Vous ne connaissez que lui : le jokariste au bronzage intégral, cet espèce de Kojak courant plus vite que son ombre, enfin, disons qu'il est toujours devant elle à condition de courir vers le soleil, mais elle lui colle au train sans lui concéder une seconde, la garce. Elle n'est que l'ombre de lui-même mais elle a de beaux restes. Souvent, et surtout quand il évite de courir aux heures chaudes de la journée, elle lui fait la jambe fine et le bras long. Elle n'a pas sa grosse tête, ce n'est qu'une ombre chinoise projetée sur un drap en 3D aux couleurs aléatoires, ce qui renforce son côté bizarre naturel un poil sautillant.

J'ai mis un poil mais pour en trouver un sur ce corps glabre au demeurant mais néanmoins soigneusement rasé, faut se lever tôt !

Pour tout vous dire, son ombre est plus chevelue que lui, voyez ?

On ne peut nier à ce corps lisse une meilleure pénétration dans l'air, surtout enduit de quelques giclées d'huile d'olive. Légèrement penché en avant, à la limite de la perte d'équilibre, l'homme-obus au crâne oblong écarte l'atmosphère devant lui. Du zéphir au Mistral, tous les mouvements d'air s'effacent devant son aérodynamisme, devant les formes épurées de son fuselage charnel. Nul frein, nul obstacle dorénavant à opposer à la force brute de ses manivelles inférieures, lubrifiées au liquide synovial et profilées façon Kate Moss. L'élastique de la ligne d'arrivée n'a plus qu'à bien se tenir.

Si vous êtes de nos fidèles, vous avez sûrement reconnu le commentateur dont je vous parle au travers de mes fines allusions. Il s'agit de Pascal, le célèbre dératiseur de pelouses à coups de crampons . C'est son troisième Blog, dis donc ! On peut dire qu'il s'accroche et qu'il en veut. Les deux autres blogs ne sont plus disponibles que sous la forme papier. Oui Pascal sauvegarde ses blogs sur papier, on sent bien là le réactionnaire méfiant devant le progrès et je ne peux que le suivre dans son analyse pessimiste. La voiture électrique c'est super mais quelle belle œuvre d'art sur votre parking quand les centrales nucléaires auront fusionné. Un vrai film-catastrophe tout en fondu enchainé. On ne vous en parle plus pour ne pas vous lasser mais Fukushima a toujours les oreilles qui chauffent et un ordi est très efficace pour supprimer des informations.

Oui Pascal, cliquant au hasard dans la colonne de droite jusqu'à ce qu'il trouve mes coordonnées, voulait savoir si je pouvais lui procurer un morceau de quintaine qu'il subodorait apte à rendre ses poulettes plus ouvertes voire mieux participantes. Je lui répondis qu'il ne s'était pas trompé d'adresse mail mais qu'il se dépêche car je m'en servais pour allumer le feu et que l'hiver s'annonçait rigoureux.

Ni une, ni deux, sans GPS ni sens de l'orientation, il frappa chez nous avec 2 heures de retard sur l'horaire prévu, faut dire qu'on est dans un trou perdu de chez isolé, juste en face de l'Hôtel de ville. C'est quand même le gars qui, alors que je lui indiquais pour son jogging un itinéraire agréé par le Syndicat d'Initiative (Tu suis les flèches jaunes...), a trouvé moyen de se perdre. Glissons, moi, j'y aurais craché mes poumons.

Nous avons donc vu débarquer chez nous un type "caucasien", enfin ça c'est la case qu'ont coché ces cons de douaniers américains quand il a essayé d'immigrer chez eux en traversant la frontière en courant si vite qu'ils n'étaient pas sûrs d'avoir vu quelqu'un passer mais manque de chance, ils ont vérifié et les profileurs ont ricané en disant qu'ils le coinceraient au départ du Marathon de New-York. Ce qui fut fait mais Pascal accepta d'intégrer l'équipe nationale de coureurs de jupons, rapporta plein de médailles à sa nouvelle patrie et on lui rendit sa liberté.

Bon, moi, avec son crane rond et brillant, j'aurais plutôt coché la case "bocal à poissons rouges" mais ce n'sont pas des imbéciles puisqu'ils sont DOUANIERS...

Son séjour s'est très bien passé, il a beaucoup d'humour et il lui en a fallu pour supporter mes petites blagounettes genre : au lieu du régime sportif laitue-steak-revenu-dans-une-goutte-d'isio-quatre-pomme-couscoussier-de-spaghettis qui est son quotidien, je lui ai concocté de roboratifs repas périgourdins, kirounet cidre-sirop de fraise (renforcé subrepticement à la vodka) potée au saindoux flambée à la gnôle (puisqu'il refusait d'en boire), pommes sarladaises au confit de canard avec cèpes en option obligatoire marinés à la liqueur de châtaigne (puisqu'il ne touche à aucun alcool). J'obéissais en cela au proverbe maintes fois vérifié " Ne prends pas le risque de te lier d'amitié ou de te marier avec quiconque sans l'avoir vu bourré au moins une fois.".

Je dois à la vérité d'avouer n'avoir décelé aucune différence entre les deux états.