Je vous ai certes raconté avec force détails comment j'avais posé pour Léonard de Vincennes et pour Yves Klein, mais je m'aperçois (la malepeste soit de mon effroyable étourderie !) que j'ai omis de vous narrer ma séance de pose pour Botticelli.

Mais peut-être s'agit-il au fond d'un acte manqué : je n'ai pas gardé un excellent souvenir de cette séance, et c'est une douce litote que de dire cela ! C'est même à ce jour une de mes expériences les plus cuisantes dans le monde de l'art pictural. Mais reprenons l'histoire au début.

Je me baladais tranquillement dans les rues de Florence quand un type m'est tombé sur le paletot. C'était Botticelli qui, ému par la beauté sculpturale de mes formes, me suppliait de poser pour lui : il avait en tête un tableau gigantesque représentant la naissance de Vénus et, disait-il, j'avais tout ce qu'il fallait pour lui servir de modèle.

Vous me connaissez : je suis toujours prêt à rendre service aux petits jeunots qui débutent, j'acceptai donc.

Mais j'allais vite le regretter : Botticelli s'était mis en tête de me faire poser à l'intérieur d'un gros coquillage pas très frais qui sentait encore la marée.

Beuuuuuuh, je n'ai jamais pu supporter les fruits de mer ! La séance de pose fut donc un véritable calvaire pour moi, car je devais m'efforcer de ne pas bouger tout en essayant de contenir des envies de dégobiller mon petit déjeûner.

Mais mon amour de l'Art étant ce qu'il est, je tins bon jusqu'au jour où Botticelli m'annonça enfin que sa Naissance de Vénus était finie.

Il dit alors : "Ma qué maintenant qué yé fini, yé vais mettre les miennes binoculars. Yé préfère ne pas les mettre parce que yé souis coqueto, mais quand yé fini oun tableau, y'aime bene voir précisamente ce qué ça donne !"

Et c'est là que tout a merdé. Car il a vu ça :

... et il s'est exclamé : "Ma qué ! Ma tou es oun cheval !!!!"

Je lui ai répondu que oui et lui ai demandé si ça le défrisait. Ce à quoi il a répondu que oui et qu'on ne pouvait pas imaginer Vénus sous la forme d'un bourrin et qu'il faudrait peut-être qu'il se résolve à porter ses lunettes en permanence.

Profondément vexé, je suis parti en claquant la porte.

Botticelli trouva par la suite une greluche insipide pour poser déguisée en Vénus (c'est-à-dire à poil !) et repeint par dessus le chef-d'oeuvre que vous pouvez admirer ci-dessus.

Maintenant, vous savez tout. La prochaine fois que vous passerez devant ce tableau aux Offices de Florence, munissez-vous d'un grattoir et allez attaquer la couche supérieure de peinture pour faire renaître au grand jour la vraie Vénus chevaline qui se cache dessous.

Les vrais amateurs d'Art vous en seront à jamais reconnaissants, soyez-en certains !