La petite balle rebondit. L’effet imprimé par la raquette rend son rebond imprévisible, des balles liftées presque à chaque fois.

Eric n’en peut plus : il transpire abondamment, son tee-shirt bleu commence à ressembler à une planisphère, la sueur y a imprimé des taches faisant penser à des continents !

Près de lui une femme : trente-cinq ans environ, épanouie comme l’on dit, grande, mince, vêtue d’un polo blanc. Dessous : ni soutien-trucs, ni redresse-machins, la sueur laisse apparaître les aréoles brunes de sa poitrine, qui bouge à peine malgré les déplacements rapides de la jolie rousse.

Epuisé, Eric s’arrête, lève le pouce en signe de renoncement. STOOOOP ! hurle-t-il, en accompagnant son cri d’un sourire à l’adresse de sa partenaire.

En arrivant vers dix-huit heures, comme à son habitude, pour sa partie de squash en compagnie de Joël, son ami et partenaire, on lui a appris que ce dernier avait été renversé, alors qu’il sortait de son bureau !

Ça n’était pas bien grave, mais le chauffard avait pris la fuite. Joël s’en était tiré avec quelques contusions et devait rester un jour ou deux en observation à l’hôpital Bichat.

Une jolie rousse est à l’accueil, discutant avec la réceptionniste.

- J’ai tout entendu, excusez-moi : vous êtes, il me semble, sans partenaire pour votre squash ?

- Oui, mais bon, ça n’est pas bien grave, je vais aller rendre visite à mon ami.

- A cette heure, les périfs sont à saturation ! Si un p’tit squash avec une femme ça ne vous fait pas peur, vous pourrez toujours rendre visite à votre ami un peu plus tard.

Même pas de périphs à prendre, du squash de Montmartre à Bichat, ça n’est vraiment pas la mer à boire ! Par la rue Vauvenargues, trajet direct : porte de Saint-Ouen.

Piqué au vif, Eric a accepté la proposition. Après coup, il se dit qu’il aurait eu mieux fait de refuser, car il s’est fait laminer.

- Ce fut un plaisir de me faire humilier par une jolie femme. Maintenant, la douche, puis direction Bichat.

Il tend la main en direction de la femme.

- Eric Molinas, se présente-t-il

- Sylvie, répond à son tour la femme, en serrant fermement la main tendue.

- A demain pour une autre partie ? J’ai droit à une revanche, si toutefois vous êtes libre…

- Libre comme une balle de squash ! A demain donc.

Elle tourne le dos, son short « a minima » laisse voir des rondeurs qui émeuvent Eric. Elle doit porter des strings… Ou alors que dalle, comme pour le soutif !

A l’étage du service trauma, Eric a retrouvé Joël. Ce dernier a le bras en écharpe, une petite luxation de l’épaule droite, a-t-il expliqué. Ça n’est pas bien grave, mais pour le squash, c’est râpé !

- Aucune importance, a ironisé Eric, je t’ai DEJA remplacé et, crois-moi, je n’y perds pas au change ! Tu verrais le canon….

- Raconte à un pauvre mourant, gémit Joël en prenant une voix chevrotante.

- Ferme les yeux… Ça y est ?

- Yes Monsieur !

- Un mètre soixante-dix, soixante kilos, 95-62-96

- 95 A,B,ou C… Voire D ? demande Joël.

- B, et arrête de fantasmer ! Et attends le meilleur : c’est une ROUSSE aux yeux verts !

- Son âge ?

- Trente-cinq, pas plus.

Le lendemain, Eric est au rendez-vous rue Achille Martinet, dans le XVIII ième. Sylvie est déjà là, vêtue d’un débardeur blanc à fines bretelles. Dessous, elle ne porte rien, cela se devine, cela se voit. Le même micro short d’un blanc immaculé moule son petit cul. Le regard d'Eric glisse sur les jolies jambes. Sylvie s’en aperçoit et lui renvoie un sourire amusé.

Comme la veille, la redoutable adversaire le trimballe littéralement. Au bout d’une demi-heure, Eric, en eau, souffle court, au bord de l’apoplexie, demande grâce.

- Mais où avez-vous appris à jouer ? Chapeau, Miss !

- J’ai vécu un moment à Montréal, c’est là-bas que j’ai appris. Il faut dire que j’avais un bon professeur.

Elle baisse un peu les yeux en prononçant cette phrase, ses lèvres ont légèrement tremblées.

Elle se ressaisit :

- Et votre ami, comment va-t-il ?

- Bien, très bien, merci ! Il sort demain, mais pour le squash, il est sur la touche pour un moment. A propos de squash, vous devez vous ennuyer avec un partenaire aussi médiocre que moi ?

- Pas du tout, lui répond elle en le regardant droit dans les yeux, vous me plaisez beaucoup !

Surpris Eric pique un fard, la soudaine déclaration l’a pris de court.

- Si on dînait ensemble ? propose-t-il histoire de reprendre la main. Je connais un petit restau à deux pas d’ici, rue Championnet : « chez Babette ». C’est un endroit très sympa, à la bonne franquette comme on dit !

- Ah oui ! J’en ai entendu parler : hors-d’œuvres et vin à volonté ! Avec plaisir mon Seigneur.

- Je passe vous prendre ?

- Non, j’y serai à vingt heures, ça ira ?

- Oui, bien sûr…

Vingt heures tapantes, Eric entre « chez Babette ». Ce petit restau de la rue Championnet est plein à craquer, comme tous les soirs. L’ambiance y est bon enfant, les tables à touche-touche facilitent les contacts. Soudain, il aperçoit au milieu de la salle un bras levé, c’est celui de Sylvie, elle a squatté une table.

Un large sourire accueille Eric.

- Je suis arrivée un peu en avance, ça m’a permis de bloquer une table.

- Je suis confus, c’était à moi de vous précéder.

- Mais non, vous êtes à l’heure, c’est moi qui suis en avance ! C’est une manie, j’ai horreur d’être en retard, et je n’aime pas attendre non plus !

Le dîner est plutôt sympa, la queue devant le buffet de hors-d’œuvre, chacun picore au petit bonheur dans les saladiers appétissants.

Le repas terminé, Eric et Sylvie se retrouvent rue Championnet, devant le restaurant.

- Je suppose que vous êtes venue en voiture ?

- Perdu ! A pied.

- Alors je vous raccompagne ?

- Si on allait plutôt chez toi ?

Le brutal tutoiement, puis la proposition, laissent Eric pantois. Sylvie a passé son bras autour du sien.

- Où est ta voiture ? questionne-t-elle.

Ils sont blottis l’un contre l’autre, nus, tendrement enlacés. Eric admire le corps superbe collé au sien. Elle a sacrifié à la mode : son corps est entièrement épilé. Eric aurait préféré… Etant donné qu’elle est rousse… Mais bon !

Chaque jour, ils se sont vus. Eric est raide dingue, Joël ne le reconnait plus. Avant Sylvie, qu’il trouve magnifique, a-t-il avoué à son ami, Eric n’avait eu que des passades, des maîtresses d’un soir, au plus quelques mois comme cette gentille brunette Cathy, une fille mignonne sans plus, gentille, sérieuse.

Elle était tombée amoureuse du beau sportif qu’Eric était à l’époque. Puis un soir, alors qu’ils étaient réunis tous les trois, pour un petit dîner du samedi soir, Eric était entré dans une rage folle à propos d’une salade un peu trop assaisonnée…

- T’es bonne à lape ! T’es trop conne, voilà, je traîne un boulet ! Même pas fichue d’assaisonner une salade correctement, tu n’es qu’une tache. Tu te rends compte Joël ? Elle voulait que je lui fasse un gosse ! Non mais, douée comme elle est, j’imagine la tronche de ce qu’elle aurait fait !

- Arrête Eric, tu deviens odieux, avait dit Joël en se levant.

- Attends, j’ai essayé de lui en faire un, j’suis trop gentil… Même ça elle ne sait pas le faire ! Tu veux que je te dise Cathy : ça n’est pas un ventre que tu as, mais un cimetière !

Cathy avait éclaté en sanglots, ramassé ses quelques affaires, puis sans un mot avait jeté le trousseau de clés sur la table… Etait partie.

Plus jamais ils n’en avaient entendu parler.

Deux jours sans Sylvie, Eric tourne en rond. Que m’arrive-t-il ? Jamais il n’a ressenti cela. Sylvie ne lui a donné ni adresse ni téléphone, d’ailleurs elle n’a pas de portable.

- Les balles de squash non plus, lui a-t-elle rétorqué alors qu’il la questionnait à ce sujet, et pourtant elles vont là où elles le veulent ! N’est-ce pas, mon grand sportif ?

Et pan ! Une allusion aux « torchées » qu’il prenait régulièrement.

Le troisième jour, calé dans son canapé, alors qu’il se repasse pour la énième fois l’excellent film de Stanley Kubrick "2001 odyssée de l’espace", le carillon de la porte d’entrée le tire du vaisseau spatial ! Sylvie est là, debout sur le palier.

- Entre, je t’en prie.

D’un pas hésitant, la femme est entrée, elle reste là.

- Je ne peux pas rester, je suis venue te prévenir… Des ennuis, comprends-tu ? Je ne peux pas t’expliquer.

- Sylvie, dis-moi, je t’en prie… Ne me laisse pas comme ça… Je peux t’aider.

- Non, je ne veux pas te mêler à ça, c’est mon histoire, je t’aim ... je tiens trop à toi, je ne voudrais pas qu’il t’arrive quelque chose.

- Tu m’aimes, Sylvie, ça t’a échappé, j’ai bien entendu. Je t’aime aussi.

- Oui, je t’aime, Eric, lui répond-elle en se blottissant dans ses bras.

Doucement, tendrement, il l’entraîne. Tous deux s’assoient sur le canapé.

Ils sont nus, Sylvie est tout contre Eric, absente. Pourtant, quelques minutes plus tôt, elle était déchaînée et hurlait des « je t’aime ».

- Dis-moi, Sylvie, je t’en prie, raconte, je VEUX t’aider.

- Je t’avais dit que j’avais vécu à Montréal. Là-bas, j’ai connu un professeur de squash…

- AH ! C’est donc cela, ironise Eric.

Sans relever, Sylvie poursuit.

- Nous avons vécu un bon moment ensemble. Au début, tout allait bien, mais sa profonde nature a repris le dessus, il m’a trompée, humiliée, alors je l’ai quitté…

- Mais…

- Laisse-moi terminer, Eric. Loïc, c’est son nom, il m’a retrouvé voici cinq jours, sans doute par l’intermédiaire du club de squash. Depuis il me harcèle, il est très violent, c’est la première fois qu’il se fait larguer, cet horrible macho ne l’encaisse pas ! J’ai peur, alors j’ai pris mes précautions.

Ce disant, elle saisit son sac à main, l’ouvre.

Eric aperçoit un pistolet, plonge la main dans le sac et sort l’arme.

- T’es folle, que vas-tu faire avec ça ?

- T’inquiète, amour, il n’est pas chargé, c’est seulement pour lui faire peur ! Allez, remets-le en place.

Eric a reposé le pistolet dans le sac, ils ont refait l’amour. Au petit matin, alors qu’il dormait encore, elle est partie.

C’est la sonnerie du téléphone qui l’a réveillé.

- Eric, viens vite… J’ai peur, j’ai fait une bêtise.

- Calme-toi, amour, où habites-tu ? Je ne connais toujours pas ton adresse !

- Rue Darwin, au numéro trois, deuxième étage, porte face.

- Nous sommes presque voisins, j’arrive !

- Eriiiic… Il y a un code : 357 M.

- Noté.

Ce dimanche matin, la circulation est fluide, quasiment inexistante. De Jules Joffrin, où est situé l’appartement d’Eric, à la rue Darwin, il ne lui faut que quelques minutes. Il gare sa pompe sur un bateau, puis trouve rapidement l’immeuble. Le temps de composer le code, il monte les deux étages, délaissant l’ascenseur.

Au second, la porte palière de l’appartement du milieu est ouverte. Eric entre.

- Sylvie, t’es là ?

Aucune réponse, Eric s’avance, pénètre dans le salon. Un homme est allongé, sa tête repose dans une flaque de sang. A un mètre de lui environ, un pistolet… LE pistolet que Sylvie lui a montré cette nuit, Eric le reconnaît, alors il se penche, puis tâte la carotide de l’homme à terre. Rien. Visiblement, il est mort, le trou béant au milieu du front ne lui laissait aucun doute, cela se confirme. Alors qu’il se relève, un cri derrière lui.

C’est une femme, tablier bleu, cheveux gris, pantoufles fatiguées aux pieds. C’est la bignole, elle recule visiblement effrayée.

- Attendez, Madame, ça n’est pas ce que vous croyez !

La sentence est tombée : crime avec préméditation.

Sylvie a joué la fiancée éplorée, arguant que Eric et elle, ça n’était qu’une passade, mais que lui était viscéralement jaloux. Ses empreintes retrouvées sur le pistolet l’accusaient formellement.

Vingt ans… S’il se tenait bien d’ici onze à douze ans il pourrait sortir.

- Molinas, t’as un parloir !

- Moi ?

- Ben oui, y’a pas d’autre Molinas dans la cellule, répond Georges le maton.

Dans le couloir, où visiteurs et détenus sont séparés par un plexiglass percés de trous, genre hygiaphone, Eric aperçoit Sylvie.

- Toi t’es gonflée, ma salope, après m’avoir enfoncé au procès, tu ne manques pas d’air !

- Appelle-moi Cathy, Eric. Cathy Rinval : c’est mon nom !

- Qu…Quoi ? C’est toi, Cathy ?

- La vraie Cathy est morte, je l’ai tuée, à coups de botox et de chirurgie esthétique : à sa place Sylvie Talloires, c’est fou ce que quelques milliers d’euros peuvent faire !

J’en ai chié, pour devenir ce que je suis, pas moins de dix interventions, réductions du volume de mes seins, d’un bonnet « C » je suis passé au « B », abrasion du maxillaire inférieur, afin de réduire le menton, tu m’as assez reproché mon menton « en galoche » ! Le nez aussi, bien sûr, raccourci et moins « épaté ». Les pommettes ? Un peu de botox pour les rendre plus saillantes. Je te passe les liposuccions, et surtout les heures de musculation, afin d’obtenir le corps de rêve qui t’a tant fait fantasmer !

Ce que tu as pu me faire marrer avec tes : je t’aimeeeeeu !

Le meilleur ? Les trois centimètres que j’ai gagnés grâce à une méthode Néerlandaise qui consiste à pédaler des heures et des heures la jambe tendue au maximum, lorsqu’elle est au bas de sa course… C’est douloureux, très douloureux.

Quant aux jolis yeux verts, avec les lentilles de contact, ça a été un jeu d’enfant. Joignant le geste à la parole, elle retire les prothèses oculaires et le regarde de ses jolis yeux noisette, qu’il n’avait jamais su admirer.

Quant à ton ami, il ne croira jamais que c’est moi qui l’ai un peu « bousculé » avec une voiture de location, afin de te rencontrer. Je ne suis pas trop maladroite, les cours de conduite sportive sans doute !

Mon ventre est un cimetière Eric ? Pas pour tout le monde : j’attends un enfant de Joël...