Lola est une amie d'enfance de Zoé. Nous avons des photos d'elles deux assises autour d'une table basse de maternelle, entassées dans une malle à matos technique de son père ingénieur du son, en train d'écouter un concert, comme de vraies roadies, elles ont fait tout leur primaire ensemble et, même si à partir du collège leurs voies ont divergé, elles se retrouvaient le WE pour des soirées pyjamas et des repas dont elles assuraient la totalité du menu. C'est Lola qui a introduit chez nous le risotto, par exemple, plat inusité jusqu'ici de ce côté du Rio Bravo. Plus grande, c'est elle qui confectionnait les mojitos, réussissant à tenir le rythme de fabrication à la demande malgré nos descentes gosiérales de pros. La cave de ses parents étant bien achalandée, elle n'oubliait jamais de descendre y faire une razzia et ne débarquait point chez nous les mains vides, comme les autres maléducatis de pique-assiette. Nous avons adopté depuis certains de ses choix pinardiers judicieux.

Lola est toujours gaie, sait mettre une ambiance "et on fait tourner les serviettes...", mais avec des listings musicaux plus classieux, son père ayant soigné et diversifié son éducation acoustique. Producteur de groupes, tenancier d'un studio d'enregistrement, éditeur, grâce à papa, Lola a baigné dans une ambiance show-bizz et dans ses oreilles ont coulé naturellement les meilleurs miels de la musique anglo-saxonne.

Cela ne lui aurait apporté qu'une culture musicale de ouf si, par bonheur, la Fée Clochette ne s'était pas penchée sur son berceau pour lui donner LA VOIX. Fille unique, elle commença à chanter par plaisir, seule, en cachette. Ce chant, c'était un peu la voix de l'autre, le frère ou la sœur avec qui elle aurait aimé échanger, mais on a pas le droit de parler tout seul, sauf à se faire traiter de dingue ?

Par contre on a le droit de chanter, que dis-je, le devoir de chanter, quand on a une si belle et si profonde et si puissante et si juste voix ?

Lola commença à se douter de quelque chose, cette voix, le plaisir qu'elle trouvait à la joindre à celles de stars, en se passant et repassant les disques qui lui plaisaient, c'était quelque chose d'exceptionnel, elle aimait trop ça pour que ce ne soit pas un don. Un jour, timidement, comme si elle confessait une grosse bêtise qui lui oppressait le cœur, elle osa confier à son père son grand secret : "Tu sais, papa, je chante...". Et elle n'eut plus besoin de se cacher. La première fois qu'elle monta sur scène, ce fut je crois sur mon vieux camion Ford à plateau, encouragée par la foule en délire de ce jour là (bien soixante-dix personnes valides, les autres avaient déjà roulé sous les tables à cette heure tardive...). Elle empoigna le micro, demanda à ce guitariste inconnu s'il connaissait cette chanson qu'elle avait un peu préparée, ferma les yeux et se lança. Le premier moment de stupeur passé, ce fut l'enthousiasme général. A star was born, elle en chanta une autre, elle fut bissée, nous ne voulions plus la laisser descendre...

Et depuis, son paternel devenant son coach, elle se produit assez souvent, elle fait des chœurs pour des CDs de chanteurs plus connus et elle a son propre spectacle bien rodé avec l'ami Framby, un guitariste hors pair. Elle n'en vit pas, non, elle est sérieuse, elle a un vrai métier dans le marketing de culture, mais elle pourrait en remontrer à bien des pros car elle s'améliore à chaque concert. Mais ne nous plaignons pas, cela lui permet de continuer à chanter pour le plaisir, humblement, sans se prendre la tête dans ce métier de killers ambitieux aux dents longues. Non, elle reste modeste, adorable, comme la petite fille qui venait mettre une bonne ambiance à nos fêtes et qui continue à venir nous voir régulièrement.

Sur la vidéo qui suit, ce soir là, Lola s'était greffée sur le groupe Triax, qu'elle ne connaissait ni des lèvres ni des dents, un groupe de jazz, en plus, alors qu'elle est plutôt "rock", mais leur bœuf s'est super bien passé, à la bonne franquette, en famille, comme d'habe...

Ça se passait au château, juste en face de chez nous.