Si j'avais pu deviner qu'une pépée de ce calibre pénètrerait dans mon agence miteuse ce matin-là, sûr que j'aurais pris une autre posture pour l'accueillir. Mais voilà, mes talents de devin sont à peu près égaux à ma renommée de détective privé : proches de zéro. Et donc je n'avais aucune raison de me conduire différemment des autres jours de la semaine : j'étais à moitié affalé dans mon vieux fauteuil râpé, les pieds sur le bureau, mettant bien en évidence la misère de mes semelles, et je lisais les résultats du base-ball dans le canard en sirotant un peu de gnôle, juste histoire de mettre du carburant dans le moteur pour la journée.

Evidemment, la pose n'était pas flatteuse et aurait eu de quoi faire rebrousser chemin à n'importe quel client pénétrant dans mon agence, qui se résumait à un misérable local de dix mètres carrés poussiéreux et mal éclairé. Mais cela faisait bien trois mois que pas un client n'en avait poussé la porte d'entrée et que je vivais d'expédients : j'avais donc quelques excuses à ne pas être sur mes gardes.

Ah, au fait, je ne me suis pas présenté : mon nom est Rain. Tamboo Rain. Oui, je sais, j'ai un prénom ridicule. Que voulez-vous, à ma naissance, ma mère avait le choix entre me donner beaucoup d'amour ou un prénom grotesque. Que croyez-vous qu'elle a choisi ? Mais bon, je fais avec. Si je n'avais que ça comme blème dans la vie, c'est pas moi qui irais au bureau des réclamations. Mais je n'ai connu que les galères, les rades minables, les cuites, le désespoir et les chaussettes trouées. Et la dernière de mes galères, c'était cette foutue agence de détective privé, Tamboo Rain & Co, que j'avais voulu monter. Le "& Co", entre parenthèses, n'était là que pour donner une illusion d'un gros machin : la seule compagnie que j'avais était celle d'un poster de Marylin Monroe punaisé au mur.

Voilà pourquoi je sursautai quand j'entendis ce matin-là une voix demander : "Monsieur Tamboo Rain ?"

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