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samedi 30 janvier 2010

AndiamoNotre Edam est parti

Notre Edam est parti !

Je me Saoulfifrelise, sans toutefois égaler le maître, mais que voulez-vous ? C’est contagieux, bien plus que la grippe H-hein ?-n’a rien.

Je suis allé voir l’exxxxcellente comédie musicale de Luc Plamendon et Richard Cocciante : Notre Dame de Paris.

A cette époque, les comédiens la jouaient depuis un mois seulement, le spectacle était suffisamment rôdé et les comédiens avaient leur fraîcheur intacte.

Je… Nous nous sommes régalés ! Plus de deux heures assis sans sentir mon cul ! C’est un signe qui ne trompe pas : quand tu ne sens pas tes fesses au cours d’un spectacle, c’est qu’il est bon ! (le spectacle, pas ton cul !)… Quoique.


P.S. : par avance je décline toutes les offres qui me seront faites, tant les "music Awards" que les éventuelles propositions de Patricia Coquatrix en vue d’un passage à l’Olympia.

Idem en ce qui concerne la "Starac" : j’ai passé l’âge de prendre des douches en public !

Croyez bien, cher Monsieur Manouchian, que j'en suis profondément désolé.


Après Sarkmania, voici : Notre Edam est parti.



Le temps des p’tits casse-dalles



Pelle



Ouais, bien sûr, c’est une vieille voix, mais je serais curieux de vous entendre chanter, juste un peu, histoire de me rendre compte…

mercredi 27 janvier 2010

Saoul-FifreLe Monsieur

Le Monsieur, dans mon petit village du Périgord d'une centaine d'habitants, c'était le Maître, l'instituteur, enfin en aucun cas l'enseignant, et nous ses apprenants, selon le langage mammouth actuel ?

Dire le respect qu'il y avait derrière cette appellation est difficile. Le Monsieur, traduction approximative de Lou Moussu, c'était traditionnellement le seigneur ou le bourgeois du village, le seul qui savait lire et écrire dans la commune, le seul à être abonné à un journal, à posséder des livres, le seul qui pouvait défendre ses voisins paysans dans leurs affaires de justice ou d'impôts, celui qui leur lisait les lettres du fils au front, qui répondait aux pudiques, aux allusives lettres d'amour... Il expliquait, il conseillait, négociait, décortiquait les nouvelles lois.

Il était l'indispensable rouage de la communauté. Sans lui, les habitants auraient été des serfs, des animaux.

Alors bien sûr, fallait quand même pas exagérer non plus, l'ancien château ou gentilhommière construit en sentinelle en haut de la petite colline a été démoli, sans doute à la révolution, et fut érigée à sa place la mairie accolée à son école obligatoire, laïque et républicaine. Jules Ferry leur envoya un de ses hussards chargé d'unifier la France par l'apprentissage en force du français, et Lou Moussu devint Le Monsieur, objet de toutes les admirations, qui reprit le rôle.

Quand je vois les parents actuels demander RV aux "professeurs des écoles" pour rouspéter contre la faiblesse des notes de leur petit génie incompris ou contre la dureté des exercices, voire pour leur casser la gueule ou se plaindre à l'inspecteur d'Académie, je me dis que j'ai dû passer le mur du con sans m'en apercevoir et que je vis désormais dans un monde parallèle aux valeurs symétriquement inversées.

Dans les années soixante, au simple évoqué de Monsieur Mesnard, tous les présents se mettaient à baver et leurs yeux à briller, extasiés. Le Monsieur, c'était le Bon Dieu descendu sur terre, c'était un fait acquis. Quand mes parents, ou ceux de mes copains, le rencontraient, ils le saoulaient de félicitations et la conversation finissait toujours par "Et n'ayez pas peur de le visser, il a tendance à se laisser aller".

C'était juste histoire de garder la corde tendue, car la moyenne de la classe tournait autour de 18/20. Nous nous battions comme des lions pour obtenir et conserver l'estime du Monsieur. C'était une classe unique, de la maternelle au certificat d'études dans la même pièce, avec le même Monsieur, alors il fallait respecter le travail des autres. On entendait les mouches voler et ronfler le poêle Godin. Nous étions suspendus aux lèvres du Monsieur, d'où sortait une voix calme et bien timbrée. Si nous voulions poser une question, nous levions le doigt et nous attendions d'être désignés par la longue règle. Seul le crissement de la craie troublait le silence lors du calcul mental : le Monsieur écrivait l'opération au tableau, nous nous jetions frénétiquement sur nos ardoises pour être le premier à la lever à bout de bras, revêtue du résultat exact, jamais faux. Notre but était bien de lever l'ardoise le premier. Nous recensions nous-mêmes nos points, le Monsieur nous faisait confiance. Pour pouvoir s'occuper des autres niveaux, il nous donnait des devoirs, ce qui fait que le soir, nous étions entièrement libres dès le portail de l'école franchi. Si nous avions fini avant les autres, nous pouvions aller silencieusement au fond de la classe emprunter un livre sur les rayonnages. Ou bien il nous embauchait pour faire lire des plus petits. Ou bien on aidait les moins rapides. En chuchotant, on avait le droit.

Un des rôles que la petite communauté villageoise attendait de lui était la préparation du spectacle de fin d'année. Nous faisions tout, décors, costumes, aidés par les mamans, il fallait apprendre des saynètes, des danses, des poèmes. Il fallait faire le tour des fermes pour recueillir des lots pour la tombola, c'était toute une histoire. Le jour dit, tout le village était là dans la salle des fêtes, payait son entrée, et à l'entracte buvait un coup en mangeant les gâteaux faits maison. Le bénéfice de la soirée payait à toute l'école un voyage touristique en car. Nous, petits ploucs sans même la télé, avons visité ainsi Banyuls, Carcassonne, l'île de Ré...

Je me souviens aussi que, tout pilier laïque et athée de la société que le Monsieur était, son attitude envers son "adversaire" le curé était neutre et respectueuse. Il laissait filer en avance ceux qui devaient aller au catéchisme ou aux "retraites", sans petit sourire ni la moindre remarque.

Un jour, Monsieur Mesnard tomba malade et l'on vit arriver un jeune remplaçant, frais émoulu de l'Ecole Normale, à qui il nous fallut tout expliquer les règles, bien comme il faut, comme les appliquait le Monsieur. L'apprenti instituteur fut très sage et nous obéit en tous points. Et nous n'eûmes pas la cruauté de relever ses évidentes lacunes en matière de pédagogie. À l'impossible, remplacer le Monsieur, nul ne peut être tenu.

Il ne s'agissait pas d'un de ces arrêts-maladie de complaisance puisque nous enterrâmes notre Monsieur peu après.

Monsieur Marsac, au caractère au moins aussi bien trempé, mais à la santé meilleure, réussit à se faire titulariser dans nos cœurs, à la satisfaction générale de toute la commune, qui l'adopta comme nouveau Monsieur.

Si le hasard fait que vous tombiez sur ces lignes, Monsieur Marsac, je serais ravi que vous vous manifestiez.

dimanche 24 janvier 2010

Tant-BourrinBrouillon de culture (7)

Les six premiers numéros de "Brouillon de culture" (que vous pouvez revoir sur BlogboReplay ici : 1, 2, 3, 4, 5 et 6) ayant méchamment cartonné au Bloguimat (62% de part de marché chez les ménagères de moins de 50 ans), nous ne pouvions rester longtemps sans vous dispenser un septième opus de l'émission qui rend les blogueurs (un tout petit peu) moins cons !

Je me suis donc de nouveau précipité vers ma bibliothèque pour en extraire quelques-uns des plus grands chefs-d'oeuvre de la littérature mondiale, que tout être humain digne de ce nom doit avoir lu au moins une fois dans sa vie.

Non, ne me remerciez pas, c'est naturel chez moi que de chercher à semer à tout vent !





Hélice ou la vraie vis - Claire Ecce-Lhélice

A l'époque de la guerre d'Algérie, Hélice, jeune fille éprise de technique, rêve de concevoir une vis autrement plus solide et facile d'utilisation que celles du commerce. Pour cela, elle monte à Paris et trouve un travail dans une usine qui produit des articles de quincaillerie. Hélice se prend d'amitié pour Areski, un Algérien en butte à des manifestations de racisme de la part des contremaîtres. Ledit Areski s'intéresse lui-même soudainement beaucoup à Hélice quand celle-ci lui avoue que, le soir, seule dans son lit, elle ne rêve que de vis. Malheureusement, leur amour naissant prend brutalement fin quand Areski est pris dans une rafle et est mis sous écrou.





L'effrangé - Amer Calbut

"Hier, ma frange est morte". C'est ainsi que commence ce roman, narré par un dénommé Morsault. Celui-ci est en effet allé récemment chez le coiffeur, mais ce dernier n'a pas tenu compte des indications de Morsault : il lui a coupé les cheveux beaucoup trop courts et a notamment complètement rasé sa belle frange qui lui donnait un air si délicieusement eighties. Morsault en est tout perturbé et ne sait plus quelle attitude adopter, il en perd sa libido. Plus tard, alors que Morsault marche seul sur la plage, accablé par la chaleur et le soleil, il aperçoit son coiffeur, couché à l'ombre d'une source, qui à sa vue montre ses ciseaux et son peigne. Morsault sort alors de sa poche un revolver et, comme dans un mauvais rêve, il tire et tue le coiffeur. Dans la seconde moitié du roman, Morsault est en prison, puis est condamné à la guillotine. Il espère juste que cette fois-ci, la coupe sera de meilleure qualité.





L'eau pissée - Homerde

Cette grande fresque homerdique est ancrée profondément dans la mémoire de l'humanité. Elle conte les aventures d'Upysse qui, après avoir guerroyé contre les Troyens, cherche à revenir chez lui, en Ithaque. Hélas, Upysse réalise que le GPS n'a pas encore été inventé dans l'Antiquité et son voyage de retour prend un peu plus de temps que prévu. Ayant picolé pas mal de nectar chez la nymphe Calypso, Upysse est bientôt pris d'une violente envie de soulager sa vessie.

Malheureusement pour lui, les Dieux de l'Olympe semblent en avoir décidé autrement. Il passe chez Polyphème le cyclope pour lui demander s'il peut utiliser ses WC. Hélas, ceux-ci sont bouchés et Upysse, de dépit, crève l'oeil de son hôte imprévoyant.

Upysse arrive ensuite chez Éole, qui lui donne une outre dans laquelle il a enfermé tous les vents défavorables. Hélas, au moment où Upysse déboutonne sa braguette, ses compagnons ouvrent l'outre et déclenchent une tempête. Upysse doit renoncer à uriner, car il connaît le danger de le faire par vents contraires.

Arrivée dans l'ile de Circée, les compagnons d'Upysse, qui avaient eux-même une forte envie de miction, se soulagent sur la plage. Circée, furieuse de voir que l'on prend son île pour une porcherie, les transforme immédiatement en cochons. Voyant cela, Upysse se retient encore, bien que sa vessie soit terriblement douloureuse. Upysse réussit à les sauver avec l'aide d'Hermès qui lui donne un de ses célèbres sacs pour qu'il en fasse cadeau à Circée pour l'attendrir.

Repartis sur les flots, les Sirènes tentent de les envoûter par leur chant. Mais vessie enflammée n'ayant pas d'oreilles, ça ne fait ni chaud ni froid à Upysse qui ne rêve que d'une chose : trouver enfin des toilettes pour se délester des trois hectolitres d'urine qui compriment sa vessie.

Bref, après bien des péripéties, Upysse finit par accoster seul sur les côtes d'Ithaque. Il se précipite chez lui, hilare à l'idée de pouvoir enfin pisser après s'être retenu pendant vingt ans. Hélas, son logement - et ses propres toilettes ! - sont squattés par une flopée de prétendants qui veulent se taper sa femme Pénélope.

Sous le coup de l'émotion, Upysse en oublie de se contenir et un gigantesque jet d'urine sous haute pression jaillit de son entrejambe, karchérisant en un instant tous les prétendants.

Upysse a ainsi réalisé sa vengeance, soulagé sa vessie et rétabli son autorité. La paix peut de nouveau régner sur Ithaque.

jeudi 21 janvier 2010

AndiamoChez Nine

Octobre 1952, dans le petit cimetière qui surplombe un méandre de la Marne, la pluie fine et glacée tombe sur les visages tristes de la plupart des habitants de ce petit village de Seine-et-Marne, perdu au milieu des champs de betteraves, entre Meaux et la Ferté-sous-Jouarre.

Nine a regardé Sophie descendre dans le trou creusé.

- "Bien comme il faut", a déclaré Julien, le fossoyeur.

La dernière pelletée de terre lourde, jetée sur le petit cercueil blanc, la dernière rose blanche recouverte de mottes ruisselantes. Nine, que la pluie inonde maintenant, n’a même pas songé à ouvrir son parapluie.

Elle s’appuie sur le manche si fin qu’il se courbe sous le poids de la jeune femme. Aucune larme ne mouille ses yeux, seule la pluie ruisselle sur ses joues creusées, un léger tremblement agite sa lèvre inférieure.

Un peu à l’écart, le commissaire Dangard, flanqué de l’inspecteur Marcheuille, observe la scène.

C’est la procédure lors des obsèques de la victime d’un crime. Et ce crime-là a été particulièrement odieux.

La petite Sophie a été retrouvée dans le bois situé derrière le café "chez Nine", tenu par sa maman, après deux jours de recherches. Le corps grossièrement recouvert de feuilles et de branchages.

Après autopsie, les conclusions sont effroyables : Sophie violée, puis étouffée sans doute à l’aide d’un chiffon ou, plus vraisemblablement, contre la poitrine de son assassin. En témoignent les contusions relevées sur le visage de la fillette.

Dans ces années-là, on ne savait pas extraire l’A.D.N. La seule chose dont on était sûr, c’est que le groupe sanguin de l’assassin était : O+. Autrement dit, le plus courant des groupes sanguins !

Le curé a tout fait pour convaincre Nine de faire au moins bénir le corps de Sophie, alors elle s’est emportée comme jamais elle n’en se serait crûe capable :

- Ton bon Dieu, curé, tu sais où tu peux te le mettre ?

- Mais… Mais enfin, Janine, tu déraisonnes, la douleur t’emporte, on se connaît depuis l’école primaire, tu as toujours fait tout comme il faut.

- Ah oui ? Et Dieu, il a tout fait comme il faut ? Hein, curé ? Mon Pierre tué en 40, il n’aura même pas connu sa fille, les balles des boches lui ont fermé les yeux avant qu’il ne la voit ! L’an dernier ma Sophie elle avait fait tout comme il faut : une jolie première communion, comme elle était jolie… AVE, AVE, AVE MARIA… Elle a hurlé plus que chanté. Et Marie elle s’est vengée parce qu’on lui a tué son fils ?

- Arrête Janine, tu blasphèmes !

- Rien à foutre, Michel, casse-toi… Casse-toi !

La dernière phrase, Nine l’a hurlée, les rares buveurs sont partis, laissant sur le comptoir le prix de leur verre de rouge.

Nine est rentrée seule, elle n’a pas voulue qu’on la raccompagne. Seule avec ces griffes qui lui rongent le ventre, seule avec cette grosse boule dans le fond de la gorge, seule avec ces mains qui ne caresseront plus les longs cheveux bouclés, seule avec l’image d’un immonde entraînant Sophie à la sortie de l’école. Un familier sans doute, ont dit les policiers, venus de Meaux. La pauvre petite l’aura suivit sans se méfier.

Elle a tourné la clé dans la serrure du petit café gris, à l’enseigne écrite en lettres rouges, "CHEZ NINE", baissé le bec de cane et elle est entrée dans la salle aux rideaux à carreaux vichy. L’odeur du tabac froid flotte dans la pièce. Il fait un peu frisquet, ce matin, elle n’a pas allumé le Godin en fonte trônant au milieu de la grande salle. Elle a tiré une chaise au bois lustré à force d’accueillir les corps fatigués par les rudes journées aux champs.

Beaucoup de Polonais venus en France, le pays de l’égalité. Venus s’user les mains et se casser le dos à "démarier" les betteraves !

Et tout à coup, elle s’est effondrée, loin des regards, seule dans son horreur, seule dans ce deuil qui ne finira jamais.

Elle est là, le dos agité de soubresauts, quand elle entend la porte s’ouvrir.

- C’est FERMÉ ! hurle-t-elle.

Je suis le commissaire, Madame, mon adjoint et moi sommes venus vous présenter nos condoléances. Vous savez, ça n’est pas une simple politesse, je suis… Nous sommes très sincèrement affectés par ce qui est arrivé. Les meurtres d’enfants, ça ne passera jamais, Madame, jamais.

- Asseyez-vous. Je vous sers quelque chose ? Je vous l’offre.

- Non merci.

Marcheuille allait l’ouvrir, un seul regard du commissaire… Et il admire ses pompes.

- Voilà, Madame Langlois, il y a une petite chose qui nous gêne : vous nous avez signalé que votre fillette portait un petit appareil dentaire destiné à contraindre les incisives à s’aligner avec les autres dents ?

- Oui commissaire….

- C’était un genre de petit appareil en fil d’inox ?

- Oui.

- Voyez-vous, ce qui me gêne, Madame Langlois, c’est qu’on ne l’a pas retrouvé. Cependant nous avons fouillé minutieusement l’endroit où on a retrouvé votre fillette.

A l’énoncé du mot fillette, Nine a éclaté en sanglots. Paternellement, Dangard a posé sa main sur l’épaule de la femme, la berçant calmement.

- Pleurez, Madame, ça soulage… un peu. Vous connaissez le nom et l’adresse du dentiste, Madame Langlois ?

- Oui, bien sûr, hoquète Nine : le Docteur Lannet à Meaux.

Marcheuille a noté, les deux hommes ont pris congé, tentant de réconforter la femme une dernière fois.

Le docteur Lannet a confirmé, il s’agissait bien d’un petit appareil en métal, un genre de fil d’inox, prenant appui sur les canines, et contraignant les incisives à s’aligner. On ne collait pas des plots à l’époque, un simple fil d’acier, revu régulièrement afin d’être resserré un peu plus à chaque visite.

Le café a ouvert de nouveau. Petit à petit, les clients sont revenus, un peu retenus au début par pudeur. Les semaines passant, on a moins "causé" de l’affaire.

Parfois appuyés contre le zinc, Georges et Maurice en reparlent volontiers, surtout après une ou deux chopines.

- Si je l’tenais c’t’ordure, lâche Maurice…

- Moi, j’y f’rais bouffer ses couilles à c’t’enculé ! renchérit Georges.

- Oh ! Pardon, Nine, ça m’a échappé, j’voulais pas êt’ grossier, x’cuse-moi !

- C’est rien, Georges, c’est rien, répond Nine dans un murmure.

Le premier Noël sans Sophie, le petit sapin dressé dans la salle à manger du premier, aucune guirlandes, aucune boules. Au pied du petit "Nordmann", une photo de la fillette, dans un cadre de bois tout simple, les yeux écarquillés, tirant la langue à sa photographe de mère.

Nine se souvient de cette journée : elles étaient parties toutes les deux pour quelques jours de vacances au Crotoy, sur la côte Picarde. Une petite chambre d’hôtel face à la mer, les petits bateaux qui le soir remontent la Somme à marée haute, avec à leur bord la pêche de la journée.

Parfois, elles achetaient aux marins des crevettes, qu’elles faisaient bouillir ensuite sur un petit réchaud "Butagaz" dans leur chambre à l’insu du patron ! Deux cornets de frites achetés sur le port, une baguette toute chaude, et une pêche en guise de dessert, elles s’ étaient beaucoup amusées de ces pique-niques improvisés.

La photo avait été prise le soir à la rentrée des bateaux.

- Tiens, regarde : je ressemble à Martine Carol, avait dit la fillette en écarquillant les yeux, tout en tirant la langue. Ce qui les avait fait rire toutes les deux.

Les semaines, et les mois qui s’étirent sans fin et, ce jour d’octobre, l’anniversaire de la mort de sa petite Sophie.

L’enquête pourtant méticuleuse menée par les policiers de Meaux n’a pas aboutie.

- Nous ne désespérons pas, Madame, a assuré le commissaire Dangard, nous le coincerons, je vous le promets.

Pour toute réponse, Nine a soupiré, une grosse larme a coulée sur sa joue. Dangard a fait rouler son chapeau dans ses mains, puis a bredouillé un au revoir.

Nine a disposé dans un vase un bouquet de roses blanches, bien en évidence sur le comptoir. Ces roses, elle veut les offrir à ses clients en souvenir de sa petite.

Les premiers clients reçoivent la fleur, avec un merci confus et gêné.

- Bien sûr qu’on a rien oublié, M’Dame Nine, une si jolie fillette vous pensez… Quel malheur !

Puis, le soir, Georges et Maurice font leur entrée. On les appelle Laurel et Hardy, car Georges est grand et plutôt sec, tandis que Maurice est bien grassouillet.

- Salut la compagnie !

- Deux chopines, la patronne ! commande Georges.

- Voilà, mais d’abord acceptez ceci en mémoire de Sophie.

Nine a tendu une rose blanche à chacun des hommes. Le sourire jovial qui illuminait encore leurs trognes vermillon a disparu, un voile de tristesse est passé dans leur regard.

Chacun a saisi une fleur, cherchant un endroit où l’accrocher, Maurice en forçant un peu a réussi à la ficher dans la boutonnière de sa grosse veste en velours côtelé.

Georges lui porte une canadienne, point de boutonnière, mais dans le haut de cette canadienne une petite poche, Georges y glisse la fleur… Et pousse un cri, il ressort vivement la main, un curieux appareil en fil de fer est planté dans son pouce.

- C’est quoi c’machin ? gueule-t-il en le retirant de l’extrémité de son pouce, d’où une goutte de sang commence à perler.

- Ce machin, articule lentement Nine, dont le visage est devenu soudain tout pâle. Ce machin, Georges, c’est l’appareil dentaire de Sophie.



(ch'tiot crobard Andiamo )

lundi 18 janvier 2010

Saoul-FifreLes vieux papillons

Je n'ai pas eu d'Alphonse Bonnafé parmi mes profs. Bonnafé, prof de Français de Brassens au Lycée Paul Valéry de Sète, le poussa, l'encouragea à écrire, à monter à Paris. Il lui conseilla la rigueur - il fut écouté ! - et l'étude des poètes.

Mes rapports avec mes profs de français ou de philo furent neutres. Mes notes étaient correctes mais je ne supportais pas que l'on cherche ainsi des poux dans la tête des grands auteurs, qu'on leur décortique le processus de création au risque d'en déflorer la magie.

Je tenais à conserver ma relation d'admiration pure, pétrie du plaisir de la lecture, de la découverte ébahie des grands poètes, être en contact direct avec leur génie, sans passer par l'analyse académique.

Les auteurs qu'on me forçait d'apprendre, je les regardais avec suspicion. J'ai ainsi repoussé de plusieurs années ma découverte de Boris Vian car "il était au programme". Une fois dépassé ce blocage, je me suis avalé goulument et avec délectation son intégrale.

J'ai fait par contre de nombreuses découvertes grâce à Brassens. René Fallet, bien sûr, dont j'ai tout lu, jusqu'à la dernière note de bas de page. Et puis tous les poètes que Brassens a mis en musique, manière de nous dire : "Vous dites que mes petites chansons vous plaisent, mais écoutez-moi ça si c'est pas du lourd ?".

Et en vrai modeste, pour que l'hommage rendu soit imparable, il réservait ses plus belles mélodies à ses "invités". Ses mises en musiques de poèmes font partie des chansons de lui que je préfère : les petits bijoux de Paul Fort (La marine , Comme hier, Le petit cheval , Si le bon dieu l'avait voulu...), Victor Hugo (La légende de la nonne...), Lamartine (Pensée des morts), Villon (La ballade des dames du temps jadis), Antoine Pol et son sidérant Les passantes (j'ai mis la belle version de Cabrel, comme le pauvre Francis a été étrillé ici même pour son malencontreux "gare au gorille, gare"), si sensible, si prenant, et puis ... et puis ...

... Jean Richepin, avec ses "Philistins" qui m'ont fait jubiler, et, vers la fin, un peu comme une guigne sur un Forêt Noire, je crois que c'est dans le 12ième album, son incomparable Oiseaux de passage, plaidoyer enthousiaste pour l'anarchisme contre la bourgeoisie, pour la liberté contre la servitude, métaphore revigorante des sauvages planant au dessus des contingences quotidiennes et banales dans lesquelles se vautrent les "domestiques".

Appâté par un si bel extrait, j'ai acheté sa "Chanson des gueux", à Richepin, un chouette recueil qui nous chante les gueux de Paris itou les gueux des champs.

Et j'ai la faiblesse, moi nul en musique, de vouloir imiter le Maître et si un texte me plait, d'y plaquer dessus une poignée de notes de musique. Il faut absolument que je me corrige. Cette histoire de "vieux" papillons m'a fait sourire car leur vie est bien brève, seulement quelques heures, c'est pas bien de se moquer des papillons.

Allez, une chanson de plus pour la Calunette, de la part de son inconséquent parrain.

Poème de Jean Richepin

Musique de Saoulfifre

Un mois s'ensauve, un autre arrive.
Le temps court comme un lévrier.
Déjà le roux genévrier
A grisé la première grive.
Bon soleil, laissez-vous prier,
Faites l'aumône !
Donnez pour un sou de rayons.
Faites l'aumône
A deux pauvres vieux papillons.

La poudre d'or qui nous décore
N'a pas perdu toutes couleurs,
Et malgré l'averse et ses pleurs
Nous aimerions à faire encore
Un petit tour parmi les fleurs.
Faites l'aumône !
Donnez pour un sou de rayons.
Faites l'aumône
A deux pauvres vieux papillons.

Qu'un bout de soleil aiguillonne
Et chauffe notre corps tremblant,
On verra le papillon blanc
Baiser sa blanche papillonne,
Papillonner papillolant.
Faites l'aumône !
Donnez pour un sou de rayons.
Faites l'aumône
A deux pauvres vieux papillons.

Mais, hélas ! les vents ironiques
Emportent notre aile en lambeaux.
Ah ! du moins, loin des escarbots,
Ô violettes véroniques,
Servez à nos coeurs de tombeaux.
Faites l'aumône !
Gardez-nous des vers, des grillons.
Faites l'aumône
A deux pauvres vieux papillons.

vendredi 15 janvier 2010

Tant-BourrinLa vaste plaisanterie de la vie

S’il est un qualificatif qui avait toujours fait peu d’usage à Bruno Tritan, c’était bien celui de « sérieux ». La vie n’était en effet à ses yeux qu’une vaste plaisanterie dont il fallait s’empresser de rire, faute de mieux.

Aussi, depuis sa prime enfance, avait-il développé un goût – et un talent – pour les blagues de toutes sortes et nul doute que le chiffre d’affaires du marchand de farces et attrapes de son quartier eut été divisé par deux sans lui.

Il dépassa toutefois bien vite le stade des dragées au poivre, coussins péteurs et autres verres baveurs pour laisser sa créativité donner sa pleine mesure. Et il n’en manquait pas, le bougre ! Ses anciens camarades de classe, plus de quarante ans après, se souvenaient encore avec émotion de ses meilleurs exploits, comme la fois où il avait réussi, à la faveur d’une récréation, à uriner dans la bouteille d’encre violette qu’avait préparé l’instituteur et qui emplirait, un peu plus tard, tous les encriers de la classe. Inutile de préciser que les devoirs ce jour-là dégagèrent un fumet bien particulier et que cela valut à Bruno, après qu’il eût été démasqué, une punition bien sentie.

D’aucuns considéraient plutôt que son acmé farceuse avait été atteinte le jour où, après que le maître eût invité la veille les élèves a emmener en classe quelques champignons trouvés dans les bois alentours pour une leçon de choses, Bruno Tritan avait fièrement sorti de son cartable un satyre puant, dont l’odeur avait aussitôt commencé à chatouiller douloureusement les narines présentes. Et quand le maître avait demandé à Bruno d’aller balancer dehors cette « saloperie-et-plus-vite-que-ça-nom-de-Dieu ! », celui-ci avait laissé le champignon échapper de ses mains et avait marché dessus par mégarde. Ou, du moins, c’est ce qu’il prétendit, car ses camarades de classe avaient bien noté le sourire en coin qui illuminait sa face ce faisant. Du coup, cela avait valu une récréation impromptue à tout le monde, le temps de nettoyer le sol et de laisser l’odeur pestilentielle se dissiper un peu.

Mais ses mauvais coups étaient aussi souvent le fruit d’une soudaine impulsion, comme la fois où, alors que le maître venait de passer près de lui entre les deux rangées de bureaux, il avait trempé son porte-plume dans l’encrier et avait fouetté l’air avec. Une salve de gouttes d’encre violette en avait jailli et était allé mitrailler, dans le dos, la blouse grise de l’instituteur qui ne s’était aperçu de rien. Inutile de dire que le délire fut complet ce jour-là et que ses camarades de classe firent un triomphe à Bruno lors de la récréation (triomphe qui prit fin le lendemain quand le maître, qui avait entre temps découvert les dégâts sur sa blouse, punit collectivement tout le monde).

Mais alors que nombre d’enfants farceurs s’assagissent à l’adolescence, Bruno, lui, conserva ce goût immodéré pour les plaisanteries, dont certaines lui valurent une côte de popularité proche de 100% parmi ses camarades de lycée.

Il réussit ainsi un jour à s’introduire discrètement en salle de classe avant le cours de biologie et à remplacer dans le rack quelques-unes des diapositives consacrées à l’étude du système nerveux par d’autres d’un genre… particulier ! La pauvre Mme Lapipette, professeur à l’ancienne à quelques années de la retraite et qui n’envisageait nullement de dispenser un cours d’éducation sexuelle à ses élèves, faillit en faire une crise d’apoplexie.

On aurait pu penser que la sagesse lui viendrait avec la maturité. Il n’en fut rien. Il s’en fallut même d’un cheveu pour qu’il remplace, le jour de son mariage, l’alliance de son épouse par un anneau de rideau, mais son ami et témoin, mis dans la confidence, réussit, non sans peine, à l’en dissuader au dernier moment, arguant que sa promise pourrait vraiment très mal le prendre. Il attendit donc quelque temps avant de se livrer à quelques petites plaisanteries ménagères anodines : colorant rouge sang dans le réservoir de la chasse d’eau, Vache qui rit enfoncé avec un crayon dans le tube de dentifrice, etc.

Mais c’est surtout au travail qu’il libéra pleinement sa créativité. Un de ses plus beaux faits d’armes fut de préparer un faux document confidentiel à propos d’une profonde restructuration de l’entreprise et de le laisser sur la vitre du photocopieur, comme si quelqu’un l’y avait oublié par inadvertance. L’ambiance fut ce jour-là particulièrement effervescente au bureau !

Bref, Bruno Tritan était arrivé à 47 ans en riant de la vie en toute occasion. C’est pourquoi ses collègues furent très surpris quand, au fil des jours, il se mit subitement à afficher une face morose. Tous imaginèrent de prime abord qu’il montait encore un canular, mais il apparut bien vite que ce n’était cette fois-ci pas une de ses innombrables plaisanteries.

Ses traits se creusaient, il perdait du poids. Bruno dut un jour lâcher le morceau : il avait une tumeur cancéreuse près de la colonne vertébrale. Une semaine plus tard, il dut se résoudre à partir en arrêt maladie et quitta définitivement son bureau.

Définitivement, car les choses tournaient mal : la chimiothérapie n’y avait pas suffi, les métastases étaient là, partout dans son corps. Et lui qui avait pourtant tant aimé la vie n’avait plus envie de se battre. Il voulait au contraire faire bon accueil à la mort : il décida de construire lui-même son cercueil.

Quand les livreurs furent venus livrer le bois, les accessoires, et après qu’il eut annoncé son projet à son épouse, celle-ci accusa le coup : elle avait vécu plus de vingt ans avec un boute-en-train, et voilà qu’elle se retrouvait à partager les derniers jours de celui-ci dans une ambiance qui promettait d’être de plus en plus morbide.

Bruno mit ses dernières forces dans la construction de sa dernière demeure et c’est peu dire qu’il en peaufina la finition : quelques jours plus tard, le cercueil était achevé et il était superbe, d’une belle couleur acajou, avec un rembourrage intérieur habillé d’un épais velours rouge, de lourdes poignées dorées. Bruno avait en outre serti le bois de complexes ornements, eux aussi dorés, sur tout le pourtour du cercueil.

Il était épuisé. Ravi d’en avoir fini, mais à bout de forces. Il n’attendait plus qu’une chose : qu’on l’y couche dedans.

Ce fut le cas une quinzaine de jours plus tard. Son état s’était brutalement dégradé et, en l’espace d’une semaine, il perdit ses dernières forces. Il mourut à l’hôpital aux premiers jours de février et fut, comme il l’avait souhaité, enterré trois jours plus tard dans le cercueil qu’il avait mis tant de soin à construire.

L’histoire de Bruno Tritan aurait dû s’arrêter là. Mais elle connut un étrange épilogue quelques jours plus tard.

Alors qu’elle s’était rendue au cimetière pour arroser les fleurs sur la tombe de son mari, Lise Rouffa, 87 ans, entendit, malgré un début de surdité, des cris dans le cimetière. Elle chercha d’où ceux-ci pouvaient provenir. A mesure qu’elle approchait de leur source, elle distinguait peu à peu le sens des mots : « Au secours ! Sortez-moi de là ! Je ne suis pas mort ! J'ai été enterré vivant ! Au secours !… »

Lise Rouffa sentit son chignon se hérisser sur sa tête ! Aucun doute : les cris sortaient de cette tombe qui semblait bien récente. Elle déchiffra le nom sur le marbre, Bruno Tritan, ainsi que la date du décès : cela faisait moins de dix jours ! Il y avait quelqu’un encore vivant dans le caveau !!! Et les hurlements continuaient de plus belle !

Elle poussa un petit cri d’horreur et partit prévenir le gardien du cimetière.

Une heure plus tard, une petite foule se pressait autour de la tombe : il y avait là trois policiers, deux urgentistes, quelques curieux, deux employés du cimetière et l’épouse de Bruno Tritan, plus pâle qu’un linge. Car c’était bien la voix de son Bruno qu’elle entendait, elle en était certaine ! Son Bruno dont elle portait le deuil depuis une semaine !

Quand le caveau fut enfin descellé, plus aucun doute n’était permis : les cris résonnaient avec puissance, Bruno Tritan était revenu du royaume des morts !

Mais à l’ouverture du cercueil, ce fut un choc encore plus terrible, car le spectacle d’un corps en pleine décomposition s’offrit à leurs yeux alors que les appels à l’aide déchiraient toujours l’espace alentours.

Vous l’avez bien sûr deviné : Bruno Tritan avait voulu partir sur une dernière farce et avait bricolé un cercueil farceur. Celui-ci avait un léger double fond, masqué par le rembourrage, dans lequel il avait camouflé un magnétophone, un amplificateur et un programmateur. Le cercueil était percé de trous pour laisser passer le son et c’est pour les camoufler que Bruno Tritan avaient serti par dessus de complexes motifs ornementaux.

Son épouse partit alors d’un rire hystérique, étrange mélange de gloussements et de sanglots spasmodiques. Décidément, son Bruno ne changerait jamais, même dans la mort !

Ses chairs décomposées, sa peau déjà asséchée donnaient au visage inerte de celui-ci une sorte de rictus hilare, comme celui d’un farceur fier du bon tour qu’il vient de jouer. Un ultime rire à la face de la vaste plaisanterie qu’était la vie.

mardi 12 janvier 2010

AndiamoChippoferraillabôôô...

Jeudi matin, mes copains et moi jouons dans la rue. Les billes rebondissent sur le mur de la mère Titine. Pas pour longtemps car, dès qu’elle va entendre, elle sortira en gueulant, nous virant de notre magnifique espace billes, au prétexte qu’on va lui casser son mur !

Chippoferraillabôôô ! C’est le cri du marchand de peaux de lapins, un bonhomme un peu craspouille, un chapeau mou qui porte bien son nom sur le sommet de ses quat’ tifs grisonnants et graisseux, assis dans sa carriole tirée par un bourrin fatigué.

En fait, le vieux gueulait : chiffons, ferraille et peaux ! Mais nous, on ne comprenait pas bien ce qu’il aboyait, tu penses, pépère avait le gosier laminé par le treize degrés à la pression !

On arrête le jeu, ça m’arrange : je suis en train de perdre ! On se précipite au plus près de l’attelage.

De chaque coté de la charrette pendent des peaux de lapins retournées, le poil à l’intérieur, la peau bien gonflée car bourrée de paille, indispensable pour le séchage. Regroupées, les plus belles car les plus rares : les peaux blanches, celles ayant appartenu à des lapins albinos, les plus chères aussi.

Combien de fois ai-je vu ma mère ou une voisine trucider ces pôves bêtes ! Elles ligotaient les pattes arrières à l’aide d’une ficelle, puis suspendaient la bestiole à une branche basse du cerisier ou du pécher. Armées d’un gourdin elles assénaient un vilain coup derrière les oreilles : le coup du père François ! Ça fait mal ? Oui, si tu laisses traîner ta main derrière l’animal !

Puis, armées d’un couteau pointu et tranchant, elles énucléaient l’animal, en ayant soin de recueillir le sang additionné de gros sel afin qu’il ne coagule pas trop vite. Ce beau sang rouge vif servirait ensuite à élaborer la sauce du civet. Ceci terminé, elles incisaient la peau tout autour des pattes et, lentement, elle la tirait vers le bas. Une légère vapeur due à la condensation flottait au-dessus de la bestiole encore chaude, la peau se retournait laissant les poils à l’intérieur. Enfin, elles garnissaient ce manchon de paille afin qu’il séchât, remisé à la cave en attendant le marchand.

Ça ne nous traumatisait pas. Pas plus que lorsque on coupait la tête d’une poule trop vieille pour pondre : elle finissait en poule au pot et c’est tout ! C’était comme ça, les animaux qu’on élevaient étaient fait pour être bouffés, c’est tout... Simple comme la vie. Aujourd’hui, on ne s’émeut guère des gens qui meurent, mais il faut sauver Willy !

C’était aussi le moment de vendre les bouts de ferraille qui traînaient, parfois plus chanceux un bout de tube de plomb, une conduite remplacée, ou de vieilles fripes vendues au poids, pas bien cher tout ça. Cet argent-là, quelques thunes pas plus, c’était pour nous ! Aussitôt réinvesties dans des denrées de première nécessité : bonbecs, rouleaux de zan avec la petite perle, ou encore des couilles d’âne, tu sais ces grosses boules multicolores à la noix de coco.

Un cadre de bois sur le dos, dans ce cadre maintenu par des lanières de cuir des vitres de toutes dimensions : les grandes derrière, les plus petites devant. "VI…TRIIIIIIER !" qu’il gueulait en passant.

Putain la tentation : sortir mon lance-pierres, mon pigo comme nous l’appelions, choisir un beau barnum, tendre les élastiques à fond, des rouges, ceux des bocaux, viser lentement et... TZING les carreaux ! Mais je n’ai jamais osé, c’était vraiment trop gros, là j’aurais pris la volée du siècle !

A la crèèèème ! Sur son triporteur peint en vert voilà le marchand de cœur à la crème, petits suisses, et autres fromages blancs natures. Son "à la crème" était précédé d’un son de trompe, une espèce de corne en laiton, bien cabossée, dans laquelle il soufflait.

Immanquablement, il me faisait songer à Roland de Roncevaux se pétant les veines du cou (j’ai écrit COU) en soufflant dans son olifant. Il y avait dans mon bouquin d’histoire de France une image le représentant : Durandal plantée dans le rocher, et lui, en cotte de maille, soufflant dans le biniou comme un malade !

C’est curieux, le bonhomme se titillait la glotte en gueulant son "à la crèèèèème", ce qui le faisait chevroter comme une vieille bique ! Ma mère n’achetait jamais de ces fantaisies, c’est trop cher lâchait-elle laconiquement, et puis à la maison elle faisait cailler le reste de lait et en faisait un genre de fromage blanc, avec du sucre en poudre c’était vachement bon.

L’été, nous attendions le marchand de glace. Non, pas les glaces que l’on suce aujourd’hui : les pains de glace, qui servaient à refroidir les glacières, car point de réfrigérateurs, tu penses ! Ils sont arrivés beaucoup plus tard ! Le livreur s’arrêtait afin de laisser ses pains chez les deux épiciers du coin, qui faisaient également buvette.

C’est là que passait le rab des heures sup’ que les laborieux éclusaient le vendredi soir après la paye ! T’aurais vu la gueule des heures sups’ quand ils ressortaient de là !

Quand le glacier coupait ses pains, de longs parallélépipèdes de glace d’un mètre environ et de trente centimètres de coté, des petits éclats volaient. Lorsque armé de son poinçon il découpait des morceaux, nous récupérions ces éclats et les sucions, nos sorbets à nous, les mômes.

Des troquets, il y en avait... Disons presque un à chaque coin de rue, je n’exagère pas ! Oh, pas des BARS, ni des BRASSERIES, non, non, des bistrots, des buvettes, avec le p’tit bleu quasiment servi "à la pression", un truc bien râpeux qui t’flanquait la fièvre de Bercy plus sûrement que n’importe quelle autre bibine. Des vieux accrochés au bastingage sirotaient dans des verres à moutarde ce nectar sensé leur donner la jeunesse éternelle, car c’est bien connu : l’alcool conserve les fruits alors pourquoi pas un bonhomme !

C’étaient des troquets, qui faisaient épiceries. Enfin, quand je dis épiceries, ça n’était pas non plus Félix Potin ou Goulet Turpin (cherchez pas z’avez pas connu !) mais un petit comptoir, avec la balance Roberval et les poids en laiton sagement rangés dans leur boîte en bois, percée de trous de différents diamètres afin de les contenir. Le beurre à la motte, la machine à trancher le jambon, et sur les rayonnages quelques boîtes de conserves et des paquets de nouilles, café, sucre… Enfin l’indispensable pour le dépannage, car les vraies provisions étaient achetées au marché.

Un vieux boulanger passait aussi dans le quartier, un genre de fiacre vert pisseux, un bourrin bais tirait l’attelage. Un jour, il a pété un brancard, je vous ai déjà raconté cette anecdote. Après cet incident, on n’a jamais revu le bonhomme.

Pierrot, le livreur de journaux sur son vélo porteur. Nous, respectueux, nous l’appelions : M’sieur Pierrot. Une grande caisse de bois fixée à l’avant de son vélo, couverte d’une bâche de cuir et, sous cette bâche, les journaux, qu’il déposait chez les abonnés. On pouvait aussi le héler afin de lui acheter un canard. Sa femme tenait la librairie située sur la grande avenue. C’est là que j’achetais chaque semaine mon SPIROU. Je n’ai jamais aimé les abonnements, je préférais et préfère toujours entrer dans les librairies… L’odeur du papier fraîchement imprimé….

Et puis enfin, parfois, le dimanche matin : la fanfare, ou la clique, appelle cela comme tu veux. Cette fanfare passait dans notre quartier trois fois par an environ, c’était l’harmonie municipale. Celle d’Aubervilliers s’appelait : L’ETINCELANTE ! Ça ne s’invente pas un truc pareil. Au passage, tu remarqueras que je n’ai habité que des banlieues chics !

Tous les musiciens habillés de pantalons blancs et de vestes bleu marine, les cuivres étincelants. Devant le tambour major, qui rythmait la cadence avec son long bâton argenté, le porte étendard avec inscrit en lettres d’or : harmonie municipale DRANCY. Et, dessous, les armes de la ville (remplacées aujourd’hui par un logo à la con) : un mouton, sous lequel était écrit Derentacium. C’était la déformation de Terentius, le nom du propriétaire de ce territoire au temps de la Gaule Gallo-Romaine, et qui aurait donné son nom à Drancy. Je ne me souviens d’aucun logo car ils se ressemblent tous. Par contre, des armoiries à l’ancienne, je m’en souviens très bien. C’est con de vouloir être moderne à tout prix, on laisse faire n’importe quoi parfois au nom du progrès. Tu parles d’un progrès : une virgule rouge sur fond bleu, et il paraît qu’on paye ces merdes une fortune !

Nous suivions la clique durant quelques instants, sautant d’un pied sur l’autre, imitant les trompettistes ou les tambours, jusqu’au moment où, agacé, l’un des musiciens, s’arrêtant un instant de jouer, nous promette des coups de pied au cul si nous ne cessions pas nos singeries immédiatement.

D’ailleurs, on suivait tout ce qui passait dans notre pauvre rue, hors mis les corbillards qui ont été les derniers attelages que j'aie vus dans mon quartier. Ca nous flanquait un peu la pétoche, toutes ces tentures noires, ces femmes en grand deuil, chapeaux noirs, voilettes et tout l'attirail de la veuve éplorée.

Mais tous les autres y passaient, imitant à chaque fois le quidam qui venait proposer ses services. Ça n’était pas toujours à leur goût, mais ça n’était ni méchant ni irrévérencieux, juste un petit jeu, des petits plaisirs, des choses insignifiantes qui nous occupaient, et venaient rompre un instant le cours de nos jeux habituels.

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