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lundi 24 février 2014

AndiamoUn amour infini

- Monsieur Delmont ! C'est le quatrième acheteur que vous refusez ! Êtes-vous sûr de vouloir vendre votre maison ?

L'homme qui s'adresse à Claude Delmont est un jeune vendeur, employé chez le marchand de biens ayant pignon sur rue dans la petite ville de Villefranche-de-Lauragais, à une trentaine de kilomètres de Toulouse.

Claude Delmont n'est plus très jeune, soixante-dix ans aux vendanges, un cœur un peu fatigué, par une vie un peu débridée, mais dans le sud-ouest con, on aime bien la fête.. con !

- Vous savez, Monsieur Delmont, vous en voulez cent cinquante mille francs de votre maison. Elle est grande certes, mais il y a pas mal de travaux à effectuer, et puis nous sommes en 1963, et avec la ceinture que le grand Charles nous resserre chaque jour, il faut faire des concessions. Tenez, le dernier visiteur vous a fait une offre à cent trente-cinq mille francs, c'est très raisonnable, Monsieur Delmont ! Très raisonnable !

- J'ai dit cent cinquante, un point c'est tout !

- Bon, c'est votre droit, Monsieur Delmont, mais si vous persistez, mon patron va rouspéter et ne s'occupera plus de vous, c'est notre droit également.

- On verra bien, jeune homme : à diù siatz !

Une fois seul, Claude marmonne, "il" m'a envoyé un couple ! Lui, il est boutonneux, elle est mal fagotée, sapée comme une serpillière. Ah non ! Je ne veux pas de ça pour "ELLE" !

Il s'est fait réchauffer un bol de soupe, genre garbure, quelques morceaux de pain dur à tremper afin que "ça tienne au corps" comme on dit, une large tranche de pain de campagne, un morceau de fromage de chèvre, arrosé avec le "chabrot" ! Et au lit...

L'orage qui menaçait depuis hier s'est enfin déchaîné, apportant un peu de fraîcheur et d'eau pour le maïs qui en avait bien besoin. Claude s'est réveillé, il est assis dans son lit, il n'a pas allumé.

Le bruit de tôle froissée tant attendu s'est fait entendre, Claude se lève, enfile ses bottes de caoutchouc, alpague sa canadienne avant de sortir.

Dehors, le platane de la terrasse est secoué par les bourrasques, et contre le muret il aperçoit, à travers l'encre de la nuit, deux phares curieusement dirigés vers le ciel.

Un sourire illumine sa face, c'est ELLE... Oui, c'est ELLE !

Il ouvre le portillon, un grincement sinistre se fait entendre, nul alentour pour capter ce bruit, il vit un peu à l'écart sur la route de Gardouch.

Contre le muret, une 404, dont on ne distingue pas bien la couleur, est encastrée. Claude ouvre la portière côté conducteur, une jeune femme est affalée sur le volant, elle est seule dans la voiture.

Avec d'infinies précautions, Claude a extrait la jeune femme de la voiture, l'a prise dans ses bras et commence à l'emporter chez lui.

L'effort est considérable pour un homme de son âge, il sent une douleur monter dans sa poitrine, il respire lentement, fait le vide dans sa tête, ne pas paniquer, ne pas s'affoler, inutile d'en remettre une couche !

La porte entrebâillée lui facilite l'entrée, il dépose la jeune femme sur le grand canapé, il ôte ses bottes et sa canadienne, lentement en portant sa main à la poitrine, il reprend son souffle, puis se penche sur la femme.

Elle a la quarantaine tout au plus, des cheveux coupés assez courts, elle est très belle. Claude lui sourit, il sait que dans dix minutes elle ouvrira ses jolis yeux couleur noisette, se passera la main dans les cheveux et demandera...

- Où suis-je ?

Depuis la cuisine, Claude l'a entendue, il arrive une tasse de thé à la main...

- Tenez Madame, c'est du Darjeeling !

- Oh, mon préféré, vous êtes devin ?

- Nooon, mais c'est mon préféré également !

Elle trempe ses lèvres dans la jolie tasse de porcelaine, la dernière d'un service magnifique, cadeau de sa Marraine pour son mariage, c'est si loin, si loin, sa Michèle partie il y a près de vingt ans bouffée par le crabe.

Elle va me dire...

- C'était bien bon, merci, Monsieur... ?

- Claude. Appelez-moi Claude, et vous ?

- Je ne sais plus, je ne me souviens plus de rien ! J'ai ouvert les yeux dans cette pièce, je vous ai vu, c'est tout ce dont je me souviens...

Ça fait combien de fois que je la vois ? Douze, quinze fois ? C'est toujours à peu près le même scénario, bien sûr quelques mots changent, un "je me rappelle" au lieu de "je me souviens" mais vraiment des détails. Je faiblis, mon cœur ne va pas trop fort, ce soir, j'ai bien cru... Qui peut prendre le relais ? Tous ceux qui se sont présentés étaient soit trop vieux, soit trop cons, soit pas assez "couillus" !

Il se souvient de la première fois : c'était il y a quinze ans, le bruit l'avait réveillé, il s'était levé une lampe torche à la main. Une 404 encastrée dans le mûr de clôture, la cœur serré, la peur de découvrir des blessés, des morts peut-être ? Juste une jeune femme infiniment belle et seule. Il l'avait portée chez lui, préparé un thé, le téléphone coupé à cause de l'orage, il n'avait pas pu prévenir les gendarmes. Leur nuit magnifique, suivie des deux autres, et un matin...

Il lui a présenté sa chambre, ensemble ils ont mis des draps propres, et au moment de la quitter : elle va me dire...

- Pourquoi vous partez ? tout en faisant glisser sa robe.

Elle sera là durant trois jours, magnifique, allant, venant, virevoltante, ils prendront des bains ensemble ! Elle se mettra même aux fourneaux, afin de lui préparer une tarte Tatin puis, au troisième jour, quand il se réveillera, la place près de lui sera vide, seul subsistera un peu de son parfum, Shalimar de Guerlain...

Durant mes longues journées d'attente, je la dessine infiniment...

(ch'tiot crobard Andiamo)

(Cette petite histoire m'a été inspirée par des B.D, des films, des bouquins que j'ai lu, mais depuis la Bible qu'a t-on vraiment inventé) ?

mercredi 19 février 2014

BlutchTombée or not tombée

En passant dimanche par la ligne de partage des eaux, au col des Vaux, j’ai été interpellé par une goutte d’eau. Ben oui, à chacun ses interlocuteurs, moi, c’est une goutte d’eau qui m’a apostrophé.

- Blutch… Blutch ! J’ai un problème et toi seul peux m’aider à le résoudre.

Je dis que j’ai été interpellé par une goutte d’eau, c’est vrai, mais à ce stade, je n’en savais encore rien. C’était juste une petite voix cristalline de petite fille. J’ai failli passer mon chemin sans y prendre garde tant il peut être dangereux de vouloir porter assistance à une petite voix cristalline. Et pour tout dire, une voix petite et douce, je la préfère, et de loin, dans les tons suaves, et là, ce n’était pas le cas.

- Blutchhhhhhh ! J’ai un problèèèèèèèèème ! S’il te plaîîîîîîîîîîîîit !

Purée, là, l’affaire se corse car je ne connais qu’une personne capable d’utiliser un ton pareil et je ne la vois pas, mais vraiment pas aller se perdre sur la ligne de partage des eaux.

Je suis illico presto entré dans un état que le père Plexité n’aurait pas snobé pour deux sous.

Je tente une manœuvre, à la fois de contact et d’intimidation, car on ne sait jamais….. Eh bien je n’aurais pas dû, car la suite allait me livrer à d’intenses interrogations auxquelles même Chexpire n’aurait pas osé penser.

- Tu es bien gentille, mais qui es-tu ?

- Je suis une petite goutte de pluie et j’ai un problème.

Un problème de goutte de pluie, je n’avais encore jamais dû y faire face. Pour ma perte, je lève un sourcil interrogateur. Bon d’accord, je dramatise, disons alors pour la perte de ma tranquillité momentanée, mais c’est déjà beaucoup.

- C’est quoi ton truc existentiel ?

- Ben tu penses pas si bien dire…. Je suis une goutte de pluie venue d’Atlantique, comme presque toutes mes sœurs. A chaque fois que je peux, en montant dans les nuages, je prends la direction de chez toi, parce que j’aime bien ton champ qui n’est pas pollué par des cochonneries chimiques.

- Mais tu ne vas pas me dire que la pluie peut choisir où elle se pose, parce que dans les coins de merde, il y ferait toujours beau !

- Maiiiiiiis noonnnnn ! Je suis une goutte d’eau philosophe. Voilà ! Avant je ne savais pas, alors il m’arrivait des tas de trucs pas marrants du tout. Une fois je me suis retrouvée dans un labo où ils mettaient des tas de machins dans de l’eau qu’ils faisaient bouillir. Ça puait et ça me grattait partout. On se poussait toutes pour sortir de là au plus vite. Je suis partie une des premières, la fenêtre était ouverte, et après un très long vol plané, j’avais atterri chez toi. C’est de là que m’est venue l’habitude de toujours chercher ton champ pour m’y poser. Mais hier, les vents étaient trop violents et j’ai été emportée bien plus loin. J’étais désespérée lorsque je t’ai vu, alors je me suis posée sur ton front. Mais putain, tu n’es pas cadeau tout de même parce qu’à cause de toi, je vais perdre à jamais mes repères, mes sœurs et mes habitudes.

- Mais en quoi puis-je être responsable d’un coup de vent trop violent ?

- Ce n’est pas ça qui est grave car je me suis posé juste avant la grande barrière.

- La grande barrière ?

- Ben oui, idiot…

- Merci !

- Heu, ben oui ! Tu étais juste sur la limite du partage des eaux. En me posant sur toi, j’étais encore du côté Atlantique. Via la Loire, j’allais me retrouver au large de Nantes, là où se trouve ma famille. Mais tu n’as pas été fichu de t’arrêter lorsque je t’ai appelé et depuis, tu as passé la grande barrière. Ça signifie que je ne vais plus pouvoir retrouver l’Atlantique et ce n’est pas la joie. Cette grande barrière qui va nous, me pousser au sud via le Rhône.

- C’est bien le Sud, non ? Il y fait beau et chaud. Chez les bipèdes, ça se pousse au portillon pour trouver une place au soleil…

- Les bipèdes, c’est rien que des cons. Tu as essayé de boire l’eau du Rhône ? Mes copines en sont malaaaaaades. L’eau du Rhône est tellement dégueulasse qu’EDF ne veut même plus l’utiliser pour refroidir ses centrales atomiques, ils disent que ça rouille leurs tuyaux et que c’est pour ça qu’il y a des fuites…. Les gouttes qui arrivent sauves dans la mer finissent leur vie tartinées de cochonneries anti-solaires dès qu’elles arrivent. En plus, elles se font engueuler à chaque fois qu’elles touchent le sol. A peine dans le train de nuages, elles sont toutes débarquées en même temps dans le même coin de champ, alors forcément ça fait trop d’un coup et le paysan les engueule. En plus, Toutes celles que j’ai rencontrées qui venaient de par Marseille avaient l’haleine empestée d’anis et elles étaient tellement saoules qu’elles ne pleuvaient même plus droit. Dans ton pays, les gens ne sont pas si barbares avec nous. Vous ne nous mettez pas de vin dans votre eau…

- Ben non, faut pas gâcher…… heu, l’eau, bien sûr. Mais je ne vois pas le problème…

- Tu es bouché ou quoi !  Depuis dix minutes, tu as passé la grande barrière, maintenant toutes les gouttes d’eau qui tombent au sol vont irrémédiablement finir leur vie chez les salopeurs de rivière, les buveurs de pastis et les bouffeurs d’ail, et ça, c’est pas une vie de goutte d’eau. Alors je suis malheureuse, parce que j’ai mes habitudes et que j’aime bien ton champ qui sent bon le foin naturel.

- Et selon toi, qu’est-ce que je devrais fai….. Oh, et puis merde pour ces cons qui me font traverser la France pour avoir des explications concernant ma récupération d’eau de pluie.

J’ai fait demi-tour en veillant à ce que la goutte ne prenne pas la tangente durant le virage. Je l’ai faite monter sur mon doigt et j’ai été la déposer délicatement de l’autre côté du col. Machinalement je m’essuyais  les mains avec un torchon lorsque je l’ai entendue me dire :

- Ne me serre pas si fort.

J’ai délicatement posé le torchon dans l’herbe, à côté d’une rigole. De là, je l’ai vu prendre le ru vers la Loire. Depuis, je sèche mes mains au vent pour ne pas risquer d’écraser une goutte d’eau. Il me restera à expliquer à des fonctionnaires des eaux et forêts que je suis en retard car j’ai pris soin d’une goutte d’eau…

Avant moi, personne n’avait approché de si près la désespérance philosophique d’une goutte d’eau. Personne pour clamer haut et fort les conditions d’existence in aquatique (ben tu ne vas pas parler d’inhumanité pour une goutte d’eau, non ) ! Imposées à chaque goutte d’eau de la Terre. Pourtant on ne ferait rien sans elle. Elle est un morceau de l’océan, et en même temps, c’est elle qui fait déborder le vase. Je trouve même qu’il en faudrait plus pour remplir ce rôle. Tiens ! Elle me doit bien ça, faudra que j’en parle à ma goutte d’eau. Je vais peut-être être à la tête d’une armée de gouttes d’eau débordeuses de vase.

Prochaine dissertation sur la métempsychose des gouttes d’eau ou la preuve irréfutable que la réincarnation existe.

mercredi 5 février 2014

AndiamoLa dérive des incontinents

1955... Ils sont trois. Ce ne sont plus trois petits enfants qui s'en vont glaner aux champs, mais trois vieillards qui glandent dans un "mouroir", on les appelait "hospices" autrefois, ça y sentait la pisse effectivement. De grands dortoirs séparés par un couloir, un côté pour les femmes, l'autre pour les hommes.

Eugène, Louis et Fernand : un peu comme dans les "vieux de la vieille". Ils sont dans cette grande bâtisse, ça n'est pas "Gouyette" comme dans le roman de René Fallet adapté par Gilles Grangier à l'écran, mais ça lui ressemble !

Ah ! On s'emmerde ferme chez les sœurs de la charité, dans ce coin de la Picardie près de Grandvilliers, quand on a arpenté la grand' rue, fait une petite halte chez Robert histoire d'écluser un canon et taper le carton une paire d'heures en ressassant les mêmes histoires...

Celles de la grande guerre, la vraie ! La seule qui vaille, où l'engagement au corps à corps était de mise, à la baïonnette nom de Dieu ! Tu voyais crever le mec en face, les yeux dans les yeux, l'horreur, lui en vert de gris, toi en bleu horizon ! De quoi faire de jolis rêves toute ta putain de vie... Enfin si on appelle ça une vie, après tant de saloperies.

L'horizon ? Il n'allait pas bien loin, une largeur de tranchée et basta ! Les feuillets à l'odeur pestilentielle, la dysenterie, la vermine, les poux, les puces, eux bouffaient à leur faim, ce sont bien les seuls ! La bouffe infecte qui arrive froide, quand la "roulante" a du retard, le pinard, les quarts en alu dont on a élargi la circonférence en tirant dessus comme des malades afin d'en augmenter la capacité (authentique). Les heures de glande à graver des douilles d'obus de "75" qui orneront la cheminée du pauvre logement de Ménilmuch' ou la pièce unique de la ferme de Boue sur Vase...

Le perlot, l'herbe à Nicot, qu'on roule consciencieusement afin de n'en pas perdre une miette ou que l'on bourre dans un brûle-gueule. Les briquets à essence qui fument noir...

C'est tout ça qu'ils se racontent, à longueur de parties, je coupe, je surcoupe, tiens le 12 avril 17 à Verdun on leur a coupé les couilles aux boches quan ksé ki z'ont voulu...
- La ferme ! On la connaît par cœur, l'histoire de la grange reprise aux Fridolins !

En 1914, "ils" ont été rappelés, il en fallait bien de la "viande" pour gaver les tranchées, nourrir les canons de "75" ! Eugène avait vingt-neuf ans, Louis trente-et-un et Fernand vingt-huit.

Ils n'ont pas toujours été de "vieux croûtons", ces trois-là ! Eugène pratiquait même le plongeon de haut vol, saut périlleux, vrille et tout le toutim !

Louis avait même fait le tour de France en 1913. Oh, bien sûr, il a juste terminé, et on n'a jamais parlé de lui, mais fallait l'faire à l'époque, vélo à pignon fixe qui pesait une tonne ! C'est au cours de la fameuse étape de Luchon, que Eugène Christophe avait cassé sa fourche dans le "Tourmalet", et avait parcouru 14 kilomètres bécane sur le dos, afin de réparer la dite fourche dans une forge à Sainte-Marie de Campan, et ce sans assistance aucune ! Ça ne rigolait pas ! Cette année-là, le Tour avait été remporté par Philippe Thys (je vous vois venir... NAN, je n'y étais pas ) !

Et enfin Fernand. Lui, c'était le saut en longueur, le triple saut était sa spécialité... Ses potes le charrient :

- T'aurais dû pratiquer le saut en largeur, hé couillon, p'têt' que t'aurais été meilleur !

Seize heures. Ils se sont levés, arpenter une dernière fois la grand'rue avant le retour au bercail. La sempiternelle soupe aux pois cassés, ou aux lentilles, deux patates, une noix de beurre ranci, et le broc de flotte... La flotte qui pue le chlore. Le gâteau de riz et le verre de pif, c'est pour le dimanche, et le dimanche seulement.

Au carrefour, une traction avant, une "onze légère" est garée à cheval sur le trottoir, le moteur tourne, son proprio doit être au tabac d'en face en train d'acheter un ballot de foin.

Eugène s'arrête soudain.

- J'en ai conduit une de traction il y a trois ans, le fils d'un copain m'avait passé le volant, j'ai mon permis, MOI ! dit-il en bombant le torse où ne brille aucune médaille.

Tour à tour il regarde ses copains.

- Ça vous dirait d'aller voir la mer ?

- Et comment, à pied ?

- Ben non ! Elle n'attend que nous, répond Eugène désignant la "onze".

- Vendu ! répondent en chœur Louis et Fernand..

Eugène au volant, Louis à son côté, et Fernand derrière, le titulaire du permis enclenche la première, ça craque un peu..

- Tu ébavures les pignons ? demande Louis.

"Ta gueule !" pour toute réponse. La onze démarre.

- On va où ? demande Fernand.

- Au Tréport : c'est tout droit !

Deux heures plus tard, ils traversent le pont levis enjambant la Bresles, ce petit fleuve côtier qui se jette dans le port. Il fait encore grand jour : nous sommes début juin, les journées sont longues.

La petite route qui serpente jusqu'en haut des falaises oblige à rester en première.

- La pente est raide, déclare Eugène.

- Pas comme nous, a surenchérit Louis, ce qui a fait marrer les deux autres.

La onze est garée le long de la petite route, point de parking à l'époque. Tous trois s'avancent au plus près des falaises qui plongent à pic. Cent mètres environ en contrebas, la Manche caresse amoureusement la falaise, patiemment, lentement, "elle" sait qu'elle en viendra à bout, elle a tout son temps la mer... tout son temps.

En silence, ils admirent à leur droite les falaises de Mers-les-bains, à leur gauche celles de Criel. La côte d'Albâtre est magnifique dans la lumière d'une journée d'été finissante, la mer a pris une multitude de teintes qui va du bleu profond à l'ocre en passant par des verts émeraude de toute beauté.

- Et si on ne rentrait pas ? Plus jamais, murmure Eugène en fixant tour à tour Louis et Fernand...

- Oui, plus jamais, répondent-ils en chœur.

Alors, sans se concerter ils se sont donné la main et ont plongé pour le plus magnifique triple saut que Fernand n'aurait osé imaginer.


Les falaises du Tréport.

Les falaises de Mers-les-Bains.

(Daguerréotypes Andiamo)