Quand tu es minot et que tu as la chance d'avoir un grand frère, c'est fabuleux. Le mien, âgé de trois ans de plus que moi, et entre nous deux la frangine, joli tir groupé : bravo Maman, bravo Papa !

Fabuleux le frangin, trois idées fumantes par jeudi... Des putains d'inventions. Quand je raconte ça à mes mômes, ils hochent la tête, et déclarent : "ben dis donc, on en aurait fait le quart, qu'est-ce-qu'on aurait entendu !"

Un jeudi, en rentrant du ciné de quartier le "Moulin Rouge", dont je vous ai déjà parlé, et après avoir vu un "Charlot" ou un "Harold Lloyd", dans lequel le héros saute depuis une fenêtre, tenant dans la main un parapluie largement ouvert (Mary Poppins n' a rien inventé !), mon frère a voulu mettre illico en application les lois de l'attraction universelle.

Etant donné qu'un corps dont la chute, freinée par un parachute, atterrit moins vite qu'un corps non ralenti par tout moyen artificiel... D'autor, il a désigné ma soeur, testeuse en chef de sa théorie du ralentissement des corps en milieu atmosphérique, situé pratiquement au niveau de la mer !

La frangine, debout, après avoir enjambé la rampe du perron, deux mètres environ au-dessus du sol, parapluie maternel grand ouvert, se lance dans le vide, encouragée par les deux mâles, qui l'avaient copieusement traitée de froussarde, foireuse, chiasseuse, déballonnée, j'en passe et des meilleures, puis atterrit un peu brutalement, le genou percute le menton... CLAC !

Aussitôt le résiné jaillit, la frangine se passe la main sous le menton, constate les dégâts et se met à brailler. La voisine - tu sais l'harengère, décrite dans un billet précédent - se met à nous engueuler copieusement, disposant pour la circonstance d'un vocabulaire n'ayant rien à envier à celui des vendeuses de quat' saisons : ah mon fumier d'lapin ! Tu l'as bien arrangée, ta pôv soeur ! Saloperie, brigand, j'vas t'couper ta bézette en rondelles, si j't'harponne ! Gad' donc, elle saigne comme un goret !

Et la voilà qui se met à appeler ma mère. Imagine la scène : ma soeur qui pisse le sang, son tablier qui commence à rougir, mon frère qui éponge avec son mouchoir, et la mère gueule-fort, vociférant, et gesticulant, autant que pouvaient le lui permettre ses deux cents livres !

Un peu affolée, ma mère descend les marches du perron et examine la blessée, comment est-ce arrivé ? Entre deux sanglots, ma soeur explique, appuyée par la gravosse... Et PAN, une mornifle sur le museau du frangin, dans la foulée j'en ramasse une aussi, un partout... La balle au centre ! Puis, pansement compressif, Tricostéril, petit câlin,... La moribonde est guérie.

Un autre magnifique jeudi, mon idole a encore eu une idée prodigieuse : on va faire un campement de Bédouins ! Il faut dire que ma mère s'était absentée pour l'après-midi. Branle-bas de combat, on sort un tapis, le plus grand, celui du salon, des piquets assez longs, ceux des haricots à rames : magnifiques. Et puis on ne se déballonne pas, les draps de notre lit pour dresser la tente !

On remettra tout en place, avant que M'man rentre, bien sûr.... Le caïd c'était lui, le fils du Cheik, et tout l'bazar, nous, nous étions les esclaves, les porteurs d'eau, fallait lui apporter du chocolat, de la confiture, tous les potes du quartier étaient là, on s'marrait tellement, qu'on en oubliait l'heure !

Soudain un "kès cé ksa" ? Bien indigné... Merdum, le temps passe si vite quand on s'amuse, ma mère qui rentre, elle constate les dégâts, le Cheik assis en tailleur, sur le tapis posé à même la terre, les draps du lit érigés en tente, cinq ou six copains piétinant à qui mieux mieux les Gobelins.

Les potes, faux-derches, qui se cassent en bredouillant des "au r' voir, M' Dame". Et nous qui restons tous trois les bras ballants, ceux de ma mère ne le sont pas restés longtemps ballants, eux ! PIF, PAF, chacun la sienne, pas de jaloux, mais bon, c'était mérité non ?

Une autre fois, il faisait beau, et soudain l'idée du siècle ! On va construire un barrage, rien de moins.

Il y avait chez nous, une allée cimentée, une petite évacuation, au bout, pour les eaux de pluie, alors nous bouchons cet orifice, érigeons un "mur" en terre, deux mètres plus loin, tuyau d'arrosage branché, mise en eau de l'ouvrage... Pas mal de litres de flotte avant d'atteindre un niveau acceptable.

Enfin, on se bricole des bateaux en bois, à coups de scie et de clous en guise de mâts. Mon petit voisin, fils unique, généreux au possible, à qui je dois d'avoir lu tous les "Tintin" - merci Daniel ! - nous regardait au travers du grillage. Il n'avait pas le droit de venir déconner avec nous, car nous n'étions pas des modèles d'obéissance, ni de sagesse ! Bien plus tard, il m'a avoué qu'il aurait bien aimé être à notre place. Pourtant, il était couvert de jouets et de beaux albums, qu'il partageait volontiers d'ailleurs.

Donc, nous voilà passant l'après-midi à barboter dans notre lac magnifique, qui devenait de plus en plus gadouilleux, quand soudain, la digue se rompt !

Voilà la flotte bien crade qui s'échappe et s'engouffre dans l'escalier de la cave, en passant sous la porte (cette porte était située sous le perron). Trop tard ! Il ne nous restait plus qu'à nettoyer la cour, à grands renforts de jet d'eau, les escaliers menant à la cave itou, mais la flotte stagnait en bas, sur la terre battue, elle épongeait lentement, mais se ramollissait rapidement... Waouh, la gadoue dans cette pauvre cave...

Mais vous ne faîtes que des bêtises, regardez-moi cette cave, dans quel état vous l'avez mise ! Attendez, quand Papa va rentrer....

Le soir : dis M'man, tu l'diras pas, hein ? On recommencera plus, hein, dis ? Super gentille, elle ne l'a pas dit, alors on se tenait peinards un moment, un court moment.

Jusqu'au jour où mon frère eut ENCORE une idée formidable ! On va faire des parachutes ! Des parachutes... Quelle idée magnifique ! Pour le tissu, pas de problême, armé d'une paire de ciseaux, le voilà qui attaque le bas des rideaux du salon, notre pièce favorite décidément, on y allait peu, elle servait de chambre pour ma soeur.

Un parachute, dans le rideau gauche et, pour la symétrie, un autre dans celui de droite, hein, tant qu'à faire ? Du fil de couturière pour les suspentes, un vieux soldat de plomb unijambiste, le nouveau John Steele de Sainte-Mère-Eglise ! Et nous voici à l'étage, dans la piaule des garçons, testant encore une fois les lois de l'attraction universelle freinée par un moyen artificiel, en milieu... etc., etc.

Notre brave Maman ne s'est pas aperçue immédiatement de la dîme prélevée sur ses voilages, mais lorsqu'elle a voulu laver les rideaux... AÏE, AÏE, AÏE, putain de Manon ! L'engueulade, et là nous n'y avons pas coupé : rapport au Paternel, le cul m'a chauffé un bon moment, pas de gifles, mais la fessée, oui ! Je pense avec le recul que nous ne l'avions pas volée !

Et puis, je dois à mon frère, ma passion pour les avions, les modèles réduits, ça l'a pris alors qu'il avait une douzaine d'années et ne l'a plus lâché, je lui ai emboîté le pas, bien sûr, la poussière de balsa étant une drogue très puissante, j'y suis toujours accro !

Bernard et Monique, mon frère et ma soeur, m'ont quitté. J'ai ressorti ces petits souvenirs, qui, je tiens à le préciser sont authentiques, enjolivés bien sûr, car l'important ça n'est pas l'histoire, mais ce sont les petites dentelles que nous tentons d'accrocher autour, enfin je l'espère.

Il y a eu bien d'autres aventures du même acabit, mais elles feront l'objet d'un autre billet.