Alors là ! Je vous cloque au parfum tout d’suite : bien entendu que les personnages sont bidons, la grand’ mère du taulier du « Néant » n’avait pas couché avec les boches !




En arrivant au 36 ce matin-là, Chauguise est d’humeur maussade : une journée de novembre pourrie, un peu frisquette, une petite bruine collante qui, malgré le col relevé de son imperméable « mastic » et son doulos fétiche, a réussi a lui mouiller la nuque.

Bonjour patron ! Bonjour patron ! Chacun des poulagas de la maison Royco y va de son « bonjour patron » et Chauguise toujours aimable et enjoué leur répond par un : « mouais » !

Julien s’approche :

- Patron, on a reçu un appel juste avant que vous arriviez, y’a un truc pas banal au cabaret du "NEANT" !

- Au "NEANT", la boîte boulevard de Clichy ?

- Ben oui, j’crois, patron… On y a trouvé un cadavre...

- Tu crois, tu crois... Ouais, bon, j’en vois qu’un de cabaret « le Néant » dans Pantruche ! Allez Dugland, ramasse ta pelure, on y va !

Chauguise a à peine le temps de s’asseoir dans la quinze que Julien démarre sur les chapeaux de roues !

- Doucement Dugland, le macchab’ ne va pas s’tirer !

La quinze Citroën emmanche le boulevard du Palais, franchit sans problèmes le pont au change. Dans les années cinquante, la circulation n’était qu’une simple formalité ! Descente à fond du Sébasto, au passage coup d’œil nostalgique sur la devanture du « Fantasio » un dancing dans lequel Chauguise aimait bien traîner quand il était jeune homme ! A la suite, c’est le boulevard de Strasbourg, un à gauche spectaculaire à hauteur de Saint Laurent, puis c’est le boulevard Magenta jusqu’à Barbès, encore à gauche, une mèmère à chien chien invective copieusement la pauvre traction avant, qui n’y est pour rien !

Enfin après parcouru le boulevard de Clichy la voiture stoppe devant le 38.

Le cabaret « Le Néant » Ne le cherchez plus : lui aussi rasé, laminé, et l’immeuble avec !


Le taulier est là devant la lourde, dansant d’un pied sur l’autre afin de se réchauffer.

- Bonjour commissaire, je suis…

- Je sais qui tu es Alfred, tes affaires sont aussi claires que la Seine en période de crues ! Et puis on t’a à l’œil depuis la libération, t’es quand même fortement soupçonné d’avoir collaboré, enflure !

- Oh, Commissaire !

- MONSIEUR le commissaire, pour toi… Lopette ! Et moi je n’oublie jamais, Verstehen ?

- Je passe devant pour vous montrer…

Alfred précède Chauguise et Julien. Une salle éclairée par des bougies plantées dans des crânes, et des cercueils en guise de tables (1)

Ben dis donc, il fait vachement chaud dans ta cambuse…

- Oui Monsieur le commissaire, le chauffage est déréglé, on attend un technicien. Vous savez, ça fait deux jours qu’on sentait une vilaine odeur, Monsieur le commissaire. Au début, on a pensé à un rat crevé dans un coin. Puis, après inspection minutieuse, Robert le loufiat a décelé que l’odeur provenait de l’un des cercueils servant de table ! Alors on l’a ouvert, et voilà ce qu’on a trouvé.

Bien allongé dans la boîte à dominos, le corps d’une femme apparemment jeune, et complètement dénudé.

- Ben dis donc, elle voyage léger la donzelle, pas même un bénuquet sur le fion !

- Bon allez, Alfred, couvre-la ! Elle ne risque pas de s’enrhumer, note… Mais tout de même ! Mène-moi dans ton burlingue, je vais bigophoner à Couillette afin qu’il pratique une autopsie et procède à l’identification de la donzelle. Quant à toi Alfred, tu décanilles pas, j’te garde sous l’coude, understand ?

- Oui Monsieur le Commissaire !

Chauguise et Julien sont remontés dans la quinze.

- Va tout droit, je connais un p’tit rade près de la place Clichy, on va écluser un "Clacquesin", on l’a bien mérité, et ça nous réchauffera !

En passant devant le "Gaumont palace" (2) Julien regarde l’énorme calicot ornant la façade. Le film à l’affiche est : « l’appât » de Anthony Mann avec James Stewart et Janet Leigh.

Je suis sympa, je vous ai dégotté l’affiche !


- Ça m’a pas l’air mal, j’emmènerai Juliette dimanche… Si vous voulez venir…

- Pour tenir la calbombe ? Merci !

Le corps a été emporté à l’ institut médico-légal quai de la Rapée. Bourrieux dit « Couillette », le légiste et homme à tout faire du 36, examine minutieusement le corps de la jeune femme. Quand il a terminé il appelle Chauguise.

- Salut Chauguise ! C’est Bourrieux, je viens de terminer avec la petite du « Néant », tu veux des tuyaux ?

- Ouais, bien sûr ! Accouche, Couillette !

- Voilà, la donzelle avait 27 ou 28 ans environ, morte par strangulation, elle porte sur son avant-bras gauche une cicatrice, du genre : tatouage qu’on aurait tenté d’effacer !

- Tu veux dire comme ceux que les boches avaient tatoué sur les déportés Juifs ?

- Oui, c’est ça !

- Et tu penses pouvoir déchiffrer ce numéro ?

- Oui, sans doute avec des lumières rasantes … Enfin j’vais pas t’raser avec mes explications techniques ! J’te rappelle quand ce sera fait.

Une heure plus tard, Bourrieux rappelle.

- Voilà, c’est fait, j’ai pu déchiffrer ce putain de numéro !

- Bravo Couillette, avec ce numéro on devrait retrouver l’identité de la jeune femme !

- Je m’en suis occupé, j’ai demandé que l’on fasse des recherches…

- Décidément, Couillette, t’es un marle !

Le lendemain Chauguise reçoit un appel : l’identité de la jeune femme a été éclaircie, il s’agit d’une certaine Rachel Cohen.

- Rachel, Rachel, ça me dit quelque chose, marmonne Chauguise, en se pressant le citron, signe d’une réflexion intense chez lui. Ça y est : « Rachel la liane » en référence à sa minceur et à sa grâce, elle était danseuse… En fin plutôt « effeuilleuse » et se produisait souvent à « la boule noire » un cabaret pas très loin du « Néant »(1) !

- Radoche, Dugland ! Fais chauffer la limousine, on retourne à Pigalle !

Chauguise, suivi de Julien, se pointe devant le cabaret « La boule noire ». L’aboyeur de faction, leur barre le passage, Chauguise exhibe son « sésame » et, miracle, le colosse s’efface !

En entrant le taulier se présente.

- Je suis Mario, Monsieur le commissaire, déclare-t-il avec un accent italien, vous désirez ?

- Laisse tomber ton accent Rital, Maurice, t’es né à Belleville comme mécolle ! Tu connais une certaine Rachel Cohen ?

- La liane ? Bien sûr, ça fait quatre jours qu’on ne l’a pas vue, elle est sous contrat vous savez ?

- Ben ton contrat, tu peux le foutre aux cagoinsses et en faire bon usage, vu que la petite elle a cessé de consommer de l’oxygène ! Et maintenant tu vas me dire tout ce que tu sais sur elle.

- C’était une fille sérieuse, travailleuse et tout, Monsieur le Commissaire, mais depuis quelques temps elle était un peu triste si vous voulez mon avis. Il paraît qu’elle sortait avec Alfred, le gérant du « Néant » le cabaret juste à coté.

- Putain l’enflure ! s’écrie Chauguise, je vais le faire glavioter au bassinet !

Mi-marchant, mi-courant Chauguise et Julien se rendent au « Néant », au passage ils bousculent un peu le petit personnel, puis font irruption dans le bureau d’Alfred, ce dernier fait réviser ses cours de comptabilité à l’une de ses employées assise sur ses genoux, le corsage largement ouvert sur son panorama.

- Allez la schneck, dégage ! Quant à toi, Alfred, tu vas nous suivre au 36, et pas de schkroum, ou j’te fume ! Dugland, appelle des renforts et demande au proc’ une commission rogatoire, on va perquisitionner.

Une heure plus tard, une escouade de flics débarque et inspecte les lieux. C’est alors que l’on découvre dans un autre cercueil servant de table, des lingots d’or frappés de l’aigle reposant sur une croix gammée, l'emblème du troisième reich !

Alfred passera aux aveux rapidement, vu que les beignes façon Chauguise, il n’apprécie pas du tout !

La joncaille, il l’avait chourrée aux chleus au moment de la débâcle en août 44, il s’était retrouvé rue Loriston au moment où ils emballaient leurs lingots.

Alfred avait buté les deux soldats et embarqué quelques uns des précieux lingots, dans sa Peugeot 202 !

Un certain nombre de ces lingots pour acheter le cabaret, et à lui la vie de pacha !

Quelques années plus tard, il avait rencontré Rachel et en était tombé raide dingue. Il n’avait jamais remarqué la cicatrice qu’elle portait à l’avant-bras, et avait eu l’imprudence de lui montrer les lingots. Rachel avait tout de suite compris que la rumeur qui courait à son sujet était fondée. Elle avait voulu le dénoncer à la police.

La suite banale en somme. Alfred étrangle Rachel, la met dans l’un des cercueils, en attendant de s’en débarrasser… Le grain de sable ? Le chauffage qui se met à déconner hâtant la décomposition du corps !



(1) Authentique.

(2) Le cinéma "Gaumont palace" place Clichy, était le plus grand cinéma d’Europe avec ses 5000 places. Rasé en 1972 '' ! ''J'y ai vu "les Vikings" en 1959, avec Kirk Douglas, Tony Curtiss et... Janet Leigh, c'était hier !