Chère lectrice, cher lecteur, je n'ai que trop tardé à venir te dispenser ici ma seconde leçon de vie. La faute en incombe avant tout à la grande pondération qui me caractérise en la moindre de mes décisions : j'ai décidé de te prendre en main, de partager ma sapience, de t'aider à gagner en sagesse et en sérénité, d'être en quelque sorte ton guide spirituel dans le dédale d'un monde cruel et complexe, je me suis donc bâté d'une certaine responsabilité vis-à-vis de ton bien-être moral, et je craignais qu'une seconde leçon de vie aussi dense, profonde et riche que la première ne soit trop prématurée.

Mais je sens qu'il est désormais grand temps : tu as su tirer la quintessence de mon premier message, et je te devine qui piaffe à présent devant ton écran telle Julie devant un pot de confiture. Je ne vais donc pas te faire attendre plus longtemps, chère lectrice, cher lecteur, car mienne est la devise "aller à l'essentiel, toujours à l'essentiel, droit à l'essentiel". Je ne tournerai donc pas cette fois sans fin autour du pot de confiture, à atermoyer sans cesse, à faire des digressions qui n'en finissent plus et pourraient te détourner du fondamental : ma leçon de vie.

Or donc, chère lectrice, cher lecteur, je voudrais t'entretenir de la poigne griffue du doute qui te saisit sûrement parfois au plus profond de toi-même et de la nuit. Tu admireras au passage, si tu as un minimum de culture et d'attention, la beauté du zeugme qui illumine la phrase précédente. Ne me remercie pas, je suis comme ça, large et généreux, je dispense sans compter mes fulgurances, on ne se refait pas.

Or donc, disais-je, sans doute as-tu déjà ressenti, seul, dans le noir et dans ton lit (décidément, quel feu d'artifice !) cette angoisse douloureuse, ce sentiment obscur et aigu à la fois d'être à la croisée des chemins, au seuil d'un choix majeur qui engage ton avenir. Le sommeil ne peut alors plus revenir, ton cerveau est en ébullition, "que dois-je faire ?" te demandes-tu sans fin. Et le martel que tu te mets alors en tête résonne sans fin sur l'enclume de tes affres.

Tu te demandes certainement, cher lecteur, chère lectrice, par quelle grâce, par quel redoutable sens psychologique, par quelle incroyable intuition je sais ainsi traduire le tourment qui t'habite alors. Ne cherche pas plus longtemps : tu es jeune encore, et j'ai beaucoup vécu. Les boeufs du temps ont tiré la charrue de la maturité sur mon front. Les dactylos de l'âge ont déversé le typex de la plénitude sur ma chevelure. L'âne de mon intelligence tire la lourde carriole de mes acquis. Bref, j'ai un peu roulé ma bosse, et cette déchirure qui traverse la nuit de tes entrailles, je l'ai déjà ressentie, et plus qu'à mon tour.

L'angoisse. Elle est là, tapie dans le noir. Le choix existentiel te taraude le rachis cervical. Tu te sens mal. Il fait noir. Tu es peut-être seul. Ou alors peut-être as-tu un ou une compagne qui dort à tes côtés, et dont le souffle léger rythme le flux et le reflux de tes hésitations. "Dois-je ? Ne dois-je pas ?" C'est ta liberté d'homme ou de femme qui hésite à s'exprimer, soupesant le pour et le contre, hésitant à emprunter une voie plutôt qu'une autre, et sa lancinante démesure pèse sur ton corps allongé dans le noir, t'oppresse et t'accable, sa morsure est cuisante et luit du sang de ton irrésolution.

Ah, chère lectrice, cher lecteur, comme je l'ai vécue, ce tourment ! Comme je l'ai ressentie, cette lame dardant mon âme ! Choisir, c'est mourir un peu, c'est labourer un peu du champ des possibles, c'est laisser des chemins à l'abandon et aux orties. Oui, il est douloureux, ce choix, mais il faut le faire : c'est le prix à payer pour clamer à la face du monde sa condition d'être humain, libre, entier, accompli.

Alors, amie, ami, écoute le conseil qui est le mien, laisse parler la voix d'un ancien qui a débroussaillé pour toi les sentiers de l'existence. Oui, profite donc de ma leçon de vie pour sortir de la douleur qui te ronge dans la nuit, tel un bout de fromage par un rat ou un frein par l'impatient.

Or donc, chère lectrice, cher lecteur, ce choix douloureux qu'il faut prendre, à savoir "est-ce que je me lève pour aller pisser ou est-ce que j'essaie de tenir encore ?", prends-le et fais pas chier le peuple.

Et la prochaine fois, évite de trop boire pendant le repas du soir.

Telle est ma leçon de vie, que je vous invite à méditer.

Vous pouvez ranger vos crayons et vos cahiers et sortir en ordre.