Ses parents étaient fans de Joe Dassin. Elle connaissait presque toutes ses chansons, mais elle avait une tendresse affirmée pour une d'entre elles qu'elle trouvait drôle mais aussi touchante.

Dans sa banlieue très classiquement et efficacement bétonnée, Nicole fredonnait souvent ' la luzerne '. Et Nicole rêvait. Elle grandissait, aussi.

Quand elle quitta ses parents qui n'apprécièrent pas du tout le gars avec qui elle prétendit vouloir faire sa vie, gars qu'elle leur présenta un dimanche après-midi au dessert, elle décida de pratiquer un petit métier de rue comme il y en a encore beaucoup dans nos fières cités. Pas moche, vaillante et honnête, elle se fit vite une excellente réputation, mais prit cette vilaine habitude de la cigarette.

Le jour où elle rencontra Jean Wolfgang, à la piscine du quartier, il se passa une chose inconnue en elle et la température de l'eau de la piscine autour d'elle augmenta subitement de quelques dixièmes de degrés centigrades. Le coquin s'en rendit compte. Un sentiment nouveau habitait Nicole.

Jean Wolfgang - qui était devenu Jeanvo pour Nicole - lui fit un gosse, gosse qu'elle promenait en poussette en fumant une cigarette de temps en temps. Un jour, elle se rendit compte que la poussette ètait à la hauteur des pots d'échappement et que les gens fumaient aussi. Ce fut une révélation: son gosse, qu'elle aimait par dessus tout, ne devait plus subir ce traitement. Et elle se remit à chanter ' la luzerne '.

Seulement, que faire. Son Jeanvo était herboriste de cité et il travaillait tard le soir. Il ne pouvait pas aisément travailler en dehors de ces cités. Et puis, Nicole ne voulait pas lui faire de mal: il avait tant de coeur, son Jeanvo.

Un grand cœur, si grand qu'il ne refusa pas d'héberger trois balles de kalach qui cherchaient un peu de chaleur humaine.

Le concurrent taquin de Jeanvo fit comprendre à Nicole qu'elle serait très bien accueuillie chez ses grands parents maternels, et que ceux-ci seraient ègalement ravis de faire la connaissance de leur arrière-petit fils.

Nicole approuva et partit revoir la verte campagne.

Dans le train, elle fredonnait ' la luzerne ' , décida d'arrêter la fumée, et puis la vapote aussi, car ce mot, à une lettre près, lui rappelait son premier boulot.

Et maintenant, heureuse, Nicole chique dans les prés.