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lundi 31 octobre 2016

Oncle DanBonjour l'ambiance (9)

Après les méchants professeurs de latin et le gentil professeur d'allemand, autorisez-moi un dernier mot pour vous parler de Tableau de bord et vous comprendrez pourquoi je n'étais pas seulement mauvais élève en latin et en allemand, mais aussi en physique-chimie.

Tableau de bord devait son surnom à une acné persistante qu’elle vivait mal en raison de son grand âge. Elle gâchait non seulement la beauté de cette vierge authentique, qui devait bien avoir vingt cinq ans, mais également ses cours de physique-chimie qui étaient très chahutés.

Dans un collège de garçons, fut-il religieux, la vie d’une enseignante est, dans le meilleur des cas, très difficile. Pour une boutonneuse, les choses se compliquent sérieusement. Mais pour un professeur qui ajouterait à ces deux handicaps une maladresse endémique, la réalité peut vite se transformer en cauchemar.

Il n’est pas dans mes intentions de ternir la mémoire de mes éducateurs, mais je ne me souviens pas d’un exercice pratique, d’une expérience de physique, ou d’un mélange gazeux qui ait produit le résultat escompté.

Hormis une explosion traumatisante qui nous a dissuadé à jamais d’occuper les deux premiers rangs de la classe, les effets de ces expérimentations étaient ceux d’un pétard mouillé.

J’ai peu appris, si ce n’est l’extrême légèreté du sureau et la propension naturelle du rayon lumineux à se réfléchir. Mais cela, je crois bien que je le savais déjà.

Alors, me direz-vous : Nul en latin, mauvais en allemand, désespérant en physique-chimie, que faisais-tu au collège, petit Dan ?

Je vais vous répondre : C’est au collège que je suis devenu comédien de théâtre.

C'est en effet durant cette période que j’ai remporté mes premiers véritables succès sur les planches. Cependant, la célébrité ne s’est pas déclarée immédiatement. J’ai connu quelques débuts difficiles. Périodes hostiles durant lesquelles il ne fut pas permis à mes talents de s’exprimer pleinement. J’ai tenu successivement le rôle du petit Jésus, rapport à mon air angélique, et celui d’un troubadour qui devait chanter en vieux français, alors que j’avais déjà du mal à apprendre le français moderne. Loin de me décourager, et plus obstiné que jamais, j’ai fini par obtenir un rôle à la mesure de mes capacités : « La septième femme de Barbe-Bleu ». Mon premier grand rôle.

La pièce s’appelait « La septième femme de Barbe-Bleu », et la septième femme de Barbe-Bleu, c’était moi. J’étais donc le personnage central de la pièce, la femme de la situation. Si je tombais malade, il fallait rembourser les billets. Quinze jours durant, nous avions confectionné des masques en papier mâché, à grands renforts de colle et de vieux journaux. Ah, si vous aviez vu ma gueule, vous ne douteriez plus de mon triomphe.

Je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler l’histoire de Barbe-Bleu et de ses sept femmes. Elle est tellement connue de chacun et chacune. C’est une histoire qui commence par « Il était une fois... ». Nous l’avions un peu disons personnalisée, mais de façon très superficielle, le fond restant au fond. Les dialogues avaient été disons modernisés, mais sans atteinte au sens profond de l’histoire qui est resté (et restera toujours) très profond. Ainsi, en ce qui me concernait, mon texte se résumait à une seule réplique qui était « turlututu ». Voilà qui me mettait à l’abri des trous de mémoire.


N’allez surtout pas imaginer que la brièveté de mon intervention orale pouvait nuire à l’intérêt de mon personnage. Que nenni ! Les autres rôles (forcément secondaires) qui s’agitaient autour de moi avec des dialogues plus substantiels que le mien, ne me servaient que de faire valoir. Toute la question était de savoir ce qui allait m’arriver. J’étais l’incarnation du suspens de la pièce. C’est à travers moi que la salle réagissait. C’est pour moi qu’elle tremblait où se prenait à espérer. C’est vers moi que convergeaient tous les regards. C’est moi qui l’ai fait se tordre de rire en portant mon doigt à la bouche de mon masque alors que le méchant Barbe-Bleu me grondait. Une improvisation, un coup de génie, une intuition comme seuls en ont les plus grands !

Après ce succès, mon ascension fut irrésistible.

Les metteurs en scène n’hésitaient plus à me confier des rôles importants aux textes beaucoup plus élaborés. J’ai même joué « En attendant Godot » de Samuel Beckett, ce qui m’a fait passer le temps. Mais mon « sommet » théâtral, je le vécus dans le rôle du fils du Roi Henri dans une pièce historique de Shakespeare.

Mais là, ces souvenirs sont trop pénibles pour que je vous les livre céans. J'ai besoin d'une pause, de reprendre mon souffle, ma respiration, de l'oxygène. Mais je vous dirai tout, c'est promis.

mercredi 26 octobre 2016

FrançoiseQuitter son île et revenir.

Comme chaque année ou presque depuis 21 ans j'ai passé une dizaine de jours solitaires dans « mon » île grecque, là où je sais que le bonheur m'attend sans aucun événement programmé, aucune attente excitante, rien que le sentiment d'une harmonie profonde entre ce lieu et moi.

J'ai écrit, me suis promenée, ai savouré mes rituels capuccini à la terrasse de Massimo, Turinois tombé amoureux comme moi de cette île, retrouvé la terrasse de Stamatis et sa cuisine grecque parfois sempiternelle : on peut s'en lasser si on ne raffole pas des aubergines, mais deux jours après la lassitude, on retourne y dévorer un imam fondant à souhait. (l'imam n'a rien à voir avec la religion, il s'agit d'aubergines confites au four dans une débauche d'oignons, d'herbes aromatiques et d'huile d'olive).

J'ai aussi constaté que l'île, comme les gens, change avec le temps. Les habitants, déjà, dont certains ont disparu, d'autres ont vieilli. Comme moi, forcément. Des commerces ont fermé au plus fort de la crise, d'autres se sont créés depuis un an. Des petites maisons cycladiques ont été remplacées ça et là par de somptueuses villas construites du temps où les Grecs, grisés par leur appartenance à l'Union Européenne, pensaient que leur niveau de vie allait croître sans cesse. C'était l'époque des nouveaux riches roulant en 4x4 même pour aller chercher un paquet de cigarettes à 300m de leur taverne préférée. Ma boutique de bijoux préférée a fermé, on y vend maintenant de la quincaillerie et des sanitaires…

D'autres choses n'ont pas bougé : le sourire des habitants qui me reconnaissent et sont heureux que je revienne année après année, comme un hommage à leur lieu de vie. Les tamaris ombrageant ma plage préférée, là où, manifestement, le regard de la Méduse a transformé les habitants en pierres, tant on y voit de rochers à forme humaine ou animale. Le rythme de vie tranquille, ponctué de « kali mera, ti kanis ?» (Bonjour, comment vas-tu?) et la façon discrète de ma logeuse de déposer à mon intention des friandises ou des feuilles de vigne sur la table où je travaille. Le bonheur sous un ciel sans nuage.

Il n'empêche : vers le milieu de la semaine, je me suis demandée à quoi rimait de revenir chaque année dans ce lieu où je commence à connaître le moindre gravier, la plus infime vaguelette, alors que le monde est vaste et que des paysages somptueux n'attendent que moi, ailleurs. Je ne m'ennuyais pas, mais me posais la question de savoir si je n'allais pas commencer à m'ennuyer. Bref, je me dis un soir qu'il n'était peut-être plus nécessaire de revenir…

Puis vint le jour du départ. Je grimpai dans le ferry et gagnai immédiatement le bastinguage arrière pour admirer le ballet des marins lançant leur lourdes amarres avec une précision qui me remplit d'admiration, entendre la sirène du bateau rebondir d'écho en écho sur les crêtes de l'île, sentir une dernière fois l'odeur mêlée de la mer et de l'hélichryse italienne, cette odeur de « mon » île que je reconnaitrai entre mille, les yeux bandés.

Et tandis que le ferry gagnait la pleine mer, la certitude que je reviendrai l'année suivante m'envahit comme une évidence. Bien sûr, j'irais voir ailleurs, voyager en Australie, en Espagne ou dans les Landes, m'émerveiller d'autres horizons et d'autres lumières, mais je savais, sans doute possible, que l'attachement que j'éprouve pour cette île est indéfectible malgré l'impression de déjà vu qui m'a saisie quelques fois, malgré ses défauts quand elle change et ne correspond plus tout à fait à l'île dont je suis tombée amoureuse il y a 21 ans et malgré la certitude qu'un jour ou l'autre j'aurai de la mélancolie à l'idée de mourir loin d'elle, ou près d'elle.

Et tandis que le ferry gagnait la pleine mer, j'ai pensé que l'attachement que j'éprouve pour mon compagnon de vie et quelques très rares hommes relève de la même alchimie, qui me fait me demander régulièrement si j'ai encore quelque chose à découvrir en eux et si je ne devrais pas explorer d'autres horizons tant que je garde le goût et la vaillance pour ces découvertes… et puis, tout en m'émerveillant d'autres rencontres et d'autres charmes, tout en éprouvant le besoin régulier de passer des jours ou des semaines seule, je sais que malgré ce qui m'agace en eux, malgré le temps qui les vieillit, malgré des nuages ou quelques orages, j'y reviens comme le navire à son port d'attache, pour une alchimie aussi évidente et mystérieuse que l'attachement qui m'unit à mon île.

(Photos : Françoise)

mardi 4 octobre 2016

Oncle DanBonjour l'ambiance (8)

Je vous ai parlé, la dernière fois, de mes méchants professeurs de latin, ce qui justifiait que j'étais très mauvais en latin ; permettez-moi de vous parler aujourd'hui de mon gentil professeur d'allemand et vous comprendrez pourquoi j'étais également très mauvais en allemand. Cette langue aux accents rugueux, qui m’était inconnue, a su le rester. Elle a gardé tous ses secrets, et je n’ai jamais maîtrisé ses verbes irréguliers ni ses tournures de phrases qui me sont demeurées totalement hostiles. Une vrai langue étrangère, sauvage et fière de le rester.

Pourtant, le professeur était sympa, et j’adorais ces cartes murales dont les dessins naïfs représentaient le croisement de la Hauptbahnstrasse et de la Eisenstrasse à la sortie des bureaux par un bel après-midi d’automne. Chaque objet, chaque personnage était désigné par son nom en allemand, mais cela m’intéressait peu et je préférais laisser vagabonder mon imagination sur le thème qui était évoqué. Une autre carte montrait l’intérieur d’une maison sans façade, dont les occupants étaient surpris dans leur salle de bain en train de se laver les dents. Une autre, enfin, montrait une salle de classe avec ses Stuhl et ses Tisch sur lesquelles étaient posés des Heft, des Kuli, des Bleistift et des Buch. Sur le mur de cette salle de classe, il y avait une carte représentant une salle de classe avec ses Stuhl et ses Tisch sur lesquelles étaient posés des Heft, des Kuli, des Bleistift et des Buch. Il y avait bien une carte murale sur la carte murale de cette carte murale, mais on ne distinguait plus les Stuhl et les Tisch.

Je ne suis pas certain que notre professeur d’allemand fût allemand. Peut-être, était-il alsacien, ou peut-être même « de l’intérieur ». En tous cas, il avait un nom allemand. Cela, j’en suis sûr, car je n’ai jamais pu retenir un nom allemand autre que Kurtenstraffenberg, et bien que ce n’était pas le sien, je l’ai toujours appelé ainsi. Au demeurant, si je me réfère à mon expérience touristico-germanophile, il ressemblait à un allemand. Massif et imposant, il avait la corpulence de ces généreux buveurs de bière qui passent une importance partie de leur vie à soulever de hautes chopes richement décorées, dont le couvercle articulé représente une scène de chasse en Bavière. L’oeil brillant, le cheveu coupé court, il avait la face réjouie de l’homme qui trouve son équilibre loin de l’agitation et du travail. Sa stature lui conférait suffisamment d’autorité pour qu’il n’ait pas à l’exercer autrement. Paternaliste, il remplaçait les punitions par l’inlassable rappel d’un principe de base dont il avait fait son étendard et qui consistait en « Jamais croire, toujours savoir ». Lui, savait. Du moins, je le croyais.

Dans sa classe, il n’y avait pas d’élèves « moyens », catégorie dont je m’accommodais habituellement. N’étant pas bon élève, je devais donc me résoudre à faire partie des nuls, car Monsieur Kurtenstraffenberg pratiquait le « tout ou rien ». Ce comportement carré étonnait de la part d’un individu aussi rond. Du moins, ceux qui ignoraient encore que le brave homme donnait des cours du soir. C’est que Monsieur Kurtenstraffenberg comptait beaucoup sur ces études surveillées et privées pour ajouter du lard dans sa choucroute. Il était présomptueux, voire téméraire, pour ceux qui n’en bénéficiaient pas, d’escompter jamais recevoir une bonne note de sa part. Cela frisait l’impertinence. Le comprendre, c’était s’inscrire, et s’inscrire garantissait des progrès fulgurants sans effort particulier. J’explique pour les sceptiques.

Le cours privé de Monsieur Kurtenstraffenberg était une étude collective qu’il surveillait. Pendant que les mauvais élèves s’échinaient sur leur devoir d’allemand, perdus au milieu d’une banale salle d’étude, surveillée par un pion insignifiant, qui n’était même pas professeur d’allemand (et ne le serait peut-être jamais), les bons élèves faisaient faire leur devoir d’allemand par Monsieur Kurtenstraffenberg qui, lui, était professeur d’allemand (ou Alsacien) et payé pour cela.

L’étude collective surveillée par Monsieur K. était beaucoup plus sympathique qu’une banale salle d’étude, surveillée par un pion insignifiant. Le silence n’y était pas de rigueur, et il était possible de se déplacer pour consulter un camarade de fortune sur une difficulté grammaticale. Lorsque nos efforts conjoints ne pouvaient en venir à bout, Monsieur K. nous donnait la solution. Jusque là, tout allait bien.

Arrivait ensuite le temps de la correction, car pour s’avancer, Monsieur K. notait sur le champ les devoirs qu’il venait de faire pour le compte des bons élèves. Nous montions sur la chaire et assistions à la correction debout à coté de lui. Les effets de la digestion se faisant sentir, c’est là que les difficultés pouvaient commencer. Non pas qu’il y eut à craindre quelque flatulence malodorante de la part du bibendum teuton, mais il arrivait à Monsieur K. de s’assoupir à la lecture de notre prose germanique. Alors, nous restions figés, retenant notre fou-rire, dans la crainte où nous étions de provoquer un réveil trop brutal au correcteur-dormeur qui aurait pu s’en trouver contrarié. C’est qu’en effet Monsieur K. n’aurait jamais admis s’être laissé aller dans les bras de Morphée. A son réveil, il feignait toujours l’examen approfondi de nos copies. Aussi, ne manquait-il jamais de trouver une faute à l’endroit où sa pointe Bic s’était malencontreusement posée à l’instant précis de son endormissement. Il modifiait une structure de phrase ou remplaçait un mot par un autre plus nuancé.

Est-il besoin d’ajouter que nous appréhendions ces assoupissements synonymes de fautes ? Nous nous efforcions par conséquent de présenter nos devoirs à la correction en début de soirée, les probabilités de très bonnes notes diminuant progressivement, au fur et à mesure que les risques de somnolence augmentaient avec l’heure. Toutefois, Monsieur K. était doué en allemand, et malgré les dangers que nous faisaient courir l’excès de bière et la charcuterie trop grasse, nous n’avions pas trop à nous plaindre du résultat de sa copie.