Je levai les yeux pour découvrir une vraie bombe sexuelle dans l'embrasure de la porte : un débardeur rouge vif qui l'habillait à peu près autant qu'une bague habille un cigare, un jean tellement moulant que l'on pouvait se demander si elle n'avait pas été fondue et coulée dedans, des lèvres pulpeuses, des traits fins, une blondeur de cheveux comme on n'en voit que dans les contes de fée. Bref, une sacrée pépée, et moi qui ne connaissais que les contes de sorcières, je peinais à croire que c'était bien à moi qu'elle s'adressait.

Devant mon mutisme béant, elle réitéra sa question :
- Excusez-moi, vous êtes bien Monsieur Tamboo Rain ?
- Yep, 'scusez Madame, j'étais absorbé par autre chose...

Et ce disant, je remettais précipitamment les pieds sous mon bureau et essayais de planquer tant bien que mal mon canard.

- Bonjour, Monsieur Rain, je viens vous voir pour une affaire personnelle que j'aimerais vous confier.
- Vous tombez bien, je suis très pris généralement, mais là, j'ai un tout petit trou dans mon agenda, je devrais pouvoir être votre homme. Mais entrez donc et asseyez-vous, je vous en prie !

Je me précipitai en même temps vers la vieille chaise pour la lui présenter, mais surtout pour vite en retirer la bouteille vide et le vieux numéro de Playboy qui trônaient dessus. Une fois qu'elle eût posé son cul sur le siège (que j'enviais secrètement), je me rassis à mon bureau, sortis un calepin poisseux et un stylo du tiroir, et je l'invitai à me présenter son cas.

- Expliquez-moi tout ça, M'dame, je vais voir ce que je peux faire pour vous.
- Eh bien, voilà. C'est une affaire très délicate. Et surtout, je souhaite que tout cela reste parfaitement secret, il me faut l'assurance de votre plus grande discrétion.
- Rassurez-vous, M'dame, vous avez affaire à un pro, j'ai de la déonlo... de la détondo... enfin, des principes, quoi !
- Parfait. Mais voyez-vous, je dois au préalable absolument m'assurer que vous êtes bien l'homme de la situation. Est-ce que vous accepteriez de répondre à quelques questions ?

D'une meuf aussi explosive, j'aurais accepté n'importe quoi, avec toutefois une préférence pour les trucs à caractère sexuel.

- Oui, bien sûr, allez-y...
- Eh bien, voilà, tout d'abord, j'aurais voulu savoir quels sont pour vous les sept choses à faire avant de mourir.

Là, je dois dire que je m'attendais à tout sauf à ce genre de question. Le genre de truc qui ne m'avait jamais empêché de dormir.

- Heu... bin... heu... je ne sais pas, moi...

Je cherchai désespérément une idée autre que "passer une nuit avec toi dans ton lit", la seule chose qui me venait spontanément à l'esprit.

- Heu... c'est dur, votre question, j'avais jamais pensé à ça... heu... on va dire me marier, fonder une famille... heu... serrer la main de Saul Fifer, le meilleur frappeur que j'ai jamais vu sur un terrain de base-ball... et puis... heu... et puis voir la lune d'Alabama, comme dans la chanson... et puis prendre un peu de bon temps, quoi !... Ça fait sept, là ?
- Non, pas tout à fait, mais ça ira comme ça.

Je soupirai intérieurement. Mais elle revint à la charge.

- Une autre question maintenant : quelles sont les sept choses que vous faites bien ?

Ma mâchoire faillit heurter le bureau en se décrochant d'étonnement. Vraiment bizarre, la nénette. Mais je brûlais de savoir où elle voulait en venir. Et puis je n'avais pas les moyens de cracher sur un client.

- Heu... c'est délicat, votre question... heu... je fais bien la cuisine, surtout le ragoût d'agneau, les oeufs sur le plat et les donuts au chocolat. Ça compte comme trois, hein ?
- Oui, oui, si vous voulez. Continuez.
- Et puis, je fais bien... heu... mon job de détective, chuis un pro, hein !... et puis... je ne sais pas, moi... heu... je fais bien... heu...

J'hésitai. Se lancer ou pas ? Allez, ce n'était pas tous les jours que j'aurais une bombasse comme ça assise juste en face de moi. Je plaçai ma première banderille...

- Et puis je fais très bien l'amour.

Je l'observai avec attention en disant cela. Elle ne broncha pas, même pas d'un cil. Voyant que je ne disais plus rien, elle reprit le fil de son interrogatoire.

- C'est tout ? Bon, ça ne fait pas sept encore une fois, mais tant pis, passons à la suite. Quelles sont les sept choses que vous ne savez ou ou ne voulez pas faire ?
- Dites donc, c'est bien long et bien indiscret, vos questions, là !... Bon, bin, on va dire les pizzas, les quiches et les crêpes. Oui, je sais, je reste beaucoup dans la cuisine, mais j'ai un petit creux, là, ça doit m'influencer !

Je m'attendais à une esquisse de sourire sur son joli visage. Que dalle. Nada. Elle restait impassible.

- Heu... well... et puis, je ne veux pas toucher à toutes les saloperies, tabac, alcool et compagnie.

En disant cela, j'espérais juste qu'elle ne remarquerait pas les deux bouteilles de gnôle et les trois paquets de clopes vides dans ma poubelle. Mais seules les réponses à ses questions semblaient l'intéresser.

- Ça ne fait toujours pas sept. Mais peu importe. Question suivante : quelles sont les sept choses qui vous attirent chez le sexe opposé ?

Je faillis m'en étrangler. Sacrément culottée, la gamine. Et quand je dis "sacrément culottée", je sais ce que je dis, vu que son croisement de jambes me laissait entrevoir bien des choses.

- Hem... c'est très personnel, ce genre de choses... Mais si vous voulez tout savoir, je vais vous répondre un beau regard, une belle allure, une belle bouche, de beaux cheveux, de belles jambes, de belles épaules, un joli petit nez... Bref, tout ce que vous avez.

Malgré la lourdeur pachydermique de mes travaux d'approche (et encore, j'avais évité d'aborder les partie plus rebondies de l'anatomie féminine), elle restait stoïque (pour ne pas dire - soupir ! - impénétrable).

- Bien. Ça fait sept cette fois, vous êtes en progrès. Je continue. Quelles sont les sept choses que vous dites souvent ?

Le petit jeu commençait à me les brouter sévèrement. J'étais là à mariner dans le jus de mes glandes, et elle, sans ciller, continuait à me saouler avec ses questions à la mord-moi-le-noeud.

- Je dis souvent "shit", "fuck", "asshole" et "piss off", si vous voulez tout savoir. Mais je sais aussi bien dire "darling", "baby" et "chérie d'amour" (en français dans le texte)...

Un bloc de glace. Je lui aurais fait la lecture de l'annuaire que ça ne lui aurait pas fait plus d'effet.

- Je continue. Quelles sont...
- Hé, 'scusez, M'dame, mais y'en a encore beaucoup comme ça ?
- Non, rassurez-vous, c'est bientôt fini. Je continue. Quelles sont les sept personnalités pour lesquelles vous avez le béguin ?
- Fastoche : Marylin, Marylin, Marylin, Marylin, Marylin, Marylin et Marylin ! D'ailleurs, on ne vous a jamais dit que vous lui ressemblez beaucoup ?

Cette fois, je passai à l'action. En disant ma dernière phrase, je m'étais levé, bien décidé à mettre fin à ce manège et à lui proposer de l'inviter au resto, quitte à griller les derniers dollars qui me restaient.

Elle ne m'en laissa pas le temps. Sans que je m'y attende (je vous ai déjà dit que je ne suis pas devin), elle sortit un petit revolver de son sac à main et le braqua dans ma direction. Elle se leva lentement, sourit sadiquement et enleva d'un geste brusque ses belles boucles blondes, laissant apparaître un crâne dégarni. Une perruque ! Et soudain, je compris tout. J'avais devant moi Pascal, le dangereux psychopathe en cavale, l'homme aux implants mammaires, le "French killer" qui avait fait les titres des journaux une semaine plus tôt en s'enfuyant du centre de soin où il était interné.

J'étais tétanisé par l'émotion, cherchant désespérément une solution dans les méandres embrumés d'alcool de mon cerveau.

Mais la solution ne vint pas. Il me dit simplement, un rictus pervers au coin des lèvres : "patate chaude !" Et il ouvrit le feu sur moi avant de partir en courant. Ça fit comme une déchirure dans ma poitrine, avant que je m'effondre.

J'avais suffisamment vu de type se faire dézinguer dans ma vie pour savoir que j'étais trop salement touché pour m'en sortir. Quel salopard, ce Pascal ! Il était dit que je mourrais sans avoir jamais vu la lune d'Alabama.

Et surtout sans avoir eu le temps de refiler cette putain de patate chaude à sept blogueurs !