Blogborygmes

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jeudi 24 décembre 2015

FrançoiseLui j'aurais voulu le cloner.

Bien sûr, je le savais malade et fatigué depuis des années, bien sûr nul n'est éternel, mais il y a des gens que l'on voudrait immortel. Ou au pire les cloner, même quand on est contre le clonage. Jean-Marie Pelt en était, et je ne peux mieux parler de lui qu'avec ce texte écrit en 2007, et simplement mis à l'imparfait, puisque rien n'est parfait ces jours-ci.

« J’ai rencontré Jean- Marie PELT pour la première fois en 1974, à l’Institut Européen d’Ecologie qu’il avait fondé en 1972 à Metz dans l’enceinte d’un cloître franciscain. De là venait sans doute mon habitude de le surnommer révérend PELT. C’était amical.

Ce fervent écologiste avait popularisé auprès d’un large public, la notion de biodiversité (lisez « Les langages secrets de la nature », c’est un plaisir !). Il avait alerté sur les pesticides, les OGM , le réchauffement de la planète, les maladies dues à l’environnement … Il savait que l’écologie est aussi urbaine : adjoint au maire à Metz, pendant 30 ans, il avait empêché des aberrations architecturales, car, disait-il :

« La différence entre les architectes et les médecins, c’est que les seconds enterrent leurs erreurs, tandis que nous subissons pendant des années celles des premiers. »

C'était un merveilleux conteur, capable de passionner l'auditoire grâce à une érudition qui ne se prenait jamais au sérieux, et un humour incroyable, jamais méchant. Il avait aussi consacré beaucoup de ses droits d'auteur à aider des jeunes à grandir, sans en faire étalage.

Sa foi chrétienne (et son âge peut-être) ne le prédisposaient guère au sexe. Pendant des années, alors que nous nous entendions à merveille sur l’écologie, il considérait avec réserve mes écritures érotiques, me traitant de « petite coquine », ce qui reste somme toute affectueux. Jusqu’au jour où, au Festival Sciences-Frontières 2005, il me confia: « Je n’avais pas bien compris ce que vous écriviez. Je l’ai relu et j’ai découvert que ce qui vous anime, c’est avant tout une énergie d’amour ».

J’ai été drôlement émue… et touchée par le fait que cet homme avait pris la peine d'essayer de comprendre au lieu de condamner, comme l'aurait voulu son éducation.

Je ne m'en fais pas pour lui. S'il y a autre chose « après », il y sera bien accueilli. S'il n'y a rien, ce qu'il nous laisse le rend éternel. »

lundi 21 décembre 2015

Oncle DanBonjour l'ambiance (2)

Le jour de la rentrée quelques pions et potaches musclés des classes terminales ho-hissaient valises et cantines au sommet de l'escalier monumental qui menait aux dortoirs. L'ascension des malles aux étages supérieurs dans un établissement qui ne connaissait que l'ascension du Christ, avait de quoi traumatiser Otis et Westinghouse. La méthode utilisée était celle de l'assuré social désirant monter des briques sur son toit. C'est dire combien l'opération était risquée pour les briques et la Sécurité Sociale. Elle était réalisée au moyen d'une poulie, d'une corde, et d'une palette en bois sur laquelle étaient disposés les bagages. Il suffisait de suivre ses valises pour trouver les dortoirs qui occupaient le poulailler du bâtiment central. Quatre rangées de lits, séparés par leurs tables de chevet en bois blanc, s'alignaient parfaite­ment sous les immenses poutres du toit. Les privilégiés disposaient d'un lit dans une alcôve, mais devaient payer le prix de cette intimité supplémentaire en se cognant la tête chaque fois qu'ils se couchaient.

La penderie était collective, et les lavabos étaient avantageusement remplacés par une auge inclinée, que longeait un tuyau, percé à intervalles réguliers de petits robinets d'arrosage. L'eau glacée remplaçait l'eau froide et l'eau chaude, et coulait, soit en un jet minuscule et nerveux qui vous griffait la peau, soit au goutte à goutte, ou pas du tout, selon l'extrémité du tuyau sollicitée et la fréquentation des lieux.

Il fallait être habitué aux randonnées de scouts, et avoir un sens aigu de la propreté pour prolonger les ablutions matinales. Tout ici était spartiate, sauf les WC qui étaient turcs et où on allait plus par besoin que par envie, tant ils évoquaient la campagne automnale au moment de l'épandage fertilisateur.

En se poursuivant, cette visite en terre sainte ne faisait découvrir que des salles empreintes d'une austérité ascétique. Le réfectoire était à demi enterré, et n'était éclairé que par deux soupiraux. Dix tables alignées le long des murs, et que ne séparait qu'une allée étroite, pouvaient recevoir chacune huit convives.

Les repas étaient avalés dans un silence total qui ne pouvait être rompu que par la lecture du Nouveau Testament depuis un pupitre posé sur une estrade à l'extrémité de la pièce.

Le Collège ne devait pas consacrer un gros budget à notre alimentation. A côté des nourritures spirituelles, importantes au point de n'avoir pas de prix, les nourritures terrestres ne pouvaient être que futiles. Il faut manger...pour vivre, et partager son pain avec ceux qui n'en ont pas. Ainsi sera t'il.

Le menu était souvent composé de jambon gras agrémenté de frites molles, de camembert-plâtre et de biscuits décorés de toiles d'araignées.



Il fallait bénir le ciel de tant de générosité, des progrès substantiels avaient déjà été accomplis. Cela ne faisait pas si longtemps que la soupe du petit déjeuner avait été remplacée par un café au lait à la peau généreuse. Passons à la visite des études et salles de classe.

La salle d'études comptait environ cent vingt bureaux posés sur des tréteaux devant des bancs étroits et rudimentaires, sans dossier. Ces antiquités percées d'un trou, pour recevoir l'encrier en porcelaine de nos grand' pères, s'ouvraient à la façon d'un vieux grimoire, à la couverture noire et épaisse articulée par des charnières. L'opération la plus délicate était d'en extraire un livre ou un cahier, car il fallait déplacer préalablement tout ce qui se trouvait sur le pupitre. En outre, de nombreuses aspérités et des générations de coups de canifs rendaient l'usage du sous-main absolument indispensable.

Les salles de classe étaient les plus austères, les plus inhospitalières et les plus rébarbatives qui soient. Leur mobilier était constitué de planches inclinées à 45 degrés. C'est dans l'une d'elles que j'ai rencontré mon premier professeur. Il marchait comme un gorille dont il avait la morphologie et la couleur, portant invariablement une blouse anthracite que nous constellions de tâches d'encre dès qu'il avait le dos tourné, en nous servant de nos stylos comme de fléchettes. Il ponctuait chacune de ses phrases de grognements borborygmiques incompréhensibles qui accentuaient son expression naturelle de bougon perpétuellement mécontent. Son relief cutané n'y était pas étranger. Le Michel Ange déclaré volontaire pour le sculpter n'avait pas lésiné sur le Chianti. Pour sûr que les rides de son visage caoutchouteux auraient été capables d'évacuer le déluge sans risque d'aquaplaning. Depuis trente ans qu'il exerçait dans cet établissement, notre primate ne faisait qu'ânonner inlassablement "rosa, la rose" pour planter cette fleur latine dans nos cervelles réfractaires. Dur de s'habituer à cette tête simiesque dont l'essentiel de la capillarité broussailleuse surplombait de profondes arcades sourcilières ou émergeait de ses oreilles.

mardi 8 décembre 2015

FrançoiseContre le bourdon qui menace...

Alors que la France semble envahie par le bourdon, une bourgade résiste encore : Clamecy, dans la Nièvre. Sa magnifique collégiale surmontée d'un drapeau tricolore rappelle qu'en 1851 les habitants se révoltèrent contre le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Pour marquer leur attachement à la IIème République, ils plantèrent au sommet de l’église un bonnet phrygien, qui y resta un certain temps avant d'être remplacé par le drapeau républicain. La révolte fut écrasée dans le sang par les troupes de Napoléon III, mais resta dans le cœur des Clamecyquois. Au point qu'ils ont concocté, municipalité et associations réunies, un "Festival Résistance" du 10 octobre au 6 décembre 2015.



Explorateurs des lieux qui bougent, mon co-blogueur Blutch et sa complice, plus mon complice et moi-même sommes allés rencontrer quelques-uns de ses résistants, non sans avoir auparavant dégusté une fondue Suisse vaillamment concoctée par Blutch dans son bus-camping (en français : camping-car) et passé la nuit dans ledit bus. Au matin, Claude Girod, maraichère et membre de la Confédération paysanne, nous a offert un remarquable tour d'horizon de la situation agricole sans s'apitoyer sur le sort des "pauv' paysans", mais en la replaçant dans le contexte plus général d'un système économique, qui ruine de la même façon l'industrie et bientôt d'autres secteurs d'activité. La faute à beaucoup de monde et d'absurdités : emprise des banques, fermes démesurées, lobbying des marchands de pesticides, contraintes réglementaires souvent iniques, comme l'interdiction de replanter ses propres semences, ou l'obligation de traiter chimiquement. S'y ajoutent la pression de la grande distribution et l'exigence déraisonnable du consommateur de payer le moins cher possible ce qu'il mange : 13% seulement du budget des français est consacré à la nourriture, d'où l'essor de la malbouffe qui ruine la santé et l'environnement.

Après, chacun a raconté comment il résiste. A sa façon. L'un plante des espèces naturellement résistantes aux insectes et à la sécheresse et ne traite pas ("j'achète le produit pour montrer la facture si j'ai un contrôle, mais je ne l'utilise pas. Parfois, il faut désobéir si on veut avancer"). Le propriétaire d'une exploitation de 450 hectares raconte comment, à 40 ans, réfléchissant sur le sens de sa vie, il a décidé avec son frère de passer en bio, "pour montrer aux collègues que c'est possible, même si on a une grosse ferme, que ce n'est pas un truc pour les petits ou les utopistes". Un quarantenaire fraîchement arrivé de région parisienne avec sa compagne veut faire un potager pour devenir auto-suffisant et maîtriser la qualité de ce qu'il mange, puis vendre les éventuels surplus sur les marchés. Il s’inquiète : "Je voudrais savoir comment vous prenez ma venue, si cela vous gêne ?" Vu les applaudissements, la nouvelle recrue semble bienvenue. Le problème est plus la disparition des paysans que leur nombre ! Un jovial moustachu, instituteur rural pendant dix ans parce qu'il aimait la campagne, s'est reconverti en viticulteur et vit heureux entre ses vignes (il vinifie du Pouilly, c'est pas rien !) et ses potes, car "décider de faire ce qu'on veut, comme on le sent, et faire la fête, ça rend heureux". Un autre insiste sur la formation agricole à revoir entièrement. Pensez qu'on forme aujourd'hui des jeunes en "management et gestion agricole" sans leur donner de notions de ce qu'est un sol "vivant". Étudier la compta ou le dédale des subventions plutôt que la terre !

Pendant qu'on discute, des bénévoles préparent le repas dégusté en commun et en plein air : soupe, bourguignon de charolais et pommes vapeur, ou tarte aux légumes "pour ceux qui n'aiment pas la viande" et tarte aux pommes. Le tout arrosé de vin bio. Voilà qui appelle la balade digestive au Musée de Clamecy où Edmond Beaudouin, dessinateur portraitisé dans le film de Laetitia Carton, expose des portraits de Clamecyquois à qui il a demandé, en échange de leur portrait, ce qui les rendrait heureux. La même expérience avait été faite il y a un an à Vitry. Les gens répondaient à 90% des choses perso : "Le bonheur, c'est la santé, un travail, de beaux enfants, des amis..." Mais à Clamecy -histoire oblige- les réponses sont résolument engagées : le bonheur, c'est accepter les étrangers, réduire les inégalités, arrêter de ne penser qu'à l'argent, ne plus consommer de choses qui abîment la planète, agir tous ensemble, etc.

L'après-midi, place aux lanceurs d'alerte : Emmanuel Giboulot, condamné -puis relaxé en appel- pour avoir refusé de traiter ses vignes avec un insecticide, Florence Hartmann auteur d'un livre sur les lanceurs d'alerte, et l'ADRET Morvan qui a lutté pendant trois ans contre l'installation d'un incinérateur polluant. On parle aussi d'Irène Frachon qui a alerté sur les dangers du Mediator, et d'Edward Snowden, qui a perdu son boulot, son pays et toute relation avec sa famille pour avoir dénoncé la surveillance généralisée des citoyens par la NSA, l'agence de surveillance américaine. Edward Snowden que nous retrouvons le soir-même dans le documentaire de Laura Poitras "Citizenfour" (Oscar du meilleur film documentaire). Sachez-le, utilisateurs du passe Navigo que j'ai toujours refusé pour ne pas être pistée : vos coordonnées bancaires et votre carte de métro suffisent pour tout savoir de vous, de vos déplacements, de vos fréquentations, de vos centres d'intérêt en fonction de ce que vous achetez, etc. Ne dites pas que vous n'avez rien à vous reprocher, la majorité des gens n'ont rien à se reprocher et il n'y a aucune raison de les surveiller, mais c'est cela qui est fait, au nom de la lutte contre le terrorisme.

A Clamecy, il y a aussi un bouquiniste aussi charmant que cultivé chez qui j'ai déniché à prix étudiant des livres dont je parlerai ici, une "Maison citoyenne" regroupant une épicerie bio, des produits locaux, une bibliothèque, une base de données sur des alternatives en matière de consommation, construction, modes de vie, et surtout de joyeux membres pour organiser des manifestations diverses. Sans oublier la chambre et le gîte tenu par un couple d'anciens Franciliens, elle infirmière, lui en télétravail, qui sont tombés amoureux de Clamecy où ils projettent d'élever leurs deux enfants, écrire des livres et monter un café associatif musical et poétique. "On a été très bien accueillis, disent-ils. C'est une ville dynamique où les gens sont tellement gentils que depuis un an et demi, on a l'impression de vivre chez les Bisounours, et ça fait un bien fou."