Tous les démographes vous le dirons : le papy-boom arrive ! La natalité molle et l'allongement de la durée de vie font que la proportion de vieux débris personnes âgées dans la population française devrait aller sans cesse croissant : en 2050, un habitant sur trois devrait avoir plus de 60 ans, contre un sur cinq aujourd'hui. C'est pas moi qui le dit, c'est l'INSEE.

Blogborygmes étant toujours en avance sur son temps, j'ai décidé de lancer ici une grande série : les contes et histoires pour enfants revus à la sauce troisième âge. En effet, puisque les enfants vont être amenés, dans les années à venir, à côtoyer de plus en plus de vieux grabataires personnes du troisième âge, j'ai pensé qu'il serait pertinent de les y préparer en vieillissant quelque peu les personnages de leurs livres d'histoires. En voilà-t-il pas une idée qu'elle est bonne et qu'elle va me rapporter plein de brouzoufs ?

Aujourd'hui, première histoire, "Alice au pays des merveilles" revisité...




Alice commençait à se sentir très lasse de rester assise à côté de sa vieille sœur, sur son fauteuil relax dans le jardin de la maison de retraite, et de n’avoir rien à faire. Une fois ou deux, elle avait jeté un coup d’œil sur ce que lisait sa sœur : c'était un vieux catalogue Damart, tout écorné d'être passé de main de pensionnaire en main de pensionnaire et dont certaines pages étaient toutes collées. « Quel intérêt, pensait Alice, de lire comme ma soeur ce catalogue pour la douzième fois ? Et pourquoi certaines pages collent-elles ainsi les unes aux autres ? Je soupçonne quelques vieux pervers de se tirer sur la nouille aux toilettes sur la page des gaines en kevlar ! »

Elle se demandait (dans la mesure où elle était capable de réfléchir, car elle souffrait depuis dix ans de la maladie d'Alzheimer mâtinée de Creutzfeld-Jacob) si le plaisir de ne pas mouiller sa couche Confiance valait la peine de s'extraire de son fauteuil relax, lorsque, brusquement, un vieux lapin blanc aux yeux roses, appuyé sur une canne, passa en clopinant tout près d’elle.

Ceci n’avait rien de particulièrement remarquable ; et Alice, qui sucrait les fraises depuis bien longtemps déjà, ne trouva pas non plus tellement bizarre d’entendre le vieux lapin se dire à mi-voix : « Oh, mon Dieu ! Oh, mon Dieu ! Je vais être en retard ! » (Lorsqu’elle y réfléchit par la suite au cours d'un de ses rares instants de lucidité, il lui vint à l’esprit qu’elle aurait dû s’en étonner, mais, sur le moment, cela lui sembla tout naturel) ; cependant, lorsque le vieux lapin tira bel et bien une montre de la poche de son gilet, regarda l’heure, et s'escrima à boiter plus vite en allongeant la canne, Alice se dressa péniblement en faisant craquer toutes ses vieilles articulations et s'agrippa à son déambulateur, car, tout à coup, l’idée lui était venue qu’elle n’avait jamais vu de vieux lapin arthritique pourvu d'une canne et d’une poche de gilet, ni d’une montre à tirer de cette poche. Dévorée de curiosité, elle traversa le jardin de la maison de retraite, au rythme lancinant du choc du déambulateur sur les dalles grises de l'allée, avançant tout petitement, centimètre après centimètre. Mais le vieux lapin blanc qui se traînait à la force de sa canne n'avançait guère plus vite malgré son empressement apparent.

En claudiquant à sa poursuite, elle eut la chance d’arriver juste à temps pour le voir s'exclamer une dernière fois « Oh, mon Dieu ! Je vais être en retard ! », s'arrêter brusquement, porter une patte à sa poitrine, pousser un cri de douleur et s'effondrer comme une masse, le nez dans le gazon.

Alice s'approcha du vieux lapin blanc qui ne bougeait plus, apparemment foudroyé par une crise cardiaque. Elle s'exclama à l'adresse de sa soeur, restée assise là-bas, dans la cour : « Oh, as-tu vu ça ? »... Puis, devant l'absence de réponse due à la quasi-surdité de sa soeur, elle hurla : « OH !!! AS-TU VU ÇA ? »

Celle-ci finit par lever l'oeil (le seul utilisable, l'autre étant atteint par la cataracte) de son catalogue et répondit : « Bin, c'est juste une charogne de lapin. Touche-z'y donc pas, l'a peut-être la myxomatose ! »

Et Alice, déçue, prit le chemin du retour au rythme lancinant des chocs de son déambulateur sur les dalles grises de l'allée. Avec tout ça, elle avait mouillé sa couche.



Voilà.

Hem.

A la réflexion, je me dis que c'est peut-être un peu court en faire tout un bouquin et que, finalement, mon idée initiale n'était peut-être pas si géniale que ça. Parce qu'à la réflexion, la perspective d'écrire l'histoire du vieux chaperon rouge mangeant une purée en compagnie du vieux loup édenté ne me soulève pas d'enthousiasme. Pas plus que celle d'imaginer l'histoire du vieux Poucet et de ses frères croulants semant leurs dentiers pour retrouver le chemin de l'hospice.

Non, tout bien réfléchi, c'est même une idée pas bonne du tout, ce n'est pas avec ça que je vais gagner des millions pour ma retraite.

Bah, cela m'aura au moins servi à faire un billet !