- Mounillon, la proie approche de ton secteur. Est-ce que tu confirmes ?
- Je crois que ça se précise, Commissaire : j'aperçois deux véhicules au bout de la rue... Oui, confirmation : ce sont bien une Kangoo grise et un Trafic blanc.
- Parfait ! Tiens-nous au courant de leurs faits et gestes...
- Ils se garent devant la bijouterie, Commissaire... Et ils commencent à décharger du matos sur le trottoir...
- Mounillon, est-ce que la bande est au complet ?
- Je vérifie... Apparemment, oui, j'ai dénombré sept individus.
- Cette fois, leur compte est bon !... Duriflard, tu m'entends ?
- Oui, Commissaire !
- Tenez-vous prêts, toi et Duglahoui, début de l'opération imminent. Je donnerai le top départ.
- Bien reçu, Commissaire !
- Rechignous, tu m'entends ?
- Oui, Commissaire !
- Même topo : tiens-toi prêt avec Kozwinsky et Vandefes, on y va bientôt !
- Bien reçu, Commissaire !
- Mounillon, préviens-moi dès qu'ils auront pénétré dans la bijouterie !
- Ça ne saurait tarder, Commissaire... Ça y est, ils ont réussi à ouvrir la porte. Et apparemment, ils ont bien désactivé l'alarme au préalable.
- Des pros, comme d'habitude...

Le Commissaire Paillancroix se frotta les mains de satisfaction. Cette fois, il tenait le gang des Pistoches. Trente ans qu'il attendait ça ! Trente ans passés à leur courir après, et voilà qu'arrivait enfin, après des mois de filature, de planque, de chasse aux tuyaux, le moment où il allait leur passer les menottes aux poignets !

- Commissaire !
- Oui, Mounillon ?
- Ça y est, ils sont tous dans la place, à part l'un d'entre eux qui fait le guet sur le trottoir.
- Celui-là, il est pour toi, Mounillon ! Rechignous, ils sont dans la pièce à côté de votre planque, à mon top, vous jaillissez pour cueillir tout ce joli petit monde ! Duriflard, tu prends l'entrée avec Duglahoui pour choper ceux qui auraient des velléités de prendre la poudre d'escampette !...
- OK, Commissaire !
- Attention... Go ! C'est parti !


Une demi-heure plus tard, le Commissaire Paillancroix savourait le succès total de l'opération en contemplant les visages hébétés des malfrats, menottés et solidement encadrés par des agents, assis sur les bancs du Commissariat.

Son regard allait de l'un à l'autre, illuminé d'un éclat de jouissance manifeste.

- Alors Duraffia, comme on se retrouve !... Et Breloussous !... Et Jépalunic !... Tiens, Dimitriescu, tu t'es laissé poussé la barbe ?... Et Moineau !... Et mon vieil ami Frimairland !... Toute la fine équipe est là ! Cette fois, c'est fait, on a gagné !

Oui, le Commissaire Paillancroix et ses hommes avaient gagné. Ils avaient gagné une partie de gendarmes et de voleurs commencée trente ans plus tôt dans la cours d'école, alors qu'ils étaient tous en classe primaire. Ils étaient les gendarmes, et les Pistoches, qu'on appelait comme ça car ils habitaient tous le quartier de la piscine municipale, jouait le rôle des voleurs.

Il était vite apparu que lui et ses gendarmes, récréation après récréation, peinaient à arrêter tous les voleurs. Ils en attrapaient un en lui tapant trois fois dans le dos, le mettait en prison près de la gouttière dans le coin de la cours, en attrapaient un deuxième, puis un troisième... Mais venait toujours un moment où l'un des voleurs encore en cavale parvenait à quitter son refuge (le petit abri des lavabos), à slalomer dans la cours entre les gendarmes et les autres élèves qui ne participaient pas au jeu, et à venir taper sur la main tendue d'un des voleurs prisonniers, les libérant ainsi tous de leur entrave virtuelle... Et tout était à recommencer.

Et cela recommença, encore et encore. La partie se prolongea de mois en mois, puis de classe en classe, puis de l'école primaire au collège, du collège au lycée...

La partie de gendarmes et de voleurs fit-elle naître des vocations ? Sûrement. Le jeu se poursuivit alors qu'ils étaient tous devenus des adultes : lui et ses copains intégrèrent naturellement la Gendarmerie nationale, alors que les Pistoches devinrent un vrai gang de voleurs, multipliant les pillages de banques et de bijouteries.

Trente ans de traque, cantonné au rôle de gendarme, qui s'achevaient enfin ce soir-là. Trente de frustration aussi : combien de fois avaient-ils réussi à emprisonner six des voleurs près de la gouttière avant que le septième et dernier membre des Pistoches ne surgisse et, d'un cadrage-débordement magistral, n'évite les mains des gendarmes pour aller libérer d'une tape ses complices en ruinant tous les efforts accomplis jusque-là ? C'était surtout Gonzales qui leur avait fait souvent mal : celui-là avait de sacrées cannes, il aurait pu faire un satané trois-quart aile dans une équipe de rugby !

Tout à coup, le visage du Commissaire blêmit.

- Nom de Dieu ! Gonzales ! Où est Gonzales ? Il nous manque Gonzales !!!... Mounillon, tu nous avais dit que la bande était au complet !?
- Heu... Bin, il me semblait bien avoir dénombré sept personnes, mais... heu... il faisait très sombre et leur camionnette me gênait un peu pour bien voir et...

Le Commissaire Paillancroix se frappa le front du plat de la main.

- Bon sang ! On n'a pas cueilli Gonzales ! Il se promène toujours dans la nature !
- Dans la nature tu dis, Paillancroix ? Non, non, je suis là !

Gonzales venait de surgir dans la pièce et se tenait à proximité de ses aclytes menottés.

- La porte du Commissariat était ouverte, alors je me suis permis de vous rendre une petite visite de courtoisie !

Et avant que quiconque ait pu esquisser le moindre geste, il claqua la paume de sa main contre celle de Duraffia.

- On dirait que t'as encore perdu, Paillancroix !
- Eh merde !... Rechignous, c'est bon, enlève-leur les menottes, c'est pas pour cette fois... Et vous, les Pistoches, maintenant, filez !

Les larmes aux yeux devant le gang qui quittait la pièce en fanfaronnant, il ajouta en trépignant presque :

- Vous avez eu du pot cette fois encore, mais je vous jure qu'on finira par vous avoir ! Oui, on vous aura un jour et, après, ça sera à nous de faire les voleurs, na !