Autres temps, autres mœurs. Cette histoire m'a été racontée par Saturnin lorsqu'il avait 80 ans. Elle lui faisait encore briller les yeux. (histoire authentique, seuls les noms et prénoms ont été modifiés)

Élève brillant, Saturnin avait été reçu premier du canton au Certif', le certificat d'études primaires présenté après sept ans de scolarité (CP, CE1, CE2, CM1,CM2, plus deux années de « classes de fin d'études »). Cet examen sanctionnait l'acquisition des connaissances de base en français, orthographe, mathématiques, histoire-géo et sciences appliquées, avec une sévérité draconienne : cinq fautes à la dictée étaient éliminatoires, bien des bacheliers et Bac+2 d'aujourd'hui ne s'en relèveraient pas. Dans la génération de Saturnin, 35% seulement des candidats étaient reçus, c'est dire si le succès du jeune homme fut bien accueilli dans la famille :
- Mon garçon, lui dit son père en lissant sa moustache, le Conseil général offre un vélo au premier du canton, je vais aussi te faire un cadeau. Avec le certif' te voici un homme, on va fêter cela entre hommes.

Mon père, se souvient Saturnin, m'emmena dans un établissement tenu par une dame opulente et fort distinguée qui ouvrit la porte massive au premier coup de sonnette, me faisant entrevoir un vestibule cossu et élégamment décoré. Elle salua papa avec moult effusions, j'en conclus donc qu'elle le connaissait bien.

– Bonjour m'sieur Clémenceau, au plaisir ! Mais vous êtes accompagné ? C'est votre fils, ce mignon, quel âge a-t-il ?
– 14 ans, madame Céleste, et il vient d'être reçu premier du canton au certificat d'études.
– Bravo, jeune homme, vos parents doivent être fiers de vous !
– Alors voilà, poursuivit mon père en ignorant l'interruption, comme il a bien travaillé, je vous l'amène pour qu'il devienne un homme.
– Une première fois ! se réjouit Madame Céleste. Merci de votre confiance, M'sieur Clémenceau. N'ayez crainte, on va lui choisir quelqu'un de bien, de bien doux, bien habile. Mesdemoiselles !!! clama-t-elle à la cantonade, descendez tout de suite.

Une cavalcade se fit entendre dans l'escalier, calmée par un « Doucement, mesdemoiselles, doucement » de madame Céleste. Saturnin vit surgir dans l'entrée quatre jeunes femmes en robes à volants, toutes plus jolies les unes que les autres. Il écarquillait les yeux comme un gosse devant son premier cadeau de Noël, muet, intimidé, peu informé à vrai dire de ce que lui voulaient ces jolies filles mais déjà apte à apprécier leur charme, au singulier.

Madame Céleste prit alors les choses en mains. (non, pas les choses de Saturnin, bandes de voyous, soyez pas si pressés, je vous parle d'un temps où on savait prendre… le temps).

– Mesdemoiselles, je vous présente Saturnin, il vient d'être reçu premier au Certificat d’études et il est ici pour une première fois.

Elle se tourna vers Saturnin :

– Laquelle de ces demoiselles te plairait, mon chéri ?



« Je ne savais laquelle choisir, je n'osais pas en choisir une de peur de froisser les autres et surtout, ne sachant pas trop ce qui allait se passer, il me manquait des critères de choix indispensables…

Ce fut donc madame Céleste qui choisit pour moi : « Charline, vous avez l'habitude des novices, je vous le confie, prenez en grand soin. »

Je montai les escaliers derrière la jeune femme, qui se retournait parfois avec un joli sourire pour m'encourager. Quand nous fûmes dans la chambre, elle m'expliqua tout, m'aida à la dévêtir, me dévêtit l'essentiel et ma foi… ce fut un grand plaisir d'être initié par une si jolie dame. »

– Et ton père, que faisait-il pendant ce temps ?
– Il était dans le salon avec madame Céleste, qui avait ouvert une bouteille de champagne, et tous deux trinquaient à mon dépucelage.

Saturnin soupira, rêveur :

- Elle avait une distinction, madame Céleste… ça n'existe plus de nos jours.