Blogborygmes

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mercredi 28 mai 2008

Saoul-FifreLe jimboura

Je ne me souviens pas de ma famille assassinant de cochon en Algérie. Je crois que de toute façon, la viande de cochon et la chaleur du soleil ne font pas bon ménage, elle tourne très vite et devient dangereuse à consommer, ce qui explique l'ostracisme de l'ancien testament à son encontre, repris sous forme d'interdiction rigoureuse par les religions juive et musulmane. Bon, ça aurait été peut-être un brin provocateur, aussi, encore qu'on arrive toujours à trouver des croyants respectueux des différences

En Périgord non plus, mon père n'a jamais élevé de porc, je ne l'ai d'ailleurs jamais vu tuer une bête pour la manger, il n'était pas chasseur non plus. C'est ma sœur et moi qui nous occupions de faire passer la volaille de vie à trépas. Mais nous étions invités tous les ans chez nos voisins, les parents paysans de nos camarades d'école, pour la "Saint-cochon", et j'en ai le souvenir comme d'une journée magique. En Dordogne, tout ce qui est transformation de viande, foie gras, confits de canard, chapons, pâtés, saucisses, gibiers divers est vraiment vécu comme une religion païenne, avec tout ce qui tourne autour, d'ailleurs : les cèpes, les girolles et autres oronges, le petit vin aigre, son marc, les châtaignes, toutes les glanes de fruits sauvages...

Le Périgord est le centre de la gastronomie s'il en est un. Ce patchwork de petites seigneuries, ces grands bois inextricables, cette multitude d'étangs naturels, de trous d'eau ont favorisé de tout temps le gibier, le braconnage et bien entendu, il a bien fallu mettre au point des techniques efficaces de conservation. Je vous parle d'un temps où le congélateur n'existait pas et où il fallait saler, sécher les jambons, lards, saucisses et saucissons, les fumer si l'on aimait ça, ou bien stériliser des bocaux et des bocaux de confits, de pâtés, de confitures, de haricots et de légumes divers. On tassait aussi les rillettes au fond de pots en terre et on les recouvrait d'une épaisse couche de saindoux.

Tous ces bons produits vous formaient le goût, milladiou de milladiou !

Mais le truc qui m'est vraiment resté incrusté dans les narines et les papilles, c'est le jimboura. Alors pour partir sur les traces de ce souvenir d'enfance, je me suis associé avec 2 voisins (à moi la direction des opérations, à eux la main-d'œuvre et le financement ;-), nous avons acheté un grand congélateur-bahut de 2 mètres de long, trouvé le cochon a l'œil malicieux adéquat, le charcutier de luxe capable de nous supporter, et un vendredi soir, celui-ci plongea une longue lame dans la jugulaire de Porcinet le pôte à Winnie l'ourson, tandis qu'un aide tendait avidement la bassine pour recueillir l'ingrédient indispensable à la confection du plat convoité : du sang frais.

Sang qu'il convient de remuer aussitôt avec les mains pour en retirer la fibranne coagulée. Il restera alors liquide jusqu'au lendemain.

Nous avons bien sûr aidé notre charcutier à nous préparer rôtis, escalopes, côtes, rouelles, filet mignon, pâtés de tête, rillettes, saucisses, andouillettes, mais j'ai plus particulièrement supervisé la fabrication de l'incontournable boudin. Il a fallu éplucher puis hacher 8 kilos d'oignons mouillés de larmes puis les faire revenir longuement avec quelques rogatons gras, hachés eux aussi, dans une grande gamatte en aluminium massif. Et y verser presque tout un pot de quatre épices et puis bien du sel et du poivre, aussi. Goûter. Et remuer, remuer pour pas que ça attrape.

Au bout de 2 heures, la couleur de l'ensemble paru sympathique à notre maître-queux et il nous autorisa à faire couler le sang dans le plat après l'avoir une dernière fois filtré dans un grand chinois. Après un bon remue-mélange, le truc obtint une consistance semi-liquide qui permettait de le verser dans une bouteille d'eau minérale découpée en forme d'entonnoir, et embouchée sur un boyau d'intestin grêle préparé et nettoyé à l'avance.

Le boudin proprement dit et comme l'apprécie La poule commence à prendre sa forme de spirale d'Archimède. Nous le plongerons avec précaution dans son eau maintenue à peine frémissante pour ne pas que sa peau se fende. Le piquer régulièrement avec une épingle pour contrôler son niveau de cuisson.



Bon, d'un autre côté, si le boudin explose, le jimboura sera meilleur.

Égoutter et mettre à refroidir les chapelets de boudins.

Faire réduire l'eau de cuisson du boudin, y jeter des os cassés, de la couenne, et une heure avant de servir, les légumes et des boudins ouverts que vous aurez rajouté si ils n'ont pas explosé tout seuls.

Vous aurez pelé et découpé en morceaux quelques patates, navets, carottes, oignons, aulx, un chou et les aurez fait revenir dans de la graisse d'oie ou de canard. Chaque cuisinière avait sa recette perso. Je me souviens que notre plus proche voisine profitait de la cuisson des boudins pour y faire cuire des fayots blancs secs. Ça donne de l'ampleur.

Voilà. Vous mélangez, vous faites cuire une heure ou plus, ce n'est pas grave : cette soupe cuisait et recuisait dans un coin de la cheminée. Vous goûtez pour corriger un peu une petite imperfection d'assaisonnement. Et vous servez sous les hourras de l'assemblée excitée.

Le jimboura, c'était la récompense des travailleurs après un jour ou deux d'efforts tendus vers la perfection.

C'était le symbole de l'entraide et de l'amitié entre voisins, alliés, membres de la famille.

C'était une ode poivrée au génie de la cuisine périgourdine.

C'était une bulle de chaleur humaine au cœur de l'hiver.

Mais c'était surtout du bon liquide brûlant pour diluer toute cette gnole et ce pinard qui avaient coulés à flots dans ces dizaines de gosiers assoiffés.

Même les enfants que nous étions avaient la permission de "faire chabrol", c'est à dire de verser un peu de vin dans l'assiette où il ne reste qu'un peu de soupe, de remuer en tournant pour rincer, et de boire le tout cul sec.

lundi 26 mai 2008

AndiamoMon frère

Quand tu es minot et que tu as la chance d'avoir un grand frère, c'est fabuleux. Le mien, âgé de trois ans de plus que moi, et entre nous deux la frangine, joli tir groupé : bravo Maman, bravo Papa !

Fabuleux le frangin, trois idées fumantes par jeudi... Des putains d'inventions. Quand je raconte ça à mes mômes, ils hochent la tête, et déclarent : "ben dis donc, on en aurait fait le quart, qu'est-ce-qu'on aurait entendu !"

Un jeudi, en rentrant du ciné de quartier le "Moulin Rouge", dont je vous ai déjà parlé, et après avoir vu un "Charlot" ou un "Harold Lloyd", dans lequel le héros saute depuis une fenêtre, tenant dans la main un parapluie largement ouvert (Mary Poppins n' a rien inventé !), mon frère a voulu mettre illico en application les lois de l'attraction universelle.

Etant donné qu'un corps dont la chute, freinée par un parachute, atterrit moins vite qu'un corps non ralenti par tout moyen artificiel... D'autor, il a désigné ma soeur, testeuse en chef de sa théorie du ralentissement des corps en milieu atmosphérique, situé pratiquement au niveau de la mer !

La frangine, debout, après avoir enjambé la rampe du perron, deux mètres environ au-dessus du sol, parapluie maternel grand ouvert, se lance dans le vide, encouragée par les deux mâles, qui l'avaient copieusement traitée de froussarde, foireuse, chiasseuse, déballonnée, j'en passe et des meilleures, puis atterrit un peu brutalement, le genou percute le menton... CLAC !

Aussitôt le résiné jaillit, la frangine se passe la main sous le menton, constate les dégâts et se met à brailler. La voisine - tu sais l'harengère, décrite dans un billet précédent - se met à nous engueuler copieusement, disposant pour la circonstance d'un vocabulaire n'ayant rien à envier à celui des vendeuses de quat' saisons : ah mon fumier d'lapin ! Tu l'as bien arrangée, ta pôv soeur ! Saloperie, brigand, j'vas t'couper ta bézette en rondelles, si j't'harponne ! Gad' donc, elle saigne comme un goret !

Et la voilà qui se met à appeler ma mère. Imagine la scène : ma soeur qui pisse le sang, son tablier qui commence à rougir, mon frère qui éponge avec son mouchoir, et la mère gueule-fort, vociférant, et gesticulant, autant que pouvaient le lui permettre ses deux cents livres !

Un peu affolée, ma mère descend les marches du perron et examine la blessée, comment est-ce arrivé ? Entre deux sanglots, ma soeur explique, appuyée par la gravosse... Et PAN, une mornifle sur le museau du frangin, dans la foulée j'en ramasse une aussi, un partout... La balle au centre ! Puis, pansement compressif, Tricostéril, petit câlin,... La moribonde est guérie.

Un autre magnifique jeudi, mon idole a encore eu une idée prodigieuse : on va faire un campement de Bédouins ! Il faut dire que ma mère s'était absentée pour l'après-midi. Branle-bas de combat, on sort un tapis, le plus grand, celui du salon, des piquets assez longs, ceux des haricots à rames : magnifiques. Et puis on ne se déballonne pas, les draps de notre lit pour dresser la tente !

On remettra tout en place, avant que M'man rentre, bien sûr.... Le caïd c'était lui, le fils du Cheik, et tout l'bazar, nous, nous étions les esclaves, les porteurs d'eau, fallait lui apporter du chocolat, de la confiture, tous les potes du quartier étaient là, on s'marrait tellement, qu'on en oubliait l'heure !

Soudain un "kès cé ksa" ? Bien indigné... Merdum, le temps passe si vite quand on s'amuse, ma mère qui rentre, elle constate les dégâts, le Cheik assis en tailleur, sur le tapis posé à même la terre, les draps du lit érigés en tente, cinq ou six copains piétinant à qui mieux mieux les Gobelins.

Les potes, faux-derches, qui se cassent en bredouillant des "au r' voir, M' Dame". Et nous qui restons tous trois les bras ballants, ceux de ma mère ne le sont pas restés longtemps ballants, eux ! PIF, PAF, chacun la sienne, pas de jaloux, mais bon, c'était mérité non ?

Une autre fois, il faisait beau, et soudain l'idée du siècle ! On va construire un barrage, rien de moins.

Il y avait chez nous, une allée cimentée, une petite évacuation, au bout, pour les eaux de pluie, alors nous bouchons cet orifice, érigeons un "mur" en terre, deux mètres plus loin, tuyau d'arrosage branché, mise en eau de l'ouvrage... Pas mal de litres de flotte avant d'atteindre un niveau acceptable.

Enfin, on se bricole des bateaux en bois, à coups de scie et de clous en guise de mâts. Mon petit voisin, fils unique, généreux au possible, à qui je dois d'avoir lu tous les "Tintin" - merci Daniel ! - nous regardait au travers du grillage. Il n'avait pas le droit de venir déconner avec nous, car nous n'étions pas des modèles d'obéissance, ni de sagesse ! Bien plus tard, il m'a avoué qu'il aurait bien aimé être à notre place. Pourtant, il était couvert de jouets et de beaux albums, qu'il partageait volontiers d'ailleurs.

Donc, nous voilà passant l'après-midi à barboter dans notre lac magnifique, qui devenait de plus en plus gadouilleux, quand soudain, la digue se rompt !

Voilà la flotte bien crade qui s'échappe et s'engouffre dans l'escalier de la cave, en passant sous la porte (cette porte était située sous le perron). Trop tard ! Il ne nous restait plus qu'à nettoyer la cour, à grands renforts de jet d'eau, les escaliers menant à la cave itou, mais la flotte stagnait en bas, sur la terre battue, elle épongeait lentement, mais se ramollissait rapidement... Waouh, la gadoue dans cette pauvre cave...

Mais vous ne faîtes que des bêtises, regardez-moi cette cave, dans quel état vous l'avez mise ! Attendez, quand Papa va rentrer....

Le soir : dis M'man, tu l'diras pas, hein ? On recommencera plus, hein, dis ? Super gentille, elle ne l'a pas dit, alors on se tenait peinards un moment, un court moment.

Jusqu'au jour où mon frère eut ENCORE une idée formidable ! On va faire des parachutes ! Des parachutes... Quelle idée magnifique ! Pour le tissu, pas de problême, armé d'une paire de ciseaux, le voilà qui attaque le bas des rideaux du salon, notre pièce favorite décidément, on y allait peu, elle servait de chambre pour ma soeur.

Un parachute, dans le rideau gauche et, pour la symétrie, un autre dans celui de droite, hein, tant qu'à faire ? Du fil de couturière pour les suspentes, un vieux soldat de plomb unijambiste, le nouveau John Steele de Sainte-Mère-Eglise ! Et nous voici à l'étage, dans la piaule des garçons, testant encore une fois les lois de l'attraction universelle freinée par un moyen artificiel, en milieu... etc., etc.

Notre brave Maman ne s'est pas aperçue immédiatement de la dîme prélevée sur ses voilages, mais lorsqu'elle a voulu laver les rideaux... AÏE, AÏE, AÏE, putain de Manon ! L'engueulade, et là nous n'y avons pas coupé : rapport au Paternel, le cul m'a chauffé un bon moment, pas de gifles, mais la fessée, oui ! Je pense avec le recul que nous ne l'avions pas volée !

Et puis, je dois à mon frère, ma passion pour les avions, les modèles réduits, ça l'a pris alors qu'il avait une douzaine d'années et ne l'a plus lâché, je lui ai emboîté le pas, bien sûr, la poussière de balsa étant une drogue très puissante, j'y suis toujours accro !

Bernard et Monique, mon frère et ma soeur, m'ont quitté. J'ai ressorti ces petits souvenirs, qui, je tiens à le préciser sont authentiques, enjolivés bien sûr, car l'important ça n'est pas l'histoire, mais ce sont les petites dentelles que nous tentons d'accrocher autour, enfin je l'espère.

Il y a eu bien d'autres aventures du même acabit, mais elles feront l'objet d'un autre billet.

jeudi 15 mai 2008

AndiamoLe paradis blanc

Monsieur ! Monsieur ! Réveillez-vous !

Serrez-moi la main, Monsieur !

Ouvrez les yeux !

Serrez-moi la main, Monsieur !

Qu'est-ce-qu'il a ce mec ? Pourquoi veut-il que je me réveille ? Je dors si bien !

J'émerge lentement, brouillard ou coton ? Je ne sais, vaseux en tout cas, mal...

Et ce type qui me braille dans les oreilles : "serrez-moi la main, Monsieur !"

O.K, je vais lui serrer la louche, après il me foutra la paix, dor... dormir, encore.

On va vous "détuber", retirer l'assistance respiratoire, c'est terminé, vous avez été opéré, tout s'est bien passé, ça va aller.

Bizarre sensation, un long serpent qui sort de mon oesophage, un bruit de succion, et c'est terminé.

Soif, à boire...

Tout à l'heure, pas maintenant, c'est trop tôt, rendormez-vous.

Jour ou nuit agité ? Je ne sais pas, aucune notion de temps, quand j'ouvre les yeux, il me faut un moment pour me situer dans l'espace, le mur est plafond, et vice-versa.

Des tubes et des câbles partout, certains sortent de moi, d'autres y entrent, je suis relié à la "vivre-machine" !

J'imagine la centrale nucléaire, les énormes câbles, les transfos, les lignes à haute tension qui zèbrent nos campagnes, puis elles s'enfouissent, se terrent, courent dans les égouts, pour ressurgir là, alimenter la "vivre-machine".

Je suis en réanimation, ça n'est pas un vain mot, nous sommes tous de véritables mort-vivants !

Le personnel est là, omniprésent, attentif, souriant, des infirmiers aux allures d'athlètes, et pourtant si délicats, quand il faut bouger un malade, toujours un sourire, un mot gentil, les infirmières, d'un niveau de compétence impressionnant.

Et enfin la pompe à morphine : merci Monsieur Kouchner ! Je ne dis pas que c'est la panacée, mais ça aide énormément.

Près de moi, les machines veillent, je ne les vois pas, elles sont placées derrière le lit, mes courtes visites me l'apprendront, elles veillent sur tout, gardiennes infatigables...

Chaque jour des massages, quel bienfait ! Petit baratin à la masseuse Antillaise, pour qu'elle prolonge un peu la séance, je suis cassé de partout ! Elle se marre, et prolonge gentiment le massage, je lui promets une biguine quand ça ira mieux, elle rit de bon coeur.

J'ai même eu droit, comble du raffinement, à une douche au lit ! A l'aide de gants de toilettes trempés dans l'eau très chaude, et tordus au-dessus de mon dos... Le pied, incroyable le bienfait que cela procure.

Décidément le personnel de Bichat est formidable.

Après quelques jours de réa, transfert dans un autre service, elles m'avaient prévenu les petites : vous ne serez pas "bichonné" comme ici ! Terminé le petit déjeûner avec les tartines beurrées et "confiturées" par nos soins, le rasage quotidien assuré par l'infirmier de service, et toujours dans la bonne humeur ! Un quatre étoiles, la réa, first classe !

Elles sont bien gentilles tout de même dans le nouveau service, mais elles ont chacune beaucoup plus que trois malades à s'occuper, ça ne fait rien, le sourire est toujours là !

Comme il semble beau, le périph', après plusieurs jours à devoir contempler un mur blanc ! Il bouge lui au moins, ça me rappelle brusquement ces poilus, décrits dans un billet de T-B, l'un d'eux, blessé au cours d'une bataille, hospitalisé dans un hôpital loin du front, se réjouissait du spectacle qu'il apercevait depuis la fenêtre : une route, et cerise sur le gâteau, la voie ferrée ! Un spectacle bien reposant, après toutes les horreurs encaissées dans les tranchées.

Ce petit billet pour remercier tous ceux qui m'ont accompagné et soutenu moralement, mes proches bien sûr, les copains, ceux que je connais que par blogs interposés, et tout le parsonnel de Bichat, du professeur Nataf qui m'a opéré, mon cardio traitant, les internes, les médecins, les infirmières et infirmiers, les aides-soignantes et toutes ces personnes adorables qui répondent au moindre de vos désirs avec gentillesse.

Allons, tout ne marche pas si mal, l'A.P en est un exemple, des soins au top, un suivi formidable, le personnel administratif m'a dégoté un hôpital pour la rééducation cardiaque, magnifique : cadre somptueux, un immense parc... trois étoiles, j'vous dis !

Mesdames, je sais que beaucoup rêvent de perdre quelques kilos, les vacances approchent, le test du maillot est impitoyable (à vos yeux, car pour moi, seule la p'tite flamme au fond de vos mirettes requiert mon attention)... Qui a dit fayot ?

Alors une tite op' à Bichat (ou ailleurs) et hop ! 4 kilos en moins !

Comment ça : non merci ?

vendredi 9 mai 2008

BofChicken run

Je fais un métier formidable. Je vis dehors à l'abri d'un auvent, après des années d'enfermement culinaire, je me découvre presque sociable, je vois des gens, des sympas, des têtes de con, des jeunes, des vieux, des jeunes déjà vieux et des vieux bien marrants. Le vieux est bon client, son plus grand tort est de mourir plus souvent que le jeune, ça attriste, et c'est mauvais pour le chiffre d'affaires.

Au printemps, les premiers seins nus apparaissent sur la plage du dimanche, moins souvent dans les villages de semaine et c'est vraiment dommage. Au fil des ans, on note des tendances : si le petit insolent a toujours la cote, on note une forte recrudescence du surdimensionné, stabilité du gant de toilette.

Sur la route du boulot, vers cinq heures, je croise souvent des sangliers, des renards, et je suis parfois un lapin : le lapin c'est très con, ça court en zig-zag au milieu de la route sur des centaines de mètres et ça fait perdre du temps, faudra raccourcir la pause de sept heures. Je croise aussi des cinglés motorisés, l'impression que l'époque rend pas mal de gens suicidaires. Suicidaires d'accord, mais visez les platanes, pas mon capot please, pensez à ma pause.

Cette année, je pense que les préfectures ont donné des consignes aux mairies : agrandissez les marchés, laissez de la place aux petits nouveaux que l'ANPE a encouragés dans leur création d'entreprise, ahahahaha. Facile neuf sur dix qui vont se bananer, enjoy, mais pendant ce temps tu sors des stats...

Partout où les mairies ont changées, branle-bas de combat, vite, reréglementer le marché, déplacer, interdire, décréter, sans surtout consulter les principaux concernés, des forains tu penses, peuvent bien se la fermer. Ça finira comme d'hab, on les aura à l'usure.

Rayon innovation, après des contrôles de gendarmerie classiques, répression des fraudes, services vétérinaires, DASS, arrivée de la gendarmerie maritime, sans ses palmes. Surement que le bronzage de Paola les avait chagrinés, raté, papiers en règle.

Pas encore l'été et déjà fatigué, faut dire que vous ne m'aidez pas : que les prix ceci, que l'euro cela, que lui il a grillé la file, oui, lui l'étranger qui fait semblant de pas comprendre parce que ça l'arrange bien, que moi je suis client à l'année et que je veux passer avant les touristes.

Les fournisseurs qui partent en sucette : pénurie organisée, panique dans le poulailler.

Et ce putain de mistral.

STOP !

Ou je vais finir par mordre quelqu'un......

samedi 3 mai 2008

Tant-BourrinParoles de Poilus (addendum)

Peut-être avez-vous lu "Paroles de Poilus", ce superbe livre composé de lettres de soldats à leur famille durant la première guerre mondiale ? Si ce n'est pas le cas, il faut absolument le faire pour y découvrir, loin des livres d'histoire égrenant chronologiquement des faits de guerre en exaltant l'héroïsme des combattants, le douloureux quotidien d'une génération sacrifiée, les sentiments, les peurs, les angoisses, les colères de ces hommes, parfois tout juste sortis de l'adolescence, parfois père de famille, arrachés de leurs terres pour aller servir de chair à canon.

J'ai eu envie aujourd'hui, alors que le dernier d'entre eux s'en est allé récemment, d'apporter un modeste addendum familial, sous la forme de trois cartes postales écrites durant cette sombre période par deux de mes arrières-grands-pères et adressées à chaque fois - simple coïncidence - à leurs belles-soeurs respectives. Ce sont hélas les seules traces écrites de leur main qui ont su traverser le temps en échappant aux rongeurs et à la pourriture. On y devine, malgré un ton presque badin, un peu de l'enfer qui fut le leur quatre années durant.


Mon arrière-grand-père Joseph Busquet avait 37 ans et quatre enfants quand il dut quitter son pays d'Armagnac natal où il cultivait la terre pour aller combattre l'Allemand la fleur au fusil. C'est lui, en tenue de soldat, qui figure en photo au recto de la carte, que j'ai dû éclaircir un petit peu tant elle était sombre ("c'est un ramoneur qui l'a faite"). Je n'ai hélas aucune idée d'où peut se trouver le bois de Vedrel (ou Védril, je ne suis pas sûr de bien déchiffrer) dans lequel son campement était établi quand il a écrit cette carte.


  
Cliquez sur les images pour les agrandir

Bois de Vedrel (?) - 7 juin 1915

Chère Maria

Je profite d'un moment pour répondre à ta lettre que j'ai reçue avec plaisir an apprenant que vous êtes tous en bonne santé.

Quant à moi, il en est de même ; tout de même, dimanche dernier, 30 mai, j'ai reçu un coup de poing boche et je t'assure qu'ils tapent dur. Au moment où j'essuyais la vaisselle, il y avait un adjudant assis à table en train de boire un verre de bière, une marmite est arrivée. Lui a été tué net, il n'a pas bronché, il est tombé comme une masse, moi j'ai été couvert de débris de bois, de tuiles et j'ai eu la tête percée, mais ça n'a pas été grave. J'ai été me faire panser et je n'ai pas cessé mon travail. Heureusement j'ai eu le képi sur la tête, sans cela j'étais fait moi aussi. Maintenant je fais fantaisie, j'ai les cheveux coupés aux enfants des douars.

Ici nous sommes depuis dimanche soir, car nous sommes partis de suite après l'événement, dans un grand bois, sous les tentes, je fais la popote des officiers là aussi. Justin y est aussi, il est venu ce matin prendre le café et il doit revenir pour que je lui fasse une omelette. Il est toujours avec celui du Tuc.

Je t'envoie ma belle figure, c'est un ramoneur qui l'a faite. Tu feras bien des compliments à tes parents, ainsi qu'à Despale si tu la vois.

En attendant le plaisir de recevoir de tes nouvelles, je t'embrasse de loin. Le bonjour à ton père et mère.

Joseph Busquet


Mon arrière-grand-père Jean Cassagne est l'auteur des deux autres cartes. Lui aussi cultivateur en pays d'Armagnac, il avait deux enfants quand il partit à la guerre, à l'âge de 38 ans. Il y fut gravement blessé au mollet en 1917. Il figure lui aussi sur les photos au recto des cartes : sur la première, il est allongé sur un brancard, en deuxième position en partant de la droite ; sur la seconde, il est à la fenêtre de droite, au second plan.


  
Cliquez sur les images pour les agrandir

Le 9 mai 1917

Chère Belle-Soeur

Je fais réponse à votre [courrier] que j'ai reçu avec plaisir, vous sachant tous en bonne santé. Je suis aussi heureux de savoir que Justin est en bonne santé.

J'ai eu dernièrement des nouvelles de Jules qui étaient bonnes en même temps. Je suis bien content de savoir des nouvelles de Barros car il y avait plus d'un an que je n'en avais pas eu et comme il n'avait que 3 enfants, il a jugé convenable de s'en procurer un 4ème pour être lui-même reculé du danger, mais à mon régiment il y avait des pères de 4 enfants qui étaient à la même place que moi et au même danger. Toutes ces promesses ne sont que discours de fripons.

Ma santé et ma blessure vont très bien, mais mon pied devient tout bleu si je mets ma jambe par terre et ne veut m'appuyer à aucun prix. Je compte encore bien deux mois d'hôpital.

En attendant le plaisir de recevoir d'autres nouvelles de votre part, recevez mes meilleures salutations.

Cassagne Jean


  
Cliquez sur les images pour les agrandir

Le 21 mai 1917

Chère Belle-Soeur

Je vous envoie de mes nouvelles qui sont presque toujours les mêmes comme situation : ma plaie se cicatrise petit à petit. Pour le moment, elle n'est guère plus grande que la paume de la main mais mon pied est encore très gonflé et je ne puis pas le bouger (à coup du pied ?). Il me fait mal surtout le soir et je l'ai très rouge. Il y a encore quelques jours à attendre avant de se lever malgré que les reins commencent à me faire mal au lit. J'ai changé d'hôpital depuis le 10 mai. Je suis très bien comme nourriture et comme soins. Je suis à 10 kilomètres de Bordeaux. La chambre de l'hôpital a les croisées à bord de route et la ligne du chemin de fer à 100 mètres, ce qui est pour nous une grande distraction.

Je souhaite que ma présente vous trouve tous en bonne santé. En attendant la joie de vous revoir, recevez de ma part mes meilleures salutations.

Cassagne Jean

Vendredi et samedi, le temps était à la pluie, aujourd'hui la journée est belle.


Voilà, c'est tout. Tous les deux ont eu la chance de revenir vivants de cette effroyable boucherie. Jean Cassagne est toutefois resté handicapé par sa blessure qui nécessitera des soins quotidiens jusqu'à la fin de sa vie, en 1954. Joseph Busquet, quant à lui, vivra encore jusqu'en 1962. Le fils de l'un épousera la fille de l'autre quelques années après la guerre : mes grands-parents maternels. Et la vie reprendra son cours presque habituel, jusqu'à la suivante.

Pourquoi ai-je eu envie de parler de cela ici ? Je ne sais pas. Tout ceci est si vieux... Et pourtant, je ne peux m'empêcher de frissonner en songeant à cette horreur dans laquelle des millions d'hommes ont été brutalement happés et dont beaucoup ne revinrent pas. Cette horreur née d'impérialismes et de rivalités économiques dont n'avaient pourtant que faire ceux qui se retrouvèrent en première ligne. Une horreur hélas encore trop d'actualité et dans laquelle restent quotidiennement plongés des populations entières aujourd'hui, le plus souvent dans l'indifférence générale.

Ce billet est pour eux.