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mardi 29 mai 2012

Saoul-FifreMonsieur Laroza

Si j'ai toujours su vivre avec très peu d'argent, il m'en fallait néanmoins, je m'excuse de cette faiblesse auprès de la compagnie esgourdante. Vint un jour où, mes poches ne contenant plus que de la menue monnaie, je dus rendre visite à cette bonne vieille ANPE, ce repaire d'esclavagistes, ces pirates recruteurs ne reculant devant aucun moyen pour vous amener à signer des contrats d'embauche à vil prix. Ces laquais à la solde du patronat n'ont pas leur pareil pour vous embobiner en vous poussant à la consommation alcoolisée. Vous me connaissez, ils n'eurent pas à beaucoup insister et me firent miroiter des avantages imaginaires et des salaires mirobolants. Des étoiles lançaient des étincelles dans leurs yeux cupides et cruels et je me retrouvai nanti, au sortir des serres de leur verbiage mensonger, d'une adresse de patron potentiel, sis en la bonne ville de Bruges, pas la Venise Belge, mais la commune en périphérie de Bordeaux.

Monsieur Laroza était maraicher. Bien sûr, dès que je trouvais une maison à louer avec un terrain, j'y aménageais aussitôt un potager, par plaisir, mais je n'avais jamais fait ça en professionnel. Je le prévins avec honnêteté mais il ne tordit pas le nez sur l'info. Monsieur Laroza aimait transmettre son savoir. Et moi j'aime apprendre. Oh mon dieu le nombre de techniques, d'outils et de tours de main géniaux que j'ai pu emmagasiner en six mois passés chez ce gars là !

Le raclet. Je l'ai retrouvé sur internet sous le nom de binette provençale mais "raclet" semble bien une appellation locale médoquine. Monsieur Laroza en possédait de toutes sortes et de toutes largeurs, du petiot pour l'ail, qui ne faisait guère plus de deux centimètres de large, au gros de vingt ou trente, pour faire les interlignes. L'important était que la lame soit bien aiguisée, devant et derrière. En la faisant glisser, bien parallèle à la surface, à un ou deux centimètres de profondeur, avec un mouvement de va-et-vient, la lame coupe aisément toutes les mauvaises herbes, même celles avec une grosse racine pivotante. Le collet coupé, la racine pourrit dans le sol et ne repousse plus. Le raclet possède un manche suffisamment long pour que le maraicher ne se baisse jamais. Il se tient très droit, son geste est précis, la lame virevolte entre les plants sans en abimer un seul mais ce travail ne nécessite aucun effort : si le raclet est bien aiguisé (et il convient de vérifier son fil régulièrement) le bras ne ressent aucune secousse, aucune résistance. Encore faut-il que la terre soit parfaite pour le maraichage, sableuse, légère et sans cailloux ? Celle de Monsieur Laroza l'était, zone d'alluvions de la Jalle et de la Garonne, qui plus est amendée, améliorée par des générations d'ancêtres.

Dans ma doulce Provence, je ne pourrai me servir du raclet qu'après avoir fait appel au gros broyeur de rochers. J'y songe avec force.

Monsieur Laroza, qui ne laissait pas souvent ses neurones inactifs, avait imaginé une adaptation du système du raclet pour le tracteur. Un artisan ferronnier du coin lui avait bricolé sur ses indications une lame d'acier taillée en biseau, lui aussi soigneusement aiguisé. La lame, de la largeur du tracteur, était montée sur un bâti à l'arrière de celui-ci. Dès que nous avions fini de récolter une planche, il convenait de la désherber "en plein" pour la rendre propre à la culture suivante. Monsieur Laroza sonnait alors le ban et l'arrière-ban de sa petite entreprise pour venir faire "poids" afin que la lame s'enfonce d'au moins dix centimètres dans la terre et remplisse son office désherbant. Il s'installait dignement sur l'unique siège du tracteur et nous autres grimpions à l'arrière sur le bâti en nous agrippant (sacripants) les uns aux autres et où nous pouvions. Il y avait là dessus Madame Laroza, les deux ouvrières de l'emballage, mézigue et l'autre ouvrier, le portugais. Jamais les deux filles des patrons, toujours tirées à quatre épingles, élevées comme des demoiselles de la légion d'honneur pour leur faire oublier leurs origines bassement terriennes. Enfin on rigolait bien, à servir de poids pour que la lame arrive à s'enfoncer, c'était pas fatiguant, ça nous faisait une pause conviviale en milieu de journée. Du coup, puisque tout le monde était sur place, chacun prenait une fourche et, par des mouvements croisés en forme de X, on extirpait tous les végétaux dont la racine venait d'être tranchée. Hop hop, on chargeait les petits tas sur une remorque et hop : au compost. Tous ensemble, en une demi-heure, la planche était nettoyée.

Je vous parle de compost, de désherbage manuel, mais Monsieur Laroza n'était pas en bio. Il travaillait tout simplement par choix comme le faisaient ses parents avant lui, à une époque où les poisons chimiques n'existaient pas. S'il apercevait, dans son domaine si bien entretenu, une mauvaise herbe en train de fleurir ou pire, de grainer, la salope, son sang ne faisait qu'un tour, il se jetait sur elle et l'arrachait. Comme il travaillait comme il faut, sans cultiver deux fois la même famille de légume au même endroit, il ne connaissait pas trop la maladie.

Monsieur Laroza était d'une méticulosité extrême. Les gestes qu'il m'apprenait avaient la précision du rasoir, on sentait qu'ils se transmettaient avec ferveur d'une génération à l'autre, qu'ils avaient été testés et re-vérifiés et je me devais de les reproduire à l'identique, par respect pour le génie des anciens maraichers de Bruges. Quand il évoquait la rectitude de la marque laissée sur la terre par le cordeau, ce n'était pas une expression en l'air à traiter par dessus la jambe. Il convenait que ce soit droit, Nom de dju ! Les écarts des raies n'étaient pas non plus calculés au pif. Il possédait toute une série de gabarits-traceurs pour marquer les repères précis où nous devions placer notre cordeau, le tendre puis lui imprimer un mouvement régulier de va-et-vient, sans dévier d'un poil, avant de passer à la ligne suivante. Quand les lignes étaient tracées, un autre gabarit, ou le même, servait à indiquer l'endroit où le plant allait être repiqué sur la ligne.

Les plants se préparent à l'avance. Avec une fourche-bêche, on soulève précautionneusement un semis déjà bien levé et on rafraichit les plants, on ne garde que ceux de la bonne taille. Avec le plantoir, on fait un beau trou lisse, on lisse les racines du plant de façon à ce que tous les brins tombent verticalement, on maintient le plan à la bonne profondeur de la main gauche tandis que la droite fait avec le plantoir un nouveau trou à côté du premier et le bouche d'un mouvement de levier. La terre doit surtout être rabattue en contact étroit avec les racines. La parcelle repiquée sera arrosée mais ce serait très gênant qu'il reste un trou d'air sous les racines ! Pour le repiquage, il faut être souple. Les jambes restent droites, écartées de chaque côté de la ligne, et c'est tout le haut du corps qui se plie en avant et les mains qui travaillent au ras du sol.

L'année où j'étais chez lui, Monsieur Laroza me sembla titillé par le démon de la modernité. Nous avons fait des essais avec un presse-motte qu'il s'était fait prêter (un mélange terreau/écorce de pins) et aussi avec une planteuse Super-Prefer, que ses ancêtres ont dû faire un double salto dans leur cercueil !

Je m'étais inscrit à une formation agricole débouchant sur un BEPA (formation où s'était également inscrite Margotte, tiens quel hasard !) et lorsque le centre m'appela pour être "incorporé", je donnai mon congé à Monsieur Laroza. Ce n'est pas pour me vanter, mais ils avaient tous l'air triste de me voir partir vers un autre destin.

dimanche 20 mai 2012

AndiamoJe ne sais pas

J’entends, je lis aussi souvent :

C’ETAIT MIEUX AVANT !

Je ne sais pas si c’était mieux ou plus mal, mais ce dont je suis à peu près sûr, c’est que cette vie ne vous plairait sûrement pas !

Imaginez un peu : de la bouffe au compte gouttes, après la guerre tout était rationné.

Pas de télé bien entendu, à la maison la téloche est arrivé quand j’avais seize ans. Mais notre télé on allait la chercher dans la rue avec les copains.

La rue justement, pas de revêtement, de la caillasse, pour le vélo pas terrible ! Le vélo je vais vous en parler : nous n’en avions pas, j’ai donc appris très tard à monter sur un deux roues, celui de p’tit Claude, un copain de quartier. T’aurais vu la gueule du spad ! En guise de pneus, des bouchons mis bout à bout dans la jante. Chaque bouchon tenu à l’aide d’un fil de fer entortillé vaille que vaille autour de la jante !

Pas de freins bien entendu, tu arrêtais l’engin en appuyant ton pied sur la roue avant, gare quand la galoche passait dans les rayons ! Terminus tout l’monde descend, et sur la caillasse… Merci les rotules.

Pas de téléphone, j’ai eu le biniou à la maison en 1973 seulement !

Auparavant quand il fallait téléphoner : direction la poste, un sacré bout de chemin. C’était très rare que l’on téléphone, primo personne ou pas grand monde n’avait cet engin chez lui, et lorsque c’était urgent on envoyait un télégramme.

Quand le télégraphiste t’apportait un de ces petits plis bleu, tu n’en menais pas large, car onze fois sur dix : c’était une mauvaise nouvelle.

L’école…Le grand folklore, j’y suis allé en 1945, juste à la libération, directement en C.P, car à l’époque il n’y avait pas de maternelle dans ma pauvre banlieue. Des classes surchargées, 45 mômes par classe, j’aime autant te dire que ça ne mouftait pas ! Bras croisés, tête droite, lever la main pour poser une question, et ne répondre que lorsqu’on t’interrogeait.

Et puis une chose qui me turlupine : comment se fait-il que nous allions à l’école 5 jours par semaine, samedi toute la journée, repos le jeudi. La classe commençait à 9 heures, et se terminait à 16 heures 30 avec 1 heure ½ pour déjeûner. Et pas plus de vacances qu’aujourd’hui, les grandes vacances commençaient aux alentours du 13 juillet, et la rentrée sa faisait aux environs du premier octobre.

Souvent on nous faisait déchausser afin de voir si on avait les pieds propres ! Mais oui ne faites pas votre bouche en cul de poule, c’était comme ça ! Et de plus passage des cheveux au peigne fin, pour la détection des poux, les totos comme nous les appelions. Avec mes cheveux frisés comme un Rital, le peigne fin... AÏE, AÏE, AÏE...

Le soir nous écoutions la radio avant d’aller coucher. J’aimais bien la radio, les émissions présentées par Zappy Max ou Marcel Fort, sans oublier « Jaboune » Monsieur Jean Nohain.

Une émission que nous aimions particulièrement : 100 francs (des anciens) par seconde,

Un concurrent devait répondre à des questions, chaque seconde écoulée lui rapportait 100 francs, quand il chutait, le jeu s’arrêtait, et de plus ce que l’on appelait l’évènement extérieur, pouvait interrompre le jeu à tout moment.

Cet évènement pouvait être par exemple : l’arrivée d’un train voie numéro sept à la gare d’Austerlitz, ou bien le départ d’un bateau-mouche de son quai d’embarquement.

C’est à ce jeu je crois que l’abbé Pierre avait gagné une somme rondelette pour l’époque, au début des années cinquante !

En ce qui concerne le logement, nous étions privilégiés, mes parents louaient un pavillon. Ils avaient leur chambre, mon frère et moi partagions la seconde à l’étage, et ma sœur dormait en bas dans le salon transformé en piaule pour elle.

J’avais des copains qui s’entassaient à cinq dans un logement comportant une chambre et une cuisine !

Vous vous doutez bien qu’il n’y avait pas de voitures, pas une bagnole dans les rues, le panard pour les mômes. Aujourd’hui il m’arrive d’y repasser dans cette rue, plus une place le long du trottoir ! A tel point c’est qu’ils ont été obligés de les mettre en sens unique, car les autos ne pouvaient plus se croiser ! Et ce en soixante ans, soixante ans seulement !

Je ne vais pas refaire le monde bien sûr, mais enfin, tout se méritait, ainsi tu allais en sixième sur concours, aujourd’hui on monte à l’ancienneté.

Quand j’ai voulu entrer en école de comptabilité, concours également afin d’accéder à l’école de la rue Martel dans le Xème arrondisement. Plus tard comme la compta me gavait , ou bien c’est plutôt elle que je gavais, je suis entré dans une école afin d’y apprendre le noble métier (ne rigole pas) d’ajusteur, et bien re-concours !

Et oui tout se méritait ! Les dictées 5 fautes = O, les accents ½ point ! Le roi de la bulle c’était mécolle !!! A ce train j’ai été poursuivi par les études : ah ! Que n’ai-je étudié !

Et les fringues…Alors là vite fait, je l’ai déjà écrit je portais la marque : « de mon frère »

Les culottes courtes de mon frère

Les pulls de mon frère

Plus tard le vélo de mon frère, et comme je l’ai déjà dit : pas ses copines hélas !

Alors un jour je me suis offert une moto…Il n’en avait jamais eu !

Quant à l'adolescence... Les adoléchiants ne l'étaient pas longtemps. Pour beaucoup après le certif' : le boulot à quatorze ans, tu ne faisais pas le mariole quand tu étais plongé dans le monde du travail, au milieu d'adultes pères de familles, et même grand'pères pour certains.

Personnellement j'ai commencé à travailler à dix-huit ans, pour cette époque j'étais assez privilégié. Mes oncles me racontaient qu'à treize ans ils avaient été placés chez un boucher afin d'y apprendre UN METIER. Tu parles le louchébem les faisait gratter comme des malades oui. Les halles à trois heures du mat', quand tu as treize ans c'est dur, très dur !

Mais bon nous n’étions pas malheureux, tout le monde était logé à la même enseigne. La rue, les p’tits cinoches de quartier à trois francs six sous la place le jeudi après-midi, faisaient notre bonheur. La mare aux grenouilles, les hannetons, les tritons, que nous martirisions, on ne parlait pas d’écologie alors. Les lance-pierres et les cerfs volants de papier, occupaient sans doute bien mieux nos jeudis que la téloche fut-elle plate en z’en couleurs !

(Ma p'tite école 41 élèves sur la photo, forcément il y a des absents. Par contre votre serviteur est présent !)

jeudi 10 mai 2012

Scout toujoursMes 400 coups

L'esprit carabin, je crois bien être tombé dedans étant tout petit. Dès mon plus jeune âge, j'utilisais déjà mes qualités artistiques pour imiter des billets de 10 Francs et les laisser trainer dans la rue accrochés à un fil. Quelle rigolade, pour mon frère et moi, du haut du balcon paternel, de voir les passants courir après cet argent sans pouvoir l'attraper. Un gag vieux comme le monde, certes, mais utilisé encore de nos jours dans les caméras cachées... En fait c'est plus tard que tout a vraiment commencé, lorsque je fis connaissance avec le Finos'Club.

Comme son nom l'indique, le Finos'Club était une bande joyeux drilles pas toujours très fins, habitant la banlieue bordelaise. L'un d'eux était étudiant comme moi et m'avait raconté les exploits de ses compères dans les rues de Bordeaux. Le soir même, j'étais invité à participer à une de leurs folles patrouilles. Avant de partir, je pris le soin d'emmener quelques munitions, on sait jamais : une grenade à plâtre et un fumigène récupérés par mon frère à l'armée, et me voila embringué dans leur folle équipée. Pierrot, un rital hirsute à la voix tonitruante, avait pour spécialité de jaillir hors de sa voiture tel un diable de sa boîte, en hurlant après les passants. Sa voix était si résonnante et tellement puissante que l'effet en était hilarant. De temps à autre, quand l'envie lui en prenait, il n'hésitait pas à s'arrêter en plein milieu d'une rue pour ouvrir son capot, simulant une panne, et provoquant ainsi un immense embouteillage. Un autre prénommé Daniel, de petite taille, avait pour habitude de profiter des encombrements pour escalader toute la file des voitures les unes après les autres, comme on fait un parcours de haies. Il le faisait avec une telle agilité que c'en était désopilant pour tout le monde sauf pour les conducteurs. Daniel avait un sacré palmarès : il avait réussi entre autres, à se faire éjecter de l'armée après avoir totalement détruit dans un accident, 2 chars AMX30. Excusez du peu... Pour en revenir à la patrouille, nous arrivons place Gambetta, dans la Simca 1000 vert-pommme de Joël, et je décide d'utiliser mes munitions. Une grenade à plâtre abandonnée juste en face de la terrasse d'un grand café, une énorme détonation, et le résultat : tous les consommateurs transformés en arbres de Noël. Ouuaaarf, la rigolaade ! Nous refaisons le tour de la place pour mieux profiter du spectacle et narguer nos victimes, puis nous passons sous le pont de Meriadeck. Là, je lâche le fumigène. Ici aussi, nous faisons sensation : devant la fumée, tous les véhicules s'arrêtent, certains automobilistes font même demi-tour impressionnés par le nuage. Les pompiers arrivent, on en demandait pas tant !

Dès lors, j'étais adopté, j'avais réussi mon examen de passage et pouvais intégrer ma nouvelle bande de copains. L'un d'eux, un camionneur nommé Joël, eut vite fait de remarquer ma 4L beige qui ressemblait à s'y méprendre à celle des gendarmes. L'idée fut lancée aussitôt, et dès le lendemain vêtus de chemises bleues, d'un sifflet et d'un képi, nous voilà tous transformés en pandores, arrêtant et poursuivant les gens dans les rues. Le plus gros gag fut lorsque de vrais policiers nous contrôlèrent à leur tour peu après une de nos frasques. Je n'oublierai jamais le regard éberlué que nous lança notre dernière victime en passant devant nous : "des flics arrêtant des flics", il avait dû croire assister à la guerre des polices... Mais nous avons eu notre revanche plus tard, lors des manifs étudiantes de mai 83. Après avoir dépavé quelques rues, nous avions renversé une voiture de police et nous étions approprié son appareil radio que nous avions adapté sur la voiture de Joël : l'appareil fonctionnait très bien et nous entendions distinctement les pandores annoncer qu'ils venaient de retrouver un véhicule volé. Nous décidâmes d'aller voir sur place, mais Joël préféra attendre notre retour dans sa voiture en écoutant le radio émetteur. Quelle ne fut pas sa surprise et son hilarité quelques intants plus tard, lorsqu'il entendit dans le poste une voix annonçant que 5 individus louches roulant dans une 4L beige aux pneus lisses et au pot d'échappement bruyant venaient d'être verbalisés ! (1) Toujours pendant les grèves, nos victimes suivantes furent les cheminots de la SNCF : nous avions installé des fils métalliques entre les 2 rails des voies ferrées, provoquant ainsi le passage au rouge de tous les feux de signalisation, et immobilisant par là-même tous les trains de la région. Nous avons eu les honneurs des journaux nationaux, ce jour là, certains s'en souviennent peut-être ! Des gags de rue, on peut dire qu'on en aura fait : je passerai sur les pétard dans les boîtes aux lettres à 4 heures du matin, par contre, le flacon de Mir dans une fontaine publique, essayez et vous verrez ; pour les amateurs de mousse, je garantis le résultat... Nos franches rigolades nous arrivaient aussi auprès de la gent féminine, comme ce jour où en longeant la plage, nous avions repéré 3 naïades en bikini qui nous observaient en souriant. Aussitôt les "coucou" fusent avec de grands signes de la main, nous marchons en les regardant et tout à coup, nous empalons chacun dans un réverbère sous les éclats de rire de nos spectatrices !

Mais j'avançais en âge ; désormais, j'étais "interne des zôpitôô" . J'intégrai l'internat de Périgueux. A cette époque, dans un amphithéâtre de 750 carabins, dire que l'ambiance était Rabelaisienne eût été un euphémisme. Chacun apportait sa note d'humour et de burlesque pour ponctuer les cours de nos profs. Mais cette année là, il faut croire que la crème des crèmes de notre faculté s'était donné rendez-vous à Périgueux. Quelle équipe, mes amis, et quelle ambiance ! Nous étions jeunes, inventifs, pleins d'initiatives, et parfaitement décidés à bien nous amuser. Certains internes étant trop sérieux à notre goût, nous nous étions mis en tête pour les dérider, de leur préparer une bouffonnerie pour chaque soir, et nous avons tenu parole. Je passerai sur la première soirée qui dégénéra en bataille d'extincteurs à eau, d'oeufs et de fromages blancs qui atterrissaient presque toujours sur les mûrs (difficile de viser au delà de 2 grammes). Mais je n'oublierai jamais la bouille de notre ami Jean-Marie, lorsqu'un matin, il découvrit ahuri, sa 2-chevaux garée en plein milieu de la salle à manger de l'internat. On peut dire qu'on s'était appliqué ce jour là : il nous avait fallu non seulement démonter les ailes avant du véhicule, mais ses 4 roues, et le faire glisser en le faisant pivoter sur les charriots à roulette des femmes de ménage, pour lui faire traverser les étroites portes de la salle à manger, quel chantier!

Un autre soir, une étudiante un peu pimbêche, qui répondait au surnom de Totoche, eut la drôle de surprise en regagnant son lit, de sentir frétiller entre ses jambes, une dizaine de grenouilles que nous avions gentiment disposée sous ses draps. "Totoche on la lève fastoche" avions-nous même écrit sur le mur de la salle à manger.

Un autre étudiant, qui passait des nuits entières à bûcher son internat, reçut la juste punition de se réveiller complètement muré dans sa chambre. Oui, nous étions aussi maçons à nos heures. Le cas de cet étudiant était grave, car en construisant ce mur,nous nous étions livrés à une véritable bataille de plâtre juste devant sa porte sans qu'il ne réagisse, trop absorbé qu'il était par ses chères études. Ah nous étions mignons ce soir là, tout recouverts d'enduit de la tête aux pieds, tels les statues de Pompéi. A propos de plâtre, il arriva qu'un collègue pneumologue fut invité à un bal costumé dont le thème était "l'Antiquité". Le malheureux eut la malencontreuse idée de se déguiser en momie égyptienne et d'aller préparer ses bandages aux urgences de l'hôpital. Pour ce qui est de bander, nous l'avons bandé, de la tête aux pieds. Mais ce qu'il n'avait pas vu, c'est qu'une bassine d'eau trônait au milieu de la pièce. Chacun trempa en même temps sa bande plâtrée dans l'eau; nous étions 6, et en moins de 20 secondes, Toutankhamon se retrouva transformé en statue de plâtre que nous chargeâmes sur un brancard et conduisîmes illico sur les lieux de sa soirée costumée. Le plus comique fut que la nuit étant très froide, le plâtre encore humide fumait, et un automobiliste fut tellement ahuri de nous voir décharger cette statue humaine fumante, qu' il en perdit le contrôle de son véhicule et alla s'encastrer dans la voiture d'en face. Il n'y eut que de la tôle froissée, je vous rassure. Chanteurs, nous l'étions aussi, les paillardes étaient de toutes nos soirées. Nous étions aussi musiciens et avons eu notre heure de gloire, avec notre photo en première page dans "La Dordogne Libre" lors de la première fête de la musique. Même si notre fanfare jouait aussi faux que possible, elle jouait très fort et surtout très souvent. Des concerts étaient improvisés à des heures indues, au grand dam de nos colocataires, et même des malades de l'hôpital dont une, qui était prof de musique, avait même déposé plainte auprès du directeur de l'hôpital. Sa lettre était assez hilarante, elle avait reconnu tous nos instrument : trompettes, saxo, trombone, grosse caisse, fifre, j'étais clairon à cette époque.

Inutile de dire que certaines de nos soirées étaient absolument phénoménales, j'en garderai un souvenir impérissable. D'autres soirée dégénéraient en batailles de seaux d'eau. Je me rappelle même qu'au matin d'une rude nuit d'hiver, la gigantesque mare d'eau que nous avions laissée avait gelé pendant la nuit transformant notre salle à manger en véritable patinoire. La gouaille joyeuse et l'argot incomparable de notre fine équipe n'avait vraiment rien à envier aux dialogues d'Audiard. Et seules les scènes de Pagnol étaient comparables à nos parties de belote. Nos spécialistes de l'humour pince-sans-rire, n'étaient jamais à court de jeux de mots. Ils savaient plaisanter sur tout, transformant nos journées de travail en agréables divertissements. Heureuse époque... Mais que sont donc devenus nos amuseurs d'antan?

L'esprit carabin ne m'a jamais vraiment abandonné. Tout récemment encore, quand j'exerçais en cabinet de groupe, il arrivait de temps en temps, que grâce à un haut-parleur bien placé et branché sur mon ordinateur, les consultations de mes collègues soient brusquement interrompues par le cri de Tarzan dans la jungle ou la barrissement d'un éléphant. L'effet en est irrésistible, pour le praticien comme pour le client. Le grognement du cochon qu'on égorge, que j'imite à la perfection, fait aussi son petit effet, sans parler du célèbre "Ha oui c'est vraiii ça" de la mère Denis. Mes collègues ne s'en sont jamais plaint, car eux sont bien placés pour le savoir, le rire est bon pour la santé !

(1) Ce radio-émetteur a été rendu à son propriétaire. J'ai su plus tard que notre larcin avait failli lui coûter sa carrière, mais nous n'en étions pas conscients. Tout ce que nous faisions était fait sur le ton de la farce.