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jeudi 27 novembre 2014

FrançoiseLa vie devant soi ?

"Il ne restait jamais sur la même île plus d'un mois ou deux... Toutes les fois qu'un imbécile lui demandait "Tu fais quoi dans la vie, le môme ?" il savait qu'il était temps de déguerpir, et sans traîner. C'est une drôle de question d’ailleurs, tu fais quoi dans la vie? Vous l'a-t-on déjà posée? C'est une question qui vous donne la réelle impression que le seul fait de vivre ne suffit pas ; elle met la vie en minorité, si l'on peut dire, la relègue au deuxième rang, comme si ce n'était pas assez d'être vivant, comme s'il fallait encore payer un tribut". (Romain Gary, "le Grec")



Il y a des textes, comme ça, qui vous parlent. Qui me parlent en tout cas. Romain Gary aurait eu cent ans cette année, on n'en a pas assez parlé, célébration des deux guerres obligent. Pourtant, être né un 8 mai, comme l'armistice de 45, et en 1914 comme la "der des der", ça s'appelle un destin, non ? Qu'il s'appelle Romain Gary, Emile Ajar ou Shatan Bogat, c'est toujours une écriture magnifique et simple dont aucune phrase n'est superflue.

Il a raison, Gary. "Tu fais quoi dans la vie ?" ça vous réduit à votre métier, votre travail. Ça gomme de la vie ceux qui n'en ont pas. Je me souviens de la réponse d'un petit africain sur une affiche à qui un blanc demandait "Qu'est-ce que tu voudrais être quand tu seras grand ?" et qui répondait : "Être vivant !"

Il parlait de vie biologique, bien sûr, normal quand on vit sur un continent où un enfant sur trois meurt avant l'âge de cinq ans. Mais ici même, l'essentiel n'est-il pas d'être et de se sentir vivant ?


samedi 1 novembre 2014

FrançoiseÊtes-vous toujours amoureux ?

Sous ce titre quelque peu anxiogène, un test proposé aux couples dans « Psychologies » d'octobre. Quatre résultats possibles : « vous êtes toujours amoureux », « l'amour s'est éloigné », « le désir s'est estompé», « vous ronronnez dans la tendresse ». Je m'attends à un résultat tournant autour du désir estompé, remplacé par la tendresse ronronnante, c'est ce que prédisent les magazines quand on se fréquente plus de 20 ans. Eh bien pas du tout ! Comme souvent dans ce genre de tests, j'ai deux colonnes également majoritaires et non pas une seule car je suis un animal complexe. Deux résultats péremptoires et oxymoriques : « vous êtes toujours amoureux » et « l'amour s'est éloigné »... Paradoxal ? Pas du tout !

Le désir, objet de mes réflexions depuis qu'à l'âge de 16 ans j'ai ressenti l'émotion viscérale que peut inspirer une mèche de cheveux sur la nuque d'un garçon, le désir, donc, est au départ de nature très sexuelle. Le sexe est le ciment de l'amour débutant, ciment très mouillé comme il se doit. Mais comme j'aime le dire aux éplorés qui m'écrivent « après X années, ce n'est plus comme au premier jour », pour que l'amour devienne solide, c'est comme pour une maison : le ciment doit sécher. Autrement dit, le sexe cesse de dominer la relation. Pas pour être remplacé par la routine et l'ennui, la tendresse ou les charentaises, mais par un désir nourri des instants partagés, les affinités intellectuelles ô combien importantes, des affinités affectives qui inspirent l'envie de s'embrasser, se toucher, se regarder et se dire des mots doux... de l'admiration que l'on éprouve pour Untel, ou Untel, Unetelle et Autretel(le) si l'on n'est pas exclusif, et enfin de l'énergie très particulière qui fait qu'on ne s'ennuie pas ensemble, énergie de vie constitutive de la libido au sens Freudien du terme et non pas énergie purement sexuelle, truc dans le machin.

« Certes, mais le sexe, c'est bon », rétorqueront certains. Ô que oui ! A condition qu'il soit mû par ce désir multiforme, faute de quoi les gestes deviennent monotones et les rencontres « on dîne, on baise » ennuyeuses. Il existe une routine des amants quand leurs mains s'approchent et qu'on peut prédire à peu près sûrement où elles vont se promener, comment elles soulèveront le pull, retrousseront la jupe, etc... Rien de plus déprimant que de se dire, face à un amant potentiel « j'ai l'impression d'avoir déjà vu le film. » D'où la tentation de s'adonner à des pratiques diverses et variées pour booster le désir, ce qui retarde la fatale échéance mais ne la supprime pas, car on se lasse aussi du plus sophistiqué des vibromasseurs (vibre, ô mon frère!), des cordelettes, masques, gels en tous genres pour tous genres et autres objets du marketing sexuel qui fait ses choux gras de la confusion entre excitation et désir. En revanche, il m'est arrivé -et il vous est sûrement arrivé- d'être à nouveau troublée par quelqu'un sur un geste, un mot ou une attitude dont cette personne n'avait parfois même pas conscience... Sans doute suis-je cérébrale, mais l'organe sexuel le plus important n'est-il pas le cerveau ?

Plus que dans la passion, existe dans l'amitié ce partage d'univers, d'intérêts, d'admiration souvent, de rigolade toujours qui permet de se réjouir ensemble, et si les corps le désirent, de jouir ensemble. D'où ma préférence depuis toujours pour des relations où l'amitié nourrit le désir et le désir embellit l'amitié. L'amour, en couple ou multiple, a besoin de décoller les étiquettes et de voir dans l'autre un amour, un amant, un ami, un camarade de jeux, bien loin de la cristallisation passionnelle chère à Stendhal, qui commence fort mais finit mal... en général. Heureux ceux pour qui la routine devient rituel, faite de « private joke », de lieux privilégiés et d'habitudes complices.

« Ne te trompe pas d'ennemis ma chérie, fit doucement Madeleine. La vie est répétitive par nature. Chaque jour, tu te douches tu manges, tu te couches. Or tu aimes toujours manger, te doucher et t'endormir, ou disons que cela ne te pèse pas. Ce qui pourrait être ennui ou routine est devenu rituel familier. Si quelque chose ou quelqu'un te semble mortellement routinier, cherche ce que signifie cet ennui, sinon tu tourneras en rond et tu te diras que plus rien d'essentiel ne peut t'arriver. » (« Jouer au monde, roman publié en 2012, que j'ai commencé à écrire en 1992, c'est dire si j'y ai réfléchi).

Et la seconde réponse du test : « L'amour s'est éloigné » ? Comment expliques-tu ça, après cette longue dithyrambe sur l'amour solide ? Justement, par l'éloignement. Le nez collé sur un tableau, même magnifique, on finit par ne plus le voir, on a les yeux flous et les larmes qui picotent à force de fixer le même endroit. Mais il suffit de prendre du recul pour que l'image se fasse à nouveau nette et qu'on redécouvre l'intérêt du tableau et même parfois de nouveaux angles insoupçonnés, simplement parce qu'on aura modifié l'éclairage. L'amour qui s'éloigne, au profit de l'individu, permet à chacun de reconquérir un territoire personnel sans lequel il n'a plus tout à fait l'impression d'exister. « La grande escroquerie du couple, c'est de ne pas révéler qu'en s'unissant, chacun s'est amputé d'une part de lui-même et n'aura de cesse de la retrouver.... Tout être humain n'a qu'une obsession : se sentir exister, l'ego est mille fois plus puissant que l'amour. » (« Ce qui trouble Lola », même dans mes écrits érotiques, je philosophe!)

Ainsi, l'éloignement de l'amour est paradoxalement un gage de sa durabilité, et c'est dans ce subtil équilibre entre énergie du désir et autonomie individuelle que se cimentent l'amour ou les amours.