Préambule : Il y a quelques temps, Blutch m'a fait parvenir une suite à l'histoire que je vous avais contée ici même. L'ayant trouvé fort savoureuse j'ai pensé en accord avec les "Boss" qu'on pourrait la publier.... Voilà c'est fait.



- Non, Francis, on reste là. Ces Messieurs-Dames veulent du gibier, pas des bêtes d’abattoir. Ça ne va pas les intéresser de nous flinguer à bout portant. Ils veulent des sensations fortes, il y a moyen de leur en donner. On va être descendu, c’est certain. Comment pourraient-ils nous remettre dans la nature après ça. Ils auront leurs sensations fortes, mais ce sera selon mes règles du jeu. Messieurs-Dames, on va partir depuis le centre du parc, de façon à ce que vous non plus ne puissiez avoir une assistance, OK ? Maintenant qu’on est loin de tout, je veux au minimum une heure d’avance sur vous, OK ?

Se saisissant d’un fusil par surprise, Aline pose ses conditions :

- Soit, alors pour être certain d’avoir ce laps de temps, je vais démonter vos fusils. Vous êtes chasseurs, vous devriez savoir les remonter, non ? Alors où est le problème ? Francis, tiens le flingue s’il y en a un qui bouge tu tires. Bon, là, j’ai eu peu mélangé les pièces pour mettre un peu plus d’ambiance. Et pour les sensations fortes, je garde le dixième flingue. Un d’entre-vous va aussi caner aujourd’hui. Avouez qu’ainsi, ça met plus de suspens. Ceux qui en réchapperont ne pourront plus se passer de ce petit plus qui fait le sel de la mort… Francis, tu vides leurs sacs, tu bousilles les ravitaillements et les boissons, sauf deux rations qu’on embarque. Maintenant, Messieurs-Dames, que la chasse commence…. Si d’aventure vous envisagez de réclamer de l’assistance technique, vous risquez de trouver ce flingue en face de vous, alors vous vous démerdez en mode survie.

Aline et Francis sont partis d’un pas souple et rapide en direction de la partie haute de l’île.

- Putain, t’y va pas de main morte, mais tant qu’à faire, on aurait pu quitter le parc… Non, là, je crois que j’ai dit une connerie... On pourra jamais repartir de l’île, c’est ça ? Mais je ne sais pas si c’est vraiment mieux que la situation initiale. On a un flingue avec une balle, mais ils en ont encore neuf…

- Ouais, mais neuf flingues non-violents. Les axes des percuteurs sont là. Ils peuvent se douter qu’on va les attendre vers la porte s’ils y retournent, donc ils vont se démerder pour bricoler. Ça risque d’être long… Les mémères n’ont pas forcément les aiguilles à tricoter du bon diamètre. Tu sais qu’on va devoir en tuer un max… tous, ça serait génial, mais faut pas rêver ! En attendant, on prépare un piège.

- Aline, fais comme moi, enlève tes fringues.

- Tu crois que c’est le moment pour la bagatelle ?

- T’as vu les panneaux de signalisation qu’on a sur le dos ? Orange fluo, il ne manque plus que de dessiner la cible… A loilpé et badigeon de boue pour faire couleur locale. J’ai vu un arbre impec, j’y accroche mes fringues et un bâton pour faire croire que je suis en position de tir. J’ai fait de la déco de théâtre, ça devrait faire illusion. Mais explique-moi ce putain de pari que tu as fait.

- Soit : mon père est complètement ravagé du citron, Il était militaire de carrière dans les commandos. Ses dimanches de perm. On les passait à faire du biribi dans les bois. Sa fierté était de pouvoir démonter et remonter son flingue les yeux bandés, alors je t’explique pas les maniements d’armes le soir à la veillée pendant que je rêvais de pouvoir jouer avec mes barbies… Un ravagé pire qu’un beauf ricain. Ça m’a fait acquérir quelques compétences particulières, même si ça va pas nous sauver la mise pour autant, on va tout de même pouvoir s’amuser la moindre. Crever d’accord, puisqu’il semble que ce soit l’heure, mais pas comme des perdreaux d’élevage. Dans l’arène, le taureau a des cornes, même si ce n’est pas souvent lui qui gagne…

Aline se cache dans la faille d’un rocher à proximité de l’arbre où Francis a accroché son mannequin. Avec une liane, il peut l’agiter ou faire tomber une pierre pour attirer l’attention.

Après deux heures d’attente, une femme arrive, attentive, regardant partout. Elle a vu le tireur, elle épaule son fusil et se fait éclater la tête par un vigoureux gourdin. Francis la déshabille rapidement et cache son corps sous des fourrés. Il récupère la balle du fusil en admirant le bricolage sur le percuteur avec une épingle à cheveu.

Le temps pour Aline de s’habiller et des bruits de voix se font entendre. Ils sont deux, marchant de conserve. La femme n’a pas de fusil.

Sans la chute d’une pierre, Ils n’auraient pas vu le tireur embusqué dans son arbre.

Tournant le dos à Aline, l’homme épaule et - PAN ! - sa tête éclate. La femme a juste le temps d’apercevoir un homme de cromagnon nu comme un ver qui lui éclate la tête d’un moulinet avec son gourdin. Il prend les habits de la femme qui sont plus dans son gabarit et il cache aussi son corps. Il laisse l’homme là, bien visible.

- Donne-moi son flingue, que je lui remette l’axe d’origine du percuteur, on sera ainsi armés les deux. Leurs bricolages à la con leur donnait une chance sur dix de toucher l’amorce. On n’a pas grand risque avec leurs pétoires.

Ce premier tir d’Aline avait recentré les recherches dans ce petit secteur. Le premier arrivé, voyant l’homme à terre et la tronche éclatée avait juste eu le temps de dire à mi-voix :

- Bien content que ce ne soit pas moi, maintenant qu’ils ont tiré leur cartouche, la chasse va changer de style.

Un coup de feu a ponctué sa phrase.

A la tombée de la nuit, Aline et Francis en étaient à cinq partout. Plus de chasseurs et encore cinq balles de rab.

- Les dix petits nègres d’Agatha… Je n’imaginais pas la chose possible, notre cote remonte, il ne reste plus qu’une formalité : quitter l’île.

Leur chapeau enfoncé sur la tête, ils ont été résolument vers la porte cadenassée. Au coup de sonnette, un loufiat est venu leur ouvrir, croyant à l’arrivée de deux chasseurs.

- Les autres sont déjà arrivés ? Le directeur est encore là ? Mais qui reste-t-il donc ici ?

- Le directeur est au bureau, Monsieur Dangleau est déjà reparti car il ne pensait pas que la chasse serait si longue. Il reste encore le personnel de l’hôtel et moi. C’est prévu que je vous ramène avec le bateau dès que les autres seront là.

- Les clefs du bateau sont où ? Discute pas, y a personne qui ressortira de cet enclos, ils sont morts et toi aussi, tiens….

Dans son bureau, le directeur s’est un peu fait prié avant de se montrer coopératif. Une balle dans le genou lui a fait retrouver la combinaison du coffre où il y avait 500 000 dollars, prix de la chasse pour ces 10 hôtes de marque…. Une magnifique navaja incrustée de nacre qui traînait là en guise de coupe-papier se retrouva entre les côtes du directeur de l’hôtel.

- Putain, ça fait du bien de se poser. Sur ce rafiot, j’ai une chanson de Philippe Lavil qui me trotte en tête, t’es pour ?

Deux mois plus tard, au deuxième droite du 16 boulevard Haussmann, un quinquagénaire finit de se vider de son sang, victime de 52 coups de couteau, tous mortels… Une liste de 50 « disparus sans laisser de traces » est en évidence sur le bureau. La feuille est coupée, comme si on avait voulu enlever deux noms.

Ça fait maintenant trois plombes que le commissaire Julien Dugland tourne et retourne les paperasses étalées sur le bureau. L’identité judiciaire est repartie et il est perplexe.

Merde, il aurait fait quoi, beau-papa, avec ça ?