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mercredi 25 novembre 2009

AndiamoQuand on chantait

Avant l’arrivée des baladeurs et autres MP3, je me souviens que les gens chantaient. Bien sûr, pas de musique dans nos spartiates autos, et encore moins de télévision ! Ne vous marrez pas : il y en a de plus en plus, paraît-il, et pas seulement à la place des passagers arrières !

Alors nous chantions ! Parfois à tue-tête, il m’arrivait de me prendre pour un ténor quand, en partant le matin sur ma moto, j’entonnais une chanson de Sacha Distel ou de Gilbert Bécaud. Pareil même chose (wouarf) lorsque je me rendais de Villefranche-de-Lauragais à Toulouse pour aller bosser chez l’avionneur Bréguet, le matin de bonne heure, 35 à 40 minutes de trajet. En 1962, pas de radio dans ma deudeuch ! Alors je chantais rien que pour moi des chansons de Léo Ferré ou de Georges Brassens, j’en connaissais beaucoup "par cœur".

Il n’y a pas si longtemps, lors d’une soirée, une amie et moi avons chanté en chœur "comme à Ostende" de ce vieux Léo ! Elle connaît mine de... pas mal de chansons, bien rangées dans sa tête bien faite !

J’entendais, sur une station radio, Jean-Marc Thibault qui déclarait connaître plus de 1000 chansons. Je ne sais si c’est vrai, mais assurément il en connaît beaucoup.

Force était de les apprendre, car il n’y avait rien d’autre pour écouter ce que l’on aimait en dehors de chez soi, rien qui puisse vous faire écouter de la musique hormis les 45 tours, assez chers tout de même. On les écoutait sur nos électrophones munis d’un haut-parleur, on était loin de la stéréo-fifi !

Et puis aussi une tradition disparue HELAS ! J’écris hélas car, bien que n’étant pas (trop) nostalgique du passé, je trouvais charmante cette coutume qu’après les repas de famille, de première communion ou de mariage, chacun "pousse" la sienne comme on disait à l’époque.

Chacun avait avait "sa" chanson : ma grand’mère chantait "l’ange rouge", une goualante réaliste, l’ange rouge étant la guerre, celle de 14-18, la grande, la seule, la vraie, comme elle nous le rappelait, elle y avait perdu ses deux frères de 20 et 21 ans, son mari plus tard, mon grand-père mort des suites de cette horrible carnage.

Je me souviens encore des paroles du début :

Regardez-le chevaucher dans l’espace.
Regardez-le : c’est l’ange rouge qui passe.

C’est primesautier, n’est-ce-pas ?

Un oncle nous chantait "les baisers quand ils sont bien donnés"... Quand il attaquait ça, la tante lui jetait un regard courroucé, c’était le signe que tonton en avait un coup dans la huche. S’il peut lire par-dessus mon épaule depuis là-haut, il doit bien se marrer, ce petit bonhomme jovial… Sacré Félix !

A la fin des repas de famille, certains racontaient des histoires à ne pas mettre dans toutes les oreilles. Les "grands" attendaient que les enfants soient partis jouer dans la cour ou dans une autre pièce, alors ils en profitaient pour raconter la dernière... parfois entendue un an auparavant, mais on faisait semblant de la découvrir et on riait, ça mange pas d’pain et puis ça faisait plaisir au conteur.

Lors des mariages (plus que pour les premières communions), les chansons de corps de garde étaient à l’honneur : depuis le "plaisir des Dieux" jusqu’à la "petite Charlotte", en passant par les "trois orfèvres", tout y passait ! Les dames (un peu hypocrites) poussaient des "OH !" d’indignation, tandis que les messieurs jouaient les fiers-à-bras, les "affranchis", les "j’en ai vu d’autres" !

Dans les ateliers de couture, de mécanique, dans les manufactures, les ouvrières, les ouvriers chantaient ou sifflotaient en travaillant. J’ai travaillé un moment chez Bourjois, le parfumeur. A l’époque, l’entreprise était située à Pantin. Sept cents femmes y travaillaient. Je réglais les machines de conditionnement, j’étais célibataire, elles m’en ont parfois fait voir de toutes les couleurs, ça allait de "mécano de mes deux" quand elles n’étaient pas contentes à "viens mon chéri, je vais t’offrir un bonbec" ! Tout ça dépendait de leur humeur, mais bon, ça n’était pas bien méchant et en tout cas sans rancune.

Toutes ces femmes chantaient, souvent très bien. Avec leur star’ac à la con, ils peuvent aller se faire foutre ! J’entendais parfois des voix magnifiques. Avec des cours de chant, je pense sincèrement que certaines auraient pu faire une carrière, mais ça n’était pas bien la mode, et puis elles n’avaient pas l’aplomb nécessaire, venant comme moi de milieux modestes où on ne connaissait pas toutes ces choses. Alors elles chantaient pour leurs collègues, pour leur mettre le cœur à l’ouvrage, emballer des flacons de parfum à longueur de journée, le dos courbé, toujours le même boulot ou presque, il fallait avoir un sacré moral !

Dans d’autres entreprises, j’ai connu d’autres "laborieuses" penchées sur des tours à décolleter, la même pièce à longueur d’année, derrière elles les tonneaux métalliques remplis de pièces en ferraille, tournant pendant des heures pour ébavurer les dites pièces.

Le vacarme : INFERNAL ! Elles ne bronchaient pas, elles chantonnaient même, pour elles bien sûr, car dans ce brouhaha il fallait hurler pour se faire entendre. Je restais le minimum de temps dans ces lieux, le réglage de la machine terminé, je me réfugiais dans des lieux plus calmes… Beaucoup plus calmes !

J’admirais et j’admire toujours ces femmes, bosseuses, appliquées, toujours souriantes… Eh oui ! Elles ont fait les trente glorieuses… Glorieuses pour qui ?

Quand elles sortaient le soir de leur usine ou de leur manufacture, ça n’étaient plus les mêmes : envolés les fichus, disparus les longs tabliers blancs, les chaussures informes et graisseuses remplacées par de jolis escarpins ! Ouvrières mais coquettes, seules les trahissaient leurs mains aux coupures multiples dues aux copeaux de métal ou, pour les petites ouvrières de chez Bourjois, l’entêtant - car en trop forte quantité - N°5 de Chanel (mis en flacons et élaboré à Pantin à l’époque).

Dans le bus qui les ramenait chez elles, c’étaient des plaisanteries avec le receveur (disparus aujourd’hui, les receveurs). J’en ai vu chanter et danser - mais oui ! - avec le préposé au compostage des billets sur la plate-forme des antiques Renault TN 4F. Elles bossaient dur, ces jeunes filles, ces jeunes femmes, ces jeunes mères et ces grand-mères, mais je n'ai jamais entendu l’une d’elles se plaindre du boulot ni de l’ambiance !

J’ai bossé dur parfois, mais bon c’était comme ça, j’ai connu bien sûr des chefaillons à la con comme tout le monde, mais je ne me suis jamais plaint de l’ambiance avec mes collègues. Il y en avait qu’on laissait un peu de côté car ils n’étaient pas "faciles", mais ce qui est sûr c’est que l’ambiance était excellente, les copains chantaient dans les ateliers ! Aujourd’hui encore, nous sommes pas mal à nous fréquenter, à nous retrouver pour une bonne bouffe.

Incroyable mais vrai, j’ai interrompu un moment l’écriture car un copain de boulot, que je n’ai pas revu en "vrai" depuis longtemps, mais que grâce au net j’ai retrouvé, est venu bavarder et m’offrir son sourire par caméra interposée, au moment où je parlais de mes anciens collègues… Coïncidence ?

Plus tard, vers 1985, quand j’ai dû changer de boîte biscotte le chomdu, j’ai travaillé dans pas mal d’entreprises, et il est vrai que si le boulot me plaisait beaucoup, car très intéressant, l’ambiance n’y était pas, ou plutôt n’y était plus, et je crois bien que j’étais le seul à chanter en travaillant.

dimanche 22 novembre 2009

Saoul-FifreLa grande goélette noire

Je ne sais pas du tout pourquoi cette fille m'a de suite donné envie de m'embarquer sur elle. Ni pourquoi son corps m'a évoqué une coque, ni pourquoi ses vêtements, quand elle dansait sur la piste de cette boite de nuit, me semblaient des voiles claquant au vent et ses bras, des mâts et ses yeux, des lanternes... Il faisait sombre, c'est vrai, mais j'avais plus surement sans doute besoin qu'elle me prenne, qu'elle m'enlève et me séquestre loin, dans quelque île de forbans où elle m'initierait à des plaisirs interlopes.

Ce qu'elle fit en quelque sorte (moins les plaisirs interlopes) puisqu'elle me ramena chez moi dans sa deux-chevaux tandis que mes amis rentraient de leur côté. Nous devînmes amis et, de la mieux connaitre, mon désir grandit de fouler son pont et de la visiter de la quille au poste de vigie.

Un jour je pris mon courage à deux mains et, en guise de déclaration d'Amour, je lui tendis ce texte, écrit pour elle.

- "Tiens, regarde ce que tu m'as inspiré". Avec de multiples précautions oratoires, car elle était gentille, elle me fit comprendre qu'elle ne désirait pas pousser plus avant notre relation ni me prendre à son bord.

J'ai été amoureux d'une grande goélette noire
Qui dansait au bruit du vent du large
Dans la lumière des îles
Ou bien qui se taisait, tranquille
Avant les abordages.

Dans la grande nuit des solstices
Sur la route des quarantièmes
Du haut des grandes lames, comme une reine
Elle dominait le précipice
Oubliant un instant qu'à la fin
Elle rejoindrait les âmes en peine
Mortes, des marins.

J'ai gardé dans mes oreilles la tempête de ses voiles
Dans mes yeux, son fanal sous les étoiles
Son sillage à la mousse aux enzimes
Que rejetait le commis de cuisine
Boites de conserve, arêtes de poissons
Épluchures, repas vomi depuis l'entrepont.

J'ai encore en mémoire sa figure de proue
La haute stature et les coups de fouet du gabelou
La générosité naturelle au marin
Qui le faisait déféquer chaque matin
Un long boudin nauséabond
En guise de nourriture aux poissons.

Je garderai toujours en moi les chansons douces sous la lune
Qui parlaient de putains, blondes ou brunes
Quand le marin revient enfin au port
Sa femme, sur le quai, s'inquiète de son sort
Mais lui n'a qu'une idée en tête :
Ça va être sa fête !

J'ai été amoureux d'une grande goélette noire
Qui donnait du froid, du vent, des larmes
À des esclaves dociles
Ou bien qui les jetait, tranquille
Par le bastingage ...

À la relecture de ce vieux texte, des années plus tard, à cœur reposé, je n'hésite pas à reconnaitre que je comprends parfaitement sa réponse négative. J'avoue que dans ma quête d'un peu de chaleur humaine et féminine, je plaçais la barre assez haut et que peu d'élues parvenaient à la franchir.

Mon système de sélection était rude, je l'admets volontiers. Mais, tout grave psychopathe que je semblais être, je souhaitais tout simplement découvrir l'être rare et fou capable de m'aimer pour le pire et l'un peu moins pire.

J'ai fini par le trouver, à l'aide d'un piège à filles du même acabit, à l'entrée quasi inaccessible, avec un de ces appâts à l'efficacité des plus improbables.

samedi 7 novembre 2009

AndiamoMon frère... (suite)

Je vous en ai déjà parlé de mon grand frère, trois ans de plus que moi. Entre nous deux, ma sœur : tir groupé !

Je lui dois sans doute des engueulades et des fessées, mais jamais, au grand jamais, cinq minutes d’ennui !

Trois ou quatre idées fumantes par jeudi : ça allait des parachutes découpés dans les rideaux du salon au tir à l’arc dans le capiton du lit parental !

Pour un Noël, mon frère devait avoir quatorze ans, mes parents lui offre un arc et des flèches ! Quelle inconscience ! Connaissant les phénomènes que nous étions, ils n’auraient jamais dû ! Etaient-ils en état de léthargie ou touchés par une crise d’angélisme au moment de l’achat ? Nul ne le saura jamais vu qu’ils ne sont plus là pour témoigner.

Ce beau matin de Noël, mon frère reçoit la panoplie de Robin Hood, sans le chapeau à la con ni le collant qui moule les coucougnettes (je vous rassure), juste l’arc, les flèches et une cible faite de raphia tressé avec les jolis cercles multicolores et concentriques. J’avais reçu un tir aux pigeons avec une carabine à flèches, les pigeons étaient remplacés par des avions : des Spitfires… Encore et toujours les avions !

Au début, bien sagement, nous avions installé la cible à la cave et chacun notre tour nous nous exercions au tir à l’arc. Mais il faisait bien froid dans cette cave au mois de janvier, aussi, un jeudi, alors que notre chère maman était partie faire des courses, nous installons la cible ni plus ni moins que contre le lit des parents. Nous prenons du recul. La chambre communiquait avec un petit palier permettant l’accès aux deux chambres. La seconde étant celle que je partageais avec mon frère.

Bien campé, mon frère commence ses tirs… CHTONG ! CHTONG ! CHTONG !

Je lui emboîte le pas … CHTONG ! CHTONG ! CHTONG !

Et ceci une bonne dizaine de fois chacun. On était tout de même mieux là qu’à se cailler les meules à la cave ! Sentant le retour maternel proche, nous retirons la cible….

TAIN ! Les flèches avaient traversé la cible en raphia, ben tiens ! Et laissé dans le médaillon central en bois de jolis impacts, et de forts jolis trous bien calibrés dans le capiton de la tête de lit. Le soir, ça a chauffé pour notre postérieur, mon père avait les mains bien calleuses ! Je n’ai jamais pris de gifles, mais des fessées oui !

Décidément, ce lit en a vu de toutes les couleurs : un autre jour, après que nous ayons vu aux "actualités", dans notre cinoche de quartier, le Moulin Rouge, un documentaire sur les trampolines, vraisemblablement les premiers du genre à l’époque, mon frère en rentrant voulut mettre à l’essai les enseignements appris par les sportifs, des Américains sans doute, je ne me souviens plus très bien, tu penses c’était il y a soixante berges à l’aise !

Et voilà qu’il s’élance sur le pieu et commence à sauter comme un furieux. Un bond, deux bonds, trois bonds et… CRAC ! L’un des montants qui cède, le sommier se retrouve par terre et le frangin itou !

Inquiétée par le vacarme, ma mère rapplique dare-dare. Imagine le spectacle : le sommier vautré, les draps, les couvertures, le tout en vrac, le frangin qui se frottait partout biscotte la chute sur le parquet.

Habituée comme elle l’était des conneries mômesques (pas Français, m’en fous), elle flanque une mandale à mon frère et, emportée par l’élan, j’y ai droit aussi, on faisait dans l’équité à la maison !

- Encore une de tes bêtises ! (elle était polie ma mère, son fils aurait dit "conneries" mais pas elle) Si ton père voit ça, qu’est-ce-que tu vas prendre !

Le cœur maternel avait encore parlé. Certes on avait ramassé une mandale, sur le coup faut comprendre, mais davantage elle n’aurait pas supporté…

Alors elle a démonté vite fait, bien fait le montant cassé, elle était sacrément bricoleuse ma mère, puis elle est partie mi-marchant, mi-courant chez un petit menuisier qui bricolait dans un pauvre atelier au milieu d’un jardin près de chez ma grand-mère. Monsieur Lacroix il s’appelait, et je pense qu’il venait plus là pour avoir la paix que pour gagner de l’argent, il était déjà âgé quand je l’ai connu.

Il fabrique donc une plaque en laiton qu’il visse sur le montant afin de réunir les deux parties cassées, ma mère le paie, puis elle rentre bien vite, remet le tout en place. Lorsque mon père est rentré le soir, il n’en a rien vu, ni su. Je crois qu’elle le lui a appris bien plus tard.

Bien après, ce montant a été refait entièrement puis remplacé. J’ai hérité de ce lit, mais je ne fais plus de trempoline. J’vous vois v’nir, on ne commente pas la dernière phrase !

Un autre joli jeudi, un voisin vient avec son "meccano", des belles pièces peintes en bleu avec des filets jaunes, les barres arboraient une jolie teinte dorée… Une merveille, les boulons avec leurs écrous carrés, les jolis axes chromés avec les clips qui servaient de butées pour les roues et autres poulies à gorges.

Nous fabriquons une cabine de téléférique, le chef-d’œuvre achevé, nous montons dans notre chambre située au premier étage, lançons une ficelle. Moi, resté en bas, je tends la dite ficelle et l’enroule autour d’un pieu. Une autre ficelle attachée à la cabine afin de la remonter une fois rendue en bas.

Et tout le monde dans la piaule, laissant descendre le téléférique, puis le remontant chacun notre tour (ou presque), et ce au cœur de l’hiver, ça caillait bien ! Ma mère rentre, elle s’était absentée je ne sais pourquoi.

- Il fait sacrément froid, dit-elle en ouvrant la porte.

Dans la foulée, elle grimpe l’escalier et nous trouve là, fenêtre grande ouverte, deux ou trois gamins "de la rue" dans la piaule !

-Je chauffe pour la rue ! s’exclame-t-elle. PIF PAF, encore une fois !

Les potes faux-derches :

- Bonjour M’Dame ! Bon, eh ben, on s’en va…

Courageux les potes mais pas téméraires.

Les bagarres à coup de boules de neige… En 1946, il en était tombé énormément, 50 centimètres en région parisienne … Exceptionnel, je me souviens que dans ma rue les hommes avaient déblayé les trottoirs afin que l’on circulât plus aisément, et cela faisait une sorte de tranchée un peu tortueuse. Comme j’étais tout minot, la neige de part et d’autre du chemin me semblait bien haute.

En quarante six, afin d’obtenir de la viande, du pain ou encore du lait et autres produits, il fallait fournir des tickets. Ces coupons étaient distribués chaque mois, et la quantité variait selon l’âge : J1 les bébés ; J2 un peu plus âgés ; J3 adolescents ; et les travailleurs de force avaient droit à des rations supplémentaires, tels les mineurs de fond, les terrassiers ou autres….

Bien sûr, pas question de gaspiller les rations compte-gouttes. Alors, ce beau jour de neige, l’un de nos voisins de l’âge du frangin revient de la MAGGI - chaîne de commerçants spécialisés dans le B.O.F. (beurre œufs fromages). Autrefois, on désignait par BOF les commerçants parvenus, en référence aux salopards qui s’étaient enrichis grâce au marché noir, au détriment des pauvres gens qui crevaient la dalle, certains avaient même par obligation placés leurs enfants chez des paysans à la campagne. Mon épouse en a été, elle en garde un excellent souvenir car ces fermiers de la Creuse étaient vraiment des braves gens, qui ont traité l’enfant qu’ils avaient en charge comme leur propre fille. Comme quoi, même dans les heures les plus sombres, on peut faire de belles rencontres.

Donc ce brave Jeannot revient de la Maggi avec, comme la Perrette de la fable, sa petite boîte à lait en aluminium, vachement bien cabossée, tu penses, à la main. Il tombe sur mon frère plus prompt à dégainer que Lucky Luke lui-même, il lui balance une boule bien compactée. L’autre morfle en plein dans les carreaux (il était binoclard comme mécolle). Le v’là qu’il se met à gueuler comme goret que t’égorges, lâche le bidon, et le précieux liquide qui se répand comme celui des producteurs de lait en colère aujourd’hui (en moins forte quantité tout d’même, restons crédible). La mère Poissard, sa vioque, qui s’pointe à la f’nêtre :

- C’t’encore l’aut’ salopiot qui fait des siennes, et tout mon lait qu’est foutu ! Merde de saloperie d’fumier d’lapin…

Mon frère, n’écoutant que son courage, rentre à la maison, non sans avoir promis à l’autre enflure une trempe. La mère Poissard sonne chez nous, ma mère ouvre :

- C’t’encore vot’fils qu’a fait l’con, j’ai perdu tout mon lait !

- Hein ? Quoi ? Qu’est-ce ?

Enfin, après moult discussions, ma mère a dû se séparer de sa ration quotidienne de lait au profit de l’harangère, et mon frère recevoir sa énième engueulade.

Oh, bien sûr, il enchaînait les conneries, il était du genre "remuant", mais il avait grand cœur et aurait donné sa chemise… Même à plus riche que lui !

Et puis je veux lui rendre cette justice : dans le quartier, chaque fois qu’il y avait une connerie de faite, c’était le frangin le coupable, même s'il était absent… Comme quoi : on ne prête qu’aux riches !