"Il ne restait jamais sur la même île plus d'un mois ou deux... Toutes les fois qu'un imbécile lui demandait "Tu fais quoi dans la vie, le môme ?" il savait qu'il était temps de déguerpir, et sans traîner. C'est une drôle de question d’ailleurs, tu fais quoi dans la vie? Vous l'a-t-on déjà posée? C'est une question qui vous donne la réelle impression que le seul fait de vivre ne suffit pas ; elle met la vie en minorité, si l'on peut dire, la relègue au deuxième rang, comme si ce n'était pas assez d'être vivant, comme s'il fallait encore payer un tribut". (Romain Gary, "le Grec")



Il y a des textes, comme ça, qui vous parlent. Qui me parlent en tout cas. Romain Gary aurait eu cent ans cette année, on n'en a pas assez parlé, célébration des deux guerres obligent. Pourtant, être né un 8 mai, comme l'armistice de 45, et en 1914 comme la "der des der", ça s'appelle un destin, non ? Qu'il s'appelle Romain Gary, Emile Ajar ou Shatan Bogat, c'est toujours une écriture magnifique et simple dont aucune phrase n'est superflue.

Il a raison, Gary. "Tu fais quoi dans la vie ?" ça vous réduit à votre métier, votre travail. Ça gomme de la vie ceux qui n'en ont pas. Je me souviens de la réponse d'un petit africain sur une affiche à qui un blanc demandait "Qu'est-ce que tu voudrais être quand tu seras grand ?" et qui répondait : "Être vivant !"

Il parlait de vie biologique, bien sûr, normal quand on vit sur un continent où un enfant sur trois meurt avant l'âge de cinq ans. Mais ici même, l'essentiel n'est-il pas d'être et de se sentir vivant ?