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dimanche 23 août 2015

celestineLa maison de nos rêves

Quand j’étais petite – oui parce que j’ai été petite, à une époque, aussi étonnant que cela puisse paraître, je n’ai pas toujours mesuré mon mètre 73 – nous n’avions pas les jeux sophistiqués auxquels s’adonnent nos charmantes têtes blondes de nos jours. Je me souviens que mon père avait inventé une activité formidable pour les après-midis de pluie, quand nous avions la chance qu’il fût là. (C’est à dire pas très souvent) Il s’emparait d’une grande feuille de papier à dessin, d’une règle, d’une mine de plomb, d’une gomme, de crayons de couleurs, et nous nous rassemblions, mes frères et moi, autour de lui, remplis d’une excitation fébrile. Alors il se mettait à dessiner la maison de nos rêves. Il faut dire que nous habitions alors un F4 exigu dans un immeuble vieillot appelé pompeusement "le Matin Calme". Chacun de nous lui disait à son tour sa façon de voir les choses. Un perron majestueux, deux tourelles, des cheminées pour le père Noël, des faîtières et des barrières en fer forgé, un kiosque à musique au fond du jardin. Peu à peu le projet prenait vie. Maman avait droit à son balcon fleuri de glycines. Chaque petit carreau des fenêtres brillait d’un reflet personnel, sous forme de trois traits de crayon gris. Il y avait bien quelques disputes, lorsqu’il dessinait, par exemple, un chien-assis sur le toit et que tout le monde voulait que ce fût sa chambre. De guerre lasse, papa alignait quatre chiens assis, ce qui allongeait considérablement la façade de la maison. Les persiennes étaient invariablement vertes, sa couleur préférée. L’agencement du jardin réclamait beaucoup de soin, c’était aussi l’occasion de nouvelles chamailleries car mes frères désiraient des terrains de jeux pour ballons, tentes d’Indiens et petites voitures, alors que je rêvais d’un bassin dans lequel s’ébattraient grenouilles, poissons multicolores et feuilles de nénuphars… Mes frères étant en supériorité numérique finissaient toujours par avoir le dernier mot et mon jardin japonais d’agrément, réduit à la portion congrue, battait en retraite devant l’avancée des Comanches. Pour ne pas me vexer, mon père rajoutait çà et là quelques lapins ou écureuils, avec un grand souci du détail, mais je tremblais que ces pauvres petites bêtes ne se prissent un coup de fusil intempestif en traversant la pampa, poursuivies par une horde de sauvages en tenue de football. Au bout d’une heure ou deux, la maison de nos rêves était devenue le château des mille songes, la tour de Babel, un aimable capharnaüm plein de joie et de cris, une explosion de couleurs sous lesquelles il était bien difficile de reconnaître les contours de départ sagement tracés à la règle par un papa encore maître de la situation…

Mon père n’a jamais eu sa maison aux volets verts avec les tourelles. Mais il nous a transmis une chose primordiale : le pouvoir de rêver éveillé. De savoir créer un monde à partir de rien, par la simple magie de l’imagination. Ce fut pour moi un cadeau très précieux. ¸¸.•*¨*• ☆

jeudi 13 août 2015

Oncle DanLa croix et la tanière

Au collège, je me sentais plus proche de la première partie de la vie d'Ignace de Loyola (fondateur de la compgnie de Jésus en 1540) que des suivantes.

N'oublions pas que le jeune Ignace, alors qu'il était page, ou secrétaire, ou encore écuyer, était un joyeux luron. Page, oui, sage, non. Là où il passait, il scandalisait les gens par ses dérèglements. Il s'adonnait davantage aux jeux, aux rixes et aux femmes qu'à la prière. C'était un habitué des endroits malfamés, hantés de rôdeurs, de pillards et de paillards. Etudiant, il vivait dans un véritable labyrinthe de ruelles infestées d'immondices, de bordels et de petite vérole. Finalement, ce Loyola était un bien mauvais sujet. On dit même qu'à l'âge de vingt-quatre ans, il s'est trouvé impliqué dans une affaire d'assassinat. On veut bien admettre que ça n'était pas lui le meurtrier, mais il est passé en jugement, le bougre ! Il a fait de la prison ! Dans le genre "jeunesse tumultueuse" (on ne dira pas "tueuse"), voilà un courtisan qui pouvait en parler.

Tiens, c'était comme ce bon Père Charles de Foucauld. Encore un Saint qui avait fait des siennes. Pour les Jésuites, il était à classer dans la catégorie: Cachez ce saint que je ne saurais voir. Cela suffisait pour me le rendre sympathique. Cet officier fatigué d'avoir fait des frasques avec les femmes de mauvaise vie, lassé de s'enivrer de champagne qu'il buvait dans leurs chaussures, s'était fait missionnaire malgré les objurgations de son ami le général Laperrine, qui n'était encore que capitaine, et qui arrivait trop tard avec son goum pour le sauver des méchants Touareg qui assiegeaient son bordj. Selon une version, dont l'authenticité n'est pas encore tout à fait démontrée, il aurait dit "mon oeil" sur un ton pétri d'incrédulité, à l'un d'eux qui manifestait un désir évident de le tuer sans les sommations d'usage, et ceci pour une raison qui m'échappe aujourd'hui. Cet individu basané, dénué de savoir-vivre et d'imagination, mais cependant adroit, lui aurait alors tiré dans l'oeil. Le bon père Charles de Foucauld met les pouces. Il ne joue plus. Le sang coule sur sa joue. Il meurt. C'est triste, mais c'est beau.

J’avais découvert toutes ces aventures dans un bel ouvrage à la tranche dorée et à la couverture de cuir sur l'étagère d'une bibliothèque de couvent.

Cela me rappele le temps des récollections qu'il était d'usage de faire au début de chaque année scolaire.

Lorsqu'ils ne priaient pas, la principale occupation des moines était autrefois la transcription des Ecritures Saintes et de divers ouvrages pseudo-scientifiques. Sans doute, faut-il trouver dans cette réalité historique l'origine des magnifiques bibliothèques généreusement garnies qui constituaient toujours, avec les objets du culte, l'essentiel des meubles meublants de ces monastères et abbayes.

Inutile de préciser que dans ces ouvrages, nous étions davantage à l'affût de l'homme et de ses faiblesses, que du Saint et de ses miracles. Lorsque nous l'avions découvert, il était d'autant plus facile d'en faire profiter les petits copains que le livre bénéficiait d'une aura de sainteté qui le dispensait de circuler sous le manteau. Sa lecture se résumait alors au chapitre signalé par une image pieuse de première communion.