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vendredi 8 novembre 2013

AndiamoCharline

C’était une journée où la saison vacille, une valse hésitation entre hiver et printemps, pas assez chaud pour être au printemps, ni assez froid pour être encore en hiver.

Alex profitait d’une journée de RTT pour flâner sur les quais. Il aimait bien se balader le nez au vent, s’attarder devant l’étal d’un bouquiniste, feuilleter un vieux bouquin, humer l’odeur des vieilles bibliothèques dans lesquelles ils avaient été soigneusement rangés durant des décennies, puis, leurs propriétaires décédés, les héritiers ne voulant pas s’emmerder avec ces vieilleries, bazardaient le tout pour une poignée de clous !

On y trouvait parfois des trésors. Je ne veux pas dire des ouvrages de grande valeur, mais à valeur sentimentale. Ainsi, un jour, il avait trouvé un journal de Spirou datant de sa jeunesse. Il en avait fait l’acquisition pour 3 euros seulement, une aubaine avait-il pensé.

En le feuilletant, il avait retrouvé une partie de son enfance quand, en rentrant de l’école, il s’asseyait sagement sur le tapis du salon, une tartine de beurre plus confiture à la main, et de l’autre il tournait fébrilement les pages de son illustré, s'émerveillant des aventures de Jean Valhardi ou de Blondin et Cirage… Sa p’tite madeleine en quelque sorte.

Le Pont Neuf, la conciergerie en toile de fond, il la vit arriver : taille moyenne, rousse, la démarche féminine en diable, une femme somptueuse, épanouie, très jeune assurément. Elle portait une robe assez courte, mais pas trop, bleu marine, avec dans le bas deux bandes blanches assez larges, cela lui fit repenser à l’émission « DIM DAM DOM » dans laquelle des filles hyper sexys apparaissaient vêtues de robes semblables !

Le fond de l’air étant encore un peu frais, elle avait enfilé une sorte de caban bleu marine, des bottes de cuir terminaient la tenue, un sourire indéfinissable errait sur ses lèvres laissant apparaître une dentition parfaite.

Soudain, elle s’arrêta net devant l’étal d’un bouquiniste, tenu par un vieux bonhomme assis sur une chaise pliante en toile, engoncé dans une canadienne hors d’âge, un « brûle-gueule » enfoncé dans sa bouche en partie édentée, il reniflait le « scaferlati » à cent pas. Il avait dû en cramer des ballots de foin avant de s’imprégner de la sorte !

Le regard de la femme se porta sur un bouquin au format classique, elle le prit délicatement, le porta à son visage comme pour s’imprégner de son odeur, de son parfum, en le respirant elle fermait les yeux, un plaisir visiblement intense l’assaillait. Elle l’ouvrit délicatement à la page de garde, et deux grosses larmes roulèrent sur ses joues.

Je m’approchais, ému, bouleversé par le spectacle, je n’ai jamais pu supporter de voir pleurer une jolie femme, et celle-ci dépassait en grâce tout ce que j’avais vu.

- Ça va Madame ? questionnai-je bêtement.

- Oui, ça n’est rien, ça passera… Merci.

La voix était à l’image de la femme, profonde, harmonieuse et fragile à la fois. Je regardais le bouquin qu’elle tenait à la main, il s’agissait d’une édition originale de "Chroniques martiennes" de Ray Bradbury. Bradbury était décédé l'année précédente, et j'ai pensé que c'était ce décès récent qui la mettait dans un pareil état, après tout elle n'était pas la seule à avoir eu un coup de cœur pour cet écrivain génial !



- C’ est un bouquin assez rare, lui dis-je.

- Oui, et hélas je n’ai pas pris beaucoup d’argent, je ne pensais pas faire des achats, mais là je me serais bien laissée tenter… Surtout CELUI-là !

Je me suis alors tourné vers le fumeur de pipe.

- Combien ?

J’ai vaguement entendu 50 euro entre deux jets de salive et un claquement du tuyau de son brûle-gueule contre un ou deux de ses chicots.

- Je vous l’offre, vous avez tellement l’air d’y tenir !

- Ah ça non ! Je ne peux pas accepter, c’est une somme tout de même.

- Bon, vous me rembourserez…

- Alors d’accord !

J’ai payé, le vieux a empoché la poignée de talbins, les collant comme ça à même la poche intérieure de sa canadienne crasseuse.

- Vous savez, je vais vous rembourser, j’habite rue Lafayette, là, me dit-elle en pointant son index en direction de la rive droite.

- Je connais, charmante Madame : j’y suis né, rue Lafayette !

- Incredible ! me répliqua-t-elle, un sourire malicieux au coin de ses jolies lèvres à peine soulignées d’un trait de rose.

Je me penchais par-dessus le mur de pierre bordant le quai Conti et je lui dis :

- Bon, y’a pas l’feu à la Seine ! Si on allait boire quelque chose ? Un petit café nous ferait du bien.. Non ?

- Excellente idée !

Nous fîmes demi-tour. Arrivés place Saint Michel, je l’entraînai dans un bar de la rue Saint-André des Arts.

Je m’effaçais afin de la laisser entrer la première…

- Et galant avec ça ! ironisa-t-elle.

- Vous n’avez pas tout vu encore…

Nous nous sommes assis, les enceintes diffusaient en sourdine des standards américains, Count Basie, The Duke, Miles Davis, Satchmo, Ella chantant "summertime", etc.

Nous avons commandé un café pour moi, un thé pour elle. Ainsi j’en bois deux, m’a–t-elle confié, les théières contiennent toujours deux tasses ! Elle riait en disant cela, contente de sa trouvaille, à ce moment là on aurait dit une gamine, une furieuse envie de l’embrasser m’a pris.

Elle tenait son livre serré contre sa poitrine, c’est à ce moment là que je lui ai demandé comment elle s’appelait.

- Charline, m’a-t-elle dit avec son large sourire que je commençais à connaître, et j’aime beaucoup mon prénom !

- Il est peu commun en effet et vous va bien... Je suis d'une banalité ! Il ne me reste plus qu'à vous demander si vous habitez chez vos parents !

- Et vous ?

- Euh, non, il y a longtemps que n'habite plus chez eux !

- Je vous demandais votre prénom, a-t-elle ajouté en souriant.

- Oh pardon ! Alexandre, mais appelez moi Alex comme tout le monde… Faites voir votre livre s’il vous plaît ?

- Pour l’instant il est le vôtre : vous l’avez payé, n’oubliez pas, et elle me tendit le petit bouquin.

Un léger parfum de renfermé s’exhala lorsque j’ouvris l’ouvrage, puis je revins à la page de garde et tout en haut je vis LA dédicace, une écriture fine, celle de Bradbury assurément, j’avais déjà vu sur internet des pages manuscrites de cet auteur de génie.

Pour ma Charline, pour qui le temps…
S’arrêta à matines.

Your Brad' for the life…

Le livre me tomba des mains, heureusement la table l’empêcha d’aller à terre.

- Non, dites-moi que cette dédicace n’était pas pour vous ?

Elle me regardait, des grosses larmes coulaient maintenant sur ses joues devenues toutes pâles.

- Non, ça n’est pas possible, Charline… Je peux vous appeler Charline ?

- Oui, répondit-elle entre deux sanglots.

- Voyons, le livre est paru en 1950. Même si à l’époque vous n’aviez que 17 ou 18 ans, ça vous ferait aujourd’hui… 80 ans ! Allons, ne me prenez pour un imbécile, je vous trouve sympa, voire plus, mais tout de même !

- Ce livre je l'avais oublié sur une table à la terrasse d'un café il y a... Et puis ça n'a plus d'importance la date, l'époque, le temps.

Alors elle ouvrit son sac et en sortit un permis de conduire, pas le permis à trois volets, non les anciens roses, format nouvelles cartes d’identité, il était si vieux qu’on y voyait à peine les inscriptions, toutefois j’ai pu lire :

CHARLINE RIBIER

Née à : Chagny (Yonne) le 15 mars 1902

Suivait : pour le préfet de l'Yonne… Le : 12 juin 1920... Un gribouillis illisible.

Et juste à côté une photographie en noir et blanc, patinée par le temps.

dimanche 27 octobre 2013

Tant-BourrinComme un blog errant

Boudiou, je m'aperçois que cela fait deux ans et demi que je n'avais rien produit de sonore sur ce blog.

Or, je le sais (je reçois régulièrement de pleines brouettées de lettres enflammées de la part de mes admiratrices éperdues), mes couinements mon art lyrique consommé, ma tessiture exceptionnelle et mon sens échevelé du rythme vous manquaient bougrement.

Alors, soyez heureux : me revoilou, avec un petit détournement de derrière les fagots ! Bon, pour ce qui est du thème de la chanson, je dois l'avouer, j'ai peut-être tendance à me répéter légèrement. Et je sais que les thèmes récurrents, ça raye l'émail ça finit par lasser les lecteurs fidèles, mais je n'y peux rien : y'a vraiment plus que ça qui sort !

Allez, en attendant, sortez la boule à facettes, allumez les enceintes et montez le son : en avant la zizique !




Comme un blog errant

Paroles : Tant-Bourrin
Paroles originales et musique : Serge Gainsbourg (Comme un boomerang)


Téléchargeable directement ici

Ça sent le crash et le bogue
Sur votre site adoré
Nos neurones se déloguent
Un par un, tout délabrés
Allez voir un proctologue
Si ça vous fait mal à la raie

C'est évident que ce blog
Est en train de somnoler
J'entends d'ici vos cris rogues
Pour qu'on cesse de glander
Et pour enfin que l'on aug-
mente la production d'billets

Ça sent le crash et le bogue
Sur votre site adoré
Nos neurones se déloguent
Un par un, tout délabrés
A trop croupir dans le smog
D'une moquette un peu trop fumée

Et cependant qu'elle vogue
Et prend l'eau de tous côtés
Le Doyen sur la pirogue
Reste le seul à ramer
Même si parfois il maug-
rée après ses coéquipiers

Ça sent le crash et le bogue
Sur votre site adoré
Nos neurones se déloguent
Un par un, tout délabrés
Il faudrait un neurologue
Pour tenter de tout réparer

Le Souf' s'enfile des grogs
Fait de fumier fermenté
Pendant que moi je me drogue
Champomy, choco au lait
Nos destins sont analogues
On est tels des piles usagées

Ça sent le crash et le bogue
Sur votre site adoré
Nos neurones se déloguent
Un par un, tout délabrés
Va falloir jeter aux gogues
Nos cerveaux réduits en purée

Pas besoin d'un astrologue
Pour dire ce qui va s'passer
Car nul doute que ce blog
Va finir fossilisé
Et les paléontologues
Un jour seront bien étonnés

Ça sent le crash et le bogue
Sur votre site adoré
Nos neurones se déloguent
Un par un, tout délabrés
Allez voir un proctologue
Si ça vous fait mal à la raie

mercredi 25 septembre 2013

AndiamoLes miracles

- XCV est demandé en salle "Z"

- QSD est demandée également en salle "Z"

Les hauts parleurs diffusaient cette annonce depuis le matin. XCV et QSD, dormaient encore. Après tout, ils avaient accompli leurs trois heures de travail mensuel et avaient droit à un repos bien mérité.

Couchés nus l'un près de l'autre après une nuit de folie, ils avaient fêté dignement la fin de leur dure journée de travail.

Soudain le bigovisiophone se mit à grésiller. XCV tendit le bras, appuya sur une touche. Sur le mur apparût l'image en 3 D de" A" le chef du C.U.L (centre urgentiste de législation).

- Debout les feignasses, vous êtes attendus en salle "Z" et ça urge !

QSD s'étira, elle était splendide dans sa nuisette rose "fraise tagada" !

- Qu'est ce qu'y a ? baillât-elle...

- Grouille, on est attendus en salle "Z" et ça n'a pas l'air de rigoler !

La salle "Z" était réservée aux cas graves, une sorte de petit tribunal dans lequel siégeaient quelques vénérables vieillards, plus séniles qu'utiles, ayant pour fonction, de surveiller qu'aucun abus ne soit commis lors de déplacements spatio-temporels, afin d'éviter le fameux paradoxe du grand-père.

- Tu crois qu'ils sont au courant ? interrogea QSD.

- J'espère que non, mais avoue que ce que tu as fait cette nuit dépasse tout ce qu'on pouvait imaginer !

Ils passent en hâte leurs combinaisons, standards, rose pour lui, bleue pour elle, empruntent le trottoir roulant n° 33, qui les dépose devant une grande porte métallique frappée d'un grand "Z".

- Ça me rappelle ce vieux feuilleton que j'ai vu à la rétro vidéothèque : "Zorro" ! déclare QSD en scrutant le grand "Z".

XCV appuie sur le bouton du visiophone : XCV et QSD au rapport !

Sans un bruit la porte pivote, ils se retrouvent devant un aréopage de vieillards. Plus sénile qu'eux, tu meurs : certains roupillent, un filet de bave à la commissure des lèvres.

- J'ai vu chuchote QSD, un vieux documentaire dans lequel apparaissaient des sénateurs, au début des années 2000, ça ressemblait tout à fait à ça !

Au milieu de l'assemblée trône "A", premier magistrat, la tronche sévère du mec qui vient d'avaler une purge et qui a un besoin impérieux de tousser !

- Approchez, vous deux...

L'un des vieux croulants émet un pet sonore, puis, pour garder contenance, fait mine de tousser en mettant sa main devant la bouche.

- C'est pas là qu'il devrait mettre la main, murmure XCV en se penchant à l'oreille de sa jolie compagne, qui ne peut retenir un gloussement.

- Et ça vous fait rire ? hurle "A" qui n'a sûrement pas entendu la louffe que vient de lâcher son collègue.

Un peu penauds nos deux tourtereaux regardent leurs pompes.

- Il vous est reproché d' avoir failli... une fois de plus aux règles de non ingérence dans des épisodes CRUCIAUX de notre glorieux passé, et pourtant on vous a mis en garde maintes fois ! Abuser à ce point des possibilités qu'offre le spatio-temporel-omnibus, est I-NA-DMI-SSI-BLE !

Toi WXC, articule "A" en le regardant dans les yeux, il y a peu, tu t'es rendu en l'an 31 de notre ère, et tu as fait prendre je ne sais combien de kilos de poissons à de pauvres pêcheurs du lac de Tibériade. Tu as même tracé le signe de la croix en leur disant : "Fermez vos gueules... J'amorce" !

Ensuite tu étais invité à une noce, et v'là t'y pas que tu as changé l'eau en vin... En vin ? Penses-tu ! Tu avais versé du colorant "DVB 25" dans la flotte afin de la rougir, résultat : ils ont tous eu une chiasse carabinée !

Mais ça n'a pas suffit, toi QSD, le 11 février 1858, tu es allée dans la grotte de Massabielle près de... de Pau, voilà c'est ça, et là tu as fait croire à une pauvre bergère une certaine Bernadette que tu étais, je cite : "que soy era immaculada concepciou" tu lui as même parlé en patois ! Et tu es revenue je ne sais combien de fois ! Toi une immaculée conception, c'est la meilleure ! Je ne te fais aucun reproche mais enfin tu as pieuté avec plus de mecs qu'un curé peut en bénir !

Revenons à toi XCV, la meilleure si j'ose dire ! Le 3 octobre 1917 tu es apparu avec QSD à trois bergers au Portugal, à Fatima pour être précis, et ce plusieurs fois, en vous faisant passer pour le fils de Dieu et pour la vierge Marie... Et le meilleur : vous avez fait tourner votre Xihultz (soucoupe volante) en leur faisant croire que ça n'était pas moins que le soleil qui gesticulait de la sorte !

Y'en a marre vous deux ! Je vais vous envoyer garder les moutons dans le Larzac en 1870 vous allez moins rigoler !

A ce moment entre dans la salle un petit bonhomme, mal fagoté, petites lunettes rondes, cravate de traviole, répondant au doux nom de MOIPRESIDENT, un fayot doublé d'un mouchard. Il s'approche de "A" se hisse sur la pointe des pieds biscotte sa petite taille, et murmure à l'oreille du Big Boss, qui se décompose au fur et à mesure que le nabot lui débite son laïus.

Quand MOIPRESIDENT a terminé il s'en retourne...

"A" regarde fixement QSD, il est livide, la mâchoire tombante...

- Alors là... Alors là ! articule-t-il péniblement, tu es allée cette nuit en France, tu t'es fait passer pour l'ange Gabriel, et tu as persuadé Jeanne la pucelle, de lever une armée afin de bouter l'Anglois hors du beau pays de France ! Et ce con de Charles VII l'a suivie ! Tu te rends compte du bouleversement que tu as apporté !

Dans la véritable histoire de France Jeanne d'Arc reste à garder ses moutons, Charles VII ne monte pas sur le trône, les Anglais restent en France, tout le monde jaspine le british et on ne nous fait pas chier à apprendre cette langue à la con !

- GAAAAARDES, emmenez-moi ces deux connards to the jail !

jeudi 5 septembre 2013

AndiamoPotemkine





Huguette, debout sur un tabouret branlant, nettoie « ses » carreaux. C’est une petite femme sans âge, les cheveux grisonnants, toujours une réflexion acerbe prête à sortir de sa bouche édentée.

Claude l’a épousée il y a quarante-cinq ans… Quarante-cinq ans déjà ! Certes on ne peut pas dire qu’elle aie inventé l’eau tiède, mais à vingt ans elle était mignonne, un peu ronde : « abondance de biens ne nuit pas » se plaisait-il à dire.

Il l’avait épousée un peu par obligation : une soirée au Moulin de la Galette, rue Lepic, une bouteille de mousseux, deux tangos, trois slows, on va prendre l’air et on se retrouve les pattes en l’air dans la deuch garée un peu plus loin. La suite, vachement banale : enceinte, un mariage vite fait. Dans les années cinquante, on ne badinait pas avec ces choses-là, Monsieur ! On « réparait » et c’est tout !

Une petite Jeanine née sept mois après le mariage. « Tout va si vite de nos jours » disaient les grands-parents un peu gênés !

Au début, ils ont habité un deux-pièces à Aubervilliers, au premier étage d’un immeuble correct et bien entretenu. Puis, en 1960, Adrienne Pageon, la maman d’Huguette, est décédée, suivie de près par Auguste Pageon, son époux. Alors Huguette, Claude et la petite Jeanine ont emménagé dans l’appartement des parents, un trois-pièces-cuisine situé au 14 de la rue Chappe à Montmartre, que le papa d’Huguette avait acquis à grand peine après une vie de labeur. Seule enfant, Huguette en avait hérité.

Elle est là, frottant ses carreaux, le chiffon dans une main, dans l’autre le produit miracle qui fait reluire tout ce qu’il touche ! Elle a vu ça à la télé : une nana gaulée comme une Ferrari, un coup de spray et hop, la gazinière cradingue prête à réintégrer les stands « Darty » ! Comme neuve, la gazinière… Elle y croit, Huguette, dur comme fer ! Des sprays, des pâtes miracles, des liquides plus ou moins visqueux, il y en a plein les étagères !

C’est comme ses crèmes à la con sensées lui apporter la jeunesse éternelle ! « Avec ses rides et sa peau tannée, elle devrait acheter des sacs de plâtre » pense Claude en la voyant étaler copieusement des tartines de crème parfumée au patchoulli, ou pire au cuir de Russie. Claude a horreur des parfums, une sorte d’allergie, alors elle le fait exprès, juste pour l’entendre éternuer !

Pareil avec la cuisine, elle ne s’emmerde pas : surgelés, surgelés, surgelés et, de temps en temps, un effort, l'ouverture d'une boîte de conserves.

Enfin, hier, elle a dépassé les bornes : sur ARTE passait « le cuirassé Potemkine », le chef-d’œuvre d’Eisenstein. Claude, afin d’avoir la paix, la laisse toujours choisir le programme, mais là, il tenait à revoir ce film…

- Quoi ? J’en ai rien à foutre d’Einstein ! Il ferait mieux de s’occuper de son cul !

- Pas Einstein, Eisenstein ! Et puis Einstein était un physicien, Eisenstein était un grand cinéaste, ce film est un pur chef-d’œuvre !

- Rien à foutre ! Ce soir, il y a « trou de serrure », une télé-réalité tellement bien pipeautée qu’on croirait voir les deux orphelines, pas question que je loupe « MON » émission !

Et Claude s’était farci ce lot de conneries puis, vers 9 h 45, était parti se coucher. Huguette avait alors monté le son, juste pour l’emmerder.

La musique, les cris, les beuglements des hystéros, tout passe à travers la mince cloison ! Il ne dort pas, il lui revient cette phrase qu’elle lui hurle toujours au cours de leurs nombreuses engueulades :

- N’oublie pas que tu es « CHEZ MOI » ! Si ça ta plaît pas, tu te casses !

Afin de faire l’extérieur de la fenêtre, Huguette se tourne légèrement, Claude se lève puis, brusquement, pousse Huguette. Un grand cri. Le bruit sourd d’un corps qui atterrit sur le toit d’une Clio…

Les pompiers sont arrivés les premiers, suivis d’un Samu. Elle a été conduite à l’hôpital Saint-Antoine tout proche, au service « réanimation ». Bien sûr, les flics ont enquêté. Rien de suspect, le truc banal en somme : Madame nettoie ses carreaux, juchée sur un tabouret bancal, elle se penche un peu trop et c’est vole, vole, papillon !

Bien sûr, Claude est allé à Saint-Antoine voir sa « chère » épouse, plus afin de ne pas éveiller les soupçons que par compassion, et encore moins par amour ! Au bout de six jours de soins intensifs, Huguette est sortie de « réa ».

Le chirurgien qui l’a opérée a prévenu Claude :

- La colonne a été touchée au niveau des lombaires, la mœlle épinière aussi, et malgré nos efforts votre femme ne remarchera pas, Monsieur Magnard, nous l’avons informée.

Elle a voulu une chambre seule. Dès la première visite, son regard haineux s’est porté sur Claude.

- Je sais que tu m’as poussée… Je t’ai vu, ordure !

- Mais… Mais…

Ferme ta gueule ! Je sais ce que j’ai vu ! Je ne dirai rien aux cognes, j’ai pire que la taule comme punition : tu vas t’occuper de moi, me porter, me laver, m’emmener aux toilettes, me sortir, et t’as pas intérêt à renauder sinon je balance tout aux lardus. Je leur dirai que tu me menaçais, enflure !

Alors, tous les jours, Claude s’en est occupé : la toilette, l’habiller, et pratiquement tous les après-midi descendre le fauteuil roulant d’abord, puis Huguette ensuite, l’installer, et la promener sur les pavés disjoints de la butte, les côtes de plus en plus pénibles, et elle…. elle et son rire édenté…

-T’en chies, hein, enfoiré ! T’en chies, j’espère !

Mai…. Le printemps est là, sur la butte aussi, quelques rares lilas blancs passent par-dessus les vieux murs de pierre des petites maisons anciennes appartenant à des privilégiés. Claude, sous l’exigence de son acariâtre épouse, a poussé le fauteuil près du Sacré-Cœur. Le square Nadar et ses bancs si bucoliques, le grand escalier faisant face à la Basilique, les courageux le montent à pied, les autres prennent le funiculaire.

Claude s’est assis sur l’un des bancs, il venait là autrefois avec celle qui était sa fiancée, ils passaient des heures à se bécoter ! Claude s’est levé a poussé le fauteuil, au passage un bref regard au Chevalier de la Barre, statue en bronze à l’entrée du square… Ils sont là, face aux escaliers.



Lentement Claude a sorti une banane de sa poche, il l’épluche tranquillement sous le regard mauvais d’Huguette.

- Qu’est-ce que c’est que cette fantaisie de bouffer une banane le matin ?

- Tu sais, connasse...

- QUOI ?

- Ne m’interromps pas, je te prie… Dans le film d’Eisenstein « le cuirassé Potemkine », il y a une scène, un « classique », au cours de laquelle un landau dévale un escalier au cours d’une émeute. Cette scène est cultissime. Et bien, mon bel amour, tu vas la refaire rien que pour moi !

Claude a jeté la pelure de banane au sol, il a posé le pied dessus, a fait mine de glisser en poussant un grand cri, s’est affalé sur les pavés, tandis que le fauteuil part dans le grand escalier pour un « remake » inoubliable du cuirassé Potemkine…


jeudi 29 août 2013

BlutchComment réussir quand on est con et pleurnichard

Comment réussir quand on est con et pleurnichard.

(Ou la chronique un peu pocharde du Baron qui écluse sec.)

Avertissement et dénonciation :

C’est rien que la faute à Célestine si ce texte existe, l’idée originelle étant la sienne.

Il peut paraître un peu bizarre dans sa construction et sa syntaxe. Les plus futés des lecteurs de Blogbo (heu oui, tout le monde, bien sûr… pourquoi, il y avait des doutes ?) auront découvert qu’il cache des titres de films.

La chasse est ouverte, combien, lesquels et qu’ont-ils en commun ?

Tous hélas ne sont pas des chefs-d’œuvre, au sens tambourrinesque du terme. Mais certains ne dépareraient pas dans sa galerie de charades… Et j’en suspecte même bon nombre de faire partie de son panthéon.



En ce début de canicule, un incorrigible marginal m’a fait une embrouille.

Hier, au 125, rue Montmartre, ce fut la chasse à l’homme. Je n’en suis sorti d’une courte tête en me plongeant dans le gas-oil. J’ai bien failli bouffer les pissenlits par la racine avec ces barbouzes.

Maintenant, cette bande de misérables, je les garde à vue, jusqu’au dernier. En bon professionnel plus question de leur tourner le dos.

C’était une sacrée entourloupe que me fit Fleur d’oseille. Ah, j’te jure, la française et l’amour…

Elle te joue les amours célèbres, et après tintin : elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais elle cause, elle cause tant et plus que la Babette s’en va-t-en guerre, tu te croyais le pacha de la dame et tu te retrouves guignolo avec des tontons flingueurs aux trousses. Un sacré retour de manivelle, ça tu peux me croire.

D’accord, je suis un incorrigible cavaleur, toujours prêt à faire le singe en hiver. Mais ne nous fâchons pas tout de même, je ne suis pas ce grand escogriffe, cet animal sexuel qui a le sang à la tête dès que le rouge est mis et que la dame te joue les gaietés de l’escadron avant de se fondre dans le désordre de la nuit.

Est-ce bien raisonnable que la petite vertu de la dame te fasse coucou, c’est moi, ta petite France… Alors moi, le président des locdus de gueuler dans le rade « vive la France ! » pendant qu’elle se barrait…

Il y a toujours un moment où le cave se rebiffe. Les bons vivants, faut pas les pousser tout de même. C’est que depuis cette histoire, elle cause plus, elle flingue. Elle te la joue anar.

Chez elle, maintenant, le drapeau noir flotte sur la marmite.

Mais attention à Raoul. Elle veut la guerre, alors je passerai sur le corps de mon ennemi.

Mais avant la vengeance, écoute le cri des cormorans le soir au dessus des jonques…

samedi 6 juillet 2013

AndiamoLe plongeon de Chauguise

Août à Paris, c’est comme qui dirait dans ces années cinquante le Ténéré sans les connards à moto, en bagnole ou en camion du Paris-Dakar ! Le calme… Même les rares feux rouges sont au clignotant, en mode « pause ».

Comme à son habitude, Chauguise est descendu à la station Châtelet et c’est à pied qu’il continue son chemin jusqu’au 36. Au passage, il a acheté « Le Parisien libéré » à son crieur de journaux habituel, au coin du quai de la Mégisserie et de la rue Saint Denis. La tour pointue de la Conciergerie se dresse, silhouette inquiétante et noire*, sous le ciel plombé de la capitale.

Il est neuf heures et la chaleur est écrasante, l'orage n'est pas loin. Il traverse s’apprêtant à traverser le Pont au Change, quand il voit une femme enjamber le parapet et se précipiter dans la Seine…

Son instinct le fait foncer. Dans sa précipitation, il laisse choir son journal, ôte sa veste tout en courant, arrive près de l’endroit où il a vu sauter la femme. A son tour, il enjambe le parapet et saute là où il a vu émerger une tête aux cheveux noirs collés sur le visage. Il arrive non loin de la femme, quelques brasses, et sans ménagement il la tire par les cheveux et la ramène contre lui. Il souffle comme un bœuf, les « Boyards » papier maïs remontent de ses éponges en feu, il s’est mis sur le dos tout en maintenant la tête de la jeune femme hors de l’eau. Des badauds se sont attroupés tant sur le quai que sur le pont, tandis qu’il voit arriver la vedette de la fluviale…

Quelques instants plus tard, on l’a hissé à bord ainsi que la jeune femme, qui est hors de danger.

L’un des marins d’eau douce à bord l’a reconnu, autrefois il était « planton » au 36.

- Ça va, Commissaire ? Tout est bien ?

- Ouais, fait chier, j’ai paumé mon bada dans l’histoire !

Putain, son bada fétiche ! Celui qui avait été troué par une bastos de 9 millimètres qui lui était passée à ras du bocal, lors d’un braquage qui avait mal tourné. C’était « Lulu l’enfouraillé » qui avait voulu le plomber, ce demi-sel n’avait pas eu le temps de raconter son exploit : Chauguise, alors jeune inspecteur, lui avait fait un troisième œil, juste au milieu du front, façon Bouddah !

- Et mon canard, paumé lui aussi ! Putain, Paul Droguet, « le fusilleur » de Vincennes, y faisait la une ! C’est Charles Bouzin, mon pote le commissaire de Vincennes, qui l’a serré.


Couverture d’une revue de l’époque



- AAAAtchoum ! J’vais m’enrhumer, nom de Dieu ! Reconduisez-moi à ma turne, rue du Mont Cenis, je vais me changer.

Julien a appris la nouvelle par la fluviale. La 15 attend garée quai de la Mégisserie et c’est à toute vitesse que le commissaire est conduit chez lui.

- Monte Dugland, Juju est là aujourd’hui !

- Merci patron !

- MMMMH ….

- Qu’est-ce qui t’arrive, mon pauvre Papa ? s’exclame Juliette en voyant arriver son père ruisselant, dégoulinant, une pauvre berlue sur l’alpague…

- Ça s’voit pas ? J’viens de m’baquer pardi ! Tu verras ma Juju, un de ces quatre ils feront une plage à Pantruche , j’te l’dis tu verras !

Chauguise disparaît dans la salle de bains, nous deux tourtereaux en profitent pour se faire un ramonage en règle des amygdales et de la luette.

- Hé les tourtereaux, c’est pas fini la séance d’échange de microbes ?

- Si patron, excusez-moi !

- Hummmm, bon Dugl… Julien tu m’emmènes illico à l’hôtel Dieu**, là où on a hospitalisé la jeune femme, je voudrais bien savoir ce qui l’a poussé à vouloir faire le grand saut.

Arrivés au carrefour du Boulevard de la Chapelle et du Boulevard Magenta, dans le plus bel arrondissement de Paris, le Xème (là où je suis né forcément), juste à l’angle : le cinéma LOUXOR, (je ne sais pas s’il existe encore) et à l’affiche l’excellent film en noir et blanc d’Yves Allégret "Les orgueilleux". Avec, excusez-moi du peu : Michèle Morgan et Gérard Philippe !


Sympa, tonton Andiamo vous a dégotté l’affiche !



- J’emmènerai Juliette le voir s’exclame Julien en passant devant le cinoche.

- En attendant, tâche de voir la route Dugland, understand ?

Un « à droite » Boulevard de Strasbourg (à double sens à l’époque). Dix minutes plus tard (les veinards), ils ont garé la pompe devant l’Hôtel Dieu sur l’île de la Cité. Un lardu en kébourre s’approche :

- Faut pas s’garer là, z’avez pas vu l’panneau ?

Chauguise sort son sésame

- Et c’panneau-là, tu l'as vu ?

- Oh pardon, Commissaire ! suivi d’un salut dans les règles de l’art.

A la réception, on leur a indiqué le « dortoir » où était couchée la femme. Une grande salle haute de plafond, des grandes fenêtres à petits carreaux, et une vingtaine de lits à barreaux blancs alignés de part et d’autre. Au centre, des tables roulantes portant le nécessaire aux soins à prodiguer. On est loin des piaules individuelles ou à deux lits d’aujourd’hui !

La jolie brune paraît toute menue au milieu de cette grande salle, deux grands yeux verts lui dévorent le visage, elle a vingt-cinq ans environ.

- Bonjour Mademoiselle

- Madame.

- Pardon. Je suis le commissaire Chauguise, voici Dugl… l’inspecteur Crafougnard mon adjoint. C’est moi qui vous ai tiré de l’eau tout à l’heure, vous savez la Seine ça n’est pas le fleuve idéal pour barboter !

Une larme coule sur la joue de la jeune femme.

- Excusez-moi, Commissaire, je ne voulais pas ça ! Je m’appelle Vanessa Dupuis, épouse Barghaoui.

- Allons Vanessa, pouvez-vous me dire ce qui vous a poussée à vouloir en finir, une si jolie jeune femme, déjà désespérée ?

- C’est à cause de Myriam, ma petite fille.. Mon mari veut me l’enlever, l’emmener chez lui au Boukistan, son pays d’origine. Elle a tout juste cinq ans, et il l’a promise en mariage à un cousin éloigné. Alors jusqu’au moment des noces, « ils » vont veiller sur elle, afin qu’elle garde sa virginité… C’est la coutume chez eux ! Je suis désespérée, Commissaire, c’est pour ça que j’ai voulu en finir !

- Tu parles d’une bande de goyos ! Ils sont déjà partis ?

- Il est quelle heure, Commissaire ?

- Quinze heures trente, Madame.

- Leur avion décolle à seize heures trente du Bourget, c’est un vol U.A.T (à l’époque c’est le nom que portait l’ U.T.A).

- On y go, Dugland, embraye et vite fait… Fissa, on a juste le temps ! Auparavant, vite fait au 36, j’ai un truc à prendre…

Demi-tour sur les chapeaux de roues. Boulevard du Palais, le Pont au Change. Rétrospectivement, Chauguise frissonne se souvenant de son bain réfrigérant ! La place du Châtelet, le Boulevard Sébastopol, la rue du Faubourg Saint Martin jusqu’ à Stalingrad (le tube hein, pas en Russie, bande de nazes). Puis c’est l’Avenue de Flandre, la Porte de la Villette (les abattoirs, abattus aujourd’hui, chacun son tour !) et enfin la nationale deux jusqu’à l’aéroport du Bourget, là où avait atterrit Charles Lindberg !

Julien a garé la chignole juste devant la lourde, un planton s’approche prêt à ramener sa fraise, Julien lui exhibe sa brème et lui tend les caroubles de la traction :

- Tiens, gare-là et fissa !

Puis se tournant vers Chauguise :

- Ça fait drôle de vous voir sans votre chapeau patron, c’est un peu….

- Comme Laurel sans Hardi ou Jacob sans Delafon, hein, Dugland ?

- J’voulais pas dire ça…

- Alors dis rien !

A grandes enjambées, ils traversent le hall tout en longueur de l’aéroport en service à l’époque. Le long du mur un planisphère avec des horloges disposées sur différentes longitudes indiquant l’heure locale ***.

A l’embarquement, Chauguise exhibe sa carte sous le pif du planton.

- Le vol pour le Boukistan ?

- Là, juste en face, dépêchez-vous, ils « embarquent». Par les nombreuses baies vitrées, notre duo infernal aperçoit un "Lockeed Constellation super G", aux armes du Boukistan : un énorme cylindre horizontal, avec à une extrémité deux superbes ballons de foot (car ne l'oublions pas à l'époque le Boukistan soutenait déjà le P.S.G) et l'autre extrémité du cylindre est peinte en rouge vermillon du plus bel effet !

Chauguise et Julien ont bondi, un grand type tenant une fillette, une jolie brunette par la main avance tranquillement. Chauguise l’alpague gentiment par le col de son blouson et lui murmure à l’oreille :

- Eh Barghaoui ! Tu ne fais pas de schkroum devant ta gamine Ducon, ou j’te fume, verstehen ?

Pendant ce temps Julien a gentiment écarté la petite Myriam au prétexte : ta Maman veut te voir avant que tu partes. La fillette un large sourire sur son joli minois, a suivi Julien sans protester.

Chauguise a obligé l’homme à faire demi-tour puis, devant le planton interloqué, a commencé à fouiller les poches du Boukistanais.

- Tiens, tiens, s’étonne Chauguise en exhibant un petit sac en toile, il l’ouvre et en vide le contenu sur une table basse. Quelques diamants étincellent sous les néons.

- Mais on dirait bien les diams volés après le « casse » de la bijouterie « Grodiams » de la rue Chambon !

- Mais … Mais c’est pas à moi, ces pierres, j’vous jure ! balbutie le Boukistanais.

- Jure pas, tu blasphèmes, Ducon !

Les flics sont venus cueillir l’homme à l’aéroport malgré ses protestations, quelques tartines dissuasives l’ont vite calmé. Avec les pièces à conviction retrouvées sur lui, un séjour d’une vingtaine d’années à la santé, histoire de lui retirer toute envie d’emmener sa fille goûter aux coutumes de son pays.

Le lendemain Chauguise arrive dans son « casino » (c’est ainsi qu’il nomme son bureau), et là, bien en évidence, un énorme carton enrubanné. Il l’ouvre et dedans son vieux bada troué, un petit mot épinglé : « ça s’arrose patron »….

Par la porte restée entrebâillée, toute l’équipe entend : « demain à midi, tous dans mon casino, VERSTEHEN » ?



*Avant que André Malraux, le ministre de la culture sous Grand Charles 1er, n'ait eu l'idée de faire "nettoyer" Paris, tous les immeubles et monuments étaient noirs comme de l'anthracite ! Pollution due aux poêles à charbon notamment.

**L'hôtel Dieu, est un hôpital implanté sur l'île de la Cité.

*** J'ai travaillé à l'aéroport du Bourget pour une petite boîte qui révisait les moteurs d'avions, le midi nous allions manger à la cantine d'Air France... Vue panoramique sur les pistes ! Les détails sont authentiques.

lundi 1 juillet 2013

Tant-BourrinUn temps pourri

Le voyage dans le temps a été découvert en 1967.

Vos yeux s'écarquillent, je le vois, et vous imaginez déjà que je vous raconte une histoire à dormir debout, sortie tout droit des tréfonds de mon imagination.

Et pourtant, c'est la stricte vérité : la première machine à voyager dans le temps a été mise au point en juin 1967 par le Professeur Andrius Laikinumas, un physicien d'origine lituanienne, établi à Genève après avoir fui son pays et réussi à franchir le rideau de fer, recruté par le CERN au sein duquel il menait des recherches fondamentales sur l'antimatière, visant à améliorer les techniques de production et de stockage des noyaux d'antideutérium.

Ce ne sont toutefois pas ces travaux-là qui allaient directement le mener à son extraordinaire invention, mais plutôt ceux auxquels, en parallèle, il consacrait tous ses week-ends et ses congés. Car Andrius Laikinumas avait une marotte : il était fasciné par les trous de ver, ces concepts mathématiques basés sur une géométrie spatio-temporelle dynamique. Depuis les premières publications de John Wheeler en 1956 et les travaux de Stephen Hawking et Richard Coleman quelques années plus tard, l'idée que l'espace-temps pouvait être soumis à un effet tunnel excitait Andrius Laikinumas au plus haut point. Les trous de ver de Lorentz, franchissables dans les deux sens (contrairement à ceux de de Schwarzschild - infranchissables - ou ceux de Reissner-Nordstrøm - à sens unique), enflammaient tout particulièrement son imaginaire.

Le grand Einstein lui-même pensait que des connexions spacio-temporelles pouvaient créer des ponts entre différents endroits de l'univers, y compris en cheminant dans la dimension du temps, mais il estimait que de telles connexions ne pouvaient être maintenue bien longtemps du fait de l'instabilité des fluctuations quantiques : seule de la matière exotique, comme de l'antimatière, serait théoriquement à même de maintenir un trou de ver de Lorentz ouvert. Mais voilà, le problème de la production et du stockage de l'antimatière n'était pas résolu, Andrius Laikinumas était bien placé pour le savoir.

Alors, dès qu'il regagnait son pavillon après sa journée de travail, ce n'était que pour se replonger dans des recherches et des expérimentations à titre purement personnel. Il engloutissait un sandwich avant de s'enfermer dans une pièce aménagée en laboratoire. Andrius Laikinumas, inutile de le préciser, était un célibataire endurci que la bagatelle n'intéressait nullement. Son seul rêve : faire du temps une dimension similaire aux autres, que l'on peut parcourir en tout sens.

Nul ne sait comment il accomplit ce miracle. Il semblerait qu'il travaillait alors sur des processus membranaires catalysés par un alliage de bore, de silicium et de néodyme, mais on doit hélas en rester au stade des supputations. Toujours est-il qu'ayant résolu le problème de la production d'antimatière, celui de la création et du maintien en position ouverte de trous de ver temporels ne le mobilisa que quelques mois, tant il avait déjà tourné et retourné la question dans sa tête.

Vint ainsi bientôt le moment où il fallait tester concrètement son invention. Seulement voilà : Andrius Laikinumas craignait une chose par dessus tout, c'était le paradoxe temporel. Que se passerait-il si, allant dans le passé, ses actes l'altéraient et modifiaient par là-même le présent ? Vous avez tous lu ces histoires de science-fiction, où un voyageur temporel imprudent va, par exemple, tuer accidentellement son père et se condamner à disparaître. Eh bien là, il ne s'agissait plus de fiction : toute imprudence de sa part pouvait lui être vraiment funeste !

Bien sûr, il aurait pu commencer par envoyer une souris de laboratoire dans le passé, mais allez donc dicter sa conduite à un rongeur ! Inutile d'espérer qu'elle réemprunte le trou de ver pour regagner le présent ! Qui sait si ses faits et gestes dans le passé ne seraient pas de nature à bouleverser le monde actuel ?

Une autre solution aurait consister à se projeter dans l'avenir, mais cela terrifiait Andrius Laikinumas plus encore : quelle assurance pouvait-il avoir de ne pas se matérialiser dans un objet qui se trouverait là dans le futur, une cloison, un meuble... ou lui-même ? Sa structure moléculaire n'y résisterait pas ! Non, mieux valait viser le passé, et encore ! Ne pas aller au-delà d'un passé assez récent et bien connu de lui, afin d'éviter toute mauvaise surprise.

Le premier voyage temporel de toute l'histoire de l'humanité eut lieu le 22 juin 1967. Le professeur Andrius Laikinumas fit un saut de soixante heures dans le passé. Ce choix avait été dicté par la prudence : il se projetait à une heure de la journée durant laquelle il travaillait au CERN. Ainsi, son moi présent ne risquait pas croiser son moi passé, ce qui limitait les risques d’altération temporelle.

Le cœur battant, il fit son premier "saut".

Rien ne fut moins spectaculaire que cette grande première : son laboratoire personnel était toujours là, seuls quelques objets avait changé de place. La transformation la plus frappante était la luminosité : il était parti à 22 heures passées, il arrivait, un instant plus tard, à 10 heures du matin.

D'instinct, il s'efforça de respirer le plus faiblement possible : il lui semblait qu'en brûlant de l'oxygène du passé, il allait provoquer, au travers d'une chaîne de causalités incontrôlable, un cataclysme temporel. Mais rien ne semblait se produire : il était toujours là, son corps ne disparaissait pas, gommé par quelque paradoxe temporel. Il alla, avec prudence, consulter l'éphéméride près de l'entrée. Il indiquait la date du 19 juin.

Il avait réussi. Il était le premier voyageur temporel de l'histoire de l'humanité !

Andrius Laikinumas regagna vite le 22 juin sans trop traîner. Rien n'avait changé dans le présent qu'il avait brièvement quitté. Ses craintes s'étiolèrent quelque peu : le temps avait donc un certaine plasticité ! Les petites modifications du passé qu'impliquait le voyage temporel ne semblaient pas avoir de répercussion sur le présent ! Bien sûr, il fallait que celles-ci demeurent infimes : la prudence restait de mise !

Le professeur refit ainsi deux courts sauts dans le passé pour s'assurer de la robustesse de ses premières conclusions, puis décida de faire une excursion dans un passé plus ancien. Oh, il ne s'agissait pas d'aller se promener dans la Préhistoire ou au Moyen-Age, non : juste de remonter de quelques semaines en arrière, car Andrius Laikinumas ne se départait pas de son extrême prudence.

Il décida de revenir au 18 février 1967, un peu plus de quatre mois en arrière. Pourquoi cette date précisément ? Pour une raison fort simple : une collision entre deux véhicules avait eu lieu ce jour-là quasiment sous les fenêtres du pavillon, qui se trouvait à l'intersection de deux rues. Le professeur travaillait au CERN à cette date et il n'avait appris la chose que dans la soirée. L'occasion était donc belle de vérifier à la fois le bon fonctionnement de son appareil sur de plus longues portées et la relative plasticité du temps sur des chaînes temporelles de causalités plus longues.

Le saut fut parfait : en arrivant, il alla vérifier l'éphéméride, celui-ci indiquait bien la date du 18 février. Quatorze heures allaient bientôt sonner à l'horloge de son laboratoire : l'heure vers laquelle avait eu lieu l'accident. Il alla faire le guet à la fenêtre.

L'attente ne dura d'un quart d'heure : il vit soudain un voiture, une Panhard, rouler à vive allure en direction du lac, alors qu'une Aronde surgissait de la rue perpendiculaire. Un énorme fracas, et le silence de nouveau, bientôt entrecoupé de cris. De la fumée s'élevait des capots entremêlés. Un des conducteurs avait été blessé, il le savait déjà. Ce qu'il voyait était en tout point semblable au récit qu'en avait fait la gazette locale.

Il quitta son poste d'observation, ravi de la réussite de cette nouvelle expérience. Il allait pouvoir commencer à écrire une publication scientifique qui lui vaudrait à coup sûr le prix Nobel et la postérité.

Son estomac gargouilla. Dans l'excitation des préparatifs, il n'avait pas songé à s'alimenter depuis une douzaine d'heures. Bah, il mangerait dès son retour ! Mais il se rappela qu'il avait omis de s'approvisionner, détaché des contingences matérielles qu'il était, et que les magasins seraient tous clos à son retour dans le présent.

Un souvenir lui traversa l'esprit, comme un flash. La tranche de jambon ! Oui, c'était bien le soir où il avait appris l'accident de la bouche du voisin, quatre mois auparavant, qu'il avait eu la surprise, au moment du repas (si l'on pouvait appeler repas un sandwich avalé dans la laboratoire), de ne pas retrouver dans son réfrigérateur la tranche de jambon qu'il était convaincu de posséder encore. Il se souvenait même qu'il avait dû se contenter de quelques biscottes en guise de souper !

Il alla, le cœur battant, ouvrir le réfrigérateur. Il contenait bien une tranche de jambon.

Son esprit se mis à tourner très vite. Serait-ce donc lui - enfin, disons le lui du présent - qui lui avait dérobé cette tranche quatre mois plus tôt ? Il était donc écrit qu'il viendrait du futur se dépouiller d'un peu de nourriture ?

Après une longue réflexion, il conclut qu'il valait mieux prendre la tranche de jambon : s'il ne la prenait pas, il provoquerait une altération du passé plus importante que toutes celles, infimes, qu'il avait pu générer jusqu'à présent. Mais il se sentait saisi d'un vertige métaphysique : il ne prenait cette tranche que parce qu'il se souvenait parfaitement de sa disparition et qu'il fallait donc qu'elle se volatilise pour ne pas altérer le passé ; autant dire qu'une boucle temporelle s'était formée dont on ne pouvait démêler l’écheveau et dire où se situait le commencement.

Il engloutit la tranche de jambon avec un morceau de pain en se disant que les paradoxes temporels avaient quand même leur vertu : il se sentait nettement mieux avec l'estomac rempli ! Et puis, cette tranche de jambon disparue ne l'avait pas perturbé plus que ça, quatre mois plus tôt. Et comme il était écrit qu'elle devait absolument disparaître pour que son présent demeure parfaitement inchangé, alors...

Il emprunta le trou de ver en sens inverse, pour revenir dans le présent..

Dès son retour, Andrius Laikinumas se sentit mal. Son front se perla de sueur, il se mit à trembler de tout son être. Il se mit peu à peu à flageoler, avant de s'effondrer sur le sol, incrédule. Non, ce n'était pas possible ! Pas aussi bêtement !

On ne découvrit son cadavre que trois jours plus tard, lorsque ses collègues du CERN s'étonnèrent de son absence.

Andrius Laikinumas n'avait oublié qu'une chose : la tranche de jambon n'était pas originaire du même référentiel temporel que l'origine du trou de ver. En lui faisant emprunter, à l'intérieur de l'estomac, le tunnel vers le présent, elle avait été soumise à un vieillissement accéléré de quatre mois, sécrétant une quantité invraisemblables de neurotoxines botuliques dans l'organisme du professeur. Un bout de viande avariée avait enrayé la marche triomphale de la science.

Comme Andrius Laikinumas n'avait pas de famille, son pavillon fut récupéré par l’État, et sa machine finit à la ferraille, car personne n'avait imaginé que cet assemblage hétéroclite puisse être une formidable invention.

Voilà. Maintenant, vous savez vous aussi que le voyage dans le temps a été découvert en 1967.

Mais vous savez également aussi que le voyage dans le temps a été perdu en 1967. Et seule une machine à voyager dans le temps permettrait d'aller questionner Andrius Laikinumas avant sa mort, pour en retrouver les principes.

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