« C’est qu’il t’a bien eu, ce salaud »

Françoise se délectait d’entendre les qualificatifs nouveaux pour décrire son ancien mari. Les anglais le disent bien, aucune furie de l’enfer n’est comparable à une femme trompée. Quand elle est trompée et divorcée, les quatre chevaliers de l’apocalypse et leurs fléaux chevauchent pour le mécréant ex-époux.

Mais François est si bonne. Sa vengeance n’est que d’entendre ses amies, cousines, connaissances, collègues, parentes éloignées, boulangère, épicière, laitière, voisines, bref, la gente femme-qui-comprend-la-vie-et-les-maris-particulièrement-ceux-des-autres au complet lui redire comment elle est magnanime de ne pas médire sur son divorce.

Le silence appelant la revanche solidaire, Marcel est un filou, un con merdique, un putois crevé, un coureur de jupons cul-de jatte (personne n’a demandé de précisions sur l’exploit de courir dans cet état), un éjaculateur précoce (dixit la secrétaire de Dr Labranche, source on ne peut plus crédible), un demeuré patenté (voilà probablement ce qui lui a donné les sous pour payer sa Porshe, sa villa, sa maîtresse, le face-lift de Françoise, les études des enfants, longues et récalcitrantes et ses nombreux dons à un organisme pour la protection du chi-hua-hua et les soins particuliers à son chi-hua-hua préféré), un pécheur (ça, c’est monsieur le curé) et un pauvre homme (sa propre mère, pauvre dans le sens figuré, on aura compris), un emmerdeur téteux (sa sœur qui a un peu de culture québécoise), un suceur de bite (la petite amie de sa sœur, américaine, d’où la traduction cock sucker, NDLR), un enculé (Gérard, le coiffeur, on ne sait pas si c’est un compliment dans sa bouche, ou un pied au cul).

Françoise ne s’ennuie donc pas dans son petit appartement parisien, loin du magnifique loft de son ex. Oh, il a quand même été un peu magnanime, elle a gardé son matériel informatique, son mobilier personnel, et un modeste compte ouvert chez un antiquaire pour agrémenter son salon, salle à dîner, et tutti quanti.

N’empêche que c’est l’autre blonde qui va hériter. Ah, parce que Marcel a une pauvre santé. Il est sur ses derniers jours, d’après la secrétaire de Dr Labranche, et se paye le luxe d’une poupée infirmière masseuse et pas chiante.

Mais c’est que la masseuse va avoir aussi une petite surprise, lui annonça la secrétaire du notaire, en toute confidence, bien sûr, secret professionnel oblige, mais dans le cas de la pauvre Françoise, si bonne, si présente pour tous et toutes, les œuvres charitables, l’école, l’église, elle était de toutes les bontés, de tous les secours, jamais un mot contre son prochain, qui pourtant, en méritait bien, spécialement son mari.

La secrétaire du notaire, donc, lui avoua en toute confidence que sa fortune était divisée entre les enfants, dont elle sera la tutrice, évidement mais aussi à une fondation nommée « Chi-hua-hua, le roi ».

Françoise sourit. Elle ne savait si elle devait se réjouir de ce revers de fortune pour l’autre, mais elle était un peu désolée pour les enfants. Françoise était une bonne âme.

Au décès, hâté ou pas par les bons soins de l’infirmière, le notaire lu le testament et effectivement, la dernière flamme de Marcel brûla de dépit devant les cendres qui restaient de son investissement.

Elle manifesta son dépit bien haut et bien fort, menaça de faire réviser le testament, pointa du doigt Françoise, le notaire, mais ne fit rien.

On en conclut que la garce avait pris son parti et s’en était allé chercher la fortune d’un autre moribond.

Les enfants ne savaient pas s’ils devaient se réjouir pour leur mère, sachant que dans quelques années, à leur majorité, elle serait sans le sou.

Françoise ne perdait pas son sourire patient. Quelle sainte femme !

Dis donc, c’était pas trop dur de t’occuper de cette petit merde en phase de pourriture ? avait dit Françoise.

Pas du tout, répondit l’autre, tu sais comme moi qu’il fait ça vite. Pis avec la médoc, ça accélérait la descente à la tombe. Françoise, tu es trop bonne de lui avoir donné une fin si agréable et rapide. T’as eu le chèque de la fondation ?

Pas encore, ça ne devrait pas tarder, dit cette toujours si généreuse Françoise en donnant un os au chihuahua : tiens, tu l’as bien mérité.