Les plus anciens de nos lecteurs s'en souviennent peut-être, je vous avais narré, il y a quelque temps, comment j'avais posé pour Picasso.

Mais, voyez-vous, cette exaltante expérience n'est pas la seule incursion que j'ai faite dans le milieu de la peinture : j'ai eu d'autres occasions de poser pour les plus grands artistes peintres que la terre ait jamais portés.

En particulier, je me souviens très bien de ce jour où un dénommé Léonard de Vincennes m'avait supplié de bien vouloir lui servir de modèle pour un tableau, tant il était fasciné par mon léger sourire énigmatique.

N'étant pas un mauvais cheval, j'acceptai avec grand plaisir : je ne m'étais à cette époque pas encore trop attelé à préserver mon anonymat, et je trouvais ça beau d'aider de jeunes artistes encore dans leurs stalles de départ.

Il mit donc une toile sur le chevalet, prit son pinceau d'obstacle et cravacha comme un fou pour saisir la pose que j'avais prise.

Hélas, Léonard de Vincennes, qui était un joyeux luron, eut l'idée, pour m'aider à me détendre, de me raconter une blague, celle du cheval qui est l'animal le plus rapporteur parce cheval-dire-à-ta-mère.

Et là se produisit l'inévitable : pris d'une crise de fou rire inextinguible à l'écoute de ce morceau d'anthologie de l'humour le plus puissant et le plus ravageur qui soit, je ne pus jamais, des trois jours que dura la séance de pose, retrouver mon pur sang-froid.

Pour le coup, au lieu de peindre mon léger sourire énigmatique, Léonard de Vincennes dut se contenter de mon lourd rire évident de cheval.

Il n'empêche, le tableau, baptisé "la Jockonde" en l'honneur du prix du jockey-club que je venais de gagner, reste à ce jour une des pierres angulaires du patrimoine artistique mondial.