Petitpas, plutôt petit, rondelet, chauve, la soixantaine bien sonnée, comment pouvait-il avoir séduit pareille créature ? Sûrement pas pour son fric ! Une maigre retraitre de petit employé de ministère, pas celui des oiseaux perdus comme ce pauvre Tardieu, mais presque !

Le baiser durait, procurant à Anselme des sensations oubliées depuis belle burette, comme disait sa bignole de la rue Montorgueil. Alors il commença à s’agiter, à baîller, puis se réveilla tout à fait. Les chiffres lumineux de son vieux réveil indiquaient : 03.35.

Putain, quel beau rêve ! songea Anselme en émettant un rot sonore, suivi d’un pet qui ne l’était pas moins. Cela ne risquait pas de gêner grand monde : Anselme était célibataire, ou plutôt vieux garçon. Il en avait tous les défauts : maniaque, étroit d’esprit, grincheux, et même avare !

Mais, depuis quelques jours, sa vie avait changée… Ou plutôt ses nuits, depuis cette journée où…

- Bonjour Monsieur Petitpas, l’avait accueilli Gaston le vendeur de l’animalerie de son magasin préféré.

Il s’y rendait très souvent, achetant des poissons pour son bel aquarium, la seule fantaisie qu’il s’autorisât dans sa morne vie. Ils lui plaisaient bien, ces compagnons silencieux et multicolores : pas trop contraignants, quand l’aquarium était bien « équilibré », le bon pH, la bonne température, guppys, scalaires, blacks, cœurs saignants, néons,et autres « laveurs de vitres » étaient en harmonie et ne réclamaient pas grands soins, veiller à la nourriture distribuée automatiquement, et de temps en temps, un grand nettoyage, mais rien de bien méchant.

- Bonjour Gaston ! Alors vous avez du nouveau pour moi ?

- Oui Monsieur Petitpas, vous allez être content !

L’œil ordinairement terne d’Anselme s’alluma comme un lampion au 14 juillet, signe d’une intense jubilation.

Depuis longtemps Anselme Petitpas rêvait de posséder un N.A.C*. Il s’en était ouvert à Gaston, lui laissant entendre qu’il serait prêt à le récompenser généreusement si ce dernier lui procurait un animal généralement interdit à la vente ! Oh ! Pas un animal dangereux, ou venimeux du genre crotale ou vipère du Gabon : courageux Anselme, mais pas téméraire !

- C’est quoi ? interrogea notre retraité en se hissant sur la pointe des pieds afin de compenser la différence de taille entre lui, et le vendeur.

-Surprise ! lui dit Gaston dans un murmure, suivez-moi discrètement.

Dans le fond du magasin, une porte métallique, un verrou. Gaston sort une petite clef en laiton, coup d’œil circulaire, il pénètre dans le cagibi, suivi par Anselme.

Sur la dernière étagère, tout en haut, planqué derrière un carton à chaussures, Gaston extirpe un petit pot à confitures de taille standard. Il s’approche de l’ampoule couverte de chiures de mouches, le présente à la lumière délicatement…

L’éclairage est suffisant pour que Anselme aperçoive un genre de poulpe, muni de quatre tentacules, de couleur mauve avec deux grands yeux jaunes. Son premier réflexe est un recul.

- C’est quoi ce truc ?

- Je ne sais pas, Monsieur Petitpas, c’est un homme qui me l’a vendu il y a trois jours, assez cher d’ailleurs. Il dit que c’est un animal rarissime, pas dangereux. Ça vit dans un terrarium, quelques vers pour nourriture, et un peu d’eau. Ah oui ! Il m’a aussi confié que sa nourriture essentielle ne se voyait pas, ne se touchait pas !

- Et ça n’est pas dangereux ?

- Du tout !

Joignant le geste à la parole, le vendeur dévisse le couvercle muni de minuscules petits trous et caresse délicatement la chose, qui se pelotonne et semble visiblement heureuse !

- Si ça continue, elle va ronronner, plaisante Anselme.

Après avoir déboursé 300 euros, Anselme repart tout content, non sans avoir acheté un petit aquarium, un sac de sable fin, des vers pour oiseaux, et quelques pierres fantaisies, afin d’aménager un terrarium pour son nouveau pensionnaire.

Le soir, il a longuement admiré son « poulpe », ses jolies couleurs changeant selon l’éclairage, puis il s’est couché.

Cette nuit-là, il a fait son premier joli rêve, une blonde magnifique croisée dans la rue lui a souri !

Le lendemain, elle a marqué le pas, et il en est certain, elle lui a fait un clin d’œil ! Incrédule, Anselme s’était retourné afin de regarder si un homme le suivait, en ce cas le clin d’œil eût été pour lui ! Même en rêve, Anselme ne se faisait aucune illusion ! Et bien non, c’était bien à lui que le clin d’œil s’adressait…

Les jours suivants, il y a eu le baiser dans la rue, puis un rendez-vous pour un dîner. La nuit suivante, Sarah - puisque c’est ainsi qu’elle se prénomme - l’a invité à prendre un dernier verre, comme dans les films ! Au matin, Anselme gardait ses merveilleux souvenirs dans sa tête dans son cœur, et comme dans la chanson les draps s’en souvenaient aussi…

Anselme ne vivait plus que pour ses nuits. Il avait essayé de faire la sieste afin qu’il y eût encore plus de plaisir, mais nada : ça ne « marchait » que la nuit. Il savait bien Anselme que ça n’était que du virtuel, mais ses rêves étaient si réels quand il les vivait qu’il s’était pris à y croire, jusqu’à dormir nu ! Lui pourtant si frileux !

La première semaine passa ainsi, des rêves de plus en plus torrides, et son petit animal de compagnie dans son joli terrarium se portait à merveille, exigeant peu, un ver chaque jour et un peu d'eau pour sa baignade quotidienne.

Les rêves d'Anselme devenaient de plus en plus élaborés. Ainsi, la nuit précédente, ils s'étaient retrouvés à la Fenice de Venise, on y donnait "La Traviata", ensuite dîner au café Florian, et enfin une suite au Danieli... Rien que ça ! Et, bien entendu, champagne et toujours la sublime Sarah qui le rendait fou !

C'est à partir du dixième jour qu'il y eut le premier bémol, Sarah prétexta une affreuse migraine après une soirée bateaux-mouches avec souper aux chandelles, une suite au Crion, et au moment de se coucher, cette maudite migraine qui priva Anselme de ses ébats nocturnes.

Au matin, il s'éveilla d'humeur chagrine, se pencha au dessus du terrarium et s'aperçut qu'une légère protubérance était apparue entre deux tentacules de son nouvel animal !

La journée se déroula morose, il flâna entre le métro Abbesses et la place du Tertre, passa même un bon moment à glandouiller square Nadar, observant deux amoureux se bécotant à bouche que veux-tu , assis sur un banc de bois faisant face cette magnifique ville, s'étalant à leurs pieds.

Il acheta une boîte de cassoulet chez l'Arabe du coin, se fit chauffer le contenu dans une casserole en inox vachement bien cabossée, mangea à même le récipient, faillit s'endormir devant un feuilleton style : elle est belle et rebelle, mais à la fin elle tombe dans les bras du riche laboureur qui n'a pas de gosses, même pas grave, elle va lui en faire une demi douzaine !

Puis il alla se coucher. A peine allongé, il se retrouve square Nadar derrière le Sacré-Cœur. Il a rendez-vous avec sa Sarah. Il attend, une heure deux heures. Personne.

Son portable sonne : c'est elle !

- Anselme, je ne pourrai pas venir, j'ai un contretemps...

- Ah bon , que t'arrive-t-il ?

- Pas le temps de t'expliquer, Anselme, à plus !

Anslme est catastrophé, c'est en sueur qu'il se réveille. Il n'est qu'une heure et quart ! Le reste de la nuit, il ne dort pas !

Putain ça n'est QUE du virtuel, Anselme, secoue-toi nom de Dieu, se raisonne-t-il ! Il n'empêche que toute la journée il erre comme une âme en peine, attendant le moment du coucher avec impatience.

Quand il s'endort, le décor est sombre, il a du mal à reconnaître l'endroit, une passerelle, un pont plutôt, ça y est ! C'est le décor d'hôtel du Nord le film de Marcel Carné ! Sarah est là, un homme la tient dans ses bras, il l'embrasse, elle a pour lui les yeux de Chimène. Quand leurs bouches se séparent, Anselme lit sur les lèvres de Sarah un "je t'aime" qu'elle adresse à cet inconnu.

Huguette Bernot, la concierge du douze de la rue Montorgueil, a découvert Anselme Petitpas ce matin-là, en lui apportant son courrier. La porte était légèrement entrebaîllée. En entrant, elle a découvert le locataire du troisième face, pendu à la suspension du salon. Le visage violacé, la langue pendante, il tournoyait mollement sur lui-même...

Dans un terrarium, près de lui, un étrange animal, une sorte de poulpe muni de cinq tentacules.

- Tiens ce doit être le N.A.C* dont m'a parlé Monsieur Petitpas, je vais le prendre. Ainsi, étant seule, il me tiendra compagnie, et puis que va-t-il advenir de cette petite bête, si je ne m'en occupe pas ?



*N.A.C : nouvel animal de compagnie.

(ch'tiot crobard : Andiamo)

samedi 23 août 2014

Oncle DanDes nouvelles de Salinger

Avez-vous déjà lu une nouvelle de Jérôme David Salinger, ou, si vous préférez, J. D. Salinger ?

C'est quelque chose qui m'est arrivé très récemment. Un moment de lecture surprenant qui contribue tant à ce plaisir de lire. Mais commençons par le début. Autant vous dire d'emblée que je suis tombé sur Salinger par hasard. J'aime bien fouiner dans les librairies et je suis attiré par les nouvelles en raison de ma paresse naturelle qui m'interdit les longs romans où l'ennui me guette bien avant la page 99 (*).

Lorsque j'ai vu ce livre de Jérôme David Salinger intitulé "Nouvelles", j'ai tout de suite pensé à des nouvelles, car je suis une personne d'observation profonde et de déduction sûre. Il est vrai que Jérôme David Salinger ne s'est pas fatigué pour trouver un titre à son livre. D'ailleurs Jérôme David Salinger n'a jamais vraiment cherché à être publié et de très nombreuses nouvelles écrites de sa main ne sont toujours pas publiées à l'heure où je m'apprête à diffuser ce billet, car Salinger (je suppose qu'à présent, vous savez qu'il se prénomme Jérôme David) était un écrivain un peu particulier, qui n'a fait aucune apparition ni accordé aucun interview durant quarante années au cours desquelles il a refusé toute publication. La notoriété le fatiguait sans doute. Cette notoriété qu'il avait connue avec son roman"L'Attrape-cœurs" (titre original : The Catcher in the Rye).

J'ai donc fait l'acquisition pour un prix modique de "Nouvelles" publié dans la collection POCKET (n° 10031). Un livre qui ne dépasse guère les 280 pages dans un petit format, ce qui me va bien. J'ajoute ici, pour être tout à fait honnête avec vous, que le fait que ces pages soient en "papier fabriqué à partir de bois provenant de forêts gérées de manière responsable" n'a aucunement influencé mon choix. D'ailleurs, je ne sais pas ce qu'est une forêt gérée de manière responsable. Je suppose que l'éditeur, honteux de participer à la déforestation, essaie de se justifier, mais cette mention au début de l'ouvrage ne réduit pas les 80.000 km² de forêts qui disparaissent chaque année de la surface du globe, soit l'équivalent de l'Autriche, et cela depuis plus de quinze ans. (Une réflexion au passage qui devrait nous orienter vers le livre électronique. Fermons la parenthèse).

Avant d'atteindre, en page 27, le début de la première nouvelle, il faut également parcourir ou s'affranchir de la préface. Je n'ai aucune attirance pour les préfaces. Les préfaces m'ennuient. Je les parcours en diagonale et n'en lis la plupart du temps qu'une ou deux pages. La préface de "Nouvelles", écrite par Jean-Louis Curtis, ne fait pas moins de quinze pages ! Mes carences étant plus nombreuses que les étoiles du firmament, j'ignorais naturellement que Jean-Louis Curtis était le pseudonyme de Louis Laffitte, qu'il avait étudié à la Sorbonne, qu'il était agrégé d'anglais, avait obtenu le prix Goncourt en 1947 pour son deuxième roman, Les Forêts de la Nuit, et qu'il avait été membre de l'Académie française. J'en passe et des meilleures. Je n'ai donc rien changé à mon habitude de "sabrer" la préface pour atteindre au plus vite la première nouvelle intitulée "Un jour rêvé pour le poisson-banane".

Ne vous attendez pas à un résumé de ma part. Les nouvelles de J. D. Salinger ne se résument pas, c'est une de leurs caractéristiques. Le lecteur est angoissé du début à la fin, baigne dans un climat oppressant et trouble qui le tient en haleine. Je vous dévoilerai seulement que la fin est très surprenante. Tout allait (à peu près) bien jusque-là, alors je suis passé à la deuxième nouvelle, puis la troisième. Et bien, c'est plutôt déroutant ! J'avais l'impression d'aller nulle part, en m'égarant sans cesse avec de minuscules détails qui n'avaient absolument aucune importance. Alors je me suis dit "Mon gars (je suis assez familier avec moi-même), tu ne peux plus continuer comme ça, tu n'y comprends rien, il te faut une explication de texte". J'avais lu quelque part que les critiques de J. D. Salinger étaient très partagés, certains criant au génie alors que d'autres le traitaient de fumiste et de violoniste manchot.

Méfions-nous des verdicts péremptoires des critiques. Et s'il était un fumiste génial !?

Pour en avoir le cœur net, je me suis résolu, avant de poursuivre, à lire plus attentivement la préface de Jean-Louis Curtis. Elle est très éclairante et je ne saurais trop en conseiller la lecture, une fois n'est pas coutume. Elle m'a surtout rassuré. En effet, n'avais-je pas plus de bon sens qu'une boule de billard à ne pouvoir me détacher de ces histoires sans queue ni tête ? Mon esprit se retournerait-il sur lui-même et basculerait-il "comme un bagage mal attaché dans le filet d'un compartiment" (selon une expression de Salinger) pour que je me contente subitement de dialogues de sourds dont les interlocuteurs ne finissent jamais leurs phrases ?

La réalité est que l'on devient addict des nouvelles de Salinger parce que cet écrivain est extraordinairement habile. L'ambiguïté et l'insaisissabilité de ses histoires vous prennent en otage, vous entrainent sur des sentiers visqueux, vous font prendre des vessies pour des lanternes. C'est le jeu du chat et de la souris. Votre imagination tourne à plein régime. Vous aimez ces personnages pleins de tics et de gaucheries. Ils sont tellement normaux lorsqu'ils se grattent un petit bouton sur le mollet ou se font sauter un reste de nourriture entre deux dents. Ils sont tellement sympathiques, naïfs et fragiles que le lecteur se surprend à partager avec eux leurs inquiétudes et leurs énervements.

Mais avant tout, Jérôme David Salinger a l'art de vous faire imaginer l'innommable. Il sait comme personne faire osciller votre pendule intérieur entre la pire détresse et l’espérance la moins plausible, et finalement, il vous étonnera. Toujours.




(*)« L’éditeur anglais Ford Madox Ford (1873-1939) aurait un jour prétendu qu’il pouvait juger de la qualité d’un manuscrit à la lecture de sa seule page 99, comme un coup de sonde en plein cœur du livre ». (Lire)

dimanche 17 août 2014

Saoul-FifreOù t'as mis le corps ?

Allez, une histoire de brute, pour vous changer des bêtes :

Ces chèvres commencent à me brouter sérieusement les poils et à me gonfler au compresseur d’air. Surtout Arthur. De longue à faire des cagades, casser les clôtures, partir dans la colline, ronger les oliviers… Arthur surtout, ce fumier pourri : debout sur ses pattes arrière, c’est qu’il atteint ses 2m50, ce grand encorné de mes nouilles ! Je vous dis pas l’état des oliviers, si on le rattrape pas tout de suite. Ou plutôt si, je vous le dis : plus d’écorce, plus de feuilles, les branches cassées à concurrence de 2m50… Le typhon Arthur. Merci beaucoup, mon Dieu ! Avec un zig pareil, plus aucun avantage à vivre en région tempérée.

En plus, toujours à chercher la bagarre. C’est un violent, ce mec, je vous jure ! Il s’avance vers moi, faussement calme, sûr de lui, avec des tressautements nerveux dans les muscles des épaules, et puis il fait un truc marrant, enfin, marrant, mouais, pas vraiment : il baisse la tête comme pour me faire admirer ses grandes cornes bien implantées, mais alors pas du tout de l’air de dire :

« T’as vu comme tu m’as encore fait cocu ? » mais bien, et sans l’ombre d’un doute, je décrypte à livre ouvert la mauvaise détermination qui brille dans ses yeux : « Si t’aimes les gros machins vrillés, tu vas jouir, p’tite tête » tout ça, en soufflant et en grattant furieusement du sabot. Je le soupçonne de potasser des traités tauromachiques, le soir à la clarté lunaire. Belzébuth seul sait comment il se les est procurés et qui lui a appris à lire. Peu importe, mais ça n’arrange pas sa mégalomanie !

Bon, en principe, quand ce genre de moment un peu difficile à passer se coltine à mon destin, je me mets à hurler en essayant d’avoir l’air d’y croire (ça ressemble à s’y méprendre à un glapissement d’australopithèque) les rares insanités que ma mère m’a apprises ça fait déjà un bail… Et, miracle, si par hasard je lui sers une obscénité bien gluante à laquelle il n’a pas encore eu l’honneur d’être présenté, eh bien il lui arrive d’avoir un mouvement de recul, l’air pincé, moitié choqué, moitié dégoûté de voir tant de vulgarité dans un si vieil ébouriffé aux yeux clairs… Mais aujourd’hui : macache ! Mes injures doivent être de vieux poncifs rassis, peu convaincants et leur charge émotionnelle tellement élimée que l’accoutumance joue et qu’il fonce.

L’instinct de conservation me fait creuser le ventre, enfin, je me recule, vous m'aviez compris, en une véronique de toute beauté qui m’évite ainsi une opération de l’appendicite sans anesthésie par le chirurgien-fou Arthur, que, soit dit entre nous, et il n’est pas dans mes habitudes de débiner quelqu’un dans son dos sans de sérieuses raisons, je ne recommande pas même à mon pire ennemi. Ce judicieux influx nerveux zigzaguant à la vitesse de l’électricité directement des yeux aux muscles sans passer par le cerveau me fait gagner la seconde indispensable pour me planquer derrière un arbre. L’autre brute prend son virage en épingle à cheveux sur ses deux pattes intérieures, comme un vrai pro, et commence à me mimer « mon manège à moi, c’est toi… » autour de l’arbre. Tout en crachant les dernières cellules pulmonaires que m’ont laissées vingt ans de tabagie active, je beugle :

« Déconne pas Arthur, je disais ça pour rire ! Pas un mot, j’en pense pas un mot ! Je t’èèèèèèèème !! »

Son besoin affectif est comblé. Ou alors il commençait à trouver que la force centrifuge ne lui faisait travailler que le cerveau gauche et il n’attendait qu’un prétexte pour entamer la négociation d’une paix honorable. Toujours est-il qu’il pile net, en une sorte d’ultime galop sur place, d’une élégance olympienne. Complètement calmé, il pousse ensuite la bonté d’âme jusqu’à faire les derniers pas vers moi. Je sais qu’il veut que je le gratte derrière les cornes, là où il a du mal à se débrouiller tout seul. Le silence s’installe entre nous. Mes doigts courent dans ce crin court dont pas un négociant en laine ne voudra.

Vraiment, qu’est-ce qui me prend de gaspiller de longues plages de mon emploi du temps avec cette trique à pattes ? Et à quoi ça sert que l’autre il se décarcasse à inventer l’insémination artificielle ?

Je jette un regard par-dessus l’épaule. Toutes les chèvres sont là, l’œil humide, béant d’admiration devant leur Grand Homme de Bouc, avec des brindilles d’olivier dépassant encore au coin de la lippe, en une ironie délibérément appuyée. Le premier Commandement de l’Eleveur, en lettres de feu, explose soudain et m’incendie la rétine :

« Avoir l’ascendant sur toi, jamais la bête ne laisseras ! »

Aussitôt, un courant de faible intensité me parcourt, me réveille et me remet sur les rails de la rigueur pragmatique. Je m’ébroue et ordonne d’un ton sec :

« Bon, c’est pas tout ça ! Ils sont goûteux, mes oliviers ? C’est de la qualité extra, hein ? Un bon équilibre énergie / azote, ça madame ! Et ben, pas un gramme de foin ce soir ! C’est l’heure de la traite, vous allez me rentrer direct à la maison et…, au petit trot, je veux dire ! »

Et, Arthur en tête, le troupeau obtempère, bon enfant. Ils ont prononcé tous les autres, ils peuvent bien me laisser le dernier mot …


mardi 12 août 2014

AndiamoNantes



Rappelle toi Barbara,
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour là
Et tu marchais souriante
Epanouie, ravie, ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest...

.

Monsieur JACQUES PREVERT avait écrit ce poème il y a bien longtemps, des années plus tard, une longue Dame brune, une autre BARBARA, écrivait cette jolie chanson, il ne pleuvait plus sur Brest, mais sur Nantes....

On clique, on écoute, vous aimez ?



Il pleut sur Nantes,
Donne moi la main
Le ciel de Nantezs
Rend mon cœur chagrin...

.

.

(Ch'tiot crobard Andiamo)

.

mercredi 6 août 2014

Oncle DanLe mange grenouilles

1ère partie : Beaucoup de bruit pour rien

Actuellement, mes carnets sont pleins de phrases inachevées, suspendues, stoppées, telles des frégates qui attendraient une marée d'équinoxe pour se désensabler.

Cependant, étant un homme de parole, ma franchise et mon honnêteté (ainsi que beaucoup d'autres qualités que ma modestie m'interdit de citer ici) m'obligent à contribuer à la survie de Blogborygmes tenu à bout de bras par Andiamo, tel un étendard effrangé et fatigué par tant de batailles et autant de victoires, par tous les temps et à tous les temps.

Bien que redoutant l'apparition sur ce blog de mon avatar qui me fait passer pour un fou échappé de l'asile (comment ont-ils su ?), j'ai conscience que sa conception représente un investissement colossalpour l'équipe de Blogbo, au regard de mes deux petites participations qui se perdent dans l'épaisse couche du passé, puisque cela remonte aux 23 octobre et 23 novembre de l'année dernière. Rien le 23 décembre ni aucun autre 23 d'ailleurs.

Je suis donc allé à la pêche dans le vivier de ma mémoire. A la pêche à l'inédit (ou à l'e-nédit) en quête d'une histoire vécue, bien réelle, et de préférence incroyable. Et bien je peux vous dire que ça ne s'agite plus beaucoup dans le bocal.Que du jus de cervelle impropre à la consommation, du fâcheux, du gênant, du saumâtre et autres qualificatifs pleins d'accents circonflexes. En tout cas, rien de nature à sortir le lecteur de Blogborygmes de la torpeur où il végète.

Et puis, je me suis souvenu du Mange Grenouille. Bande de chanceux.

L'auberge nous avait été chaudement recommandée par la patronne du "Château de la Terrasse" (à Québec, juste à côté du château Frontenac). Elle est située dans la petite ville de Bic, en bordure de la Gaspésie et de la route.

C'est une grosse maison rouge cassis et framboise écrasée, surmontée d'un toit vert. L'entrée, protégée des intempéries par le balcon qui longe tout le premier étage de la bâtisse, bien que dissimulée en contrebas de la route derrière des plantes auxquelles on a savamment orchestré le désordre, se repère par les deux ifs d'environ trois mètres de hauteur qui l'encadrent, lesquels sont flanqués de deux grenouilles géantes dressées sur leurs pates arrières et tenant dans leur dos une espèce d'amphore. L'attention est également attirée par une collection d'énormes citrouilles orange vif.

Descendez quelques marches jusqu'à la porte d'entrée encadrée de deux lanternes d'époque. Un oiseau et un chat en pierre vous accueillent au pied d'une pancarte en fer forgé vous disant "BONJOUR". Vous apercevez des clochettes superposées, également en fer forgé, qui pourraient faire office de sonnette si elles n'étaient pas qu'un simple élément de décoration. Mais ce qui vous surprend avant tout, et vous n'êtes qu'au début de vos surprises, est un très vieux landau en fer et en bois avec une capote de cuir, oublié le long du mur près de la porte, dans lequel un baigneur en celluloïd plus que centenaire dort sous une maigre couverture. Le ton est donné. Avec ce petit côté "antiquaire", vous savez déjà que vous n'êtes pas devant une auberge ordinaire. D'autant plus que derrière les vitres, des masques barbus éclairés par des candélabres vous surveillent à travers une forêt de plantes vertes.

Poussez la porte recouverte d'une couronne de fleurs sur laquelle est écrit "Entrée des voyageurs" puis écartez l'épais rideau de velours noir et grenat qui forme un sas de protection contre les courants d'air. Alors, ainsi que vous le supputâtes un instant auparavant, chers lecteurs, et comme nous le supputâmes nous-même, nous pouvions affirmer en chœur avec l'énergie de cent mille chevaux vapeur, que nous étions dans une auberge extraordinaire.

J'ai bien conscience que je ne vais pouvoir vous donner ici qu'une idée bien fragile et incomplète de ce qui constitue l'auberge du Mange Grenouille, tant il y avait trop de choses à voir. En tout cas bien plus que deux yeux humains placés du même côté de la tête et servis par une pauvre petite cervelle-passoire peuvent emmagasiner.

Un petit salon baroque à gauche de l'entrée était constitué d'un canapé et deux fauteuils entourant un petit guéridon recouvert de dentelles ainsi que d'un piano droit sur lequel étaient posés quantité de bustes et statuettes. De riches et lourdes tentures encadraient les fenêtres. Chandeliers, lampadaires, multiples coussins, tapisseries gris-perle et épais tapis renforçaient l'impression de confort et de chaleur. De très nombreuses plantes, dont certaines étaient artificielles apportaient des touches de couleur sur le foncé des boiseries qui dominaient l'ensemble. Devant une fenêtre, une grenouille tenait à bout de bras des brassées de fougères.

De l'autre côté de l'entrée, en face de la réception de l'hôtel, était aménagé un coin bibliothèque, lecture, documentation touristique, livre d'or… Les nombreux livres anciens qui garnissaient la bibliothèque et paraissaient aussi précieux que le livre de Kells, étaient accompagnés, eux aussi, de statuettes, angelots, bougeoirs, baromètre, photographies d'ancêtres, chandeliers, pots-pourris, miroirs et fleurs, le tout sous le regard hautain de deux grenouilles jumelles en déshabillés et sandalettes rouges.

Nous n'avions pas réservé et la réceptionniste nous annonça qu'il ne restait plus que deux chambres sur les vingt deux que compte l'hôtel. La chambre des jeunes mariés et la chambre numéro 5, la chambre rouge. Nous avons opté pour la chambre rouge, allez savoir pourquoi. On nous conduisit jusqu'à notre chambre au premier étage qui faisait partie des chambres du "Haut côté". Il y a en effet quatre catégories de chambres à l'auberge du Mange Grenouille. Les chambres du "Haut Côté", du "côté cour", du "côté jardin" et du "grenier". Il n'y a pas deux chambres identiques et elles sont toutes décorées sur un thème particulier. C'est ainsi qu'il y a, par exemple, la chambre du peintre, la chambre de l'écrivain ou la chambre du pêcheur. La chambre rouge, quant à elle, est… rouge. On s'en rend compte dès le premier coup d'œil. Il n'y a pas tromperie. La tapisserie à losanges est à dominante rouge, la moquette est rouge, le lit à baldaquins est rouge, les tentures sont rouges, le ciel de lit est rouge, les rideaux sont rouges, les coussins sont rouges, les fleurs sont rouges, le napperon du guéridon est rouge. Tous ces rouges se marient bien entre eux. Il y a des tissus damassés, quelques brocarts et lampas et des velours de Gênes. La moire de ces tissus aux reflets changeants et chatoyants est du meilleur effet. Des fleurs, des photos anciennes, un peigne et des brosses côtoient sur une table de maquillage les bustes verdâtres d'un couple de singes habillés, perruqués et emperlousés. Des livres ont été déposés sur les chevets, les tableaux sont des reproductions de Renoir et Rembrandt et une paire d'antiques jumelles est posée sur une table à côté d'un bouquet de fleurs séchées. Lampes et éclairages indirects dissimulés derrière de fausses fenêtres participent à une ambiance raffinée et sophistiquée.

C'était parfait. Il ne restait plus qu'à aller chercher nos bagages dans la voiture. Nous quittons l'établissement par une petite porte latérale donnant sur un escalier en bois qui nous dépose au bord de la route. C'est précisément à ce moment-là que je l'ai entendu pour la première fois. Le bruit !

THE bruit.

Impossible de le situer quelque part. Impossible de déterminer d'où tombait ce bruit. Les voitures qui passaient ? Non, les voitures paraissaient normales. Ce camion qui s'approchait, peut-être ? Non plus. Ce camion, tout gros qu'il fût, n'était pas responsable. Un mariage devait s'approcher, sans doute, avec son cortège de tintamarres. Non, pas de mariage, pas de sirène, pas d'avion qui s'écrase. Rien. Pourtant, le bruit se renouvela, une fois puis deux, de plus en plus puissant, de plus en plus énorme, de plus en plus monstrueux. Un érable perdit ses feuilles. Au loin, les animaux du parc naturel de Bic se turent, ainsi que les animaux ont l'habitude de le faire à l'approche d'une catastrophe majeure. Les grenouilles stoppèrent tout coassement et les taons annulèrent tous leurs vols.

Mes chaussettes me lâchèrent et je dus tenir mon pantalon à deux mains. Ma vue se brouilla et de l'autre côté de la rue je crus apercevoir une dame entièrement déshabillée sous l'effet de l'énorme, formidable, extraordinaire vibration sonore. Une vibration qui se propageait jusqu'aux vêtements les plus intimes.

Il nous semblait que toutes les catastrophes imaginables (et même les autres) pouvaient s'abattre sur nous si ce bruit devait encore se répéter avec plus d'intensité, ce qui nous paraissait inconcevable. Je croisai le regard de ma femme, un regard où l'effarement tournait à plein régime. Des cercles noirs commençaient à se former autour de ses yeux et sa respiration eut intéressé un spécialiste de l'asthme. Elle prenait progressivement une teinte mauve et maigrissait à vue d'œil. (Je dus admettre ultérieurement que ce dernier point relevait davantage de l'impression que de la réalité).

Inutile de dire que l'on broyait une quantité assez considérable de noir et il ne fait pas de doute que si nous avions été des encornets, notre inquiétude aurait immédiatement déclenché une importante éjaculation d'encre noire.

Notre stupeur se mit à ignorer toutes bornes lorsque le bruit se répéta une troisième fois. Un bruit à être plaqué au mur et à chercher refuge sur un arbre ou un lustre, c'est selon. On se sentait aussi remués que des œufs battus en neige.

A un moment ou à un autre de leur vie, tous les individus sont amenés à coller leurs mains sur leurs oreilles. Pour nous, il semblait que ce moment soit venu, mais l'exercice était compliqué par le fait qu'il fallait en même temps tenir son pantalon et beaucoup d'autres choses encore.

Une épée de Damoclès est déjà désagréable quand on la voit (cependant, on peut encore espérerl'éviter avec un pas de côté au dernier moment) mais elle devient carrément insupportable quand on ne la voit pas. Malgré nos cellules grises en ébullition, nous ne savions à quoi nous attendre. Cela pouvait provenir d'une créature de Frankenstein, d'un quelconque King Kong, d'un brontosaure diplodocus sorti de Bic-Park, ou peut-être même d'un Transformer de l'âge de l'extinction, si les Transformers de l'âge de l'extinction sont bien ce que je pense qu'ils sont… Tout, vous dis-je.La lune serait-elle devenue couleur de sang, aurions-nous baigné dans une lumière de fin du monde ou la civilisation se serait-elle mise à trembler, que cela nous aurait paru compatible avec cet incompréhensible bruit. Mais rien de tout cela. Pas le moindre nuage dans le ciel et à part la dame nue de l'autre côté de la rue,personne ne s'alarmaitdu phénomène qui ne semblait incommoder que les animaux.

Pourtant, le monstre existait bien. Dissimulé jusqu'à cet instant par une abondante végétation, il surgit à cinquante mètres de nous et passa à grande vitesse en déroulant ses interminables anneaux de ferraille dans un infernal tohu-bohu de boggies de wagons.

Avant que ce vacarme ferroviaire ne s'évanouisse totalement, le gigantesque train de marchandises nous gratifiad'un ultime coup de sirène et sa corne de brume cracha une fois de plus ses terribles décibels à deux kilomètres à la ronde, provoquant un nouveau double-salto arrière de nos trompes d'Eustaches qui n'en pouvaient mais.

(à suivre)