Allongé dans le noir, il soupira profondément. Encore ces bruits de pas chez les voisins. il épongea la moiteur de son front d'un revers de main. Le bruit, le bruit, le bruit...

Il ne pourrait pas se rendormir de sitôt, il le sentait bien. Assis maintenant sur le bord du matelas, il entendait des bruits de chaises déplacées. Les voisins du dessus qui déjeunaient, sans doute. Et puis le bruit de la rue, incessant. Et celui d'un poste de radio qui grésillait quelque part dans l'immeuble.

La tête entre les mains, comme pour amortir la résonance du vacarme dans son crâne, il sentait ses pensées se muer en vermine. Une vermine qui lui bouffait définitivement son énergie vitale, ses espoirs et sa raison.

Un chien aboyait à présent. Le choc d'un objet lourd tombé sur le sol, quelque part dans les étages supérieurs. Des coups de marteau. Les postes de télévisions qui s'allumaient et hurlaient dans les appartements alentours.

Le brouhaha était désormais féroce et le violentait physiquement. Ses muscles se raidissaient, comme pour essayer d'encaisser les coups.

Depuis quand ne supportait-il plus ainsi le bruit ? Depuis... depuis... sa mémoire douloureuse s'encotonnait de flou. Il se souvenait seulement du cri primal, de ce cri de métal qui rebondissait encore, des années plus tard, sur les parois de sa boîte crânienne... Et ce cri se fondait en harmoniques dissonantes avec le boucan alentours, dans la salinité des larmes qui lui coulaient maintenant sur les joues.

Une perceuse à percussion se mit à faire trembler l'immeuble. Des rires d'enfants résonnaient. Une scène de ménage dans l'appartement voisin. Un bruit d'essorage de machine à laver. Une seconde perceuse.

Il se leva, en proie à des affres insupportables, tambourina sur le mur en hurlant "Assez ! Assez ! Silence !"

Mais rien ne semblait devoir faire cesser l'agressive clameur de vie de l'immeuble. Et rien non plus ne paraissait pouvoir apaiser la folle rage qui l'animait maintenant, lui qui cognait dans les murs à s'en fracasser les phalanges, éructait, pleurait, suppliait pour que cesse l'épouvantable fracas, pour que s'éteigne enfin le cri de métal.

Une vitre explosa sous son poing. Sang. Eclats. Il prit un morceau de verre et s'en entailla profondément les veines de ses poignets.


- Pas beau à voir, le macchabée, hein ?
- Tu parles, vu ce qu'il en reste, ça doit faire au moins trois mois qu'il traînait là ! Le légiste confirmera ça... Faut dire que le coin n'est pas très fréquenté, ce n'est pas étonnant qu'on ne l'ait pas trouvé plus tôt... T'as reçu les infos sur lui ?
- Oui, si les papiers sont bien à lui, c'est un type qui avait disparu complètement de la circulation depuis trois ans. Veuf. Femme et deux gamins morts dans un accident de bagnole dont il a été le seul survivant. Très gros problèmes psychiques suite à ça : plusieurs séjours en HP et tout le tintouin, jusqu'à ce qu'un jour il parte sans laisser d'adresse...
- Mouais, un louf, quoi !... Ça devait faire plusieurs mois qu'il squattait ici... Plutôt glauque, comme environnement. Et il devait pas trop être dérangé par les voisins, ça fait au moins un an que le quartier à été vidé de ses derniers habitants... Je me demande d'ailleurs qu'est-ce qu'ils attendent pour raser enfin ces vielles masures et lancer le chantier du nouveau centre d'affaires...
- Sûr qu'il devait être tranquille ! Ç'en est même oppressant, ce silence... Enfin bon, apparemment, un suicide de marginal... On va sans doute pouvoir vite classer le dossier...
- Oui... Pauvre type, quand même ! Crever comme ça, tout seul, sans un bruit...